L’obtention d’un prix littéraire permet-elle de rendre le livre plus visible ? Quel est l’apport d’une telle distinction pour l’éditeur et pour l’auteur ? Pourquoi voit-on émerger de nouveaux prix littéraires ? Lecture…
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En 2002, Ahmed Bouzfour avait refusé le prix Maroc du livre qui lui avait été attribué par le ministère de la Culture. L’auteur avait envoyé un communiqué à la presse ou plutôt un « J’accuse », dans lequel, il critiquait la politique ministérielle. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Si l’octroi du prix Maroc du livre a déchaîné les passions, il y a quelque temps, un nouveau prix a provoqué des remous dans les milieux littéraires.
Depuis deux ans, le prix La Mamounia est venu accroître le prestige du célèbre hôtelier. Mais une distinction littéraire est une affaire de professionnels et c’est là que La Mamounia a fait preuve de légèreté. Tout d’abord dans la composition du jury de sa première édition. Avec Julien Clerc dans le rôle de juré !
Et Isabelle Adjani en tant que présidente du jury (heureusement, la comédienne s’est rétractée en raison de ses innombrables caprices de star, confie-t-on tout bas, à La Mamounia). La présidence du jury a finalement été accordée à Guillaume Durand, tant mieux !
L’occasion de lire
Cette année, il faut l’avouer, le jury de La Mamounia affichait un peu plus de sérieux et de crédibilité avec, à sa tête, la romancière Christine Orban et l’arrivée de nouveaux jurés tels l’auteure Mouna Hachim, le professeur et critique littéraire Vincent Engel, ou encore Tidiane N’diaye, chercheur et professeur.
On a toutefois déploré le départ de Abdesselam Cheddadi, écarté suite à sa dissidence l’année dernière, lorsqu’il a admis publiquement qu’il avait voté pour Fouad Laroui.
Un prix littéraire donne l’occasion de lire un livre, de découvrir un auteur. Le prix de La Mamounia a permis, cette année, de faire connaître autant au public qu’aux membres du jury, un grand écrivain, Mohamed Leftah.
Mais, pas de chance, les organisateurs ont découvert lors de la livraison par Sochepress que l’ouvrage n’était pas disponible au Maroc (lire notre enquête sur cette « censure qui ne dit pas son nom », actuel n°113 sur actuel.ma).
Ce prix a malheureusement bénéficié d’une campagne de presse sans mise en valeur du roman. Car aucun journaliste ou presque n’avait pu le lire, et pour cause ! Cette semaine, La Mamounia a enfin reçu l’ouvrage pour l’envoyer aux journalistes après l’avoir commandé directement à l’éditeur.
Pour Abdelkader Retnani, éditeur de la Croisée des chemins et dont l’un des livres concourait au prix, l’inaccessibilité des livres sur le marché local dessert ces distinctions. « Dans la cour des grands, nous sommes de petits éditeurs. Nous ne pouvons participer aux côtés d’éditeurs comme Gallimard. Nous n’avons pas les mêmes moyens », s’indigne-t-il. « Comment promouvoir un livre à 280 dirhams ! Cela représente quatre fois le prix d’un livre édité au Maroc. Lorsque Tahar Ben Jelloun a obtenu le Goncourt, le Seuil avait consenti un prix spécial pour le Maroc à 99 dirhams. Il faut que la direction de La Mamounia puisse prendre en compte les réalités du pays. L’option du choix littéraire doit être ancrée dans notre modèle, nous ne pouvons pas acheter des livres chers », renchérit l’éditeur !
Un nouveau
Un autre prix littéraire, un nouveau, initié par Abdesselam Cheddadi, et grâce au concours de la fondation CDG, est venu s’ajouter au paysage littéraire marocain. Présidé par Tahar Ben Jelloun, le 15 octobre dernier, le premier prix du Magazine littéraire du Maroc, d’une dotation de 50 000 dirhams, a été octroyé à El Mostafa Bouignane pour son livre Des houris et des hommes, édité chez Marsam.
Ce prix permet de tempérer les craintes de Retnani car il faut souligner que le livre était en compétition avec La Mecque-Phuket de Saphia Azzeddine, édité chez Léo Scheer. Une étape symbolique a été franchie même si l’auteur ne semble pas vraiment satisfait de son éditeur (voir entretien ci-dessous).
Souci d’équilibre
Tandis que de nouveaux prix cherchent un positionnement honorable, d’autres réaffirment leur ancrage. Le prix Grand Atlas atteint sa 18e édition et personne ne semble contester sa notoriété. Ce prix littéraire de l’ambassade de France au Maroc est attribué chaque année à des écrivains, artistes et intellectuels marocains et englobe aussi bien le roman, le livre d’art, l’essai que le livre pour la jeunesse.
C’est le sérieux de ce prix qui a fait sa réputation. Son jury a toujours su associer les professionnels du livre. Pour l’ambassadeur de France au Maroc, Bruno Joubert, « le prix Grand Atlas a toujours été un soutien à l’édition marocaine ». Dans un souci d’équilibre, « nous avons sollicité des étudiants en master de médiation culturelle de la faculté des sciences de l’éducation de l’université Mohammed V de Rabat, qui ont fait part de leur avis au jury », précise l’ambassadeur.
Un futur nouveau
S’appuyant sur cette dynamique, un nouveau prix littéraire sera annoncé dans quelques jours. Il s’agit du prix Gutenberg. Ce prix, mis en place conjointement par l’Union des écrivains marocains et la section marocaine des Compagnons de Gutenberg, fera concourir exclusivement les éditeurs marocains.
Il sera octroyé à l’occasion du Salon international de l’édition et du livre de Casablanca tout comme le prix Maroc du Livre, du ministère de la Culture, qui se tient à l’occasion de cette manifestation. Un prix dont on connaît peu de choses tant il reste hermétique même s’il a consacré l’année dernière cinq prix dans autant de catégories.
Le livre interroge, émeut, apporte des réponses parfois, mais un prix littéraire au Maroc ne draine pas forcément plus de lectorat selon les dires des libraires et des éditeurs. Pour l’instant, ces prix qui sont plus un succès d’estime donnent l’occasion de parler de littérature.
Amira-GĂ©hanne Khalfallah |