La seiziĂšme Ă©dition du Salon international de lâĂ©dition et du livre a rassemblĂ© un public nombreux, des cĂ©lĂ©britĂ©s des deux rives et des Marocains dâici et dâailleurs.
Le week-end a Ă©tĂ© plutĂŽt chargĂ© au SIEL. InvitĂ©s prestigieux, allocutions bien pensantes et ambiance bon enfant. « La culture sollicite en nous un partage, un Ă©change, elle suppose une action, celle de vivre ensemble au sein dâune nation, une communautĂ©. Ce qui donne sens Ă la vie, câest la culture », telles Ă©taient les bonnes paroles prĂȘchĂ©es par Dominique de Villepin, ancien Premier ministre français, fortement applaudi par un public marocain convaincu. Mais il nây a pas eu que le bien-pensant.
Dans le frileusement pensant, il y avait Fadela Amara, trĂšs dispo pour les journalistes et qui a pris le temps de nâesquiver aucune question. Oui, mais voilĂ , Ă y voir de plus prĂšs, on sâest rapidement rendu compte quâelle restait prudente dans ses propos, voire⊠timorĂ©e. Ă la question concernant le projet dâimplantation de « ni putes ni soumises » au Maroc, elle a rĂ©pondu quâelle voulait dĂ©libĂ©rĂ©ment provoquer en France avec ce nom mais quâelle comprenait la rĂ©action des Marocains. « Mon pĂšre qui est octogĂ©naire nâa jamais voulu prononcer le nom de lâassociation... », a-t-elle avouĂ©. Ce quâelle ne sait pas en revanche, câest que les Marocaines ne lâont pas attendue pour afïŹ cher le nom de lâassociation sur des T-shirts de toutes les couleurs et de toutes les formes.
Beigbeder, prix Renaudot 2009 avec son Roman français, Ă©tait quant Ă lui aux prises avec une Ghita el Khayat Ă©gale Ă elle-mĂȘme, câest-Ă -dire dĂ©chaĂźnĂ©e et briseuse de tabous. Au total, nous avons eu droit Ă une France bien pensante, frileuse et afïŹchant Ă travers son Ă©gĂ©rie parisienne un Ăąge de raison plutĂŽt mitigĂ©, face Ă un Maroc provocant, convaincu par le rĂŽle de la culture, et Ă©mergeant de son conservatisme grĂące Ă des femmes, « ni putes ni soumises ». Les Marocains sont venus en masse au SIEL, et contrairement aux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, le fondamentalisme Ă©tait beaucoup moins prĂ©sent. Une foule curieuse, bigarrĂ©e et dĂ©ïŹnitivement inscrite dans la modernitĂ©. Des anecdotes croustillantes aussi comme sur le stand de la Libye oĂč deux Frankaouis achĂštent le Petit Livre vert de KadhaïŹ en français. Les Libyens ont tellement Ă©tĂ© surpris par lâinitiative, quâils les ont pris en photo, histoire de dĂ©ïŹer les clichĂ©s.
SIEL mon lundi !
Le lundi Ă©tait plus calme. Un premier jour de la semaine plutĂŽt prĂ©visible, mĂȘme si certaines confĂ©rences ont fait le plein, comme celle dâEdmond Amran El Maleh, symbole de notre mĂ©moire arabe, berbĂšre et juive, venu signer son livre Lettres Ă moi-mĂȘme. Annie, qui travaille aux Ă©ditions Le Fennec depuis deux dĂ©cennies, parle de lui avec Ă©motion : « Je lâai connu il y a vingt ans, jâai une grande admiration pour ses Ă©crits et pour lui. Son Ă©criture est dâune grande ïŹnesse et lâ homme est un vrai bonheur dâouverture et dâhumanitĂ©. » Il y avait Ă©galement Ă la signature lâĂ©crivain tunisien, Abdelwahab Meddeb qui a dĂ©jĂ collaborĂ© avec lui. « Tout le monde ne peut quâadorer Edmond, explique-t-il, il est prĂ©cieux », et sans doute le disait-il en lâassociant Ă un trĂ©sor. Abdelwahab Meddeb, rappelons-le, est Ă©crivain, poĂšte et animateur de radio.
