Il était une fois un passionné de l’image dont les frères Lumière ont fait leur opérateur ... La suite dans une visite guidée en compagnie de quelques lycéens.

 

Mardi 5 juin, 15h. Nous sommes dans une villa des années 40 située au cœur d’un Casablanca tout droit sorti des clichés de l’époque Art-déco. A quelques encablures de l’ancienne cathédrale du Sacré-Cœur, en face de la rue Veyre, le musée Abderrahmane Slaoui vient d’ouvrir ses portes. Signée par un amoureux de notre pays qui porte justement le nom de la rue adjacente, l’exposition Dans l’intimité du Maroc présente les rapports entretenus par Gabriel Veyre avec le pays du soleil couchant. Pour l’inauguration de ce deuxième musée de la métropole, ce choix est loin d’être anodin. Il ne pouvait que se porter sur le travail de ce grand photographe, dessinateur et cinématographe, un peu comme pour le ressusciter, lui qui a choisi de mourir dans une villa qui aurait pu être celle où l’on se trouve actuellement. D’ailleurs, c’est la cathédrale du Sacré-Cœur qui a accueilli ses funérailles en 1936.

 

12, rue du Parc

En ce mardi après-midi, Leila Lansari, médiatrice culturelle, attend une classe d’une vingtaine de lycéens de l’école Jeanne d’Arc. Mais avant cela, deux jeunes filles nous accompagnent dans notre visite. Elles ont pris connaissance de l’existence du musée via une parente qui y travaille, les établissements publics dans lesquels elles font leurs études ne leur proposant pas de sorties de ce genre.  Toutes deux sont passionnées de photo. C’est plutôt l’étage qui expose les clichés pris par Gabriel Veyre durant son tour du bled qui les a interpellées. « C’est la première fois que je visite un musée et je suis fascinée. Découvrir que la 3D existait chez nous il y a bien plus longtemps que je ne le croyais me laisse perplexe. Rien que pour cela, je ne regrette pas d’être venue ! Ce monsieur, engagé par le sultan Moulay Abdelaziz pour lui enseigner la photographie, est juste un génie. Il a écrit notre histoire avec des négatifs. J’aimerais voir fleurir d’autres musées dédiés à la photo », martèle Yasmine, 17 ans.

Le petit-fils de Gabriel Veyre sur le dos de sa nounou marocaine, la tribu Veyre habillée en costumes beldis marocains, une journée de villégiature dans un Dar Bouazza méconnaissable tellement sa végétation était luxuriante, des femmes berbères tatouées, des oasis denses, des femmes juives et musulmanes discutant pendant qu’elles lavent leur linge dans un oued, des remparts protégeant des villes impériales… Et puis, aussi, les femmes et les matrones du sultan Abdelaziz. Ces photos ont été bien entendu prises par le sultan lui-même, rares étant les personnes ayant accès  au harem. « Les vrais clichés de cette collection impressionnante sont actuellement en France. Le petit-fils de ce grand photographe (qui était aussi un correspondant du journal L’illustration) est tombé dessus par hasard. Une reproduction en a été faite pour l’exposer au musée », nous apprend Leila.

« La télé n’est apparue au Maroc que dans les années 60 et elle était en noir et blanc. Quant au film de Gabriel Veyre, il a été tourné entre 1934 et 1935… en couleur !», affirme Leila Lansari à la vingtaine de lycéens de Jeanne d’Arc. Certains s’étonnent, d’autres posent des questions à leurs voisins, quelques-uns ignorent les propos de la médiatrice… « Les cigognes et leurs petits », « Porteuses d’eau », « Visite de Sa Majesté le Sultan à Tétouan », « La poussière du Maroc »… sont les titres de certains chapitres du film documentaire muet projeté au rez-de-chaussée de la bâtisse. « Cette espèce de documentaire est dénuée de texte car les caméras de l’époque n’avaient pas de son. C’est pourquoi les scènes sont ponctuées de titres », poursuit Leila.

 

Le Maroc de Moui Lalla

Non pas que l’histoire de nos ancêtres vue par un Français ne les intéresse pas, « bien au contraire, c’est beau d’apprendre comment vivaient les Marocains au début du XXe siècle », estime Oussama, 15 ans. Il ajoute : « C’est incroyable de voir à quel point nous nous sommes modernisés en quelques années ! » Certains de ses camarades ne partagent pas l’ébahissement du garçon. En regardant l’orchestre royal accueillant le sultan Moulay Abdelaziz dans un accoutrement à mi-chemin entre l’uniforme militaire indien et celui de l’armée anglaise du XIXe siècle, toute la classe pouffe de rire. De plus, tous les musiciens sont noirs ; ce qui ne laisse pas les élèves indifférents. « On s’ interroge sur les fonctions qui étaient attribuées à l’époque à ces Marocains… », dit Malak, 16 ans. Au vu de gamins nus essayant de plonger du haut d’une mini-falaise, certains ne se sont pas empêchés d’éclater de rire malgré les tentatives de rappel à l’ordre de leur accompagnateur. « Attention, ces gens-là pourraient être vos grands-parents ! », martèle Leila qui a visiblement du mal avec ces ados.

 

Abderrahmane Slaoui vs Morocco Mall

La visite se poursuit au gré des étages et les trésors qu’ils contiennent. Les escaliers peuvent se targuer d’avoir stupéfait la classe de première année secondaire du mythique lycée casablancais. Des affiches représentant des danseuses de flamenco et portant des noms tels que « L’Andalousie au temps des Maures », attirent l’attention de quelques élèves. Mais pas besoin de s’y arrêter pour leur expliquer que « Maures » était le nom que nous donnait l’Occident à l’époque. Ces ados connaissent bien ce pan de notre histoire. Une séance de visionnage dans une machine énorme, ancêtre de l’appareil photo, intéresse toute la classe. Il ne reste plus à Leila qu’à préciser que cet homme, sur une photo qui occupe tout le mur de la terrasse du dernier étage du musée, allongé en tenue de sultan, jouissait d’une réputation controversée. D’aucuns avançaient qu’il était un espion des colons… Une chose est certaine, nous devons à Gabriel Veyre l’introduction de l’électricité et de la première voiture au Maroc. Il s’agissait d’une Ford, présente sur les photos également.

« Les autres recoins du musée nous présentent les toiles du premier peintre figuratif marocain : Ben R’bati, ainsi que toute la collection de bijoux, des boîtes en cristal et des objets rares et précieux rassemblés par feu Slaoui », conclut Leila. Les adolescents repartent avec des étoiles plein les yeux, mais avant, nous confient que cette visite vaut quand même une balade au Morocco Mall ! Et en plus, ils s’en souviendront toute leur vie.

Asmaa Chaidi Bahraoui