Le ministre de la Culture s’essaye aux aphorismes. En voici un pour résumer son livre : Courage, fuyons !
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Quand on a un ministre dans son écurie, on a intérêt à rééditer ses œuvres. C’est ce que vient de faire La Croisée des Chemins en réimprimant Être en vie ! et autres fragments de Bensalem Himmich, l’écrivain devenu ministre de la Culture l’été dernier.
Ce livre est rempli pour l’essentiel d’aphorismes à la Cioran. Sauf que n’est pas Cioran qui veut et notre ministre est à mille et une annéeslumière du génial Roumain (qu’il n’apprécie d’ailleurs pas et traite même de fasciste !). Rassurons-le. Il est à Cioran ce que Marc Lévy est à Houellebecq, ce que Jean-Claude Van Damme est à Bruce Lee, ce que Stone et Charden sont aux Rolling Stones... Il rajoute des mots inutiles, boursoufle les textes de mauvaise graisse, pédantise à foison et s’épanche pour ne rien dire ou si peu.
La méthode Himmich, c’est la paraphrase du talent par la médiocrité. Vous prenez une citation géniale d’un génie : « La vie est une fable racontée par un idiot, pleine de bruits et de fureurs et qui ne signifie rien. » (Shakespeare, Macbeth, acte 5, scène 5). Vous en faites un texte quelconque avec plus de mots, moins de sens et des idées redondantes en veux-tu en voilà : « Jusqu’au dernier souffle, elle continuera à penser que sa vie est une énigme de mauvais goût, une farce absurde, sans queue ni tête, à laquelle seuls peuvent applaudir les fous et les demeurés. » Il ne plagie pas. Il s’inspire (mal) puis expire (du vide).
Ou pire. Ecoutez ça : deux références à Brel dans le même paragraphe. « Mes pages sont autant de récipients que je tends pour tenter de recueillir quelques perles enfouies dans mes pluies imaginaires. Quand je pense y réussir, je m’empresse de donner l’accolade au vent et d’envoyer de bons baisers aux étoiles. » Le Belge lui, « se mouchait dans les étoiles », ce qui a quand même une autre gueule qu’un « bon baiser » et offrait « des perles de pluies venues de pays où il ne pleut pas ».
Un art délicat et subtil
Hélas, l’homme qui croyait être écrivain a aussi ses propres muses qui lui soufflent des sentences variées le plus souvent sans aucun intérêt. « De la popularité, tout esprit profond doit faire son deuil », écrit-il se félicitant sans doute de ne pas être populaire.
L’aphorisme est un art délicat et subtil qui consiste à surprendre le lecteur avec une affirmation qui énonce une pensée le plus souvent paradoxale à rebours des lieux communs. Nietzsche : Ce qui ne me détruit pas me rend plus fort. Cioran : Toute pensée dérive d’une sensation contrariée. Coluche : L’argent ne fait pas le bonheur des pauvres. Himmich : « La vieillesse accomplie est celle qui se signe dans la montée en force des renoncements successifs et des replis définitifs, bref dans la recrudescence des cendres abrasives, jusqu’à ce que mort s’ensuive. »
Notre ministre pratique l’art d’enfoncer des portes ouvertes dans des phrases trop longues avec des mots superflus, des formules inappropriées « la vieillesse » « qui se signe », et des images poétiques bancales « la recrudescence des cendres abrasives ». Pourtant, Himmich maîtrise la langue, mais il en fait trop et veut jouer des partitions qu’il ne maîtrise pas. Lorsqu’il se cantonne à son rôle de conteur ou de mini-biographe dans quelques chapitres, il se laisse lire. Ses récits à l’orientale revisités ou ses portraits rapides de penseurs iconoclastes (Ibn Sab’în, Rhazès…) se savourent agréablement. Himmich sait mieux raconter qu’imiter. Il reste un honnête artisan. Dommage qu’il se prenne pour un artiste.
Eric Le Braz