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La politique de la chaise
 rouge 
actuel n° 109, vendredi 23 septembre 2011
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Comment inscrire la culture, Ă©ternel parent pauvre des politiques dans le programme des Ă©lections lĂ©gislatives ? Deux amis, excĂ©dĂ©s par le dĂ©sert culturel ambiant, ont dĂ©cidĂ© de mettre nos partis face Ă  leurs responsabilitĂ©s.


***

Un lobby d’agitateurs pour remettre la culture Ă  sa place. » C’est dĂ©sormais le leitmotiv de Jamal Abdennasser, styliste, et Amine Boushaba, journaliste, qui ont lancĂ© depuis prĂšs d’un mois le projet « La chaise rouge ».

L’objectif : secouer suffisamment les politiciens pour qu’ils bougent de leurs strapontins et s’investissent enfin dans la culture. La mĂ©thode : une initiative citoyenne qui se propose de recueillir les avis d’acteurs et d’observateurs du monde de la culture, de les filmer et, de les diffuser afin d’interpeller les politiques.

Pour cela, il fallait un concept original qui aille au-delĂ  de la simple sensibilisation. Les deux amis se baladent donc avec une chaise rouge de designer oĂč ils installent leurs intervenants, puis publient le tĂ©moignage sur Internet (lachaiserouge.ma) et sur facebook. A terme, toutes ces interviews serviront Ă  Ă©laborer un court-mĂ©trage.

Le DVD va ensuite ĂȘtre dĂ©posĂ© au siĂšge des partis pour qu’ils s’en inspirent dans leurs programmes. « On va exiger un accusĂ© de rĂ©ception quand on remettra le DVD », affirme Amine Boushaba.

« La chaise rouge » ne prendra pas pour autant la poussiĂšre aprĂšs les Ă©lections. C’est un projet sur le long terme. « Nous avons choisi les mots ‘‘agitateurs’’ et ‘‘lobby’’ consciencieusement. Nous ne nous contenterons pas de publier. Nous pensons organiser ensuite des Etats gĂ©nĂ©raux et devenir une force de proposition qui va suivre les rĂ©alisations des politiques », poursuit-il.

L’idĂ©e de « La chaise rouge » a germĂ© il y a plus d’un an dans l’esprit des deux amis. C’était aprĂšs une confĂ©rence-dĂ©bat sur le thĂšme « Pourquoi la culture n’investit pas les espaces publics ».

Dans la foulĂ©e, l’intellectuel Abdellatif LaĂąbi publiait un manifeste dĂ©nonçant le laxisme des autoritĂ©s envers la promotion de la culture. « On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose, il fallait une catharsis, savoir quelle place occupe la culture dans notre sociĂ©tĂ© et comment l’imposer dans le programme du gouvernement », se rappelle Amine Boushaba.

 

Il Ă©tait une chaise


Il fallait ensuite trouver un concept, d’oĂč l’idĂ©e de la chaise, crĂ©Ă©e Ă  l’origine par un designer hollandais, Gerrit Rietveld. En 2010, des artistes hollandais ont lancĂ© une rĂ©sidence d’artistes Ă  Casablanca oĂč figurait cette chaise et sur laquelle ont travaillĂ© de jeunes talents marocains.

« La philosophie de Gerrit Rietveld Ă©tait de rendre le design accessible. Cette chaise qui a Ă©tĂ© retouchĂ©e par des Marocains symbolise notre envie justement de rendre la culture accessible », dĂ©taille Amine Boushaba.

L’objectif du projet est de recueillir une centaine, ou au moins une cinquantaine de tĂ©moignages avant de rĂ©aliser le court-mĂ©trage. Pour le moment, une quinzaine d’interviews ont Ă©tĂ© mises en boĂźte et sont disponibles sur les rĂ©seaux sociaux.

A terme, les initiateurs de « La chaise rouge » comptent se dĂ©placer dans les petites villes, comme Taounate ou Figuig par exemple, pour rencontrer les acteurs culturels locaux et enregistrer aussi des vidĂ©os en arabe.

A terme, tout doit ĂȘtre prĂȘt avant les Ă©lections. Mais, Ă  peine le projet entamĂ©, les deux amis ont dĂ©jĂ  mis le doigt lĂ  oĂč ça fait mal et sur ce qui pourrait ĂȘtre fait. « Beaucoup d’intervenants ne veulent plus que la culture soit confinĂ©e au seul ministĂšre de la Culture ; elle devrait concerner par exemple le dĂ©partement du Tourisme qui fait encore dans le folklore la plupart du temps.

