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Jazzablanca, American Beauty
actuel n°44, samedi 24 avril 2010
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Avec une programmation comptant plusieurs stars américaines, Jazzablanca 2010 a drainé un public de tout âge. Mais si elle a tenu toutes ses promesses côté musique, l’édition de cette année aura déçu par une organisation trop improvisée.
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Le décor est à couper le souffle : une scène où le fond est occupé par des avions civils siglés RAM. Transformé à l’occasion de la cinquième édition de Jazzablanca (du 11 au 21 avril), l’aérodrome est en lui-même un spectacle. Un gage d’ouverture d’un festival qui se déroulait jusque-là au Mégarama, bien que les aménagements nécessaires pour une sonorisation efficace aient été minimalistes. Cela n’a pas empêché les plus grosses (jeunes) pointures du jazz de donner le meilleur d’elles-mêmes. Les annales du festival en retiendront trois. Le premier est le concert de jazz contemporain dont nous a gratifiés, vendredi 16 avril, Kyle Eastwood. Considéré comme l’un des plus grands contrebassistes et bassistes du moment, il n’a rien à envier à son père, Clint Eastwood, mythe vivant du 7e art. Si le cinéma lui doit des musiques de films de légende (celles de Million Dollar Baby, de Mystic River et de Gran Torino notamment), la salle, lui doit une véritable leçon de musique. Une musique où la précision du jeu n’avait d’égal que les cocktails réussis alliant jazz, funk et électro et des hommages aux grands du genre.
Crooner Ă la voix rock
Samedi, c’est son compatriote Peter Cincotti qui a pris le relais. Plus hétéroclite, le public a rencontré un auteur compositeur crooner à la voix rock, mais aux mélodies dignes des meilleures bandes originales des classiques californiens. Séduit par une belle interaction avec des spectateurs conquis, Cincotti, qui nous vient tout droit de New York, a littéralement transporté son audience vers une Amérique de la beauté et de l’élégance, tant de la voix, du phrasé que du jeu scénique. Peter Cincotti nous a aussi gratifiés du meilleur de son répertoire. Un répertoire que l’on traverse au gré des villes américaines les plus emblématiques et dont il a baptisé, nommément ou par allusions, nombre de ses chansons : Cinderella Beautiful en hommage à son New York natal ; Angel Town en référence à Los Angeles et son festif et nonchalant Bling Bling… mais aussi et surtout un Goodbye Philadelphia qu’il associe à un passé « où le monde était jeune et chaleureux » et dont il parle comme un amant torturé évoquerait une inaccessible bien-aimée. Un pur bonheur clôturé par une sortie de scène enjouée et… dansée, à travers une reprise captivante de Love is gone de David Guetta.
Prévu dimanche, Jason Mraz, star incontestée de la pop américaine, ne s’est produit que le lendemain. Nuage de cendres oblige... La foule n’en a été que plus nombreuse. Avec des titres au top des hits parades (Lucky, I’m Yours…), le frêle et éternel optimiste Mraz a mis le feu à une audience composée essentiellement d’adolescents. La voix du chanteur s’est mesurée, tout au long de la soirée, à celle d’un public qui reprenait en chœur ses refrains. Mais quel lien avec le jazz ? « La possibilité d’improviser dont je ne me prive pas », nous confie l’artiste au cours d’un entretien. Une liberté qui fait tout le succès de celui qui compose ses chansons « avec l’aide de mes fans sur Internet ». Résultat, une affluence dépassant toutes les attentes, y compris celles de l’organisation qui en aura vu de toutes les couleurs ce soir-là …
Tarik Qattab 
 
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BILLET: MĂ©pris(e)
Jason Mraz n’y est pour rien. Mais les organisateurs de Hil’Art Productions, pour beaucoup ! Les amateurs de jazz étaient disposés à pardonner l’acoustique exécrable d’un hangar inapte à tout concert. Ils ont en revanche peu apprécié – et c’est peu dire – d’être accueillis comme bétail à l’abattoir et abandonnés au bordel ambiant d’une désorganisation totale en termes de placements. Ainsi, après avoir été contraints de patienter, sans raison officielle, 45 minutes à l’extérieur, une fois à l’intérieur, surprise : plus d’emplacements réservés correspondant aux tarifs pourtant différenciés (de 300, 500 et 700 dirhams). Sans parler de l’absence de visibilité, loin derrière d’indésirables spectateurs juchés sur « leurs » chaises des premiers rangs ! Les organisateurs, qui avaient prudemment déserté la salle, semblaient s’en tenir à préserver la tranquillité du bar réservé aux VIP. Au lendemain d’un tel mépris pour qui s’était acquitté de plusieurs centaines de dirhams, Hakim Lahlou, gérant de Hil’Art Productions, n’avait plus qu’un mot à la bouche : « Je suis exténué !... » Qu’il sache que les spectateurs de Jason Mraz lui accordent sans réserve de très, très, très longues vacances. Pour ne plus subir l’inconséquence professionnelle d’un tel… spectacle. Y.B. |
Kyle Eastwood : Au nom du père
Un des meilleurs contrebassistes du moment revient dans cet entretien sur son amour pour le jazz et ses relations avec Clint.
