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France-Espagne Le match culture
actuel n°53, samedi 26 juin 2010
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Derrière la bannière culturelle, se cachent avant tout des enjeux économiques et politiques. La France a une longueur d’avance, mais l’Espagne est de plus en plus présente.
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Activités culturelles de toutes sortes, festivals, événements, concerts de stars, le Maroc aujourd’hui baigne dans le brassage des cultures et dans les fusions. Les deux plus fortes influences en matière de langue et de culture restent – et même si l’anglais et le mythe américain sont omniprésents – celles de la France et de l’Espagne. La proximité géographique de l’un et les relations de dépendance héritées du protectorat de l’autre en font des partenaires privilégiés dont la présence est notable dans les grandes villes du pays à travers leurs centres culturels. Aussi bien les Espagnols que les Français essayent de maintenir, voire de développer, l’attrait de leurs cultures respectives.
Pour Youssef Blal, politologue, « l’espagnol est la troisième langue la plus parlée dans le monde, aussi bien dans le continent latino-américain qu’aux États-Unis et cela la rend de plus en plus attractive pour les jeunes. Avant la crise, en 2007, on a également pu remarquer une croissance importante des investissements espagnols au Maroc. Or, pour comprendre l’importance que prend la composante culture, il faut la lier à la composante économique. Par ailleurs, et toujours concernant l’Espagne, au-delà de la proximité géographique et du passé colonial, l’Andalousie et ses perspectives jouent également un rôle ». L’institut Cervantès de Casablanca n’a d’ailleurs pas manqué de fêter la deuxième édition de la Journée de l’espagnol en rappelant que c’est « une fête mondiale organisée simultanément par tous les centres du réseau Cervantès pour commémorer l’importance de l’espagnol en tant que langue internationale, une langue qui compte déjà plus de 450 millions de voix dans le monde ».
En tĂŞte de peloton
Mais il est clair par ailleurs que la France et la francophonie ont une longueur d’avance significative sur l’Espagne quant à son influence culturelle au Maroc. D’après Mustapha Khalfi, directeur du centre de recherche du PJD : « L’impact culturel est porteur avant tout d’enjeux économiques, politiques et stratégiques. Si le Maroc aujourd’hui est un centre de concurrence linguistique et culturelle pour la France, l’Espagne et les États-Unis, la France reste en tête du peloton. Preuve en est qu’elle est présente de manière massive sur quatre plans : édition, enseignement, instituts culturels et médias. » En effet, en matière d’édition, le pays des lumières a participé à la publication de 1 200 livres en 2006 en langue française au Maroc (contre 600 livres en 1995).
Du côté de l’enseignement, le français reste la langue privilégiée puisqu’elle est enseignée dès l’école primaire et que la mission est présente sur tout le Royaume. Quant aux instituts français, ils sont au nombre de huit aujourd’hui au Maroc avec des budgets conséquents (contre six instituts Cervantès). Enfin, les journaux francophones ont la part belle sur la scène médiatique puisqu’ils accaparent 30 % du lectorat.
« Cependant, souligne Mustapha Khalfi, en 2008, il y a eu un changement économique radical qui aura des influences au niveau culturel, puisqu’au niveau des échanges commerciaux, la part des exportations marocaines vers l’Espagne a représenté 20 % du total et seulement 11 % pour la France. La donne est en train de changer, et c’est bénéfique pour le Maroc, pour son avenir au niveau scientifique, technologique et économique », conclut Mustapha Khalfi.
Suivre les pas de danse
Certes la France reste notre interlocuteur privilégié et la langue française notre « deuxième langue », mais l’avenir du pays n’est-il pas porteur de nouvelles orientations technologiques et scientifiques qui risquent de grignoter l’influence de la langue de Molière. Les Français eux-mêmes sont d’ailleurs conscients que le Maroc change et qu’il faut suivre les pas de danse… américanisés.
Bahaa Trabelsi |
« Nous voulons toucher les jeunes »
François-Xavier Adam est directeur de l’Institut français de Rabat. Il a bien voulu répondre à nos questions.
Par ces temps de crise, le budget de l’Institut français de Rabat a-t-il été réduit ?
François-Xavier Adam : Non.
Visiblement, les instituts français tentent de faire évoluer leurs activités ; y a-t-il un nouveau positionnement en ce qui concerne l’institut de Rabat ?
Toucher un public jeune et urbain en investissant l’espace public, ce qui revient à privilégier les musiques actuelles (punk, métal, rap…), les arts de la rue et du cirque, voire la danse contemporaine et le hip-hop. Cela revient aussi à travailler avec de jeunes compagnies et à leur trouver un espace de diffusion et d’expression. Pour donner des exemples : l’école nationale du cirque (Shamsy) et le théâtre Nomade ; pour les musiques actuelles L’Boulevart et l’association Décibel, ainsi que de nombreux groupes indépendants ; la danse contemporaine avec Les pieds nus, Anania, 2KFAR ; des compagnies de hip-hop (Salama)… Et l’institut accueille dans ses murs en résidence la compagnie Dabateatr.