Ils pensent aussi qu’il n’y a pas de politique culturelle structurĂ©e et que l’éducation peut jouer un rĂŽle majeur pour l’éveil Ă  la culture, etc. », rĂ©sume Amine Boushaba. Pour booster la politique culturelle, les deux agitateurs n’ont pas l’intention de se reposer sur leurs chaises longues.

Zakaria Choukrallah

Dixit

Ils l’ont dit sur la chaise

Driss Ksikes, journaliste et dramaturge

« J’aime beaucoup les festivals, mais je prĂ©fĂšre la ritualisation de la culture. C’est-Ă -dire crĂ©er des espaces dans lesquels la culture se fait dans la rĂ©gularitĂ©. Aujourd’hui la seule chose ritualisĂ©e dans notre sociĂ©tĂ©, c’est la mosquĂ©e et le bar. J’ai une proposition concrĂšte Ă  faire Ă  l’Etat.

On divise par deux le budget du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, on enlĂšve le quadrillage du territoire par le moqadem et le caĂŻd et on octroie ce budget Ă  la crĂ©ation et au dĂ©bat, mais sans droit de regard de l’Etat. La culture et l’art se font d’abord par la libertĂ©. »

 

Nour-Eddine Lakhmari, réalisateur

« On n’a pas de salles de cinĂ©ma, pas de bibliothĂšques,
 la culture n’est pas une prioritĂ©. C’est dangereux. Aujourd’hui, les Etats-Unis dominent le monde avec la culture. Au Maroc, les gens ne lisent pas, ils regardent l’image. Cela doit nous pousser Ă  rĂ©flĂ©chir d’une autre maniĂšre.

L’image, la tĂ©lĂ©vision,... servent Ă  crĂ©er de bons citoyens. Des gens qui produisent. On ne peut pas avoir les meilleurs ingĂ©nieurs au monde sans crĂ©ation autour d’eux. Le Marocain a un problĂšme avec son identitĂ©. Il ne s’aime pas beaucoup. C’est bien de voir des films amĂ©ricains ou scandinaves, mais nous avons besoin de nos propres films, de voir nos propres problĂšmes. On doit produire et se poser des questions. Nous devons crĂ©er nos propres hĂ©ros. La culture peut ĂȘtre rentable. »

 

Moulim Lañroussi, critique d’art

« Le produit culturel qui interroge, qui ouvre des horizons, est tout simplement laissĂ© de cĂŽtĂ©. Dans d’autres pays, le privĂ© finance l’industrie de la crĂ©ation, mais l’Etat continue tout de mĂȘme de soutenir la culture de l’avant-garde.

Chez nous, il n’y a pas ça. Il y a soit le folklore, soit la distraction. MĂȘme la culture populaire est mise de cĂŽtĂ©. Depuis le Maroc moderne, c’est-Ă -dire celui de Lyautey, la politique est d’encourager une culture traditionnelle et traditionnaliste. A cela s’est greffĂ© un phĂ©nomĂšne nouveau que sont les festivals. Ceux-ci excluent l’originalitĂ© car ils « bouffent » tout. »

 

Amine Belghazi, Ă©tudiant en Ă©conomie

« Je suis fraĂźchement diplĂŽmĂ©. A l’école, nous apprenons juste Ă  apprendre, pas Ă  rĂ©flĂ©chir. On produit des clĂ©s USB, sans curiositĂ© culturelle. Nous n’avons pas des cours d’initiation Ă  l’art. Pourquoi ne pas faire des excursions culturelles pour nos enfants par exemple ? »

 

Hicham Bahou, cofondateur de L’Boulevard

« C’est Ă  partir du moment oĂč l’on a des murs que l’on peut commencer Ă  travailler. Il faut des lieux oĂč on accueille les artistes pour qu’ils se rencontrent, crĂ©ent une dynamique et construisent quelque chose de durable que l’on peut appeler une scĂšne, un mouvement. »

 

Amine Bendriouich, créateur de mode

« Les politiques ne sont pas curieux. Ils ne connaissent pas les artistes, sauf si ces derniers sont mĂ©diatisĂ©s ou au centre d’une polĂ©mique. Un responsable vient vous saluer et vous dire « Tbarkallah alik ». Il faut un vrai soutien, par exemple en enlevant les barriĂšres quand des artistes veulent organiser un Ă©vĂ©nement. Â»

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