La Villa des Arts de Casablanca affichait complet le mercredi 10 novembre pour la présentation de l’œuvre de notre prix Goncourt qui n'aime pas le nouveau lauréat.
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Il y avait ses fans (en majorité des femmes d’un certain âge) et des artistes, tous ses amis, mais peu de journalistes et d’intellectuels. Dans les salles attenantes trônait une exposition d’André Elbaz, fascinante !
Ben Jelloun et l’écriture
Après une présentation plutôt sommaire de l’œuvre de l’écrivain par Kacem Basfao, ce dernier pose une première question intéressante : « Comment expliquez-vous le paradoxe qui existe entre votre réussite et le désamour des intellectuels et des journalistes à votre égard ? » L'écrivain n'a répondu que partiellement… « Je ne considère pas que j’ai réussi (rires). L’écrivain est inquiet et jamais satisfait. Je suis traduit en plusieurs langues, c’est une chance, les éditeurs étrangers sont intrigués par les francophones non français (rires). » Pas un mot sur le fameux désamour. Tahar Ben Jelloun se déclare habité par le Maroc qui nourrit son imaginaire. S’ensuit le récit d’une anecdote qui s’est déroulée en Suède. Il y rencontre une Marocaine qui y vit. « En Suède, il y a égalité entre hommes et femmes et cela saute aux yeux », dit-il en s’adressant à la gente féminine présente pour la séduire sans doute, ce qui est inutile, les femmes présentes étant déjà conquises. Toujours est-il que la Marocaine qui vit en Suède lui fait une remarque que l’écrivain trouve très pertinente. Elle lui dit : « Ici en Suède, on respecte les chiens et les femmes. »
Méthodique et discipliné
Méthodique et discipliné, Tahar Ben Jelloun a toujours eu cette réputation qu’il a confirmée lors de cette conférence. « Je suis affreusement professionnel, a-t-il avoué. Tous les matins, je me réveille, prends mon café et travaille. Je suis bavard et j’ai beaucoup de choses à dire. Cette idée qu’un écrivain publie trop me dérange. Je suis discipliné et ne laisse pas de place à l’amateurisme. Même si les choses n’arrivent pas, je reste assis », explique-t-il avec assurance. Et l’on ne peut s’empêcher, devant tant de détermination, de se demander où est la part de l’inspiration artistique. Il est vrai qu’il y a un avant et un après-prix Goncourt.
Ben Jelloun et Houellebecq
La carte et le territoire de Michel Houellebecq est un roman mou et formaté, déclare Tahar Ben Jelloun. Rappelons que notre écrivain national a eu le culot de critiquer l’auteur qui a obtenu le Goncourt cette année alors qu’il fait partie du jury. « J’ai reçu un courrier énorme, des insultes de ses fans. Nous étions 2 sur 9 à ne pas voter pour lui. Quand il a reçu son prix, il y avait plus de 300 journalistes qui nous écrasaient sur leur passage, la presse est unanime et je suis minoritaire, mais je sais que j’ai raison. Le personnage est un Français qui n’aime pas les étrangers et qui a dit des choses horribles sur l’islam et la Palestine. Par ailleurs, il plagie », conclut Tahar Ben Jelloun, un brin de hargne dans la voix. Il poursuit en parlant de son engagement. Pour lui, plus on est « spécifique », et c’est le terme qu’il a utilisé, et plus on s’inscrit dans l’universel. Spécifique signifie proche de la réalité de la société que l’on raconte dans ses écrits. On se demande en quoi La nuit sacrée est spécifique de notre société ?
Tahar Ben Jelloun a terminé en présentant sa pièce de théâtre, qui met en scène une rencontre fictive entre Genet et Beckett, et c’est peut-être ce qu’il y avait de plus intéressant dans cette conférence. En dehors du fait que tous ses amis étaient là , Saâd Hassani, Abdelhay Laraki, Amal Ayouch et bien d’autres.
Bahaa Trabelsi |
Sidi Moumen-Mamounia
Mahi BineBine a remporté le premier prix littéraire du palace de Marrakech.
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Deux jours avant que Houellebecq ne décroche le Goncourt chez Drouant, les Marocains disputaient aussi leur prix littéraire à la Mamounia. C’est la crème des auteurs du Royaume qui était sélectionnée pour cette première édition : Fouad Laroui, Tahar Benjelloun, Safia Azzeddine, Abdelfattah Kilito, Abdellatif Laabi, Mahi BineBine, Abdellah Taïa … que des jeunes premier(e)s !
Mais après tout, en sélectionnant des écrivains reconnus, on conforte la notoriété du jeune prix. Tandis que Houellebecq recevait un chèque de 10 euros, le lauréat du premier prix littéraire de la Mamounia empochait 200 000 dirhams.
Cachottier et modeste
Prophète en son pays, c’est le Marrakchi BineBine qui a décroché le gros lot. Pour une fois, la littérature lui rapportera (presque) autant qu’un tableau ! Quand on lui a demandé ce qu’il allait faire de ce prix, il a répondu que c’était un secret. Cachottier et surtout modeste, il n’a pas voulu étaler le fait que la somme allait revenir à des associations de bienfaisance. Il a en revanche souligné qu’il trouvait bien que « La Mamounia donne un prix à un bidonville ».
Tout le monde n’était pas de cet avis, à commencer par un des membres du jury Khalid Zekri, prof de littérature et fondateur du Magazine Littéraire du Maroc qui a déclenché une polémique en affirmant que « d’un point de vue marocain, d’autres livres le méritaient ». Zekri aurait préféré voir couronner Une année chez les Français de Fouad Laroui. Khalid Zekri s’est justifié : « Si les Suisses avaient organisé ce concours en Suisse, le jury aurait été suisse. Or nous ne sommes que trois Marocains sur dix jurés. » Président du Jury, Guillaume Durand estime que Khalid Zekri a une conception nationaliste. En tout cas, l’aveu de l’intellectuel a mis hors d’elle la volcanique Québécoise Denise Bombardier, autre membre du jury, qui estime que les délibérations doivent rester secrètes. Certes. Sauf que c’est justement cette opacité qui jette le discrédit sur les prix littéraires à la française.
Il reste que le prix couronne un livre aux thèmes universels qui parlent à un jury francophone. Comme l’a souligné le romancier Marc Dugain, Les étoiles de Sidi Moumen est un bon roman pour comprendre les origines du mal. BineBine a dit avoir voulu raconter l’histoire de gamins victimes d’une « mafia religieuse ». La formule a fait mouche auprès de la presse internationale. Et après avoir répondu à des dizaines d’interviews, le romancier nous confiait qu’il avait dû répéter qu’il n'était pas du tout un spécialiste du terrorisme. « Je suis comme le type qui raconte des histoires à la place Jamaa el Fnaa. » Et le Marrakchi de partir dans un grand éclat de rire.
Eric Le Braz |
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