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Art marocain : de la cote au coĂ»t 
actuel n°55, samedi 10 juillet 2010
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Peut-on vraiment parler d’art sans parler d’argent ? À l’heure oĂč certains prĂ©fĂšrent investir dans l’achat de tableaux plutĂŽt que dans l’immobilier, il faut s’interroger sur ce que valent rĂ©ellement les oeuvres de nos artistes.

***

Face Ă  des prix ayant littĂ©ralement flambĂ© ces derniĂšres annĂ©es, les avis divergent sensiblement. « Contrairement Ă  ce qui se dit, les artistes marocains sont surcotĂ©s chez eux ; la preuve en est que la grande majoritĂ© ne jouit d’aucune existence officielle dans les salles de vente Ă  l’étranger », explique l’artiste peintre Abderrahim Yamou. Celui-ci expose actuellement Ă  la galerie Bernard Chauchet de Londres et ses toiles oscillent entre 2 000 et 10 000 euros. Selon lui, les prix en cours au Maroc enjolivent la rĂ©alitĂ© plus que de raison et n’ont finalement rien Ă  voir avec ce qui se passe hors du pays.

« Croyez-moi, lorsque je marche dans les rues de Londres ou de Paris, je n’ai besoin ni de lunettes de soleil ni de garde du corps pour Ă©chapper Ă  la foule de fans ou de curieux. » Des paroles qui intriguent lorsqu’on entend parler d’adjudications, comme celle des oeuvres de BineBine ou de Glaoui, frĂŽlant les centaines de milliers d’euros ou de dollars.

« Personnellement, je refuse de parler de surcotation. GrĂące Ă  leur talent et Ă  un certain dynamisme du marchĂ©, nos artistes sont parvenus Ă  ce qu’ils mĂ©ritaient amplement. Ceux qui Ă©voquent une surestimation des valeurs confondent la moyenne d’un peintre sur plusieurs ventes successives (la cote) et les records que quelques-uns de ces tableaux peuvent atteindre au cours d’enchĂšres. Or, un record n’est pas du tout synonyme de surcotation », prĂ©cise Farid Ghazaoui, directeur de la CMOOA ventes aux enchĂšres. Une opinion Ă©galement partagĂ©e par Aziz Daki, critique d’art et propriĂ©taire de l’atelier 21. « Il est tout Ă  fait normal de voir des toiles prendre de la valeur avec le temps, surtout lorsqu’elles sont l’oeuvre de ceux qui ont façonnĂ© l’histoire picturale de ce pays. En revanche, il m’est avis que les artistes qui se contentent d’apposer des prix faramineux sans raison ‘‘apparente’’ devraient tout simplement ĂȘtre sanctionnĂ©s par les lois du marchĂ©. » Une chasse aux sorciĂšres qui s’avĂšrerait des plus ardues si elle devait vĂ©ritablement avoir lieu. Quoi de plus subjectif que l’art et son entendement chez des citoyens Ă  l’engouement rĂ©el mais
 rĂ©cent ?

Les questions pécuniaires

Si beaucoup d’artistes trouvent inopportun d’aborder les questions pĂ©cuniaires, de nombreux sites « se proposent » de le faire Ă  leur place afin de renseigner les collectionneurs. Il faut compter en moyenne 5 000 Ă  6 000 euros en France pour acquĂ©rir une peinture signĂ©e Mehdi Qotbi, quand au Maroc ses toiles de 50 cmx50 cm coĂ»teraient autour de 40 000 dirhams. Et elles sont parties comme des petits pains pendant sa derniĂšre exposition Ă  Loft Gallery Ă  Casablanca.

Cher ? Pas tant que cela comparĂ© Ă  Mahi BineBine qui culmine avec une oeuvre vendue Ă  200 000 dollars. « L’art au Maroc est devenu une valeur refuge et s’est imposĂ© comme une option d’investissement Ă  part entiĂšre. En dix ans, les prix de certains ont clairement Ă©tĂ© multipliĂ©s par 7 ou par 8 », Ă©nonce ce dernier. Faute de repĂšres, on relĂšve quelques aberrations mais les choses sont – paraĂźt-il – rentrĂ©es dans l’ordre. « À un moment, il y avait vraiment tout et n’importe quoi sur le marchĂ©, mais les maisons de vente locales ont rĂ©ussi Ă  rĂ©guler la situation et Ă  rassurer leur monde. Que voulez-vous, les jeunes se croient souvent obligĂ©s de brĂ»ler les Ă©tapes. J’ai dĂ» fournir beaucoup d’efforts et attendre des dĂ©cennies avant d’arriver Ă  ce stade de ma carriĂšre. C’est facile de s’auto-attribuer des prix, mais rien n’est plus dur que de maintenir un niveau. »

