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NumĂ©risation : Nouvelle menace sur les salles de cinĂ©ma  
actuel n°166, jeudi 1 novembre 2012
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Le numérique, cette nouvelle technologie censée faciliter la distribution, est devenu paradoxalement une véritable menace pour la survie des salles de cinéma au Maroc. Mais que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui bloque cette transition malgré la mise en place d’un fonds dédié à la numérisation et à la rénovation des salles ? Enquête.

 

Le compte à rebours a commencé, ce sera définitivement fini au terme de l'année en cours. Non, ce n’est pas la fin du monde qu’on annonce, mais la disparition de la bande 35 millimètres. Eh oui, le temps des projectionnistes, des copies argentiques est définitivement révolu ! Le monde du numérique arrive à grands pas et nous prend de court. Le Maroc n’est toujours pas prêt à adopter cette nouvelle technologie. Face au tsunami numérique, l’Etat a mis en place un plan de sauvetage qui ne semble pas fonctionner. Un dispositif décrié à la fois par les exploitants des salles et les distributeurs.

 

46 Ă©crans dans tout le pays

Les difficultés des salles de cinéma sont criantes depuis plusieurs décennies déjà et on n’a pas attendu la crise pour le constater. Personne ne semble se rendre compte de la fragilité du secteur, ni s’inquiéter de la fermeture massive des petites salles. Aujourd’hui, on ne compte plus que 46 écrans dans tout le pays. C’est peu, très peu. Sur ce très peu, c’est le mastodonte Mégarama qui détient la plus grosse part avec 23 écrans ; les autres (c’est-à-dire les petites salles) ont du mal à tenir la tête hors de l’eau. Et voilà qu’une nouvelle menace arrive à grands pas. Une commission devant développer une réflexion sur la transition vers la numérisation a été nommée. « Aussi a-t-il été proposé de lister des critères clairement définis pour déterminer l'ordre de priorité en matière de numérisation », précise le Centre cinématographique marocain (CCM). Il a également été proposé une meilleure circulation des œuvres en confiant au CCM des fonctions de médiation entre exploitation et distribution d'une part, ainsi qu'au sein de la profession d'exploitation d'autre part. Un cahier des charges a vite été élaboré pour faire face au problème.

En fait, il s’agit de trois cahiers des charges qui concernent l'aide Ă  la production, l'organisation des festivals ainsi que l'aide Ă  la numĂ©risation et Ă  la transformation des salles.  Mais concentrons-nous sur cette dernière partie. Le Conseil de gouvernement avait adoptĂ© en juin dernier le projet d’un  dĂ©cret (N° 2-12-325) relatif Ă  la dĂ©finition des conditions et des procĂ©dures d'aide au cinĂ©ma de façon gĂ©nĂ©rale. Ce texte, qui vient en application des dispositions de l'article 24 de la loi de Finances 2012, stipule un appui du fonds de promotion du paysage audiovisuel national Ă  la production cinĂ©matographique, Ă  la numĂ©risation, Ă  la rĂ©novation et la crĂ©ation de salles de cinĂ©ma, et Ă  l'organisation de festivals de cinĂ©ma. Or on a du mal Ă  trouver un terrain d’entente mĂŞme si dix millions de dirhams ont Ă©tĂ© dĂ©bloquĂ©s pour les besoins de la cause : sept millions de dirhams du budget de l’Etat et trois millions de dirhams octroyĂ©s par le CCM. L’objectif Ă  atteindre est de numĂ©riser dix salles par an. Mais le temps passe vite et cette somme Ă  elle seule ne suffit pas Ă  rĂ©gler le problème. L’aide proposĂ©e engendre une cascade de frais et un coĂ»t sĂ©vère. L’équation est Ă©pineuse et difficile Ă  rĂ©soudre.

Les salles de cinéma résistent dans cet environnement hostile, mais jusqu’à quand ? Pour peu qu’on se penche sur le détail dudit cahier des charges, on voit bien que ce plan de sauvetage est déjà avorté, pris en étau par une restructuration impossible. Les exploitants des salles doivent s’acquitter de sept points qui présentent autant d’écueils à la mise en place de l’aide à la numérisation. Parmi les plus dissuasifs, le quitus fiscal. Aucune petite salle de cinéma au Maroc n’en possède. Un imbroglio financier qui scelle le sort des salles indépendantes. Les exploitants n’arrivant toujours pas à joindre les deux bouts, leurs salles croulent sous le poids des impôts.

 

Mais que se passe-t-il ?

