Quinze longs mĂ©trages et autant de courts en compĂ©tition cette annĂ©e. Le cinĂ©ma marocain prend de lâampleur et gagne en diversitĂ©. Morceaux choisis.
Il pleut sur la ville, la nuit est tombĂ©e, mais dans la petite rue du cinĂ©ma Roxy, un spot inonde de lumiĂšre des groupies tangĂ©rois et les invitĂ©s pressĂ©s. Câest lâouverture du 11Ăšme Festival national du ïŹlm. Tapis rouge, lustres et escalier Ă double rĂ©volution : le Centre cinĂ©matographique marocain connaĂźt ses classiques et rien ne peut rĂ©ellement commencer sans la sacrosainte sĂ©ance photo.
RaïŹk Boubker, roi de la comĂ©die, rit Ă gorge dĂ©ployĂ©e tandis que le tĂ©nĂ©breux jeune comĂ©dien, Rabie Kati, fait rougir les objectifs et que Lahcen Zinoune, rĂ©alisateur en 2007 de La beautĂ© Ă©parpillĂ©e, donne sa premiĂšre interview. Dans lâunique et historique salle de projection, plus une place et plus un bruit quand dĂ©bute lâhommage aux « regrettĂ©s » du cinĂ©ma marocain. Les photos de Abdelkader LotïŹ , Driss Karim, Omar Chenbout et Moulay Ahmed Idrissi apparaissent sur lâĂ©cran et ce soir, on verra rejouer Mohamed Said AïŹïŹ dans Elle est diabĂ©tique et hypertendue et elle refuse de crever de Hakim Noury. « Pardonnez mon Ă©motion, mais jâaimais le talent, la beautĂ© et la culture de cet acteur que beaucoup de jeunes comĂ©diens nâont pas aujourdâhui. CâĂ©tait un grand angoissĂ©, un perfectionniste », raconte le rĂ©alisateur.
Le ïŹlm dĂ©bute, le Festival est lancĂ©. La soirĂ©e se prolonge au Rif avec Rachid El Ouali, acteur dans le long mĂ©trage en compĂ©tition, Les gars du Bled, ou encore Hassan Benjelloun, lui aussi attendu avec Les oubliĂ©s de lâ histoire. Mais Ă Tanger, pas de limousine en warning ni de champagne en fontaine, le cinĂ©ma marocain aime la proximitĂ© sociale. A deux pas du Roxy, il sufïŹt de boire un cafĂ© chez Madame Porte pour rencontrer les rĂ©alisateurs et revenir avec Aziz Salmy sur ses Amours voilĂ©es (2008).
Lâhistoire dâune jeune femme voilĂ©e de vingt-huit ans, qui dĂ©couvre lâamour et transgresse tous ses principes, a fait scandale mais, un an plus tard, le rĂ©alisateur y trouve son compte. « Jâai des sujets Ă dĂ©fendre et je suis lĂ pour bouleverser les habitudes. Le public a Ă©tĂ© choquĂ© parce quâil a justement tout compris, câest de lâ hypocrisie sociale. Attendez de voir le prochain ! » Rachid El Ouali conïŹrme : « Nous ïŹlmons les problĂšmes sociaux, mĂȘme si une frange du public nâaime pas voir Ă lâĂ©cran ce quâelle vit dans la rue. Jâaimerais avoir lâaudace de faire un ïŹ lm sur lâ homosexualitĂ©, sur ces enfants rejetĂ©s dĂšs leur plus jeune Ăąge parce quâon les croit malades. »
« Tu Ă©tais magniïŹque »
Ces dix derniĂšres annĂ©es, le cinĂ©ma marocain a Ă©voluĂ© avec les mĆurs et le changement politique ; câest un honneur pour le critique Mohamed Bakrim de penser que « le cinĂ©ma sâancre dans lâactualitĂ©, provoque le dĂ©bat et sert de vitrine au Maroc moderne ». Il est vrai que le comitĂ© dâorganisation a frappĂ© fort cette annĂ©e en ouvrant avec Terminus des Anges. Lâignorance, la stigmatisation et le sida broient dans une mĂȘme torpeur trois vies, racontĂ©es en histoires courtes par trois rĂ©alisateurs. Narjiss Nejjar, Mohamed Mouftakir et Hicham Lasri ont chacun leur style et le ïŹlm en a dĂ©routĂ© plus dâun.