En 2002, il a reçu le prix François Mauriac pour La maladie de lâislam et le prix Max-Jacob pour son recueil de poĂ©sies MatiĂšre des oiseaux, et le prix international de littĂ©rature francophone Benjamin-Fondane, en 2007, pour Contre-prĂȘches. « Je suis venu il y a trois ans Ă Casablanca pour le salon du livre, câĂ©tait catastrophique, mais aujourdâhui je trouve que le SIEL sâest alignĂ© sur les normes internationales. Jâarrive du Salon du Caire et je peux vous dire que jâai eu la sensation de passer de la barbarie Ă la civilisation. En Ăgypte, câest le triomphe du fondamentalisme au pays des lumiĂšres », tĂ©moigne-t-il. Ă la signature dâEdmond Amran El Maleh, il y avait Ă©galement Rachid Niny, discret et attentif, des artistes peintres et Leila Chaouni, son Ă©ditrice qui se fait rare, mais qui a visiblement une prĂ©dilection pour un auteur dont elle prend soin.
Absence remarquĂ©e de Nour-Eddine Lakhmari et de Lahcen Zinoune Ă la confĂ©rence de 15 heures qui avait pour thĂ©matique la crĂ©ation. Driss Ksikes qui animait le dĂ©bat a fait de son mieux, interrompu par le ministre de la Culture lui-mĂȘme, trop soucieux sans doute de prĂ©senter SaĂąd Himmich, du mĂȘme nom que lui. Ce dernier, plus ingĂ©nieur quâartiste, Ă©tait certes intĂ©ressant, mais il dĂ©tonnait Ă cĂŽtĂ© de Mehdi Qotbi. On ne savait plus de quelle crĂ©ation on parlait exactement ; dans un salon du livre, on aurait pu penser quâil sâagissait a priori de crĂ©ation artistique. Sauf que lâintervention de SaĂąd Himmich Ă©tait plutĂŽt hors de propos.
On ne savait dâailleurs pas quel Ă©tait le rĂŽle du ministre dans cette histoire ; animateur improvisĂ© auprĂšs de Driss Ksikes, il a souhaitĂ© la bienvenue Ă lâambassadeur de la Palestine qui, visiblement sâĂ©tait trompĂ© dâhoraire. Il Ă©tait venu pour la sĂ©ance suivante en hommage Ă Abdelhadi Boutaleb. Le ministre a ïŹ ni par mettre ïŹ n rapidement Ă cette confĂ©rence, peut-ĂȘtre Ă cause des chaises vides marquant lâabsence des deux cinĂ©astes. Et pourtant, on aurait bien continuĂ© Ă Ă©couter Mehdi Qotbi parler avec humilitĂ© de son retour Ă lâidentitĂ©, et du rĂŽle quâa jouĂ© la France dans son ouverture dâesprit et son Ă©volution.
Un SIEL pavé de bonnes intentions
Des chaises vides, il y en avait dâautres. Celles du journal Le Matin dont le stand dĂ©sert cotoyait celui de nos amis sĂ©nĂ©galais. Et lĂ , que du bonheur. Une fraternitĂ© toute africaine Ă©manait de lâĂ©diteur-Ă©crivain au français impeccable et qui reprĂ©sentait avantageusement son pays. « Le SIEL est un vĂ©ritable lieu dâĂ©change et de citoyennetĂ© », dit-il sur le ton bienveillant et satisfait de quelquâun qui en a tirĂ© avantage. Un amoureux de la littĂ©rature sĂ©nĂ©galaise lui demande le prix dâun ouvrage. Il rĂ©pond 50 dirhams, puis déçu Ă lâidĂ©e que le livre reste sur les Ă©tagĂšres, poursuit trĂšs vite quâil est prĂȘt Ă le cĂ©der Ă 40 dirhams. Le SIEL cette annĂ©e Ă©tait pavĂ© de bonnes intentions. Le stand le plus remarquĂ© et le plus actif Ă©tait incontestablement celui du CCME (Conseil de la communautĂ© marocaine Ă lâĂ©tranger) et pour cause, le thĂšme du salon Ă©tait les Marocains de lâĂ©tranger.
Combats salutaires
Abdellatif LaĂąbi, prix Goncourt de la poĂ©sie 2009, y Ă©tait avec son dernier ouvrage, Le livre imprĂ©vu. « ImprĂ©vu, de lâaveu de lâauteur, Ă©crit son Ă©diteur, ce livre interroge avec un humour parfois ravageur nos modes de perception, de lecture, et nos questionnements. TraversĂ©e fulgurante des saisons de la vie, quĂȘte spirituelle, tĂ©moignage Ă vif, il nous replonge (chose cette fois prĂ©visible venant de LaĂąbi, ndlr) dans les convulsions de notre Ă©poque et ses combats salutaires. » Abdellatif LaĂąbi, Ă©gal Ă lui-mĂȘme, vouant une passion Ă son pays pour lequel il nâa cessĂ© de combattre sur tous les fronts, en allers et retours, et en envolĂ©es lyriques. « Aujourdâhui, je suis satisfait dâun entre-deux », avoue-t-il. Dans sa banlieue parisienne, il se replie pour Ă©crire et au Maroc il se ressource. Dans Le livre imprĂ©vu, il Ă©crit de son appartement Ă CrĂ©teil : « Câest mon Ăźle, plutĂŽt mon atoll, dâoĂč jâessaie de communiquer avec mes semblables dans ma langue dâadoption et, en cas de nĂ©cessitĂ©, en usant de signaux de dĂ©tresse, de bouteilles jetĂ©es Ă la mer, pour laisser au hasard le soin de porter mes messages. » Et nous, ici, nous sommes bien contents de lâavoir.
