Entretien avec Nabil Ayouch, réalisateur.
« Avec de vrais comédiens, je n’aurais jamais eu ce rendu »
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actuel : Vous avez tourné dans un bidonville. Comment avez-vous été accueilli ? Avez-vous rencontré des difficultés ?
Nabil Ayouch : Ce n’est pas la première fois que je fais ça. Mon film Ali Zaoua a été tourné en partie à Sidi Moumen. Je suis retourné là -bas par la suite et j’y ai travaillé pendant deux ans en collaboration avec des associations qui œuvrent pour la réinsertion des jeunes… C’était en 2008. Et j’avais aussi commencé l’écriture d’un scénario sur Sidi Moumen. Je l’ai arrêté pour me consacrer à l’adaptation du roman.
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C’est tout de même différent du contexte de Ali Zaoua. Les chevaux de Dieu est une mise à nu des habitants de ce quartier. C’est leur misère qui est projetée au premier plan. Quelles étaient les réactions, les appréhensions ?
J’ai commencé par la lecture du scénario dans le cadre de l’association. J’avais envie de leur raconter l’histoire que je voulais élaborer. Egalement, je leur ai expliqué mon point de vue, c’est-à -dire mon adaptation. Ça me semblait important de ne pas les trahir.
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Racontez-nous la rencontre avec Les étoiles de Sidi Moumen de Mahi BineBine ?
L’idée de départ était basée sur les attentats du 16-Mai. Mais pas seulement, comme vous avez pu vous en rendre compte. Ce qui m’intéressait, c'était de savoir comment des gamins pouvaient se transformer en bombes humaines.
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Certains disent que vous rendez ces terroristes presque humains. Qu’avez-vous envie de leur répondre ?
Ce ne sont pas des robots, ce sont des gamins qui habitent à quelques kilomètres à peine de Casablanca. Pour moi, la violence a un nom, un visage, une histoire. C’est plus facile de dire que ce sont des extrémistes sans essayer de comprendre. Bien sûr ce sont des extrémistes, mais ils ont aussi des parents, une famille. En racontant leur histoire, on n’essaie pas de minimiser ni d’excuser mais, en revanche, ça permet de les comprendre et forcément ça les rend humains. Est-ce qu'ils sont plus sympathiques pour autant ? Je ne le crois pas. Mais bien sûr, ce sont des humains.
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Vous avez tourné à Sidi Moumen ?
Sidi Moumen a trop changé, il y a des immeubles qui poussent par-ci, par-là … Nous avons tourné dans un bidonville à côté. Les habitants étaient partants parce que pour eux aussi, c’était important. Ils me disaient, de toute façon nous sommes stigmatisés depuis le jour de notre naissance. Les gens pensent qu’on est tous barbus ici. Je dirais que 95% de la population était pour ce film, les contre étaient vraiment minoritaires. Mais globalement la majorité l’a bien accueilli.
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Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec des comédiens non professionnels ?
Certains viennent de Sidi Moumen, pas tous. Mais certainement des bidonvilles. Aucun d’eux n’est professionnel. C’est un choix de réalisme. J’aurais pu prendre de vrais comédiens mais je n’aurais jamais eu ce rendu.
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Racontent-ils leur vécu ?
Oui, carrément. Le scénario était très écrit, nous sommes arrivés avec des rôles bien définis, une histoire bien construite. Ensuite, eux-mêmes sont arrivés avec leurs propres mots, leur vécu.
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Vous avez pris un gros risque. Etait-ce aisé de les diriger ?
L'approche est totalement différente. Ce n’est pas forcément plus difficile de fonctionner avec des non-professionnels, c’est différent. Moi, j’adore travailler comme ça. Mais avec les enfants, c’était très dur. Ça a représenté beaucoup de travail.
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Quel regard portent-ils sur ces attentats ?
Ils portent le même regard que l’ensemble des Marocains, ils ont été effarés par ces violences. D’autant que cela venait de leur quartier. D’où leur envie et leur rage de faire ce film.
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Jamal Belmahi a écrit le scénario. Quelqu'un d'autre y a-t-il participé ?
Mahi BineBine a eu l’intelligence de ne pas s'immiscer dans l’écriture du scénario. C’est Jamal Belmahi qui a adapté le roman. J’ai suivi de très près l’écriture.
Propos recueillis par Amira-GĂ©hanne Khalfallah
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