Du 29 au 31 octobre, le Palais Batha et ses dépendances ont abrité des gourmets issus d’horizons divers, pour rivaliser de saveurs et de créations.
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Les traditions culinaires de fêtes dans les trois religions monothéistes. Présenté ainsi, le thème de cette cinquième édition du Festival d’art culinaire pouvait paraître un tantinet exclusif, mais ce n’était a priori qu’une impression. « En termes d’interculturalité, il n’existe pas mille possibilités. On peut parler d’art, de politique ou de religion et c’est pour cette dernière que nous avons décidé d’opter », a expliqué Danielle Cabanis, la directrice de l’événement. Dès lors, le pari était de faire bombance en alternant, durant trois jours, des spécialités musulmanes, juives et chrétiennes, le tout ponctué d’expositions et de tables rondes gastronomiques.
La cuisine est un art
C’est bien connu, la cuisine est un art. Un art qui exige de respecter les mesures et de faire preuve d’un bon sens logique. Ici tout part de l’esprit pour arriver au ventre, alors exit les gestes inutiles ou les réflexions compliquées, et, en revanche, bonjour les fiertés personnelles !
En vrac : « Le fromage français est presque aussi bon que le suisse », dixit Danielle Cabanis. « Dans ma famille, on est maître fromager depuis 1892 », révèle Manuelle Sena, animatrice de l’atelier sur le fromage français. « Fès, Rabat et Marrakech sont les berceaux de la gastronomie marocaine », affirme Mohamed Souedek, chef au Palais Jamaï. Malgré tout, cela reste bon enfant et on apprend pas mal d’astuces, comme préparer son foie gras au micro-onde (quand on est une femme occupée) ou mettre « une chemise » à son brie (quand on est un homme délicat). Aux recettes traditionnelles, remontant parfois à plus de huit siècles, se sont succédé d’autres plus modernes mais aussi quelques allusions aux dernières trouvailles made in USA, notamment la dinde 100 % tofu. Une invention végétarienne faisant honneur au soja et grâce au volatile.
« La générosité de la cuisine vient de sa faculté à s’adapter aux goûts des uns et des autres, afin que personne ne se sente lésé », a précisé Sylvie Davidson, professeur universitaire en Pennsylvanie et intervenante. Un atelier n’a pas sa raison d’être s’il n’est pas suivi d’une dégustation en bonne et due forme. Celle-ci s’est déclinée à toutes les sauces au grand bonheur des présents. Seul inconvénient et pas des moindres : un certain déséquilibre dans le contenu du programme.
Un festival de cuisinefranco-français
Biscuits de Noël, Saint-Jacques en julienne, terrine de saumon, filet en croûte… la liste est longue mais l’origine des plats est quasiment unique (France ou Suisse). Si Fès est à juste titre considérée comme l’un des piliers de la gastronomie marocaine, elle n’a pas vraiment eu l’occasion, cette année, de déployer son savoir-faire. Ni aucune des autres villes du Royaume d’ailleurs. Résultat : un festival franco-français, au milieu duquel ont surnagé quelques briwates et un poulet beldi. C’était léger ! « Cette année, l’événement s’est particulièrement axé sur l’international. C’est bien dommage en somme, car du coup la cuisine marocaine n’a pas eu la place qu’elle méritait », a regretté Chakib Laâlej, traiteur et intervenant au niveau de l’atelier chocolat. Un avis également partagé par Mohamed Souedek qui garde à l’esprit « des manifestations culinaires anciennes, mais beaucoup plus représentatives de la gastronomie marocaine que celle-ci ».
Idem pour la cuisine juive qui s’est soldée le dimanche par une démonstration unique et un buffet offert par la communauté de Fès. Peut mieux faire ! Impossible de parler confortablement de cuisine, sans aborder l’art de la table ou sans s’arrêter un moment sur ses rapports harmonieux avec la littérature, la musique ou la peinture. Car là encore, on en découvre des choses. Tous les auteurs (même Houellebecq !) finissent tôt ou tard par évoquer dans leurs œuvres le contenu des assiettes de leurs héros.
PĂŞche Melba et Hachis romantique
Scénario identique du côté des compositeurs classiques, qui ont parfois donné des noms goûteux à certaines de leurs œuvres ou qui ont carrément inspiré la création de certains mets. « Quand ce n’étaient pas les grands chefs européens qui baptisaient leurs inventions du nom d’une cantatrice ou d’un musicien (Pêche Melba ; Tournedos Rossini), c’étaient ces derniers qui nommaient leurs mélodie d’après un aliment de prédilection (Petite Valse à l’huile de ricin ; Hachis romantique…) », nous a précisé Marc Laborde, directeur du CRDP (Centre de recherche pédagogique de Paris) et chargé d’animer une conférence intitulé musiciens et gastronomie festive.
Un peu plus proches de nous, les diapositives de quelques toiles irakiennes et perses du XIIIe siècle, exposées dans l’enceinte du palais Batha ont montré, quant à elles, l’intérêt des artistes orientaux de l’époque pour les festins religieux. Bref, tous les sens étaient à l’honneur dans la capitale spirituelle !
Sabel Da Costa |