Au commencement étaient les taxes parafiscales. « Elles étaient de l’ordre de 12,5%. Nous nous sommes battus pendant des années pour qu’elles soient revues à la baisse. Mais depuis le mois dernier, elles ont été supprimées et remplacées par une TVA à 20% », s’insurge, Hassan Belkadi exploitant de la très belle salle ABC ainsi que du Rif et du Ritz à Casablanca. Avec cette augmentation, une nouvelle menace plane sur les salles de cinéma. Se convertir au numérique est un véritable casse-tête. Les coûts de maintenance sont très élevés et proportionnels à la sophistication du matériel. A titre d’exemple, les salles doivent s’équiper en climatisation pour recevoir le nouveau matériel, « ce qui revient à peu près à 400 000 dirhams», éclaire l’exploitant. A cela, il faudrait rajouter une lourde facture d’électricité (à peu près 15 000 dirhams par mois). Le son dolby digital est également une des conditions à remplir afin de bénéficier de ce fonds. Coût de l’opération : entre 400 000 et 500 000 dirhams. Au final, « si nous devons répondre à tous les préalables des cahiers des charges pour numériser, il nous faudrait à peu près investir deux fois plus que l’aide attendue, qui s’élève à 700 000 dirhams », poursuit-il.

 

Des métiers menacés

Cette triste réalité et ce sentiment d’amertume sont largement partagés par les autres exploitants de salles, dont Hassan Belghiti. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il est l’héritier du mythique Rialto, véritable joyau architectural. Lorsqu’on entre au Rialto, c’est une page de l’histoire qui s’ouvre. Cesaria Evora y a chanté, et même la sublime Joséphine Baker s’y est produite dans les années 40, pour ne citer qu’elles. On y trouve de magnifiques loges, neuf au total, portant des noms mythiques, Marilyn Monroe, Greta Garbo… une immersion dans les années 50 !

Mais revenons au triste prĂ©sent. Le propriĂ©taire de la salle est Ă©galement le distributeur au Maroc de Spider-man, Asterix et ObĂ©lix, James Bond… et il est très fâché !  Si rien ne se fait très prochainement, le fournisseur de ces super hĂ©ros ne pourra plus faire circuler ces mĂ©ga-productions. « Je ne pourrais plus distribuer qu’au MĂ©garama et Ă  l’Imax. L’Etat doit faire quelque chose. D’ailleurs, il reste très peu de distributeurs de films au Maroc », s’indigne-t-il. Ce sont Ă  la fois deux corps de mĂ©tiers qui sont menacĂ©s si on ne trouve pas rapidement des solutions Ă  ce dilemme. Le Rialto, plombĂ© par la TVA, depuis le mois de mai dernier, Ă  l’instar des autres salles, Ă©touffe. « On avait acceptĂ© une TVA Ă  20% proposĂ©e pour les salles de cinĂ©ma avec la condition de nous offrir le numĂ©rique. Cette TVA est autant imposĂ©e aux distributeurs qu’aux exploitants, et rien n’a Ă©tĂ© offert. Moi, je pense que l’Etat ne fait pas du tout son travail. Le cinĂ©ma est son dernier souci. Et c’est dommage de nous tuer. Ils ne donnent de l’argent qu’à la production pour faire de mauvais films », s’insurge l’hĂ©ritier du Rialto. Autre dĂ©sĂ©quilibre qui affecte la distribution : la taxe de 10% retenue Ă  la source. « Lorsque j’achète un film Ă  20 000 euros, on me retient 2 000 euros plus les 20% de TVA. Ils veulent tuer le mĂ©tier, on ne sait plus quoi faire. L’Etat nous taxe au maximum », poursuit-il.

Pour essayer de régler ce dilemme, des assises ont été organisées du 16 au 18 octobre dernier. Les exploitants des salles ont demandé la baisse de la TVA. « En France, par exemple, elle varie entre 5% et 7%. Le bateau est en train de couler, on perd tous les ans entre 10 et 15 salles », s’indigne Belkadi.

Sous d’autres cieux, et plus précisément aux Etats-Unis et au Japon, des salles de cinéma s’équipent déjà en fauteuils mobiles et se préparent à recevoir la 4D. Les distributeurs ont ainsi annoncé que les films Tron : l’héritage et The Green Hornet, qui sortent d’ici la fin de l’année aux Etats-Unis, seraient distribués dans ce nouveau format dans les salles équipées. Mais chez nous, autant parler de cinquième dimension (5D) !

Amira-GĂ©hanne Khalfallah

Reportage photo Brahim Taougar

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