Quelles sont les nouveautés que vous proposez à vos visiteurs ?
Pour ce qui est de la médiathèque, il y a un travail considérable de l’équipe qui nous permet de recevoir plus de 3 000 personnes par mois. Côté cours de langue, il s’agit d’élargir notre offre de cours afin de l’adapter aux différents publics.
Avez-vous l’impression qu’il y a toujours le même engouement pour la langue et la culture françaises ?
Oui, mais je découvre le Maroc ! J’ai l’impression que la langue française est assez souvent utilisée dans les différents milieux professionnels. En tout cas, la France reste la première destination pour les jeunes Marocains voulant faire des études à l’étranger.
Vous sentez-vous en concurrence avec l’institut Cervantès et pensez-vous que d’autres langues et cultures gagnent du terrain par rapport au français ?
Non.
Propos recueillis par Bahaa Trabelsi
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« Une motivation professionnelle »
Rosa Léon Conde est directrice de l’institut Cervantès de Casablanca.
Par ces temps de crise, les budgets liés à la coopération culturelle espagnole ont-ils été réduits ?
Rosa Léon Conde : La crise de l’économie mondiale touche tous les pays du monde et aussi tous les organismes qui dépendent de l’argent public pour leur fonctionnement. Les instituts Cervantès par conséquent seront touchés, mais nous sommes habitués à fonctionner avec des budgets austères et nous saurons nous en sortir pour aller de l’avant.
Les instituts Cervantès tentent d’innover concernant leurs activités, octroient des bourses, organisent des événements, y a-t-il eu un repositionnement ?
Les instituts Cervantès dans le monde entier sont conçus pour l’enseignement de la langue et pour montrer le meilleur de la culture espagnole.
Avez-vous une stratégie particulière vis-à -vis d’un pays francophone ?
Le fait que le Maroc soit un pays plurilingue – et le français une des langues de connaissance et d’utilisation dans des domaines professionnels –, facilite et accélère l’apprentissage de l’espagnol, vu la proximité des racines des deux langues. Les professeurs poussent alors les élèves à développer des stratégies d’apprentissage (inductions, transferts, généralisations, etc.) qui leur permettent de rentabiliser leurs connaissances linguistiques en français au moment d’apprendre l’espagnol. En tout cas, il est évident que les Marocains ont une capacité extraordinaire pour l’apprentissage des langues.
La langue espagnole et la culture espagnole au Maroc sont-elles appelées à se développer, et pourquoi ?
L’espagnol au Maroc, comme partout dans le monde, est une langue en expansion. De fait, c’est la langue qui connaît la plus grande croissance. Le nombre d’inscriptions à l’institut Cervantès de Casablanca est éloquent : en cinq ans, nous sommes passés de 3 600 inscriptions annuelles à 5 100 actuellement.
L’intérêt pour l’espagnol va au-delà de son héritage culturel ; pour le public marocain, la connaissance de l’espagnol implique une plus grande accessibilité aux marchés européens et latino-américains, des opportunités de promotion sociale et professionnelle, une plus grande mobilité car ces dernières années, l’Espagne a été un pays d’accueil de l’immigration marocaine, la communauté marocaine étant l’une des plus grandes communautés d’immigrés actuellement en Espagne ; et ce phénomène produit aussi un plus grand intérêt pour la langue et la culture espagnole, à travers les contacts avec les familles qui vivent au Maroc.
Mais, surtout, le développement de l’espagnol au Maroc répond à la croissance des relations économiques hispano-marocaines. Il y a une forte demande, au sein des entreprises espagnoles, de travailleurs marocains maniant l’espagnol. Donc la motivation des Marocains qui viennent apprendre l’espagnol à l’institut Cervantès est fondamentalement professionnelle.
Propos recueillis par Bahaa Trabelsi |
QUE VOUS APPORTENT LES CENTRES CULTURELS ?
Safae, Ă©tudiante
Je viens à l’institut Cervantès pour apprendre une 4e langue. Comme je fais mes études aux États-Unis et que j’ai beaucoup d’amis d’Amérique du Sud, l’espagnol me sera très utile… »
Abdeslam, retraité
Comme je suis retraité, je souhaite consacrer une partie de mon temps libre à apprendre l’espagnol. Sinon, je consulte souvent des livres à la bibliothèque du centre. »
Rawya, Ă©tudiante
Je pense que les activités culturelles du centre gagneraient à être davantage médiatisées. Je ne m’intéresse qu’à la lecture de romans et de magazines pour l’instant. »
Mehdi, Ă©tudiant
En tant qu’étudiant en techniques cinématographiques et audiovisuelles, je fais toutes mes recherches à la bibliothèque mise à notre disposition dans le centre. J’y trouve mon bonheur ! »
Asmae, lycéenne
En dehors des cours de littérature, je fréquente souvent la bibliothèque pour lire des nouvelles. Je participe aussi aux pièces de théâtre montées dans le cadre de l’institut. »
Propos recueillis par Dounia Hadni |
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