Il a introduit un raï d’une trempe particulière au moment où les « cheikh » régnaient en maîtres. Son irrévérence a séduit d’emblée. Au Maroc pour la promotion de son dernier album Dima Raï , Cheb Kader nous raconte ses débuts, ses succès, ses ennuis…
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Sur une terrasse casablancaise, Kader, visiblement déshydraté par la chaleur humide du bled, commande une bouteille d’eau. La « bibliothèque » de Paul nous permet de nous mettre à l’abri des regards curieux. Car il est facile de reconnaître l’enfant terrible du raï. A presque quarante-six ans, Kouider Morabit alias Kader n’a pas pris une ride. Même bouille d’ado qu’on lui connaissait il y a vingt ans de cela ; et même humilité de ce passionné de la scène qui a créé ce qu’on appelle aujourd’hui « la fusion », au moment où Mami et autres proclamés « princes du raï » répétaient encore leurs gammes. « Très peu de gens le savent mais je suis marocain », avance l’artiste.
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Men Wahran l’Mulhouse
Né à Oran en 1966, Kader grandit au milieu d’une famille originaire de Berkane et de Saïdia, qui ne tardera pas à revenir au Maroc lorsque les conflits politiques se déclenchent entre les deux pays voisins. « Tous les Marocains d’Algérie ont été expulsés. Nous avons été accueillis, ma mère, mon frère et moi, par notre famille au Maroc avant de rejoindre mon père à Mulhouse », explique l’artiste, non sans aigreur. Grâce à un père flûtiste à ses heures perdues, Kader découvre la musique.
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« Mosaïque », émission-télé diffusée sur FR3 (France 3 d’aujourd’hui) les dimanches à 8h, élargit les horizons musicaux de l’enfant de neuf ans vers d’autres styles tels que Nass El Ghiwane, des musiques maghrébines traditionnelles… A douze ans, en assistant au spectacle organisé par l’Association des Marocains de Mulhouse à l’occasion de la fête du Trône, on lui demande de chanter. Il interprète Palestine  du mythique groupe marocain Lemchaheb. C’est le déclic. Kader s’essaie aux instruments musicaux et enchaîne les baptêmes et les fêtes de famille. Plus tard, c’est l’âge des discothèques, de la découverte du rock, du funk et du reggae. « D’où les nombreuses influences que l’on retrouve dans mes sonorités », explique-t-il.
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Naissance d’un raï new age
« Je fais partie d’une vague d’artistes qui a bouleversé les codes d’une musique dont l’univers était jusqu’alors guindé », assène le chanteur. Aux raïmen en costard, papillon et cheveux gominés, le public préfère les « cheb », des jeunes qui reprennent le répertoire de Mohamed Wahbi, Blaoui Elhouari ou encore Cheikha Rimitti avec fraîcheur et entrain. Un raï beur est né. « Très peu de gens y croyaient au départ. Y compris les artistes eux-mêmes. Il fallait dire que venant d’un Marocain, qui de surcroît a commencé sa carrière en France et non pas à Oran, ma démarche n’a pas été comprise d’emblée. » Kader a de grandes ambitions : adapter un style pour le faire connaître. Il s’en donne les moyens.
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Une longue formation au conservatoire lui permet de faire des arrangements musicaux, de raccourcir les chansons de dix minutes et de fluidifier les refrains. Aux journalistes qui lui reprochent de ne pas faire du vrai raï, il répond : « Ce qui n’est pas du raï aujourd’hui le deviendra demain. » La carrière de Kader décolle et le succès est assuré bien au-delà des frontières de l’Hexagone. Au Japon, aux Etats-Unis, en Scandinavie, le public qui ne connaît de la musique arabe que celle de la diva égyptienne Oum Kalthoum, découvre des sonorités festives, entraînantes et faciles à retenir même si la langue n’est pas forcément compréhensible.
