Du 17 octobre au 9 décembre à Rabat, des artistes marocains et français croisent leurs univers artistiques et interpellent le regard et l’esprit. Superposition de matière, formes dépouillées... Lorsque les objets sont détournés de leur fonction habituelle, l’art prend place.
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L’art n’est certainement pas là où on l’attend ! C’est cette phrase qui nous vient à l’esprit lorsqu’on visite l’exposition « Deuxième regard », portée conjointement par l’Institut français de Rabat et l’espace CDG. Ce sont, tout d’abord, des seaux noirs remplis d’eau, disposés en forme quadrilobée, qui accueillent les visiteurs.
On y reconnaît la signature d’Amina Benbouchta. Le reflet de l’eau nous convie à voir les choses autrement, à plonger le regard au-delà de la superficie miroitante. Le ton est donné, tout ce que l’on va découvrir dans cette exposition ne sera qu’allégorie, symbole…
A l’intérieur de l’espace CDG, l’étonnement et la fascination se prolongent. Plus surprenantes que jamais, les œuvres de Khalil El Ghrib. L’artiste accueille les visiteurs, avec un sourire en coin et des toiles moisies accrochées aux cimaises de la galerie.
Vieux journaux, ficelles ou bouts de bois décolorés, glanés au fil de ses errances artistiques, sont autant d’antidotes au convenu. Ben Ghrib n’a rien peint, rien ajouté, « les couleurs se sont introduites par elles-mêmes », éclaire Bernard Collet, critique d’art. Des toiles évanescentes qui ont déjà entamé un processus de dépérissement. C’est sous l’éclairage de ce lieu sec et aseptisé que la métaphore devient évidente. La mise en lumière semble réussie, la mise en scène superflue, l’effet garanti !
Et puis retour encore une fois au travail d’Amina Benbouchta avec ses récentes photographies où elle se met en scène elle-même. Sa frêle silhouette et ses gestes mesurés sont facilement reconnaissables.
Benbouchta aborde un nouveau médium qui semble marquer une étape inédite dans son travail d’artiste. Selon Bernard Collet, ces photographies s’inscrivent dans la continuité de ses travaux antérieurs. «  Je ne vois pas la différence avec son travail de peintre.
On retrouve les nasses de ses toiles, les mêmes formes... Elle dit la même chose en utilisant un médium différent. Ça permet peut-être de dire des choses de façon plus nette que dans sa peinture », conclut-il.
Saisir les nuances
Dans cette exposition, rien n’apparaît évident, c’est-à -dire simple ! Seule la force visuelle qui se dégage de ces installations semble en être le fil conducteur. Ce qui surprend davantage, c’est la découverte de cette zone intermédiaire entre la première et la deuxième lecture des œuvres.
« Deuxième regard » a aussi permis de confirmer le talent de Pierre Buraglio, ce grand artiste français qui écrit l’histoire de l’art, par fragments ou par « bouts de fenêtre ». « A la renaissance, on considérait la peinture comme une fenêtre sur le monde. Et pour moi, la fenêtre est une métaphore de la peinture », explique l’artiste.
Bernard Garcier, quant à lui, superpose la matière, transcende la première lecture. «  C’est un travail que je fais depuis longtemps, le travail du «Deuxième regard» où j’utilise des matériaux existants et je m’en sers pour fabriquer des pièces. »
Bien plus que des pièces, c’est plutôt des œuvres étonnantes, fortes que nous propose Garcier en nous invitant à considérer les choses autrement. Beaucoup plus convenues étaient les céramiques de Majida Khattari, peintes de jasmin et de poèmes d’Abou El Kacem Chebbi faisant, explicitement, référence à la révolution tunisienne. Dommage, l’artiste nous a habitués à plus d’originalité !
Amira-GĂ©hanne Khalfallah
Reportage photos Brahim Taougar/actuel |