BahaĂą Trabelsi |
Le nouveau Beigbeder
Câest un FrĂ©deric Beigbeder diffĂ©rent qui sâest prĂȘtĂ© au jeu des questions rĂ©ponses avec la psychiatre et femme de lettres Ghita el Khayat, le 13 fĂ©vrier sur le stand de la France. Comme sâil avait laissĂ© son personnage cynique aux vestiaires⊠Le nouveau Beigbeder est-il arrivĂ© ? Son dernier opus, Un roman français, et le prix Renaudot quâil a rĂ©coltĂ© ont-ils altĂ©rĂ© sa personnalitĂ© ? Ou bien tout le crĂ©dit doit-il ĂȘtre attribuĂ© Ă Ghita el Khayat, dont les questions, au dĂ©but du moins, avaient un peu lâair de dĂ©router lâauteur ? Câest Ă peine sâil a maniĂ© lâautodĂ©rision en Ă©voquant sa garde Ă vue de quarante-huit heures pour consommation de cocaĂŻne, qui est Ă lâorigine de son ouvrage le plus personnel Ă ce jour. En effet, dans Un roman français, il part Ă la recherche de ses souvenirs dâenfance, et nâhĂ©site pas Ă Ă©voquer lâhistoire de sa famille.
Coupant lâherbe sous le pied Ă toute critique sur ce que dâaucuns appelleraient « un dĂ©ballage peu Ă©lĂ©gant », Beigbeder prĂ©cise quâil a donnĂ© le livre Ă lire Ă ses parents et leur a accordĂ© Ă chacun « trois modiïŹ cations ». Un droit quâils ont peu utilisĂ©. Il faut dire que mĂȘme sous la critique, la tendresse afïŹeure, et, sans ironie aucune, il revendique « le droit de se plaindre, mĂȘme dâune enfance protĂ©gĂ©e dans une famille bourgeoise Ă Neuilly-sur-Seine ». Et quand Ghita el Khayat Ă©voque lâimportance des deux guerres mondiales sur sa famille et la disparition de cet arriĂšre grand-pĂšre qui revient comme un ïŹ l conducteur dans le roman, il acquiesce ; et continuant dans la mĂȘme veine, rappelle son engagement contre le gaspillage et le consumĂ©risme. LâĂąge de raison ?
A.C |
Villepin : le show culturel dâun Malraux sans tics
Il nous a prĂ©venus dâemblĂ©e : « Jâai un dĂ©faut, je prĂ©fĂšre parler debout. » Câest donc du haut de son mĂštre quatre-vingt-treize que Dominique de Villepin a discouru devant une salle comble et comblĂ©e de la culture et la vie. Mais nâest-ce pas la mĂȘme chose ? « La culture est lĂ pour agrandir lâespace de nos vies. Les Indiens ont raison : nous avons plusieurs vies Ă lâintĂ©rieur de nos vies », nous a afïŹrmĂ© le poĂšte politicien qui sait de quoi il parle. Lâexercice ressemblait dâailleurs Ă un autoportrait : « La plus belle Ćuvre dâart est celle de notre propre vie. » Le trĂšs Ă©rudit Dominique de Villepin a prouvĂ© quâon pouvait fasciner son auditoire en discourant sur le silence de Rimbaud et les cris dâArtaud. Mais sâil se distingue par son Ă©rudition, la bĂȘte noire de Nicolas Sarkozy sâest empressĂ©e dĂšs la premiĂšre question de renier ce quâil venait de proclamer (« je ne parlerai que de culture ») pour pilonner le dĂ©bat sur lâidentitĂ© nationale « ce rejet des autres cultures ».
