Rentrée chargée pour Yamou qui expose à Paris, Rabat et Marrakech. Le peintre, qui passe de plus en plus de temps dans son pays natal, nous reçoit dans son atelier de la banlieue parisienne où il peint depuis près de vingt ans.
***
Rue de la révolution, dans une commune de la toute proche banlieue parisienne : c’est là que Yamou a posé ses palettes il y a dix-sept ans maintenant. Pas de nom sur la porte, mais celle-ci, restée entrouverte, laisse apercevoir une petite gravure. Au premier coup d’œil, pas de doute, c’est un Yamou. L’endroit est calme, lumineux autant qu’il peut l’être en cette journée de fin d’été, et quelque peu désert. Des toiles posées au sol, emballées et déjà en attente d’être expédiées. Au mur, quelques petits formats réalisés récemment, entrelacs de végétaux aux belles couleurs douces et chaudes.
C’est que Yamou enchaîne les expositions, et presque tout est déjà parti. En juillet, la galerie Bernard Chauchet à Londres exposait son travail. En septembre, on retrouve Yamou parmi une sélection d’artistes du Moyen-Orient et d’Afrique choisis par Brahim Alaoui pour la galerie de la Libanaise Imane Farès, IF galerie, ouverte en juin rue Mazarine. A Rabat, la nouvelle galerie Arcanes consacre une exposition personnelle à Yamou – essentiellement des sculptures – depuis le 21 septembre. Il sera aussi présent dans le cadre de la Marrakech Art Fair du 8 au 11 octobre au palais Es Saadi, et au musée de Marrakech à partir du 8 octobre. « Cet endroit, c’est un peu une retraite artistique que j’ai voulue à un moment de mon itinéraire. » Yamou fait référence à une époque où il s’était installé dans un autre atelier, tout proche, baigné par un esprit de partage et de générosité très enrichissant pour l’artiste. « Les gens m’ont accueilli et c’est là que j’ai sûrement le plus appris », se souvient-il.
Mais il arrive un moment où l’implication dans des causes et l’appartenance à un groupe ne permettent plus d’avoir du temps pour créer. Or, une carrière d’artiste ne s’improvise pas. C’est du temps, de la persévérance, des années d’un travail commencé il y a bien longtemps. « Autant que je me souvienne, j’ai toujours dessiné. C’était pour moi un passe-temps fabuleux. » Enfant, il dessine des profils, mais s’interroge pendant des années sur la manière de dessiner des visages de face, en perspective. Autodidacte, Yamou ne fréquente pas de cours de dessin. Et découvre par lui-même, un jour, en voyant une publicité dans la vitrine d’une pharmacie, que la perspective est une affaire de dégradés et d’illusion d’optique pour créer une impression de relief. « Je ne suis pas du tout issu d’un milieu d’artistes, mais mes parents n’ont jamais découragé mon goût pour le dessin. Ils avaient remarqué qu’en dessinant, je restais à la maison et je ne faisais pas de bêtises. Au moins, je n’allais pas à la plage me baigner alors que je ne savais même pas nager ! »
Un « mauvais garçon »
Plus tard, le « mauvais garçon » est envoyé le temps des vacances chez un oncle menuisier : « J’apprenais un métier au cas où le dessin ne marcherait pas, c’était un sorte de garderie rassurante pour mes parents. » Les dessins du jeune Abderrahim, son père ne peut pas les voir car il est aveugle. Originaire du Sud, il s’est installé à Derb Ghallef dans les années 1940. Il vend des tickets de loterie et se lie avec ses clients, parmi lesquels des Européens. Il sympathise avec plusieurs Françaises qui décident de prendre la famille sous leur aile. Elles aident les enfants – 4 garçons – notamment pour l’apprentissage du français, ce qui rejoint la conviction du père : seules les études permettront aux enfants d’avoir un avenir meilleur. A tel point que toute la fratrie fera des études supérieures. Même Abderrahim, le dernier : « Mauvais élève, je travaillais juste ce qu’il fallait pour passer dans la classe supérieure. » Il obtient le bac. Grâce à la bourse du gouvernement marocain, il part pour Toulouse où son frère est déjà installé. Des études de biologie sont entamées avant d’être délaissées pour la sociologie. « Le cursus de sociologie me convenait parfaitement : je trouvais les clés pour comprendre la société qui m’entourait, et en plus il y avait les cours de dessin que je n’avais jamais eus », se souvient l’artiste, qui s’oriente vers la sociologie… de l’art, jusqu’à entamer à Paris une thèse sur l’art contemporain.
