Le Mégarama de Casablanca, premier multiplexe au Maroc, est arrivé en déroulant son tapis rouge et ses têtes d’affiche. Cette année, le mastodonte fête ses dix ans, ses 10 millions de spectateurs et pourtant…
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En 2002, on allait au Mégarama comme à une fête, en manteau de fourrure et habit de lumière. Aujourd’hui, jeans et baskets y ont élu domicile. Le chiffre d’affaires du multiplexe reflète cette fréquentation éclectique.
Fort de ses 930 000 spectateurs en 2011, le géant du cinéma a clôturé l’année avec quelque 40 millions de dirhams de recettes. A la direction du Mégarama, l’optimisme est de mise et l’activité devrait évoluer encore de 15% cette année ! Le multiplexe de Casablanca – contrairement à celui de Marrakech – bénéficie d’une situation exceptionnelle, à l’entrée de la corniche.
Accessibles et abordables pour les cinéphiles casablancais, les films d’action et les comédies les plus célèbres y sont projetés. Voici la belle histoire d’une décennie du géant du cinéma au Maroc. Mais en dix ans, le Mégarama a aussi changé de visage, a parfois déçu et surtout vieilli. Aujourd’hui, le multiplexe peine à se renouveler et à offrir des prestations de qualité à ses visiteurs. La vieille dame semble avoir des soucis de santé et aurait besoin d’un bon lifting !
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Odeurs nauséabondes
Avant d’être le lieu de rencontre et d’ouverture sur le monde, le cinéma, c’est d’abord une belle image et un bon son. Mais de ce point de vue, le Mégarama semble avoir du mal à respecter son cahier des charges.
L’entretien des salles n’est plus au rendez-vous ces derniers temps. Cela va de l’hygiène générale à l’état des sièges sales ou déchirés, en passant par les odeurs incommodantes et parfois nauséabondes de la moquette (qui n’a pas été changée depuis l’ouverture !) et à un son inintelligible dans certaines salles…
Même si le directeur reconnaît les défaillances de ses services d’hygiène, il promet néanmoins d’y remédier et de faire appel à une société spécialisée. «Nous réinjectons 20% à 25% du chiffre d’affaires dans l’entretien des salles, le matériel et les compétences aussi », justifie David Frauciel.
Dans son bureau, un nouveau modèle de fauteuil au tissu écarlate assez épais, ou encore des prototypes d’accoudoirs à l’ossature renforcée, sont en train de prendre forme… Le lifting est en route, la réflexion à peine entamée. « Cela se fera au fur et à mesure, tout au long de l’année 2012 », indique sans précision le directeur. Mais ce n’est pas la seule nouveauté que promet l’exploitant.
Si le Mégarama est devenu un lieu de rencontre, toutes couches sociales confondues, cela va bientôt changer. Le géant du cinéma va se repositionner et ne sera plus aussi accessible. Les prix vont augmenter de façon assez significative. Pourquoi s’en priver ?
Au Maroc, les prix des billets de cinéma sont libres et les exploitants ont le droit d’établir la marge bénéficiaire qu’ils souhaitent. Seule obligation : informer le CCM. « Nous n’avons pas augmenté nos prix depuis deux ans et les films coûtent de plus en plus cher », justifie le premier responsable de l’enseigne au Maroc.
En effet, le prix de l’entrée est passé de 30 DH en 2002 à 50 DH en 2011. Quant au coût d’un film, « il est en moyenne de 10 000 euros et peut atteindre jusqu’à 30 000 euros », précise l’exploitant.
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Trop démocratisé
Hormis l’absence d’une instance de régulation du secteur, qui est d’ailleurs à déplorer, ces augmentations de tarifs n’ont pas pour but de générer plus d’argent mais de « recentrer la population et de revendre le côté élitiste du Mégarama », poursuit-il.
