Câest dans la capitale française que le peintre et Ă©crivain vient de poser ses valises pour deux mois, Ă lâoccasion de la sortie de son dernier roman : Les Etoiles de Sidi Moumen.
VoilĂ quelques semaines que Mahi BineBine est redevenu parisien. Pas dĂ©ïŹnitivement, loin sâen faut, seulement le temps de venir prĂ©senter son dernier roman publiĂ© chez Flammarion (et simultanĂ©ment chez Le Fennec Ă Casablanca) mais aussi pour rĂ©aliser une sĂ©rie de sculptures pour sa prochaine exposition casablancaise. Lâartiste, qui fĂȘte cette annĂ©e ses 50 ans, connaĂźt bien Paris puisquâil y a passĂ© 17 annĂ©es de sa vie.
Ce furent pour lui des annĂ©es dĂ©terminantes : il Ă©tait Ă©tudiant â puis enseignant â en mathĂ©matiques, mais aussi artiste en devenir. « Je garde un excellent souvenir de cette vie parisienne. Je frĂ©quentais pas mal dâartistes â des Français mais surtout beaucoup dâĂ©trangers â avec lâidĂ©e de suivre un jour leur chemin ». Mahi a la ïŹbre artistique : « Jâavais mĂȘme arrĂȘtĂ© le collĂšge pour me consacrer totalement Ă mon groupe de musique, ce qui me valut 3 ans de pensionnat Ă Rabat ! » et la vie dâartiste lâattire.
« Il y a du boulot ! »
Tout a commencĂ© avec un premier texte quâil montre Ă un ami, lâĂ©crivain espagnol Agustin Gomez-Arcos, installĂ© lui aussi Ă Paris. « Il y a du boulot ! Mais je veux bien tâaider et travailler avec toi, voilĂ ce quâil mâa dit aprĂšs la lecture de la premiĂšre page. Pendant un mois ou deux, nous nous sommes donnĂ© rendezvous chaque matin, dans un cafĂ© de la rue Mazarine, en plein Saint-Germain-des-PrĂ©s â et il a corrigĂ© le texte avec moi, ligne par ligne. Câest comme ça que jâai appris en quelque sorte les ïŹ celles du mĂ©tier, les rĂšgles Ă respecter pour construire un roman digne de ce nom. » PrĂ©sentĂ© aux Ă©ditions Stock, le roman est publiĂ©, câest Le Sommeil de lâesclave. Le premier livre dâun jeune auteur inconnu. Le texte plaĂźt, les lecteurs sont au rendez-vous et Mahi enchaĂźne dĂ©sormais tous les deux ans un nouvel ouvrage. Jusquâaujourdâhui avec Les Etoiles de Sidi Moumen.
Dans la peau dâun des kamikazes
Câest prĂ©cisĂ©ment ce titre qui le ramĂšne aujourdâhui Ă Paris. Mahi vient de participer Ă plusieurs Ă©missions de tĂ©lĂ©vision et de radio, et sâattend Ă des articles dans la presse française. Lâhistoire de son dernier roman nâest pas banale : lâauteur se glisse dans la peau dâun des kamikazes qui ont semĂ© la terreur dans les rues de Casablanca en mai 2003, faisant plusieurs dizaines de morts dans leur sillage. Ă lâĂ©poque, câest la consternation pour tous ceux qui croyaient le pays « immunisĂ© » contre le terrorisme international. La rĂ©probation est gĂ©nĂ©rale : ces jeunes sont les coupables.
Mahi voit toutefois les choses autrement. Il veut aller au-delĂ de la rĂ©action violente et instinctive pour comprendre. Il lit tout ce qui sâĂ©crit sur le sujet, va sur place, Ă Sidi Moumen, et revient consternĂ© par lâĂ©tat de misĂšre effroyable qui y rĂšgne. « Câest un Maroc que je ne connaissais pas ; mĂȘme si quelques bidonvilles existent autour de Marrakech oĂč je rĂ©side, cela nâa rien Ă voir avec Sidi Moumen qui est une vĂ©ritable dĂ©charge publique Ă ciel ouvert entourĂ©e de bidonvilles. » Sa conclusion est claire. Le dĂ©sespoir de ces jeunes a Ă©tĂ© habilement exploitĂ© par des personnes sans scrupules, mais qui ont su leur rendre une partie de leur dignitĂ©, en sâintĂ©ressant Ă eux, en leur portant attention. Pour lui, « tout ĂȘtre humain pauvre, pas Ă©duquĂ©, drogué⊠peut ĂȘtre embrigadĂ© par des islamistes et poussĂ© Ă commettre nâimporte quel geste ». Son propos nâest pas de faire lâapologie du terrorisme, mais seulement de dire que ces victimes avaient aussi une humanitĂ©, et quâ« Ă la limite, ils nâĂ©taient pas responsables de leurs actes, contrairement Ă ceux qui les ont conditionnĂ©s ».
Câest justement cette difïŹcultĂ© qui explique la longue maturation du roman. Si Mahi a eu lâidĂ©e dâun roman tout de suite aprĂšs les attentats, le passage Ă lâĂ©criture sâest avĂ©rĂ© plus compliquĂ© : « JâĂ©tais sur la corde raide car je voulais faire passer lâidĂ©e que le terrorisme est inexcusable, et quâen mĂȘme temps, il est normal quâil survienne dans certains cas. » Aujourdâhui, Mahi constate que malheureusement les choses nâont pas assez changĂ©, et quâun tel drame pourrait Ă nouveau se produire. MĂȘme sâil reconnaĂźt que lâĂtat a pris conscience quâil y avait urgence, et que des logements sont construits aux alentours du bidonville.
New York tous frais payés
Romancier conïŹrmĂ©, Mahi est toutefois connu avant tout pour ses talents de peintre. LĂ aussi, lâhistoire commence Ă Paris. « Au dĂ©but, la peinture nâĂ©tait pour moi quâun oisir, un passe-temps agrĂ©able, puis jâai voulu me perfectionner et jâai alors pris des cours dans une Ă©cole de la rue de Seine, en plein centre de la capitale. Ensuite, jâai montrĂ© mon travail et jâai participĂ© Ă des expositions. Voyant mes peintures, mon frĂšre qui vit Ă New York me propose de mây installer â tous frais payĂ©s â le temps pour moi de me consacrer Ă 100% Ă la peinture ! » Mahi accepte, sâinstalle outre-Atlantique. « Et lĂ , je peins comme jamais je nâai peint, jâĂ©tais comme portĂ© par lâactivitĂ© Ă©lectrique dâune ville qui ne sâarrĂȘte jamais. »
TrĂšs rapidement, Mahi trouve une galerie pour le reprĂ©senter, puis le MusĂ©e Guggenheim fait lâacquisition de plusieurs toiles. « Ă 36 ans, ce fut une vĂ©ritable consĂ©cration. Ă partir de lĂ , mon travail a Ă©tĂ© connu, et les acheteurs sây sont intĂ©ressĂ©s » Toutefois, aprĂšs quelques annĂ©es Ă New York, lâair de Paris lui manque. Il sây rĂ©installe. En 2002, la participation de Le Pen au second tour de la prĂ©sidentielle (ndlr : candidat de lâextrĂȘme droite) le conduit Ă sâinstaller Ă Marrakech, sa ville natale. Et si Paris est un refuge agrĂ©able, aujourdâhui il sâagit plutĂŽt pour lâartiste dâun lieu oĂč ses Ćuvres sont rĂ©guliĂšrement exposĂ©es, et ses livres publiĂ©s. Câest aussi et toujours un lieu de travail.
Cyril Bonnel, Ă Paris. |