Les interrogations sur la vie, la germination, la reproduction – existe-t-il un grand horloger ou bien toute vie est-elle le fruit du hasard ? – questionnent déjà Yamou. D’où le choix de la biologie. La sociologie n’y répondra pas finalement davantage, mais la peinture peut-être. L’artiste décide d’y consacrer désormais tout son temps. A Paris, où il s’est installé, ses questionnements prennent la forme de toiles réalisées à partir de la terre prélevée lors de ses voyages. « C’était une peinture nostalgique du Maroc, de sa terre, de ses couleurs… », se souvient l’artiste.
De la terre Ă la vie
De la terre à la vie, il n’y a qu’un pas. Yamou réalise à cette époque ses premières sculptures vivantes : des créations en bois au creux desquelles poussent des plantes, juxtaposant ainsi la vie et la mort. Plus tard, viendront les sculptures de bois hérissées de clous dégradés par la rouille. Son « obsession » vitale, on la retrouve sur ses toiles : « La nature est pour moi une source d’inspiration sans limite. Toutes les civilisations avant moi s’y sont intéressées, et je ne me lasse pas de l’observer. » Yamou poursuit simplement, et avec talent, l’exploration du sujet.
Arabesques, feuilles, fleurs, pétales sont répétés, stylisés et déclinés à l’infini. On pense à la peinture japonaise, à des motifs de tissus fleuris, aux enluminures des manuscrits anciens. Yamou s’aventure aussi, mais plus rarement, à évoquer des sujets humains. Là aussi, toujours l’idée du commencement : « Comment la vie vient-elle ? » Yamou a représenté Adam et Eve une première fois en sculpture : le couple est nu et allongé à même le sol. Le thème revient en peinture : Adam et Eve au jardin d’éden. Sa peinture et sa sculpture ont trouvé leur public. Yamou participe à sa première exposition en 1988 à Paris, dix ans après son arrivée en France. Puis, assez vite au Maroc où il est sollicité une première fois, quatre ans plus tard. D’abord à la galerie Nadar, puis chez Al Manar. «C’était très impressionnant pour moi car Al Manar exposait des artistes reconnus comme Fouad Bellamine, Farid Belkahia ou Mohamed Kacimi. » Son travail attire la curiosité, et les acquéreurs sont au rendez-vous. La plupart des grandes entreprises marocaines qui ont constitué des collections comptent des Yamou ; des collections privées en détiennent également. Yamou répond aussi parfois à des commandes, comme par exemple pour le Royal Mansour de Marrakech.
Mais le Maroc n’est pas qu’un lieu d’exposition pour l’artiste parisien. Yamou y est revenu pour travailler depuis trois ans. Il a construit un atelier dans le village de Tahanaoute, près de Marrakech, non loin de deux artistes : Mahi BineBine et Mohamed Mourabiti. Les trois amis et voisins ont d’ailleurs lancé un pari : réaliser une série de 18 toiles à quatre mains. Chaque artiste commence une toile, l’autre la termine, et inversement. C’est une expérience assez rare en peinture – on dit les artistes jaloux de leur talent et souvent amateurs de solitude – mais déjà réalisée par le passé par Warhol et Basquiat. Les trois artistes dévoileront leur travail au printemps prochain à la Loft Gallery de Casablanca. Le travail a commencé, et le résultat sera, à n’en pas douter, à la hauteur du talent des trois hommes qui signeront de cette façon une expérience inédite dans l’histoire de l’art au Maroc.
Cyril Bonnel, Ă Paris |