Le mot est lâché, le Mégarama s’est trop démocratisé semble-t-il ! Qu’à cela ne tienne. Une augmentation ne coûte rien et la direction semble avoir déjà trouvé un compromis. « Casablanca est une ville très étendue. Nous allons construire un nouveau complexe, d’ici 2015, plus économique, accessible à des bourses plus modestes, avec moins de services… Nous passerons les mêmes films, mais à moindre coût. »
Autre grande nouveauté cette année et nettement moins affligeante que la précédente, la généralisation du numérique dans toutes les salles. Le Mégarama veut afficher sa différence en s’équipant, d’ici juin 2012, de cette nouvelle technologie. Coût de l’opération : un million de dirhams par salle.
Entre Marrakech et Casablanca, 23 salles vont être équipées. Le multiplexe, qui voit grand, a aussi un appétit de géant. De nouveaux Mégarama seront construits à Tanger, Rabat, Agadir, et Fès – après la récente acquisition de la salle l’Empire de Fès –… Toutefois, si l’enseigne s’agrandit sans régler quelques petits bobos, elle risque de payer cher ses négligences.
Pour le personnel du Mégarama, c’est un véritable drame social qui se joue tous les soirs dans l’obscurité des salles. Le 15 décembre dernier, le personnel du multiplexe – ouvreuses et agents d’accueil – excédés par le comportement irrespectueux de leur hiérarchie, s’arrêtent de travailler une heure et demie, brassards rouges au bras, pour attirer l’attention de la direction sur leurs conditions de travail.
« Le plus gros de nos revendications concerne le fonctionnement interne du Mégarama : nous faisons notre travail et nous méritons le respect de nos supérieurs », s’indigne un employé. Mais le respect n’est pas la seule requête du personnel, les salaires sont aussi au centre des revendications : entre ceux dont la rémunération n’a pas bougé depuis plusieurs années, et ceux qui ne comprennent pas où vont leurs primes, le cahier des revendications est plein à ras bord.
Une ouvreuse, qui a souhaité garder l’anonymat, se confie : « Nous avons des contrats avec un salaire fixe (Ndlr : souvent le SMIG ou un peu plus) et la direction paie nos cotisations à la CNSS, mais en réalité, nous sommes payées au pourboire.
Bien sûr, nous recevons nos salaires à la fin de chaque mois, même si l’argent collecté grâce aux pourboires ne suffit pas à rémunérer toutes les ouvreuses. On nous explique alors que la direction nous prête de quoi compléter nos salaires et que ces montants seront récupérés les mois suivants. » Les ouvreuses se perdent dans les calculs et les pourcentages, et elles ne sont pas les seules.
En essayant d’expliquer ce système de rémunération, David Frauciel s’emmêle clairement les pinceaux. Pour lui, même si le pourboire n’est pas mentionné dans les contrats de travail du personnel, il est « tout bénéfice » pour les ouvreuses.
« La moyenne de l’année est très souvent positive, ce complément de salaire peut donc être considéré comme une prime, tente-il de justifier. Et d’ailleurs, aux caisses, il est affiché noir sur blanc que les ouvreuses sont rémunérées aux pourboires. » Voilà ce qui pourrait expliquer l’attitude parfois insistante des ouvreuses pour obtenir leur pourboire !
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Traiter les doléances
Les protestations du 15 décembre mèneront finalement employés et direction devant l’inspection du travail. Les négociations sont en cours et la direction s’engage à satisfaire le plus gros des revendications du personnel.
Hormis les salaires, les autres doléances ne semblent pas très difficiles à satisfaire puisqu’il s’agit d’équiper les comptoirs de chaises pour que les employés puissent se reposer, de réparer les douches, ou encore de rénover les vestiaires. « Tout cela est prévu dans notre plan d’investissement, nous nous sommes engagés à traiter ces doléances dans les mois à venir », poursuit Frauciel.
A l’heure où nous mettions sous presse, dix-sept salariés lésés par le passé ont vu leurs salaires s’aligner sur ceux de leurs collègues. « Comme quoi, le manque de communication peut créer des incompréhensions inutiles », déclare cet employé du Mégarama, plutôt content des avancées. Tout est bien qui finit bien ? A suivre…
Amira Khalfallah et Layal Ghanem |