La peinture de Saâd Ben Cheffaj, exposée à l’Atelier 21 à Casablanca, vaut le détour. Pour ce peintre qui a commencé son œuvre à la fin des années cinquante, la maturité affleure à la surface des toiles.
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L’histoire des arts plastiques au Maroc est certes jeune mais elle a ses pionniers, et Saâd Ben Cheffaj en fait partie. Il est l’un des premiers Marocains à avoir reçu une formation académique en peinture. Après des études, en 1957, à l’École des Beaux Arts de Séville, il a suivi des cours d’histoire de l’art à l’École du Louvre à Paris. Il est ensuite revenu en Espagne pour décrocher, en 1962, le diplôme de professeur à l’École supérieure des Beaux-Arts « Santa Isabel de Hungria » de Séville. En 1965, Ben Cheffaj rentre au Maroc pour enseigner l’histoire de l’art, le dessin et la peinture à l’École des Beaux-Arts de Tétouan.
Aujourd’hui, il n’enseigne plus et se consacre pleinement à son œuvre à Tétouan où il vit et qu’il aime plus que tout. La première fois qu’il a exposé à Casablanca, c’était en 1973 au café-théâtre municipal avec Tayeb Seddiki. Il s’en souvient encore avec nostalgie. Ses toiles ornent les murs des grands collectionneurs, du palais royal à histoire des arts plastiques au Maroc est certes jeune mais elle a ses pionniers, et Saâd Ben Cheffaj en fait partie. Il est l’un des premiers Marocains Rabat à la fondation Kamal Lazzar à Genève, en passant par l’Académie royale de Cadix. Dès qu’on arrive à la galerie, on comprend aux pastilles rouges appliquées sur les titres des œuvres que ces dernières ont presque toutes été vendues aux collectionneurs avertis avant même le vernissage inaugural.
Bouleversement intérieur
Cinquante ans de peinture, plusieurs périodes pour ce peintre reconnu : figuration, expressionisme, néoréalisme, abstraction, pour enfin aboutir à ses toiles actuelles. On est tout de suite saisi à la vue des œuvres par le bouleversement intérieur qu’elles suscitent. La peinture est terreuse, lourde de sens, enveloppante, les thématiques du nu dérangeantes. Des corps féminins, massifs, imposants, maternels, sensuels. La peinture se libère des interdits et interpelle. Les couleurs sont sombres avec des touches bleues et rouges qui éclatent comme pour mieux percevoir les sens cachés des symboles.
Des mouvements ondulatoires qui rappellent la mer, les vagues de la Méditerranée. Aziz Daki dans la préface du catalogue de l’exposition écrit : « La mythologie toujours. L’artiste en a retenu la dramatisation des gestes, la vocation à théâtraliser les faits en invitant notre regard vers une espèce de cadrage à l’intérieur du cadre du tableau. Il dessine une scène, une arène où se joue quelque chose vers quoi il dirige notre regard. Il encadre comme pour mieux souligner le théâtre des opérations. » Au-delà d’une technique affinée en un demi-siècle, dans l’art de Ben Cheffaj c’est la profondeur des œuvres et leur impact émotionnel qui prédominent. Pas l’ombre d’une légèreté ; une peinture qui vous fait sentir le poids de l’existence, l’importance de la chair, le substrat de la vie, le temps qui passe, inexorable. La maturité est là , omniprésente. Celle de l’homme, et celle de l’artiste. Une exposition qui va durer jusqu’au 4 juin à l’Atelier 21, à découvrir absolument.
Bahaâ Trabelsi |