Entre Zaha Hadid et Franck Gehry, lauréats du prix Pritzker, c’est notre Rachid El Andaloussi national et son associé Christian de Portzamparc qui ont été choisis par le jury pour la réalisation du Grand théâtre de Casablanca. Mais depuis, rien ! Utopie ou rêve en construction ? Le point avec le maître d’ouvrage.
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Lorsqu’on nous a annoncé le projet il y a trois ans, d’abord, on n’y a pas cru. Le plus grand théâtre d’Afrique et du monde arabe allait élire domicile chez nous, à Casablanca. Il faut dire que depuis quelques années, on nous avait plus habitués à détruire qu’à bâtir. Cette « étrangeté » baptisée Dar El Beida ne s’agrandissait plus qu’au gré de constructions sans âme de plus en plus excentrées pour ne pas dire reculées, balayant sur leur passage les immeubles-vestiges. Les nouveaux quartiers, qu’ils soient huppés ou démunis, ont fini par reléguer le centre-ville de la métropole au rang de « saoulodrome » pour tous les damnés de la cité. Pour s’y rendre, il faut être motivé par l’historique glorieux d’un vieux ténor du barreau ou d’un grand praticien de la médecine, établis dans le centre depuis l’âge d’or d’Anfa. Mais les visuels de la maquette étalés dans les médias aidant, nous y avons cru et nous nous en sommes même vantés. Or depuis, plus aucune nouvelle du fameux théâtre qui devait régner au beau milieu de la cité. « [...] Le volet financier est bouclé , et la réalisation commencera fin 2012 ou, au plus tard, début 2013 pour se prolonger quatre années durant », explique Rachid El Andaloussi, architecte renommé et amoureux fou de Casablanca au point de fonder une association à « sa mémoire ».
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Casarts, tout un programme
Le plus grand théâtre d’Afrique et du monde arabe nous promet un agencement des plus alléchant. Il s’agira d’un complexe culturel théâtre-opéra conçu de manière à abriter toutes sortes d’événements. Conférences, congrès… s’y tiendront aisément puisqu’il prévoit une salle pouvant accueillir 1 800 personnes. Puis, à côté, un théâtre modulable allant de 600 à 900 places. Aussi, une petite place dédiée aux enfants et une autre destinée aux répétitions serviront d’appoint pour les espaces plus importants. Le plan intègre également une cité pour accueillir les artistes et leurs vestiaires, des bâtiments administratifs, des salles d’événements, une cafétéria, une bibliothèque, une boutique, une billetterie… le tout dans un espace s’assimilant à une médina casablancaise, ombragée et sereine.
Les visuels de la maquette montrent une porte impressionnante prenant toute la hauteur de la bâtisse. « Le Pavillon Principal », tel qu’il a été baptisé, de 17 x15 mètres, s’ouvrira pour devenir une scène extérieure donnant sur la mythique place Mohammed V. « Nous n’empièterons pas sur la place des pigeons. Bien au contraire, le théâtre ne fera que lui rendre sa superbe puisqu’il sera construit bien au fond derrière cette fontaine, et il faudra y accéder via celle-ci », martèle Rachid El Andaloussi. Le terrain qui sera le théâtre de cette réalisation est sis au boulevard Abderrahmane Sahraoui. Il s’agit d’une villa d’un hectare et demi, anciennement habitée par un ex-gouverneur de Casablanca. La place, connue pour sa fonction administrative, se verra attribuer une autre vocation. « Nous aimerions rendre à cette place son rôle auprès des Casablancais, celui de carrefour social, mais nous aspirons également à en faire une place culturelle », explique l’architecte.
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L’Agora ressuscité
CasArts sera blanc. Le théâtre devra s’intégrer harmonieusement au reste de la cité, un peu comme une installation. « Nous sommes un pays de tradition de la place. [...] C’est pourquoi nous avons souhaité que Casablanca ait également sa place avec tout ce qui s’ensuit comme dynamique, rassemblement… bref, on aimerait en faire l’agora dans son sens urbain », ajoute l’architecte Rachid El Andaloussi. Ainsi, la place des pigeons délaissée le soir, se dotera d’une vie nocturne grâce au théâtre. Pour pousser l’esprit « médina moderne » à son paroxysme, Rachid El Andaloussi entend réhabiliter l’idée du Mechouar, cette allée spécifique aux villes impériales qui mène vers la médina.
Un théâtre bien casablancais
CasArts fera bel et bien partie de l’identité casablancaise avec ce caractère et cette écriture contemporains qui la distinguent et qui font d’elle une ville à l’avant-garde, une cité moderne. « De par sa situation géographique, le Maroc est un Occident pour les autres pays du Maghreb et les pays arabes. Les Ksour dont l’architecture berbère est ancestrale, mais pourtant d’une extrême modernité, en sont la preuve. Leurs toits ont inspiré Le Corbusier », nous apprend El Andaloussi. D’ailleurs, il n’est pas question de dessiner en regardant en arrière. Pas question, donc, de construire de manière folklorique ! Mais comment y échapper ? « En inscrivant l’architecture dans la même littérature mais pas dans la même histoire, parce que la pensée peut l’accepter », répond El Andaloussi.
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Un projet de ville
Mieux encore, « cette bâtisse viendra justement résoudre un problème urbain. Elle amortira la hauteur du bâtiment Lyautey tout en s’inscrivant dans son alignement ». Plus qu’un projet de théâtre, cette construction a d’ores et déjà la prétention de rehausser tous les niveaux du quartier par son existence et par les traitements qu’elle réserve à son environnement. « J’espère qu’elle recréera l’esprit et cette culture qui a disparu en perdant le théâtre municipal dont l’antichambre était le Café de la Comédie. [...] », conclut le fondateur de Casamémoire qui lance un appel à tous les « Casaouis » pour aimer et préserver l’espace public de cette ville si généreuse, mais qui ne reçoit pas assez en retour.
Asmaâ Chaïdi Bahraoui |