La prochaine fois, il faudra aussi inviter Eric Besson. On aura un dĂ©bat intĂ©ressant entre le natif de Rabat et celui de Casa. Puis Villepin continue Ă faire de la politique et se prononce pour la crĂ©ation dâune force de sĂ©curitĂ© civile internationale, Ă©gratigne Obama pour sa politique afghane, encense Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006, et trouve les mots justes pour rassurer une jeune cadre qui voudrait trouver un sens Ă sa vie au-delĂ des performances Ă©conomiques. Plusieurs spectateurs saluent celui qui reste Ă leurs yeux lâhomme du discours de lâONU, celui qui a rĂ©sistĂ© Ă Bush. Câest lâhomme complet. Et modeste en plus. Quand on lui demande de commenter sa diatribe contre la guerre en Irak, il rĂ©pond quâil nâest pas le mieux placĂ© pour la dĂ©coder : « Quand on a voulu dire quelque chose, on nâest pas son meilleur interprĂšte. » Et de citer Rimbaud encore, et ce silence qui le fascine⊠Mais visiblement, on a aura du mal Ă faire taire ce Malraux sans tics.
E.L.B |
Livrez-vousâŠ
Ministres, Ă©crivains et professionnels du pavĂ©, ils Ă©taient tous lĂ , unis pour le meilleur et pour le livreâŠ
GrĂ©goire Polet, Tableau dâhonneur !
LâĂ©crivain belge GrĂ©goire Polet sâest vu dĂ©cerner le prix du rĂ©seau des instituts français prĂ©sents au Maroc, pour lâensemble de ses Ćuvres. Le jeune auteur en a proïŹtĂ© pour prĂ©senter Chucho, son dernier roman. GrĂ©goire Polet raconte ici lâhistoire dâun enfant, Chucho, Ă©levĂ© dans les bas-fonds de Barcelone par un proxĂ©nĂšte, et qui, du haut de ses frĂȘles annĂ©es, ne rĂȘve que dâune chose : arpenter les rues de New York. Il place ainsi tous ses espoirs dans un touriste allemand, convaincu quâil lâaidera dans sa quĂȘte, mais est Ă nouveau déçu par la vie. InterrogĂ© sur la difïŹcultĂ© de cette entreprise, GrĂ©goire Polet a tenu Ă prĂ©ciser au public que la difïŹcultĂ© ne rĂ©sidait pas dans le fait dâĂ©crire sur un milieu inconnu de lui, mais plutĂŽt de ne pas se laisser emporter par un trop-plein dâĂ©motivitĂ©.
Siham Abdellaoui, Ă©crit sur nous
« Nouvelles dâici est en fait un recueil de nouvelles ayant trait aux rapports que peuvent entretenir monsieur et madame Tout-le-Monde avec leur sociĂ©tĂ©. Les hĂ©ros sont blasĂ©s, perdus, parfois amoureux et nous entraĂźnent avec eux Ă travers les Ă©vĂ©nements qui animent leur existence de Marocains moyens. Jâai toujours aimĂ© parler des petites choses de la vie, donc voilĂ ! »
Rachida MâFaddel, raconte lâimmigration
« Canada aller simple retrace le quotidien dâune famille marocaine partie vivre au Canada. Câest une question qui mâest assez familiĂšre puisque jâai moi aussi voulu rĂ©aliser le rĂȘve canadien en mâinstallant dans ce pays il y a dix ans de cela. Jâai eu la chance de rĂ©ussir mon intĂ©gration, ce qui nâest malheureusement pas le cas de tous ceux qui tentent lâexpĂ©rience. Jâai vu beaucoup de dĂ©sillusions et dâĂ©checs autour de moi mais jâai Ă©galement Ă©tĂ© tĂ©moin de plusieurs succĂšs. Dans tous les cas, jâai sufïŹsamment Ă©tĂ© marquĂ©e par ce thĂšme pour Ă©crire dessus Ă deux reprises. »
Maradji, Le temps dâun clic
« Jâai vraiment Ă©tĂ© touchĂ© par lâaccueil rĂ©servĂ© Ă mon livre. Nous en sommes au troisiĂšme tirage et les stocks sont dĂ©jĂ Ă©puisĂ©s. Les grands nostalgiques ont certainement apprĂ©ciĂ© de pouvoir retrouver les images de la famille royale ainsi que dâautres ïŹgures historiques de ce pays. Toutes les personnes que jâai prises en photo sont pour moi des pionniĂšres dans leurs domaines respectifs (politique, culturel, sportif,etcâŠ). Nous travaillons actuellement sur une Ă©dition en langue arabe de lâouvrage aïŹn de satisfaire ceux qui nous lâont demandĂ©e. »
Layla Chaouni, aux commandes des Ă©ditions Le Fennec
« Cette annĂ©e nous prĂ©sentons une quinzaine de nouveautĂ©s, câest la premiĂšre fois dâailleurs que nous en exposons autant. Il y en a encore cinq ou six, que nous avons pu obtenir suite Ă un partenariat avec le Conseil consultatif des Marocains Ă lâĂ©tranger et dont la sortie est prĂ©vue dans les prochains jours. Entre nous, je nâai eu que des coups de cĆur⊠» |
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