Au Maroc, les réalisateurs ont du mal à trouver un chef monteur. Souvent, ce sont des Français qui interviennent pour les films marocains. Jusqu’à quand ? Les écoles de l’audiovisuel forment-elles au montage ou seulement à la technique ?
Â
On l’appelle « la chambre à coucher », les histoires se font et se défont dans une salle de montage. Mais surtout, l’histoire finale du film est réécrite à ce moment-là . C’est l’étape initiale de la post-prod. Toutefois, le rôle du monteur demeure méconnu du grand public. Ces orfèvres de l’image ne sont pas médiatisés, ils sont quasi invisibles et c’est d’ailleurs leur métier qui l’exige !
Lorsque l’on parle de la réussite d’un film, on se réfère au réalisateur, aux comédiens, mais jamais au monteur. Il est pourtant celui qui donne à l’œuvre son rythme, sa dernière écriture. Godard n’appelait-il pas le montage, son « beau souci » ?
Â
Trois mois de tournage, sept mois de montage
Pour saisir l’importance de ce métier, un exemple s’impose. Easy rider, de Dennis Hopper, film culte des années 70, a été tourné en trois semaines seulement, mais le montage a duré sept mois, et ce n’est pas une exception ! En clair, un réalisateur passe plus de temps en montage qu’en tournage.
Voir les images, les revoir, s’arrêter, reprendre le film au début… voir, revoir à nouveau dans le détail, choisir, confronter des plans… Ces interventions ponctuent les longues heures que passe un monteur devant son écran. Le monteur est, avant tout, un créateur d’émotion. Sinon les histoires qu’on nous raconte au cinéma seraient linéaires, banales, « du théâtre filmé ».
Â
Le maillon faible
Si le montage n’avait pas existé, le cinéma serait mort ! D’ailleurs, les frères Lumière, eux-mêmes, ne croyaient pas en l’avenir de leur invention. Mais si le film a évolué, c’est parce qu’il a trouvé son propre langage, a inventé sa propre grammaire, et on peut dire aujourd’hui que le montage a révolutionné le monde du cinéma.
« Les histoires que l’on raconte au cinéma sont les mêmes depuis longtemps. Mais la créativité, c’est la forme par laquelle on raconte cette histoire. Et c’est là que le monteur intervient. Ce dernier va apporter une nouvelle façon de voir le film. Il peut surprendre le réalisateur et sortir des effets que l’on n’avait pas imaginés au départ », explique le réalisateur et producteur, Ali Essafi.
Malheureusement, ce maillon de la chaîne de production fait défaut au Maroc, et l’on fait très souvent appel à des compétences étrangères, souvent françaises. Le cinéma marocain a pourtant connu une sommité dans le domaine. Mohammed Bouanani, qui nous a quittés l’année dernière, était celui qui avait donné à Wachma (un grand classique marocain réalisé par Hamid Bennani en 1970), sa dramaturgie finale. Que s’est-il passé depuis que ce monstre sacré a quitté le cinéma ? « Bouanani a formé tout une génération au Centre cinématographique marocain, poursuit Ali Essafi, mais comme il n’y a pas d’écoles, la transmission n’a pas poursuivi son chemin. »
Â
Enfin des Ă©coles !
Depuis quelques années, de plus en plus d’écoles d’audiovisuel forment au son, à l’image et au montage. Mais cela ne semble pas suffisant et on continue d’importer le savoir-faire étranger. « Il faut faire la différence entre deux aspects, précise Ali Essafi, dans le montage, il y a le chef monteur et le technicien. Le technicien peut coller, couper, monter des pubs, des films institutionnels, voire même des téléfilms. Un chef monteur est davantage dans la structure, dans la narration, il faut qu’il ait un background très important. Et beaucoup d’expérience de montage pour réaliser ce travail avec succès. »
Â
Pas de matières d’éveil
Pour Hicham Bajjou, monteur et enseignant à l’école d’audiovisuel, Studio M, à Casablanca, le problème vient de très loin. « Chez nous, il n’y a pas d’introduction à la culture de l’image avant d’arriver à une spécialisation comme le montage. Le jeune qui a étudié à l’école marocaine, n’a pas ces références-là . Parce qu’on n’enseigne pas les matières d’éveil dans notre système scolaire. Les étudiants qui arrivent dans les écoles d’audiovisuel n’ont pas un bagage qui leur permette de faire une critique d’image, d’avoir une opinion. On laisse le soin à la télé de leur enseigner la culture », s’indigne Bajjou.
A Studio M, les étudiants passent par une remise à niveau de trois mois avant d’accéder à une spécialisation. Le cycle de deux ans aboutit à la formation de techniciens monteurs. A l’Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech (Esav), en revanche, le cycle de formation est de quatre ans, dont une année de tronc commun. Beaucoup d’étudiants se dirigent vers cette école dont la formation commence à porter ses fruits. En effet, Youssef Mernissi (promotion 2010) a été chef monteur de Zéro de Noureddine Lakhmari. Ghislane Assif, également lauréate de l’Esav, a obtenu le prix du meilleur montage au festival de Tanger pour le film Le scénario.
Vincent Melilli, directeur général de l’Esav semble plutôt optimiste, « Tous les ans, l’école forme une dizaine de monteurs. Il faut dire aussi que le mythe du réalisateur disparaît peu à peu. Nous formons de plus en plus de monteurs », se réjouit-il. En attendant, les réalisateurs cherchent toujours des monteurs, certains se chargent eux-mêmes de cette étape primordiale et le résultat n’est pas toujours convaincant !
Amira GĂ©hanne Khalfallah |