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3adnane 7aqoun, un crĂ©ateur presque artiste 
actuel n°160, jeudi 20 septembre 2012
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La vie, c’est surtout des moments brouillons, dit-on. 3adnane, lui, en réalise beaucoup, jusqu’à épuisement. Le « glandeur » n’hésite pas à faire des allers-retours entre Chefchaouen, Rabat et Casa, dans des autocars sans commodités. Portrait de l’auteur de l’expo « Glandeur et des cadences ».

 

Je ne verrai plus le 11 septembre de la même manière », statuait 3adnane 7aqoun sur sa page facebook le jour du vernissage de sa première expo. Un mélange d’enthousiasme et d’angoisse envahissait cet obsédé de la Toile au point de l’en éloigner, le temps d’une soirée. Lui, dont les commentaires sonnent généralement comme un pied de nez au suivisme ambiant, à la connerie humaine, à chaque minute, enrobant chaque fait, chaque événement de son humour acidulé, déclare à ses quelque deux cents amis souffrir d’hémorroïdes. L’épilepsie permanente dont font l’objet ses doigts longs et frêles sur le clavier s’est calmée, laissant libre cours au spectateur de construire une narration, de glaner un fil qui relie tous ces instants suspendus, captés par l’objectif de 3adnane. « Ports très », « Casa morning, Casa morne », « Cool heures locales », « Us et… », « Le Rif je kiffe »… Ses photos sont des albums de portraits d’enfants, de moins jeunes, des constructions vieilles comme Casa, des dédales bleus comme Chefchaouen, sa ville. Ses œuvres sont extraites du flot du temps qui passe, du quotidien banal qui glisse sous nos yeux. Elles ne sont rien d’autre que le résultat du regard qu’il porte tous les jours sur ce qui l’entoure, depuis qu’il ouvre les yeux. Son boîtier vole des instants de grâce, comme il lui arrive de les appeler, lorsqu’il arpente la ville, dans une frénésie maladive, à la recherche d’un sourire d’enfant, d’une rue, cette scène de théâtre où les personnages surgissent pour offrir leurs répliques et disparaître ensuite dans les coulisses… « Attention, ce n’est pas de l’art !, s’empresse de nous préciser 3adnane. Je ne suis pas photographe, j’essaie de prendre des photos. Tout compte fait, je ne suis qu’un imposteur et ce serait une insulte pour l’art que de me qualifier d’artiste. » Et pourquoi des images plutôt que des mots ? « Par pure paresse, rétorque-t-il. Je vous l’ai dit : je suis un glandeur ! »

Trois jours après le vernissage de « Glandeur et des cadences » et le lot de mondanités que l’événement a drainé, l’auteur des œuvres n’en revient toujours pas. Ce prof de français au lycée qui a abrité son adolescence aimerait n’écouter que ses censeurs. Mais il n’en est rien. Que des bons points pour ce supporter de l’Olympique de Lyon, la ville qui l’a vu naître. Rencontré dans un café à Casablanca, la surprise est de taille. 3adnane n’a rien à voir avec la pie jacasseuse de facebook. On pourrait croire à ce que l’on appelle « Le vide sidéral de l’après-coup ».

 

Le 11 septembre 2012

Finalement, ce jeune homme de 36 ans vient d’exposer pour la première fois, et il n’a pas reçu que la visite de novices avides de petits fours et de champagne. De surcroît, son événement a coïncidé avec la tuerie qui a eu lieu au consulat américain de Benghazi, en réaction au film amateur extrêmement médiocre sur la vie du prophète Mohammed. « Je n’ai réalisé que nous étions un 11 septembre que le soir, après le vernissage, en apprenant le massacre. C’est alors que je me suis mis à faire des recherches. J’ai découvert donc que cette date coïncidait également avec la découverte de l’île de Manhattan », s’épanche « Racidoukoum Ghayrkafi » (votre solde est insuffisant), le surnom qui a créé sa réputation sur le réseau. Un nom qui résonne comme un pamphlet contre toutes les frustrations du quotidien. « Moi qui n’ai qu’une carte prépayée, je ne pouvais pas choisir meilleur surnom », ajoute l’aspirant à la triple recharge. Autant de coïncidences, c’en est trop pour le grognard qui pousse des coups de gueule à l’envi !

 

Un Chaouni rompu à l’universalisme

La cape endossĂ©e par le prof sur la Toile n’étant pas lĂ  pour le protĂ©ger, c’est une personne au visage juvĂ©nile et au regard timide que l’on retrouve. Son accent « chamali » qu’il tente de dissimuler en parlant français trahit une amabilitĂ© exquise, presque naĂŻve, une bienveillance dont seuls les gens harponnĂ©s aux vieilles valeurs sont encore capables. « Nous avons dĂ» retourner au bled ma sĹ“ur et moi en 1983. Notre banlieue Ă©tant la première Ă  s’être enflammĂ©e en France, mon père avait eu peur pour nous. Il nous a envoyĂ©s vivre dans la grande maison de ma grand-mère, avec mes cousins et mon oncle. Mes parents nous ont rejoints plus tard. Mon père Ă©tant lui-mĂŞme complexĂ© de n’avoir pas pu terminer son cursus, Ă  cause de la conversion du système Ă©ducatif de l’espagnol au français, vous imaginez Ă  quel point c’était important pour lui que l’on poursuive nos Ă©tudes ! », martèle 3adnane. Bac S en poche, il s’inscrit quand mĂŞme en fac de lettres Ă  Martil, histoire de revenir Ă  ses premières amours, mais aussi par pure paresse, insiste-t-il. Puis, c’est le chemin de l’Hexagone qui le tente. Il s’inscrit donc Ă  l’Ecole nationale des sciences de l’information et des bibliothèques  de Villeurbanne. En rentrant au Maroc, il se voit confier l’amĂ©nagement de la mĂ©diathèque de la maison de la culture de sa ville d’origine. Puis, devient prof. « Depuis toujours, je rĂŞvais d’être soit prof, soit bibliothĂ©caire. Je souhaiterais que les jeunes apprennent Ă  avoir leur propre vision de la vie, Ă  se dĂ©faire des a priori et des idĂ©es reçues pour penser par eux-mĂŞmes », conclut l’enseignant qui s’adonne rageusement Ă  la photo depuis deux annĂ©es.

Asmaa Chaidi Bahraoui

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