C’est un artiste, un peintre septuagénaire oublié depuis quelques années, qui revient en force avec une rétrospective de 50 ans exposée à la Galerie 38 de Casablanca. C’est là , face à ses toiles, que l’homme nous a livré, le sourire aux lèvres, des pans d’une histoire pas toujours dorée. Séquence souvenirs avec Mohamed Hamidi, artiste des signes et de l’érotisme.
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Mohamed Hamidi, un artiste bohème, qui mène sa barque entre Casablanca, Azemmour et Grasse, en France. Trois pied-à -terre, un luxe aujourd’hui pour cet enfant de Derb Sultan qui a vécu un mois sous un pont, en 1960.
Pas n’importe quel pont, le Pont-Neuf, en compagnie de SDF parisiens, de bières et de Ricard « qui tiennent chaud ». L’homme parle aujourd’hui sans honte ni déplaisir de cette époque de sa vie où il ramassait les feuilles du Figaro et de France Soir, « plus grandes que celles des autres journaux », pour se préparer un lit.
L’enfance de l’art
Paris, et son Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Hamidi n’y est pas arrivé par hasard. Enfant, c’est sur les murs de son quartier qu’il tente de reproduire les héros de ses bandes dessinées, Astérix, Obélix ou encore Tarzan, à l’aide de morceaux de charbon piqués à sa mère.
Son goût pour le dessin et les plaintes des voisins insensibles à son art – soucieux davantage de la propreté de leurs murs  – lui valent des « tannées » paternelles qui le pousseront un jour de 1955 à s’installer chez sa grand-mère. Elle deviendra « mama » quand sa génitrice n’a droit qu’à un « hbibti ».
A 15 ans, en 1956, Hamidi tombe par hasard sur une présentation de l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca, « dans Le Petit Marocain, ou La Vigie, je ne sais plus ». Il tente sa chance, est admis, et en ressort deux ans plus tard avec une récompense pour ses talents, une boîte de peinture, « une distinction, un luxe » pour lui qui jusqu’alors trimbalait ses couleurs dans ses poches.
C’est alors le départ pour Paris, officiellement pour étudier le droit. Car une fois encore, le paternel s’oppose, estimant que « peindre n’est pas un travail ». Lui, grutier au port, aimerait que son fils ait un métier, un vrai, « forgeron ou mécanicien », car « il n’y a pas de raison d’aller en France si c’est pour faire du barbouillage ».
Paname !
Le voyage commence en bateau, un Casablanca-Marseille en 4e (« Je pouvais voir les poissons par les hublots »), puis un Marseille-Paris en train, et un accueil chaleureux… des forces de l’ordre françaises.
Nous sommes en 1958, en pleine guerre d’Algérie, et il ne fait pas toujours bon être méditerranéen en France : « Au bout de quelque temps, mon passeport était devenu un vrai torchon, et à un policier qui m’en faisait la remarque, j’ai tout simplement expliqué que c’était à force de le présenter pour les contrôles. »
Peu importe, Hamidi est en France pour étudier, il étudiera. Les arts graphiques pour commencer, car son père spirituel, Ahmed Cherkaoui, alors installé à Paris, lui conseille de se préparer à un métier avant d’assouvir sa passion pour un art « dont (il ne pourra) pas vivre au Maroc ». Expérience décevante. Hamidi intègre alors l’atelier la Grande Chaumière pour préparer le concours de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, qu’il intègre en 1959.
Il y redécouvre de ses yeux d’enfant le plaisir de la fresque, le droit de peindre sur des murs, et remporte même un 1er prix dans cet art. Fresque, peinture, céramique… rien n’arrêtera cet artiste qui a perdu son bras gauche dans un accident de voiture dont il parle à peine. Rien, pas même la sculpture, dans laquelle il compte se lancer, maintenant que les moulages peuvent être conçus par des sociétés spécialisées.
Puis le monde
Il exposera alors à Paris, à Cologne, à Bagdad, au Maroc… mais sera toujours plus apprécié à l’étranger que dans son pays. Aujourd’hui, nous confie-t-il, « il y a une reconnaissance, tardive. Mais moi, j’ai toujours été satisfait de mon travail ».
Car Hamidi nous assure ne pas être homme à se plier aux convenances ou aux goûts du moment. « Beaucoup de personnes investissent dans des toiles, elles défendent donc le peintre ensuite, mais cela fausse la démarche de la peinture. »
Comprenez, il ne peindra pas pour (com)plaire, il peindra ce qui le touche, et tant pis si ça ne plaît pas. Il cherchera à « imposer » sa vision, sans jamais se soumettre aux exigences d’acheteurs plus fortunés que sensibles à l’art.
Et pourtant… à en croire Simo Chaoui, instigateur de la rétrospective et propriétaire de la Galerie 38, « l’expo marche ». Les signes berbères de Hamidi, son constructivisme, impulsé par les ruelles de la médina d’Azemmour, et plus encore, ses phallus déguisés en oiseaux pénétrant des monts aux pointes rosées, se sont vendus. Bien vendus même. N’en déplaise à l’artiste.