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Précurseur mais ni prince ni roi
Installé à Paris depuis un bout de temps, Kader sort son premier album en 1986, grâce à des fonds récoltés çà et là à coups de petits boulots. Dix années de recherche et d’apprentissage lui ont donc été nécessaires mais cela valait la peine d’y croire. Aussitôt sorti, il est distribué dans les grands magasins. Premières apparitions à la télé et premières invitations par des animateurs vedettes tels que Frédéric Mittérrand, Thierry Ardisson ou encore Christophe Dechavanne qui s’intéressent à ce raï.
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Les sept millions de Français originaires du Maghreb se sont retrouvés dans cette culture car c’est tout ce qu’ils attendaient. En 1988, Kader sort un second album qui contient l’incomparable Sel Dem Deri et l’incontournable Sidi El Houari. « La première chanson de raï à avoir eu droit à un clip est bien Sel Dem Deri », rappelle fièrement Kader. Et d’ajouter : « Toutes les chansons de mes albums, je les ai écrites et composées. » Mais si Khaled ou Mami ont rapidement été affublés de « roi » et de « prince » du raï, Kader, lui n’a jamais pu jouir d’un tel surnom. Et pour cause, au lieu de remasteriser les chansons du folklore oranais, il a préféré créer les siennes.
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Troisième album et puis s’en va…
En 1991, il sort Lawwama, chanson phare de son troisième album. Le succès est certain mais l’artiste préfère se retirer de ce milieu qui l’a tant déçu. « Les intérêts sans limites des maisons de disques, les gens qui reprennent les chansons des autres sans jamais les remercier… cette ambiance m’a rebuté. J’ai décidé de faire un break par rapport à la scène mais j’ai continué à jouer chez moi », argumente le trublion du raï qui vit du commerce onze années durant. Manensak voit enfin le jour en 2002. Pourtant, rien ne le prédestinait à sortir Kader de sa « retraite ». « J’avais enregistré cet album à la maison et je l’avais confié à Stéphane Blaess, un grand arrangeur qui voulait l’écouter. Il l’a proposé à Universal sans me prévenir », raconte Kader. L’artiste accepte de signer avec cette maison réputée mais à une condition : enregistrer avec l’Orchestre philharmonique de Sofia. « C’est un rêve de gamin que j’ai concrétisé. Proposer un raï classieux, grandiose, démontrer qu’il peut être universel », confie l’éternel enfant qui s’est contenté de produire peu de chansons mais en a fait des œuvres intemporelles.
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Le retour de l’enfant prodige
Rebelote avec une tournée internationale suite à Manensak, mais l’engouement est moindre. Guerre du Golfe, chute des ventes de disques, quasiment plus d’émissions de variétés sur les chaînes françaises et l’avènement d’Internet… le passionné décide de réagir. D’où l’élaboration de ce dernier album, sorti en janvier en France et déjà en vente au Maroc. Vieilles et nouvelles chansons s’y disputent la vedette. Les éternelles Sidi El Houari et Sel Dem Deri sont reprises pour le bonheur de tous les nostalgiques de ce raï des 80’s aux rythmes jazzy et divinement marqué par la virtuosité de l’artiste tant en guitare qu’en violon.
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Ajoutez à cela Ya Zina de Raïna Raï, groupe qu’affectionne particulièrement Kader pour son originalité et l’influence qu’il a eue sur notre Nayda. « Darga, c’est un peu les enfants de Raïna Raï ! », note l’artiste qui compte monter une formation musicale au bled parce qu’il y a trouvé d’excellents musiciens. Dima Raï (seul album de Kader à porter un nom) détone !
Et pourquoi le Maroc pour la promo de son dernier opus ? « Parce que c’est mon pays et j’y suis très attaché plus qu’à n’importe quelle autre contrée. D’ailleurs, vous allez beaucoup me voir dorénavant… ».
Asmaâ Chaïdi Bahraoui |