Une vague créative et engagée de jeunes artistes marocains et d’ailleurs déferle jusqu'au 27 octobre sur la galerie de l’Institut français du Maroc à Rabat, dans le cadre de «Proposition pour un laboratoire des pratiques artistiques et curatoriales».
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A croire que le monde sclérosé de l’art contemporain marocain commence à se réanimer grâce aux actions audacieuses – pas toujours abouties – d’une nouvelle génération d’artistes qui a du cran. Le projet «Proposition pour un laboratoire des pratiques artistiques et curatoriales» (Plpac), initié par les artistes Younes Baba-Ali et Mohamed Fettaka, s’inscrit dans la même veine. «Plpac est née de l’urgence de créer et de questionner les méthodologies curatoriales et les pratiques artistiques dans le contexte du Maroc», expliquent les deux artistes. Durant un mois et demi, treize artistes ont décortiqué la notion de l’espace public lors de microrésidences ponctuées de performances. La galerie d’exposition de l’Institut français du Maroc à Rabat a été complètement chamboulée : un mur brûlé, un sol jonché d’un cocktail de sang, papiers d'identité et de viande fraîche et une explosion scénique.
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DĂ©ambulation Ă©clectique
Avec des créations pluridisciplinaires, un ton railleur et un tempo saccadé, Plpac esquisse les contours d’une exposition candide et in progress. A l’entrée de l’IF, trône une parabole avec la carte du monde imprimée sur sa surface. Au sens figuré comme au sens propre, cette parabole, signée Saïd Rais, donne à réfléchir sur l’impact des flux d’images et d’infos qui nous envahissent chaque jour dans l’espace public comme dans l'espace privé.
Un étage plus haut, nous y sommes. Posant fièrement, un détendeur à la bouche, devant un symbole de pseudo-démocratie (le Parlement), Amine El Gotaibi ( photo 1) se transforme, le temps d’un cliché, en bombe (intellectuelle) prête à détoner. Cette photo traduit en un acte visible le ressenti de l’artiste face à une société qui, selon lui, « nous pousse à ne faire qu’une seule chose à la fois, et donc à ne pas voir ce qui se trame autour de nous ».
A l’aide d’un chalumeau relié à la photo, un message incendiaire a été inscrit : «La prédation ne croit pas à la mort !» Dans le même ton, «Faites de beaux rêves» de Mohamed Arejdal (photo 3) braque les projecteurs sur des oubliés : des soldats marocains emprisonnés et torturés pendant près de trente ans dans les geôles de Tindouf, et qui se retrouvent aujourd’hui seuls face à l’indifférence générale. Ces anciens militaires campent en effet depuis plus de quatre mois devant le Parlement à Rabat. L’artiste a reproduit à l’identique une pièce composée de plusieurs photos de ces soldats handicapés, mutilés et brisés. Dans son installation Metamorphosis of the linguist # 2, Said Affifi (photo 4) table sur la désacralisation et l’interaction. Le public est invité à jouer sur les mots, ceux de Nietzche, dans Humain trop humain, plus exactement. « L’objectif de l’intervention est de faire en sorte que la réflexion nietzschéenne perde son sens pour se reconstruire dans une dimension purement absurde ». Le point d’interrogation de l’exposition revient à Aziz Harraki qui, dans un tour de passe-passe, a collé des affiches en papier A4, des logos détournés. L’idée derrière sa création est assez ambiguë...
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La carroussa de tous les délires
Suivant le même concept de la charrette qui diffuse à tue-tête des chants religieux dans les rues, Younes Baba-Ali a imaginé une carroussa sonore expérimentale (photo 6). Du spoken word, des paysages sonores ou de l’art radiophonique, l’artiste a sélectionné, suite à un appel à candidatures international, seize créations sonores burlesques et bizarroïdes. A l’image de l’œuvre de l’artiste tangérois Simohammed Fettaka qui a capturé le travelling sonore d’un sac plastique dans la ville. Etonnant ! Avec un son beat, l’artiste italienne Anna Raimondo propose un battle d’obscénités, darija versus hébreu, le tout enveloppé d’un bip (qui ne masque que partiellement cet affront) «pour s’adapter à l’ordre public», explique l’artiste. Le son hilare de Giancarlo Norese, autre artiste italien, a conquis le public. On se croirait dans une jungle bolivienne mais en réalité il s’agit de ronflements d’un anonyme.
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Ping-pong à l’aspirine et cocktail identitaire
Les danseurs Younès et Zouhir Atbane ainsi que Aziz Nadif (photo 2) se sont inspirés du travail comme concept en mutation, pour une création chorégraphique très théâtrale. Ça fusait de partout, séance de ping-pong avec des cachés d’aspirine, danseur emmailloté dans de la fibre de verre, joutes absurdes...
Autre univers, autre ambiance, la performance Moul-I-Next s’érige en manifeste contre le fichage. Youssef Ouchra a tenté de reproduire, à sa manière, le processus de création de l’identité d’un individu (photo 5). Photos, certificat de résidence, acte de naissance, etc. Toute la paperasse a été mixée avec un liquide rouge et de la viande (c’était un peu too much). Par mégarde, le cocktail sanguinaire s’est retrouvé par terre. L’artiste a très vite repris les choses en main : «ça fait partie du jeu !», lance-t-il.
Dans la fournaise Plpac, un autre projet a vu le jour. Simohammed Fettaka et Younès Baba-Ali proposent une sélection d’art vidéo made in Morocco pour la plateforme internationale DVD Project. Avec, entre autres, Mehdi Georges Lahlou, Rihab Kinda ou Omar Mahfoudi. Bref tout un programme, à découvrir avant la fin octobre.
Kaouthar Oudrhiri
Les artistes : Said Afifi, Mohamed Arejdal, Younès Atbane, Zouheir Atbane, Younès Baba-Ali, Amine El Gotaibi, Mohamed Fariji, Simohammed Fettaka, Aziz Harraki, Mohamed Laouli, Aziz Nadif, Youssef Ouchra, Anna Raimondo et Said Rais. |