Mais le tournage mĂȘme de ce ïŹlm est intĂ©ressant : les acteurs ont acceptĂ© de commencer sans salaire. Lâenvie a primĂ©. Quand les lumiĂšres se sont allumĂ©es, la talentueuse Nadia Megri, Ă©mue, sâest simplement approchĂ©e de Sanaa Akroud, sa camarade de jeu : « Tu Ă©tais magniïŹque. » Sanaa Akroud joue Ă©galement avec Rabie Kati pour IsmaĂ«l Saidi dans Ahmed Gassiaux, lâhistoire dâun jeune homme qui grandit sans son pĂšre et dĂ©veloppe un sentiment nationaliste jusquâĂ participer Ă lâavĂšnement de lâindĂ©pendance.
Dans ChĂątiment de Hicham Aayane Alhayat, deux femmes qui ont perdu parents, enfants ou mari tentent de retrouver les coupables. Tout aussi Ă©garĂ©es, les Ăąmes tangĂ©roises dans Fissures, le dernier ïŹ lm de Hicham Ayouch, et celle du personnage jouĂ© par Said Bey dans The man who sold the world des frĂšres Noury. Si lâon se contente de lire les synopsis, les ïŹlms choisis pour la compĂ©tition ofïŹcielle ne semblent pas hilarants. « Câest vrai que les Marocains ont un petit goĂ»t pour les tragĂ©dies familiales Ă lâĂ©gyptienne et que la sĂ©rie mexicaine Ayna Abi fait un carton, commente une cinĂ©phile de 28 ans. Mais on ne pourrait pas se passer de comĂ©dies ! »
Bienvenue alors dans le destin fabuleux de Rouiss, Ex chamkar, comĂ©die en compĂ©tition de Mahmoud Frites. On y retrouve Said Bey, Bouchra Ahraich, Majdouline Drissi et RaïŹk Boubker dans le rĂŽle dâun SDF qui tombe amoureux de Malak, une jeune ïŹlle issue des beaux quartiers.
Casanegra aux Oscars
« Câest toute la diversitĂ© de notre cinĂ©ma, revendique Rachid El Ouali. MĂȘme si lâon sâinquiĂšte des fermetures de salles, le public est toujours là » et les choses pourraient mĂȘme Ă©voluer. En ouverture du festival, le maire de Tanger a promis de rĂ©nover les salles de cinĂ©ma de la ville du dĂ©troit. Applaudissements de la salle. 700 000 tickets ont Ă©tĂ© vendus en 2009, un bon chiffre pour le Maroc.
Rien de comparable Ă©videmment avec les dix millions dâentrĂ©es, dĂšs janvier, du super high-tech Avatar de James Cameron mais les statistiques le prouvent : au moins deux ïŹlms marocains sont arrivĂ©s lâan passĂ© en tĂȘte dâafïŹche devant des productions hollywoodiennes et bollywoodiennes, chose rare.
Les AmĂ©ricains ont eux-mĂȘmes bien regardĂ© de ce cĂŽtĂ©-ci de lâAtlantique puisque Casanegra a Ă©tĂ© choisi Ă lâunanimitĂ© parmi dix ïŹlms en compĂ©tition pour reprĂ©senter le Maroc aux Oscars 2010. Les europĂ©ens viennent aussi faire leur marchĂ©. Salvatore Leocata est italien et travaille pour le Festival belge du ïŹ lm de Bruxelles. Avec lui, quatre reprĂ©sentants du Festival français du ïŹ lm arabe : « Nous venons dĂ©couvrir et choisir les long mĂ©trages que nous programmerons chez nous en octobre. Notre festival sera cette annĂ©e entiĂšrement consacrĂ© au Maroc. » A la table voisine, Hassan Benjelloun discute avec Lahcen Zinoune. Un petit thĂ© et puis sâen vont, le prochain ïŹ lm va bientĂŽt commencer.
Maud Ninauve (Tanger) |