Peintre sans pinceau, Majida Khattari est une photographe orientaliste qui dĂ©tourne les chefs-dâĆuvre du passĂ© pour dynamiter le prĂ©sent. Ăchantillon explosif dâune artiste Ă©lĂ©gamment provocante.
Elle se prĂȘte au jeu avec gentillesse mais on voit bien quâelle nâaime pas passer de lâautre cĂŽtĂ© de lâobjectif. Lâune des plus provocatrices des artistes marocaines est confondante de timiditĂ© quand elle doit, Ă son tour, prendre la pose. La photographe ne serait donc pas Ă son aise face Ă lâinstrument quâelle affectionne ? Il ne faut pas se ïŹ er aux apparences. La ïŹlle dâErfoud qui a grandi Ă Casablanca, et vit aujourdâhui Ă Paris, nâest pas une photographe. Mais une peintre.
Majida Khattari a Ă©tudiĂ© la peinture aux Beaux-Arts de Casa et de Paris et nâa jamais tout Ă fait abandonnĂ© la palette. En prenant des photos, elle peint sans pinceau. Ses prises de vue sont des tableaux saturĂ©s de couleurs franches et chatoyantes. Elle revisite lâorientalisme et se joue des prestigieux modĂšles en modelant dâautres modĂšles, blondes et brunes parisiennes. « Il vaut mieux partir du clichĂ© que dây arriver. » Le mot est dâAlfred Hitchcock et il prend toute sa saveur quand câest une peintre-photographe qui lâapplique.
Facéties esthétiques
Les clichĂ©s, Majida Khattari les accumule. « Jây vais Ă fond », rĂ©sume-t-elle en sâamusant de ses facĂ©ties esthĂ©tiques. En sâattaquant au voile, aux kamikazes, au harem⊠elle focalise ses objectifs sur le rĂ©pertoire des angoisses et des fantasmes occidentaux autour de lâOrient. Lâartiste marocaine dynamite lâamalgame « voile = musulman = terroriste » avec humour et dĂ©rision. Commentaire par lâauteur de la photo choc qui ouvre lâexpo ; on y voit une femme martyre qui dĂ©goupille son sac comme une grenade : « On sait que les hommes martyrs sont attendus par des houris au paradis. Mais les femmes, elles ont droit Ă quoi ? » Ă un beau sac griffĂ© ? Majida Khattari rĂ©pond par des clins dâĆil aux questions impossibles. Mais ce nâest pas une fuite. Lâartiste prend position et renvoie dos Ă dos fĂ©ministes et islamistes. Avec La Favorite, elle utilise une double parodie avec son logo VIP (voile islamique parisien). Dâabord, elle dĂ©tourne le travail de Murakimi pour Vuitton. Ensuite, elle revisite une odalisque de Mario Simon.
Ăchancrer la vision voilĂ©e de lâOccident
Le voile, câest de la mode ? « Câest une mode. » Une mode que Ni putes ni soumises lâa accusĂ©e de vouloir lancer lorsquâelle a fait un dĂ©ïŹlĂ© autour du foulard Ă lâhĂŽtel de la Monnaie en 2008 : « Je leur ai expliquĂ© ma dĂ©marche et ça les a calmĂ©es ». Cette dĂ©marche, câest bien dâĂ©chancrer la vision voilĂ©e de lâOccident sur le monde arabo-musulman justement : « LâinĂ©galitĂ© homme-femme nâest pas un concept musulman, câest une rĂ©alitĂ© mondiale. Je suis contre lâimage quâon nous renvoie en Occident sur les femmes arabes et musulmanes soumises.
Moi jâai vĂ©cu ici et jâai vĂ©cu libre ! » Mais elle ne montre pas non plus ici ce quâelle ose exposer lĂ bas : corps nus et burqas mĂȘlĂ©s. Pour lâinstant. Car Majida est dâabord une artiste de performances. Son prochain dĂ©ïŹlĂ© sur lâenfermement textile aura lieu Ă Paris, le 10 avril, en plein dĂ©bat sur le voile intĂ©gral. En attendant Marrakech, cet automne⊠Pour dĂ©couvrir dâautres facettes de cette peintre qui se dissimule, poussez la porte du bureau attenant Ă la salle dâexpo. Elle y expose encore, presque cachĂ©s, de petits dessins trĂšs graphiques de niqabs aĂ©rodynamiques. Elle maĂźtrise lâart de la photo, la technique du fusain et la chorĂ©graphie des dĂ©ïŹ lĂ©s⊠Lâartiste est complĂšte et, Ă chaque fois, elle parvient Ă nous surprendre en nous dĂ©voilant une autre planĂšte islamique, ludique et esthĂ©tique.
Eric Le Braz |