Création littéraire, théâtrale, musicale… les droits d’auteur sont quasi inexistants ! Les artistes ne perçoivent pas leurs droits mais refusent aussi de s’inscrire au Bureau marocain du droit d’auteur.
Le BMDA a été absent des débats qui lui étaient consacrés à la Fabrique culturelle des anciens abattoirs de Casablanca. Les créateurs se sentent pris en otage par ce géant invisible !
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Comment parler des droits d’auteur sans la présence du Bureau marocain du droit d’auteur ? C’est à cette problématique qu’a été confrontée l’association Racines (association pour la culture, le développement, la promotion de l’industrie créative en Afrique), qui a organisé deux journées de sensibilisation aux droits d’auteur les 4 et 5 novembre à la Fabrique culturelle des anciens abattoirs de Casablanca.
La présence du directeur général Abdellah Oudghiri était, en effet, indispensable. Mais le responsable s’est excusé le jour même de son intervention et aucun représentant du département concerné n’a été au rendez-vous attendu ! Ce fait n’est pas anodin, il en dit long sur le fonctionnement du BMDA. Un département que les artistes marocains dénigrent de plus en plus et dont ils dénoncent les innombrables dysfonctionnements.
Le BMDA détient le monopole pour gérer le droit des artistes marocains. Cette exclusivité est réfutée par les créateurs eux-mêmes qui se sentent pris en otage. « Je veux avoir le droit de choisir, c’est élémentaire », s’indigne le musicien et compositeur Mehdi Halib.
« On veut céder la gestion de nos droits à des gens sérieux. Un artiste doit avoir le droit de déléguer cette gestion à qui il veut. Or au Maroc, le BMDA détient le monopole. Tout Marocain et même tout ressortissant marocain vivant à l’étranger doit passer par le BMDA.
Je veux avoir le choix, d’autant plus que je ne suis pas satisfait par ce bureau », s’indigne le musicien. Ce qu’on reproche au bureau au-delà de son inertie, c’est également son opacité. Les artistes appellent à plus de transparence. Le besoin d’audit se fait pressant !
L’inaction de l’Etat
On évoque souvent le piratage lorsqu’on parle de droits d’auteur au Maroc. Ce n’est pourtant que « la partie émergente de l’iceberg », poursuit Halib. Dans une société qui sollicite davantage d’images, de sons et de vidéos, les artistes perdent de plus en plus leurs droits et cela ne semble inquiéter personne.
Un des points de friction les plus sensibles en matière de droits d’auteur concerne la capitulation de l’Etat. Les artistes se sentent livrés à eux-mêmes. « L’Etat s’est retiré de la culture et ce sont les sponsors qui occupent la scène artistique en mettant en valeur les artistes qu’ils veulent. Le business travaille pour le business et pas pour la culture. Beaucoup d’argent se fait sur le dos des artistes. Tous les spots sont centralisés au CCM et le BMDA peut y avoir accès. Il y a moyen d’empêcher la diffusion de notre musique illégalement par les publicitaires », renchérit Halib.
Et même si le publicitaire s’acquitte des droits d’auteur, le terrain reste toujours miné. « Il est plus rentable pour un publicitaire d’utiliser la musique de Norah Jones que la mienne », s’amuse à dire Halib.
Cela peut faire sourire, mais c’est exactement ce qui se passe. « Quel que soit mon devis, il est plus cher que celui de la chanteuse. Car les publicitaires payent zéro dirham lorsqu’ils diffusent sa musique. »
Le BMDA est également censé collecter des droits sur la diffusion dans les lieux public, mais ne le fait pas. Au final, très peu d’artistes protègent leurs droits au Maroc. Cette perte de confiance n’est pas récente.
Pour Jauk El Maleh, musicien, compositeur, interprète et l’un des précurseurs du jazz au Maroc, cela n’a rien de nouveau. Cette situation dure depuis un demi-siècle. « Le bureau est géré de façon malhonnête. Je me suis inscrit il y a cinquante ans et je n’ai jamais reçu un sou. Aujourd’hui, c’est la SACEM en France qui gère mes droits. Il faut dire que ça ne sert à rien de s’inscrire au BMDA. »
Une lueur d’espoir
A côté de ces fronts de combat d’envergure, de nouvelles lignes d’espoir se dessinent. Notamment au niveau des écoles où l’on considère ces questions avec beaucoup de sérieux. La sensibilisation à l’usage de la propriété intellectuelle fait partie du cursus des étudiants.
A l’Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech, on les prépare déjà à affronter le monde du travail. « Nous avons créé un bureau de conseil au sein de notre école où juristes et experts comptables conseillent les étudiants et leur expliquent leurs droits », nous apprend Vincent Melilli, directeur général de l’ESAV. A l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (Isadac), des ateliers autour de la question sont organisés régulièrement et une année préprofessionnelle permet de sensibiliser davantage.
Si le BMDA a pour mission de négocier des conditions pécuniaires minimales d’exploitation, d’assurer la perception puis la répartition des droits d’auteur, pour l’instant, ce sont les artistes qui se battent pour faire valoir leurs droits, refusant toute résignation.
Amira GĂ©hanne Khalfallah |