Remettre ce courant artistique au goût du jour, dans un pays qui ne l’a pour ainsi dire jamais adopté, est un véritable défi en soi. Un défi signé galerie Shart…
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Couleurs vives, images dupliquées et mise à l’index d’une consommation abusive et bornée. Les standards du pop art sont demeurés intacts et continuent aujourd’hui de véhiculer des messages allant à l’encontre des tendances actuelles. Fait remarquable, le mouvement n’a jamais su s’octroyer les faveurs d’artistes marocains, du moins jusqu’à « Pop is it », une exposition croisée marquant la rencontre de cinq plasticiens. Ils viennent d’ici, de France, des Etats-Unis et nous parlent d’altermondialisme, de républiques bananières et de clandestinité. Des concepts qui n’ont a priori plus grand-chose à voir avec les boîtes de soupe customisées d’Andy Warhol ou les comics héros de Roy Lichtenstein, mais qui gardent tout de même en eux quelques références aux grands pionniers du courant. L’usage de couleurs primaires par exemple et la dénonciation de nos comportements acheteurs, preneurs et imitateurs.
Ces derniers ont changé d’aspect avec le temps, mais restent motivés par le même instinct d’accumulation. « J’ai eu envie de faire cette exposition, après avoir rencontré des artistes qui s’intéressaient au pop art et qui étaient eux-mêmes (d’un point de vue générationnel) des enfants de cette époque. Aujourd’hui, ces peintres ne dénoncent plus la consommation de masse mais carrément la surconsommation. Le travail est plus minimal dans son traitement, mais le message, lui, est beaucoup plus revendicateur », explique Hassan Sefrioui, propriétaire de la Galerie Shart. Un message revendicateur et empreint du quotidien de ses auteurs.
Retranscrire les réalités dans ses œuvres
L’artiste Mounia Abdelali a voulu retranscrire dans ses œuvres les réalités de son Agadir natal, le mimétisme observable chez ses concitoyens et leur envie de consommer les mirages d’ailleurs. « J’ai créé plusieurs petits personnages. Celui qui me touche le plus, c’est le pêcheur gadiri. Vu que la mer ne lui permet plus de vivre correctement, il s’est fait tout beau pour aller chercher du travail. A l’Occident il n’a emprunté que de tristes habitudes (la cigarette notamment), et dans sa main il tient un pot sur lequel est inscrit : la mer à boire. Une expression arabe traduisant la détresse et le désespoir. Sans ressources, cet homme ne vaut plus rien et il est en quelque sorte condamné à porter un bonnet d’âne. » Tous ces éléments, Mounia Abdelali les transcrit sur ses œuvres dans leur intégralité. Le bonnet d’âne en question, l’envie de voguer vers des cieux plus cléments, l’expulsion des sans-papiers… Elle ne néglige aucun détail, quitte à faire de ses travaux des rébus complexes, n’ayant presque plus rien en commun avec le côté accessible et global du pop art.
Beaucoup plus fidèles au genre, Rita Alaoui, Pimax et Paul Graves ont travaillé sur la duplication des formes et des couleurs ou, pour le dernier, sur la place de l’argent dans la société. Cupcakes à la chaîne, bananes colorées à la Warhol et dollars affublés de mâchoires menaçantes ont pu donner à l’exposition un côté humoristique et acidulé. Le tour du propriétaire s’achève avec trois tableaux de Salim Mouline, qui s’écarte lui carrément de la voie pour marquer son attachement à l’abstrait et au naïf. Un peu comme la majorité de ses homologues…
Un manque d’engouement
S’il arrive de tomber sur des œuvres créées à l’aide de matériaux de récupération ou d’être frappé par le côté pop art des étalages des souks et des grandes surfaces, cette tendance des années cinquante n’a, encore une fois, jamais véritablement intéressé localement.
« Il faut toujours garder à l’esprit la grande complicité qui existe entre l’artiste marocain et son public. Si on ne s’est pas lancé dans le pop art, c’est parce que le public n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour ce courant », affirme Melihi. Un manque d’engouement qui s’explique d’abord par le caractère très américain (et donc très éloigné) de ce mouvement lorsqu’il vint à apparaître, puis plus tard par un changement d’orientation massif des artistes à travers le monde. Le pop art n’a pas eu le temps de se poser au Maroc et même si cela avait été le cas, son contenu n’aurait tout simplement pas collé avec les réalités de l’époque. Alors qu’aujourd’hui les choses ont changé et que la consommation de masse n’est plus uniquement le fait des Etats-Unis, c’est au tour des collectionneurs de configurer les modes du moment.
« Les peintres font principalement dans le moderne et le mi-figuratif, parce que c’est ce qui se vend le mieux. Les gens qui en ont les moyens achètent des toiles ou des installations, non pas par amour ou par connaissance, mais pour réaliser de bons retours sur investissement. Aucun plasticien ne se risquerait à aller dans le sens contraire de la vague et à présenter quelque chose de différent », précise Abderrahman Rouhoul, directeur de l’école des Beaux-Arts de Casablanca et peintre de formation. Minoritaire et pas forcément lucratif, le pop art à la marocaine est comme on le disait… un véritable défi !
Sabel Da Costa |