Le Maroc est représenté pour la première fois à la Biennale de la photographie d’Amsterdam. Les cinq artistes sélectionnés commentent leurs œuvres.
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Saâd Tazi, Khalil Nemmaoui, Leila Alaoui, Houda Kabbaj et Zineb Andress Arraki ont des personnalités très différentes mais pour tous, la ville reste une source d’inspiration. J’ai trouvé intéressant de les regrouper pour témoigner de leurs différentes perceptions des paysages urbains, notre imaginaire collectif. » C’est ainsi que Alya Sebti, commissaire de l’exposition, introduit les cinq photographes marocains sur lesquels elle a jeté son dévolu afin de représenter le Maroc pour la première fois lors de la Biennale de la photographie d’Amsterdam. A l’heure où Zineb Andress Arraki s’investit totalement dans son espace et plonge dans ses entrailles industrielles, Saâd Tazi s’évertue à découvrir les infimes détails invisibles à notre œil souvent pressé, pour y dénicher des « territoires imaginaires ». Jusqu’au 1er juin, nos artistes illustreront le pavillon marocain de lectures individualisées mais complémentaires de ce qu’est l’urbanité.
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Zineb Andress Arraki
L’obscurité illumine les contradictions
« Il s’agit de huit triptyques de photographies sélectionnées dans différents albums Mobilogy – Questioning the usual.
Ces œuvres questionnent Paris, Essaouira, Casablanca de Ain Sebaâ à Bouskoura, et témoignent de l’imaginaire de la ville. Et si le noir pouvait redéfinir l’architecture ? Cette proposition paradoxale a été le leitmotiv de mon travail. Il s’agit aussi d’une tentative de compréhension du monde à travers la complexité de l’humanité face à la nature et la société. En d’autres termes, j’ai souhaité démontrer que l’obscurité illumine les contradictions de notre existence. J’ai voulu mettre en exergue la lutte constante entre les opposés en tant qu’outil pour se comprendre entre eux. »
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Saâd Tazi
Rongé par la rouille du temps et l’indifférence
« L’espace urbain obéit à des règles garantissant à chacun sa place. Dans cette jungle, des signes cabalistiques ornent des formes métalliques et s’adressent dans un langage quasi universel à tous ceux qui visent à partager cet espace. Ici, ce panneau à l’envers, à l’image du monde dans lequel nous évoluons, rongé par la rouille du temps et l’indifférence des gens, se laisse lentement glisser vers le sol. Pourtant dans sa chute, il nous interpelle et garde une beauté particulière, comme pour se rappeler à notre conscience et nous inviter à nous arrêter quelques courts instants pour le remettre d’aplomb ; c’est-à -dire à nous remettre nous-mêmes dans la bonne direction en nous faisant réfléchir sur le sens de nos gestes et de notre vie. »
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Leila Alaoui
Le point de vue des migrants
« Crossings (traversées) est une nouvelle série de photographies abstraites imprimées sur toile. C’est un travail sur la migration clandestine, qui évoque symboliquement les différents obstacles que les clandestins subsahariens doivent traverser avant d’atteindre l’Europe : la mer, la forêt, le désert, le mur... En les photographiant, j’ai aussi essayé de me mettre du point de vue des migrants. »
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Houda Kabbaj
Dans le squat du quartier Santo Cristo
« C’est une photo que j’ai prise au Brésil, à Rio de Janeiro. Je l’ai captée dans le squat du quartier Santo Cristo. Une loi dans ce pays permet aux gens de rester dans un espace public lorsqu’ils l’occupent au-delà de quelques mois. Généralement, ces squatters s’enferment, barricadent les portes, jusqu’à ce que les autorités décident d’entériner une loi en leur faveur. C’est donc un groupe de personnes issues de l’exode rural qui a squatté un immeuble abandonné situé dans l’ancien quartier administratif avant le transfert de la capitale à Brasilia. J’ai été introduite dans cette communauté grâce à un projet social de ferme urbaine qui, finalement, est tombé à l’eau. Les personnes du squat m’ont invitée à faire des photos d’eux et de leurs lieux de vie. Chaque personne et chaque détail pris en photo dans ce lieu racontent leur histoire et leur vie en communauté. Cette image fait partie de ce moment qu’ils m’ont offert. Beaucoup de choses étaient difficiles à capturer, mais l’amour, le respect et la solidarité étaient là pour témoigner des difficultés que peuvent vivre ces exclus. Tout était organisé autour des enfants qui étaient les seuls à représenter la vie et la joie dans ce lieu. Cette photo n’est qu’une infime partie d’un reportage et c’est la seule que j’ai décidé d’exposer dans cette Biennale. »
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Khalil Nemmaoui
Les endroits sont semblables aux hommes
« Ces endroits anodins, vus, revus, et en fin de compte ignorés, méprisés, révèlent leur beauté dès qu’on les flatte, dès qu’on les respecte, dès qu’on les estime... Les endroits sont semblables aux hommes. »
Asmaâ Chaidi Bahraoui |