Né dans la famille du cinéma, vous n’en avez pas moins choisi de faire carrière dans la musique. Qu’est-ce qui explique un tel choix ?
KYLE EASTWOOD. Là encore, c’est de famille. Le jazz est pratiquement la seule musique que mes parents écoutaient quand j’étais enfant. Le jazz était partout dans la maison, à tout moment de la journée et en toute occasion. Et là où un concert ou un festival de jazz avaient lieu, nous y étions. Le déclic s’est évidemment produit lorsque, très jeune, j’ai accompagné mes parents à une édition du Montreux jazz festival. Voir un nombre impressionnant d’artistes talentueux jouer aussi magistralement ne peut laisser personne indifférent. J’étais conquis à vie. A sept ou huit ans, j’avais déjà commencé à apprendre à jouer du piano ; et pour les besoins d’un film auquel j’ai participé aux côtés de mon père, je devais apprendre à jouer de la guitare. Mais mon grand amour fut la basse. Quelques années plus tard, je m’y suis mis tout seul en appliquant sur cet instrument ce que j’avais appris au piano. Tout est parti de là , par auto-apprentissage.
Pourquoi le jazz précisément ? A Los Angeles, où vous êtes né, ce n’est pas la grande tendance…
Je crois que c’est cette totale liberté qu’offre le jazz qui m’a attiré. Contrairement à tous les autres styles musicaux, le jazz vous offre cette chance de jouer de la manière que vous voulez. Et chaque jeu, chaque interprétation est unique puisque vous être libre d’ajouter ou de supprimer des notes en totale interaction avec ceux avec qui et pour qui vous jouez. Mon jeu préféré est d’ailleurs celui où je peux mixer plusieurs tendances et sonorités jazz, ce qui élargit d’autant la palette des libertés. C’est ce qu’on a d’ailleurs essayé de faire quand on s’est produit au Jazzablanca. C’est la première fois que je joue ici, bien que je sois un habitué du Maroc, de Casablanca et de Marrakech notamment, où je me suis rendu à plusieurs reprises en tant que touriste. J’ai cependant eu l’occasion d’apprécier la musique marocaine, notamment l’art des gnaouas.
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Vous n’avez jamais été tenté par l’idée de faire un film ?
Il fut un temps où, à l’image de mon père, je nourrissais le rêve de devenir réalisateur et de suivre ses traces. J’avais même entamé des études pour cela. Mais, passé un temps, je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. J’ai joué un tout petit rôle une fois pour le compte d’un ami réalisateur, il y a de cela deux ans. Mais cette aventure n’a pas duré plus d’une journée. Il faut dire qu’avec ma musique, je suis constamment occupé et je n’ai pas vraiment le temps de faire autre chose. Je suis certes impliqué dans le monde du cinéma, mais uniquement sur le registre des musiques de films.
Avec votre père, vous avez collaboré à un grand nombre de musiques de films, y compris de ceux qu’il a réalisés. Comment se passe votre collaboration ?
Nous entretenons de bonnes relations et sommes très proches. Nous arrivons à travailler ensemble et nous nous entendons bien à ce niveau. Cela, dans la mesure où nous nous partageons bien les rôles. La particularité de mon père est qu’il sait exactement ce qu’il veut faire et il a généralement une idée précise de ce qu’il faut entreprendre pour réussir tel ou tel projet. Pour le reste, il m’accorde une totale liberté de proposer des choses nouvelles. En cela, nous sommes complémentaires.
Comment vivez-vous la célébrité de votre père ?
Mon père est à l’évidence un grand nom du cinéma... ce qui peut faire de l’ombre à ceux qui l’entourent. En ce qui me concerne, j’ai fait mes choix et je me concentre sur la musique. Aujourd’hui, j’essaye autant que possible de ne pas profiter de sa célébrité pour arriver à mes fins.
Propos recueillis par Tarik Qattab 
 
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