Alors qu'elle inaugure sa quatrième saison, la série La Brigade de Adil Fadili marque son ancrage dans le paysage audiovisuel marocain. Une série moderne portée par un public fidèle.
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Chaque mercredi sur Al Aoula, la série policière La Brigade est diffusée à 22h15. Un long générique défile, un casting de choix où des noms connus côtoient une nouvelle génération très prometteuse. On y retrouve Aziz Fadili, Driss Roukh, Khalid Benchegra, à côté de Mouhsine Malzi, Sara Tekaya ou Mostafa El Houari. Au bout du générique, le nom du réalisateur : Adil Fadili. Comme si cela était nécessaire ! A sa quatrième saison, la série n’a plus besoin d’être présentée et encore moins son réalisateur. Dans la rue, on entend dire « La Brigade de Adil Fadili » comme une empreinte déjà bien établie. Pour mesurer le succès d’un programme, la seule jauge reste la rue. Les conversations animées dans les taxis casablancais, les discussions passionnées sur le personnage du flic ripoux, attendrissant ou maudit, en disent long sur l’intérêt que portent les Marocains à leurs héros. Pour Adil Fadili, il s’agit plutôt d'« antihéros ». Atmosphère délétère, scènes filmées caméra à l’épaule, mouvements déstabilisants, rapides, des enquêtes qui piétinent, des gros plans inquiétants, des corps qui transpirent, des images réfrigérantes... et en écho, des scènes de grande tendresse ! Les intrigues de La Brigade sont taillées au burin, on y croit. On est pourtant dans la pure fiction. « Il faut savoir séduire le spectateur avec une mise en scène un peu rythmée, un peu stylée, une lumière soignée. On voit un flic au ralenti avec une musique urbaine… c’est du style. Il y en a qui préfèrent le brut mais ce n’est pas mon travail. Moi, je fais de la pure fiction. Je reste toujours dans le spectacle. Je reste dans le message et c’est une façon pour moi de raconter des histoires », explique le réalisateur. Le style de Adil Fadili est posé, bel et bien installé.
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Flashback
Depuis 2005, date du début de la diffusion de La Brigade, la série a fait dans le minimalisme, donnant un maximum d’effets avec très peu de moyens. « J’ai créé mon propre commissariat dans les studios de Aïn Chok. La série gagne ainsi en crédibilité », se réjouit le réalisateur qui a dû attendre sept ans avant d’avoir un studio digne de ce nom. Petit à petit, La Brigade s’est fait une place et même au-delà . La série est arrivée à façonner le paysage audiovisuel marocain. Une série 100% marocaine, qui nous éloigne des personnages naïfs et manichéens auxquels on nous a habitués. « Je travaille avec très peu de moyens. C’était un jeu, c’est devenu une passion, et ça s’est transformé en profession », s’amuse-t-il à dire. Mais pour Adil Fadili, c’est un vrai jeu d’enfant. Et pour le comprendre, on a besoin de retourner quelques années en arrière.
Le fils du célèbre Aziz Fadili a grandi dans un théâtre, et lorsqu’on grandit dans un théâtre, on refuse tout simplement de grandir ! Happé par le monde du spectacle, très vite rattrapé par le cinéma, il a pris tout ce qu’il a trouvé sur son chemin pour réaliser ses rêves. L’enfance se déroule entre marionnettes, planches et lumières. « Nous faisions des courts métrages entre nous à la maison », se souvient-il. Eh oui, à chacun ses jouets ! A 19 ans, il a fallu qu’il arrête de jouer, du moins, comme il le faisait. Et le voilà inscrit au Conservatoire libre du cinéma français où il apprend à manier les armes !
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Entre le burlesque et le drame
Passionné par l’image mais aussi par les personnages, Adil Fadili a décidé de nous raconter la complexité des sentiments, leurs contradictions à travers son regard d’adulte, parfois ses incompréhensions d’enfant. Il joue avec le burlesque et le drame à la fois. La mort n’est jamais loin ! C’est d’ailleurs tout cela qu’on retrouve dans son premier court métrage, Courte vie, qui semble déjà prêt à une longue vie ! La preuve ? Fadili lui-même a du mal à se souvenir de tous les prix que ce court métrage a reçus depuis sa sortie en 2010. Pour ce passionné de l’image, ce n’est pas ce qui importe. L’important, c’est les profils psychologiques, les angoisses et les faiblesses des hommes. Fiévreusement engagé dans ce qu’il fait, Adil Fadili a choisi d’être son propre producteur pour avoir le moins de contraintes possibles. Une rencontre avec Fadili est multiple. On y voit un homme chargé de plusieurs destins. On parle alors argent avec Adil le producteur, des plans et de la dramaturgie avec Adil le monteur, de la mise en scène avec le réalisateur… tour à tour, il change de casquette avec une grande aisance. Les mots du producteur ne sont pas ceux du réalisateur. Chacun tenant son rôle solennellement. Mais ils ont pour point commun, la passion.
Il est 22h15, La Brigade commence, on regarde ensemble un bout de la série. Un autre Adil apparaît. Son regard change, il devient grave, il se concentre. Il est attentif à chaque geste, chaque image. Je veux qu’il me commente les scènes, mais il est déjà parti dans son trip…
En interlude, Adil Fadili nous prépare un long métrage. « Très noir avec plein de couleurs. J’aime le côté burlesque des choses. Ce qui m’intéresse, c’est les gens. C’est eux qui font l’histoire. Je n’aborde pas mes films par thématique. Pour moi, comme dit Coluche, "C’est l’histoire d’un mec". J’essaye de comprendre la nature humaine. Et c’est à partir de là qu’on peut raconter plein de choses. » Loin des courses poursuites, Adil Fadili poursuit ses idéaux. Questionne sans répondre. On se laisse facilement bercer par son univers. Dans quelques jours, le réalisateur reprendra sa caméra, ses lumières, son staff pour filmer de nouveaux épisodes de La Brigade… La routine quoi !
Amira GĂ©hanne Khalfallah |