L’artiste récupère des instruments qu’il transforme en œuvres anthropomorphiques. Ecoutez-le, chaque instrument a une histoire.
Guerre, violoncelles désarticulés, luths réduits à l’état de silhouettes rouillées : le travail de Younes Khourassani nous propose une réflexion sur l’art, la mort et la rédemption.
L’art, parce qu’après avoir humblement interprété des partitions entre les mains de virtuoses dont ils n’étaient que les serviteurs, ces instruments deviennent à présent eux-mêmes la matière et le sujet de l’œuvre.
Sortis de leur modeste anonymat par le projet du plasticien, ils deviennent visages, portraits déchiquetés ou humoristiques, crânes au regard de métal entortillés dans des fils de fer. Tellement humains, nous donnant à voir les multiples rafistolages de nos identités faites de bric et de broc, d’histoires bricolées et cousues ensemble, célébrant le simple héroïsme de tenir debout et de repartir au combat chaque matin avec la même tête.
Cette œuvre nous parle aussi de la mort, intégrant même les histoires des musiciens dont le souffle, les doigts, ont fait chanter ces flûtes et vibrer ces violoncelles.
On nous raconte ici la mort de l’artiste à travers la finitude de son instrument, violon, corps ou langage. La mort tolérée ou banalisée par une société qui laisse périr un musicien qui n’a pas les moyens de s’acheter l’insuline salvatrice, ou qui braque les revolvers de la répression sur la tempe d’une jeunesse pleine d’espoir.
Mais cette mort est transcendée en permanence – et c’est là que Younes Khourassani, sous l’apparente noirceur de son œuvre, nous délivre un message d’espoir – par la renaissance artistique de chaque instrument, même à l’état de trace calcinée. Car après avoir fait vibrer le public pendant des années en transportant la musique, ils ont ici une seconde chance d’émouvoir, même à l’état d’éclats calcinés.
Transmués en visages, nous tendant avec une étrange douceur le miroir de notre vie, ils vivent sous notre regard une nouvelle incarnation. Même après leur mort en tant qu’instruments de musique, ils continuent à nous émouvoir et à nous transporter.
Pierre Blanc-Sahnoun |