S’imposer Ă  l’étranger

Concernant la prĂ©sence des peintres marocains Ă  l’étranger, il serait erronĂ© de la rĂ©duire Ă  nĂ©ant puisque bon nombre d’entre eux ont aussi rĂ©ussi Ă  s’imposer hors de chez nous, Ă  se faire connaĂźtre et Ă  vendre parfois leurs oeuvres encore plus cher qu’à domicile. « Ce n’est pas la premiĂšre fois que je suis amenĂ© Ă  exposer le travail de Yamou. J’ai eu l’occasion de faire connaissance avec lui et sa peinture, il y a six ans dĂ©jĂ , et j’ai Ă©tĂ© conquis par l’atmosphĂšre de ses toiles », raconte le galeriste Bernard Chauchet, qui le dĂ©signe comme le peintre « qui plaĂźt le plus aux autres peintres ». Des Ă©chos favorables et une cote allant de 1 500 Ă  7 550 livres sterling Ă  Londres.

Toujours dans la mĂȘme ville, l’experte internationale en charge des ventes d’art contemporain arabe et iranien de Sotheby’s, Lina Lazar, relĂšve un engouement pour les artistes marocains : « Cela fait maintenant quatre ans que la maison organise ce type de vente. GĂ©nĂ©ralement ces opĂ©rations se tiennent Ă  la mi-octobre et sont rĂ©parties entre une section moderne, oĂč sont vendues les toiles de pionniers comme Farid Belkahia entre 30 000 et 40 000 livres, et une section contemporaine avec des artistes tels que Mounir Fatmi et Hassan Hajaj, pour ne citer qu’eux. » La cote du premier va de 50 000 Ă  60 000 dollars (avec un record de 90 000 dollars pour son oeuvre Al Jazira), tandis que le second se situe entre 6 000 et 10 000 dollars (avec un record de 25 000 dollars). « Entre nous, les artistes marocains que nous avons prĂ©sentĂ©s ces derniĂšres annĂ©es ont remportĂ© un grand succĂšs auprĂšs des particuliers, mais Ă©galement au niveau de fondations privĂ©es, chose qui constitue un facteur de visibilitĂ© supplĂ©mentaire », affirme l’interface de Sotheby’s.

Plus que Paris, la capitale anglaise est devenue une plateforme de choix pour certains artistes marocains, suivie d’assez prĂšs par DubaĂŻ, qui s’impose comme une sorte d’eldorado du monde arabe dĂ©diĂ© Ă  promouvoir les talents de la rĂ©gion. « Les pays du Golfe Ă©prouvent un grand intĂ©rĂȘt pour nos artistes qu’ils jugent excellents et en toute objectivitĂ©, ils n’ont pas tort », dixit Farid Ghazaoui. Un panarabisme en couleurs qui fera le beurre de bien d’autres encore.

Plus prĂšs de chez nous, en Tunisie, les nouvelles sont tout aussi attrayantes. « J’ai eu Ă  collaborer avec quantitĂ© de grands noms (Belkahia, Bellamine
) et je continue de le faire. J’expose en ce moment les photographies de Lamia Naji que j’ai dĂ©couverte via Internet et je suis Ă©galement en train de nĂ©gocier un partenariat avec Hicham Benohoud pour prĂ©senter ses oeuvres. Leurs travaux s’adressent aux connaisseurs, mais dans l’ensemble le marchĂ© prend plutĂŽt bien », dĂ©clare Lylia Bensaleh, directrice de la galerie El Marsa Ă  Tunis. Lorsque l’on interroge tous ces spĂ©cialistes sur un Ă©ventuel ralentissement des ventes, la rĂ©ponse est unanime : les valeurs sĂ»res sont plus que jamais Ă  l’abri de la crise et sont vouĂ©es Ă  une progression continue. De quoi rester optimiste lorsqu’on n’est pas encore connu


Sabel Da Costa

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