Une folle énergie et un vent tout aussi fou. Crotales et guembri ont fait vibrer Essaouira au rythme des musiques africaines, cubaines, américaines...
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Le festival Gnaoua a fêté cette année, du 21 au 24 juin, ses quinze ans d’existence. Quinze ans, c’est l’âge de raison entend-on dire ici et là . Mais au risque de décevoir tout le monde, on voit bien, encore une fois, que la passion l’emporte sur la raison. La passion d’une équipe, celle d’A3 Communication qui se bat tous les ans pour boucler son budget.
Une programmation précieuse, très recherchée avec les mélanges les plus improbables ! Les musiques fusent et se répondent à Essaouira. Le bastion, magnifique bâtisse du IXe  siècle, rénovée en 2011, a accueilli les issaoua de Meknès qui se sont mêlés aux qawwalî pakistanais. Fareed Ayaz et Abu Muhammed ont enflammé le Borj. La fusion des issaoua et de la musique soufie s’entendait de loin. Le temps s’arrêtait, on écoutait, figé. Même plus besoin d’aller sur place !
Ce n’est pas la première fois que le festival tente le qawwalî et les issaoua, le souvenir du passage de Fayez Ali Fayez est encore vif, toujours émouvant.
Encore une fois, le festival gnaoua a fait le choix de la résonance, résonance des musiques, africaines, orientales, certes avec moins de têtes d’affiche que l’année dernière, mais le festival creuse davantage dans l’underground et ose l’exploration, la surprise. Chose que l’on a pu vérifier autant sur les grandes scènes que lors des concerts intimistes. La résidence artistique, qui a regroupé mâalem Bdelakbir Marchane et les Querencia (New York et Cuba), en est une démonstration. Le concert, moment béni survolé par les goélands insomniaques, avait de quoi convaincre les esprits les plus réfractaires à la musique. On retiendra également la virtuosité du guitariste Sylvain Luc, le doigté du pianiste allemand Joachim Kühn et la voix incomparable d’Oumou Sangaré.
On se promène à Essaouira, d’une scène à une autre, avec toutes ces sonorités plein la tête. On veut tout voir, on suit le vent qui emporte quelques notes. Sans réfléchir, sans l’avoir choisi, on est emporté par une extase collective.
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Le retour du forum
Le festival soigne autant sa programmation que les âmes et les corps. Plus que jamais, les organisateurs ont défendu leur engagement, ont affirmé leur différence. Neïla Tazi, directrice et productrice du festival, a instauré un nouveau rendez-vous ou plutôt a renoué avec un ancien, le forum du festival. Une plateforme, un lieu de rencontre où l’on a vu et entendu des intervenants venus d’horizons divers mais rassemblés autour de la même thématique : « Sociétés en mouvement, cultures en liberté ». Chacun en est sorti avec une phrase à méditer. Certaines discussions se sont prolongées en dehors de la salle de conférence. Mais au-delà du débat, on retiendra l’émotion et les larmes de Latéfa Ahrrare racontant ses derniers déboires.
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L’histoire des mots
Le festival gnaoua n’est pas seulement de la musique à écouter, c’est aussi de la musique à comprendre. L’arbre à palabres, ce rendez-vous annuel, inépuisable, nous a dévoilé quelques belles histoires, ou plutôt l’histoire des mots, leur racine africaine. La rencontre très attendue avec le mâalem Abdallah Akherraz était particulièrement enrichissante. Nombreux sont ceux qui sont venus l’écouter chanter et parler aussi. Le gnaoui répondait en arabe, parfois en français mais dès que les mots lui manquaient, il dégainait son guembri pour une démonstration. « Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes chez les gnaoua ? », s’insurge une femme du public. « Je vous invite à une lila, Madame, répond le gnaoui, vous y verrez le rôle de la femme », poursuit-il en souriant.
Quinze ans de Gnaoua, c’est aussi quinze ans à écouter les mêmes chansons disent certains. Le répertoire est connu, immuable, à quoi ça sert de le réécouter tous les ans ? « Pourquoi n’écrit-on pas de nouvelles chansons ? Pourquoi ne pas introduire de nouveaux textes ? », demande un jeune rasta. La réponse du gnaoui est sans appel, sans équivoque : « C’est le majdoub qui décide. » En effet, on oublie souvent qu’il n’y a pas de place pour la raison là où il y a la magie ! « Le gnaoui est dépositaire d’un legs », poursuit l’artiste. Il est vrai qu’on ne réinvente pas la transe…
Au festival d’Essaouira, on a développé le goût des voyages, on repart à contrecœur mais toujours avec une promesse de retour.
Amira-GĂ©hanne Khalfallah Photos Brahim Taougar
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Trois questions à ... Karim Ziad, directeur artistique du festival d’Essaouira Gnaoua et musiques du monde
Directeur artistique du festival d’Essaouira, le musicien et célèbre batteur algérien Karim Ziad répond aux questions d’actuel.
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actuel. La programmation de cette année contient moins de jazz. C’est intentionnel ?
Karim Ziad. Effectivement, cette année il y a beaucoup de fusions africaines. L’ouverture s’est faite avec des groupes venus d’Afrique, un mélange de musiciens du Burkina, du Mali, du Sénégal, qui ont fait une résidence avec les musiciens gnaoua. On peut appeler ça une résidence « africano-africaine ». Et, hier, il y a eu la fusion entre Oumou Sangaré et le maâlem Mustapha Baqbou. C’est vrai qu’on a peut-être, sans le vouloir, favorisé les fusions africano-africaines.
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Même constat pour la danse, pourquoi y en a-t-il eu si peu cette année ?
Cette année, la danse n’a été représentée que lors de la soirée d’ouverture. Il y a deux ans, Step Africa, un groupe venu des Etats-Unis, avait fait une fusion de danse avec les gnaoua. Et juste avant, on avait reçu Georgia, le ballet de Géorgie. L’année dernière a été marquée par l’introduction du breakdance. Et cette année, on a eu un petit coup de mou par rapport à la danse. Je voulais inviter Sofia Boutella, c’est elle qui représente Nike dans le monde et qui danse avec Madonna… et c’est elle qui va danser sur le prochain clip (posthume, ndlr) de Michael Jackson. C’est la fille d’un de mes grands amis, un musicien algérien, Safy Boutella. Je voulais l’inviter cette année, mais je pense que l’année prochaine sera plus appropriée pour faire quelque chose de bien.
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Des idées pour la suite ?
Il y a toujours à faire. La musique n’arrête pas d’évoluer et on évolue avec elle. On va essayer d’inventer, comme toujours, ces nouvelles couleurs, ces nouvelles directions et, en l’occurrence, pour l’année prochaine on a encore un peu de temps pour réfléchir. Je pense que les années à venir seront plutôt jazz. On essaie d’inviter des gens comme Chick Corea, Marcus Miller…
Propos recueillis par Nicolas Salvi |
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