LaĂŻla Ahrida |
Come-back à l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca
Après y avoir étudié, Hamidi est revenu en 1967 à l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca pour y enseigner. Aujourd’hui, l’un de ses plaisirs est de rencontrer d’anciens étudiants qui vivent de leur art, au Maroc.
« Un pas de géant », dans un Maroc qui a changé. En 1956, dans cette école, Hamidi pouvait s’exercer à la peinture du nu sur des modèles vivants, « une jeune comédienne de la troupe de Bouchaib El Bidaoui qui venait arrondir ses fins de mois, des étudiantes qui avaient lu une annonce affichée à l’auberge de jeunes de la médina… ». En 1967, ces exercices n’étaient plus pratiqués. |
Un peintre aux multiples facettes
Depuis ses débuts où il dessinait des graffitis sur les murs de Derb Sultan jusqu’aux Beaux-Arts de Paris, Hamidi livre quelques étapes de son travail artistique et sa vision de l’art contemporain au Maroc.
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Vous faites partie des précurseurs de l’art contemporain au Maroc, racontez-nous vos débuts.
Au départ, je dessinais sur les murs du quartier Derb Sultan, avant d’aller à l'Ecole supérieure des Beaux-Arts de Casablanca. Ensuite, je suis parti en France pour suivre une formation à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts et à l'Ecole des métiers d'art de Paris.
Au départ, on m’a conseillé l’école des métiers d’art, car un artiste peintre au Maroc ne peut pas vivre décemment. J’ai tout de même rapidement laissé tomber pour revenir aux beaux-arts. Après mes études, j’ai visité l’atelier de la fresque, et cette peinture murale m’a donné l’impression de revenir dans mon quartier ; du coup, je suis resté là -bas.
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A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de galeries. Aviez-vous une visibilité au Maroc ?
En rentrant au pays, j’ai entendu parler de Mohamed Melehi, Farid Belkahia, Mohamed Hafid, Mohamed Ataallah... J’ai rejoint leur collectif d’où est née l’exposition de la place Jamaâ El Fna, tenue en mars 1969. Leur but était justement de rendre l’art plus accessible au public. Nous voulions sortir dans la rue, avoir un contact avec les gens, pour démystifier l’art. Nous sommes aussi allés dans les collèges et les lycées.
Pensez-vous que l’art soit plus accessible aujourd’hui ?
Il l’est un peu plus qu’il y a vingt ou trente ans, mais ce n’est pas assez. On a besoin d’un grand musée d’art contemporain, aujourd’hui plus qu’hier. C’est le moyen de rendre la chose publique, et d’initier les enfants à l’art, car l’éducation de nos enfants est faussée.
Cette histoire de musée n’est pas que du devoir de l’Etat, le privé devrait s’y intéresser aussi. Investir dans la culture rapporte également de l’argent. Nous avons la possibilité de développer un vrai tourisme culturel avec le temps. Paris n’est pas visitée seulement pour la tour Eiffel mais pour ses musées surtout !
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Votre carrière est traversée de plusieurs mouvements, différentes techniques. Comment voyez-vous cela aujourd’hui ?
J’ai commencé avec les graffitis, les fresques également, puis j’ai fait de la calligraphie arabe. Je me suis longtemps intéressé à l’art africain, aux formes géométriques. Je ne peux pas rester enfermé dans un travail, je m’en lasse et ça me fatigue. J’ai besoin de travailler sur autre chose, et rien ne m’interdit d’y revenir après, c’est par phase.
Propos recueillis par Meriama Moutik |
Le nouveau combat de Mohamed Leftah
Depuis que Abdellatif Laâbi a lancé sa pétition pour lever l’interdiction sur le livre de Mohamed Leftah, Le dernier combat du Captain Ni’mat, quelques centaines de signataires ont déjà répondu à l’appel.
Chaque semaine, actuel vous donne rendez-vous avec l’un d’entre eux jusqu’à ce que la censure soit levée. Pourquoi j’ai signé la pétition de Laâbi sera votre rendez-vous hebdomadaire.
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«« Je veux lire ce livre Je veux lire ce livre » »
« Je ne connais pas Mohamed Leftah et je n’ai pas lu son livre, Le dernier combat du Captain Ni’mat. Mais à mon sens, aucune raison au monde ne justifie qu’un livre soit censuré. Je ne sais pas pourquoi on nous interdit de lire un auteur marocain.
On a vécu au Maroc la censure dans le cinéma où des séquences entières de films étaient coupées. Pour moi, ce temps est révolu et nous ne pouvons accepter de pareilles choses aujourd’hui.
Je n’ai pas les moyens d’aller acheter ce livre en France. Je veux tout simplement qu’il soit disponible sur le marché local, c’est important pour la littérature marocaine. Si les censeurs n’aiment pas ce livre, ils n’ont qu’à ne pas le lire.
Mais ils n’ont certainement pas le droit de nous l’interdire à tous. Chacun est libre d’écrire ce qu’il veut. Il n’y a pas de limites à la création. Et aussi tout individu a le droit de lire ce qu’il veut. Et moi, je veux lire ce livre ! »
Hicham Bajjou, musicien et interprète |
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