Pour la video night #3, à l’espace d’art contemporain Le Cube-independent art room à Rabat, l’artiste Younès Rahmoun déroule un linceul vers un univers allégorique, porté par des ondes éthérées et mystiques.
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Et si on appuyait sur pause, le temps d’admirer, de porter un regard sur des expérimentations, des rêves et des bouts d’histoires et de vies qui défilent ? Une idée que Le Cube a développée pour son projet « video night », voué à la promotion de l’art vidéo. Après le passage des vidéastes Régis Baudy et Diego Sarramon (1re édition), des artistes Younès Baba-Ali et Simohammed Fettaka (2e édition) qui ont présenté une sélection curatoriale d’art vidéo marocain, Younès Rahmoun a occupé les lieux, jeudi dernier, pour la 3e édition du projet.
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Un homme et des cieux
L’artiste a ainsi présenté une sélection de cinq vidéos qui ont ponctué sa carrière. Il en parle comme si elles étaient des bribes de son portrait, il en parle surtout avec une ferveur pudique et tempérée.Chez Younès Rahmoun, tout part de l’intérieur : une croyance, un sentiment ou un état d’âme. L’impalpable prend forme et se dessine dans ses œuvres. Il en a établi un code imprégné de simplicité, et développé un langage spirituel et organique qui lui permet de graviter autour de différents médiums d’expression, du dessin aux nouvelles technologies « mais pas la peinture » nous rappelle l’artiste. Younès Rahmoun se défait de toutes les exigences du monde matériel, il évolue dans une espèce d’espace platoniquement infini. Sa foi est inébranlable et il ne s’en cache pas, elle semble être indissociable de son processus de création. D’ailleurs tout ce qu’entreprend l’artiste est intimement lié à son être et à son environnement. C’est très simple, Younès Rahmoun prend le temps de considérer chaque « atome » qui l’entoure, il invite ainsi, à chaque fois, le public à faire un pas dans son intérieur.
On a tous (ou on cherche toujours) un jardin secret pour s’isoler, créer ou tout simplement se poser en tête à tête avec soi. Cet endroit, Younès l’a trouvé, c’est son labo, son atelier, son éden… la « Ghorfa » est une petite chambre sous les escaliers de sa maison familiale à Tétouan. Depuis 2005, il a fait de cet espace une obsession. Il ne cesse de le décliner, maquette échelle 1 pour Ghorfa #1, version mobile Ghorfa #5 ou encore version origami Ghorfa #6. Pour la version 8 (dernière en date, 2011), Younès a opté pour le support vidéo. Il a reproduit la ghorfa sur papier kraft. Malléable, tout en mouvement, on la voit pour la première fois d’en haut. « J’offre aux gens ma ghorfa comme ma mère me l’a offerte » confie l’artiste.
Réalisée en 2003, suite à une performance au centre culturel de Warande en Belgique, Wahîd (un, en arabe) marque la première expérience vidéo de l’artiste. Cette vidéo est la véritable métaphore d’un instant de supplication d’un être – l’artiste – à son Créateur. Visage dissimulé, seules ses mains ressortent de la noirceur de sa jellaba. Il reprend, durant 99 secondes, le gimmick (mécanique) de l’invocation de Dieu dans l’islam, en adjurant le mot wahîd, 99 fois. Tout est savamment travaillé, rien ne dépasse.
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Dialectique du chiffre
Très symboliques, les chiffres ne sont pas choisis au hasard. Ils occupent une place importante dans son travail, ils ont même intégré le langage de l’artiste. « Je travaille toujours sur les chiffres impairs, le un par exemple c’est Dieu, le 3 représente le rythme de l’existence des choses : le négatif/positif, le blanc/le noir, l’obscurité/la lumière… » et le 99 c’est le nombre d’attributs/noms de Dieu.
77 fleurs translucides, un cœur palpitant et un son assourdissant. C’est Zahra (fleur en arabe), un film d’animation que l’artiste a réalisé en 2008. Dans cette vidéo, on retrouve sa dialectique du chiffre. Le 77 fait référence aux degrés de la foi en islam. Durant 9 minutes, les fleurs – qui représentent l’amour et l’esprit selon l’artiste – apparaissent, épousent le point rouge (le cœur) puis disparaissent en silence. On reste dans la série organique mais on change complètement de rythme avec Badhra (graine en arabe) réalisée en 2007. La vie émane de cette graine. Une vie qui tourne au ralenti dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Ses racines blanches et vertes fissurées vont aussi à contresens, le tout enveloppé par une musique psyché-cosmique du Voice Electronic Duo. « La graine représente une expérience vivante et éphémère. Elle a une vie intérieure qui est en perpétuelle confrontation avec l’extérieur », précise l'artiste. De par son rythme lent et hypnotique et son intensité à fleur de peau, Badhra crée un chaos passif au niveau de l’évolution. La « video night », c’est un espace d’échanges et de sondage d’énergies. La projection n’est finalement qu’un prétexte.
Kaouthar Oudrhiri |