Entretien avec Madame Gwenaëlle Fellinger, conservateur adjoint du département des arts de l’Islam
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Actuel : Qu’est-ce qui distingue l’art islamique d’un art arabe païen ?
Gwenaëlle Fellinger : L’art islamique n’est pas l’art arabe. L’art islamique couvre une civilisation qui s’étend depuis l’Espagne jusqu’à l’Inde, du VIIe au XIXe siècle. Il inclut donc aussi des aires géographiques très importantes, comme l’Iran, l’Asie centrale ou le monde turc.
L’art islamique n’est pas un art défini par la religion. On distingue en français l’Islam, avec une majuscule, qui désigne la civilisation, et l’islam, avec une minuscule, qui désigne la religion. L’art dont nous parlons est l’art d’une civilisation, dans laquelle des chrétiens, des juifs, des zoroastriens, par exemple, ont aussi leur place.
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Les différentes périodes et les différents pays de l'Islam sont-ils tous représentés à travers la collection de ce département ?
Les différentes périodes de la civilisation islamique et les différentes zones géographiques sont toutes représentées. Les œuvres couvrent donc toutes les époques entre le VIIe et le XIXe siècle et proviennent de toutes les aires géographiques, depuis l’Espagne jusqu’à l’Inde.
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Quelle est la pièce la plus ancienne et quelles sont son origine et sa valeur ? Même question concernant la pièce la plus récente.
Il est difficile de répondre, car nous n’avons pas une pièce « la plus ancienne » et une pièce qui serait « la plus récente ». Les datations sont parfois difficiles à établir précisément, en particulier pour des objets archéologiques des périodes anciennes. Nous présentons plusieurs vitrines montrant des œuvres encore très influencées par l’antiquité tardive (la période précédant immédiatement l’essor de la civilisation islamique), comme des céramiques, des éléments de stucs, des métaux. On les date des VIIe-VIIIe siècle environ.
Concernant les pièces les plus récentes présentées dans les espaces, elles datent de la fin du XVIIIe siècle ou du tout début du XIXe siècle. Nous pouvons, par exemple, citer un grand moucharabieh de bois provenant d’Egypte, probablement du XVIIIe siècle, surmonté de vitraux de stuc également égyptiens. Nous présentons aussi, en alternance, notre collection de peintures sur papier d’époque qajare (Iran, XIXe siècle).
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Quelle est, à votre avis, la période la plus riche artistiquement de l'histoire des arts de l’Islam et par quoi se distingue-t-elle ? Un exemple d'une pièce que vous exposez ?
Toutes les périodes de l’art islamique sont particulièrement riches, certaines techniques ont tour à tour été plus mises en valeur que d’autres en fonction des époques.
La collection du Louvre, en revanche, possède quelques points forts, mais ils sont dus à l’histoire de la constitution des collections au XIXe siècle en France. Certaines productions ont alors été plus prisées par les collectionneurs ou les conservateurs et occupent aujourd’hui une place importante dans les collections. C’est le cas, par exemple, de la collection de métaux à décor incrusté provenant d’Egypte et de Syrie, entre le XIIIe et le XVe siècle.
La pièce la plus célèbre est un bassin, appelé « baptistère de Saint Louis », fabriqué probablement en Syrie dans la première moitié du XIVe siècle. Cette œuvre est remarquable non seulement par sa technique, son iconographie, mais aussi par le fait qu’elle est signée six fois de son auteur, ainsi que par son histoire. Ce bassin est, en effet, parvenu dès le Moyen Âge en Occident et a appartenu aux collections des rois de France.
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Quelle est à votre avis la pièce la plus emblématique de ce nouveau département ?
Le département est particulièrement connu pour quelques chefs-d’œuvre. Outre le baptistère de Saint Louis, déjà cité, nous pouvons évoquer l’aiguière en cristal de roche, d’origine égyptienne, datant des environs de l’an mille qui a appartenu au trésor de l’abbaye royale de Saint-Denis, mais aussi une pyxide en ivoire, au nom du prince al-Mughira, fabriquée en Espagne, probablement à Cordoue, en 968, ou encore une tête de prince, en stuc, provenant d’un palais iranien et datant du XIIIe siècle. La collection de tapis, datant essentiellement des XVIe-XVIIIe siècle et provenant d’Iran, d’Inde ou de Turquie, est également de première importance. Pour des raisons de conservation, les tapis sont présentés par roulement de six mois dans les nouveaux espaces.
Propos recueillis par
Amira-GĂ©hanne Khalfallah |