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Les enfants perdus  de Casablanca
actuel n°126, vendredi 27 janvier 2012
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A la nuit tombée, lorsque Casablanca l’affairée dort à poings fermés, la métropole change de visage et devient la scène d’une vie souterraine qui fait froid dans le dos.

Ca se passe littéralement en bas de chez vous : sur les boulevards d’Anfa, Hassan II, Mohammed V et Zerktouni, dans les ruelles du quartier bourgeois Gauthier, aux abords de la wilaya, sur la Corniche ou encore près des rues piétonnes du Prince Moulay Abdellah, de très jeunes enfants shootés à la « colle » (en réalité un additif pour peinture ultra-toxique) errent, crasseux et paumés, dans les rues noires de la ville blanche. Ce sont les « chamkers », les abandonnés, les oubliés de la cité.


Alors que les « mieux lotis » vendent des chewing-gums aux feux rouges, certains mendient ou fouillent dans les poubelles pour trouver de quoi manger, et d’autres acceptent de monter dans la première voiture qui passe pour une poignĂ©e de  dirhams et un aller simple en enfer. Portrait d’une ville Ă  l’envers.

Dossier réalisé par Eve Boisanfray

Reportage photo : Brahim Taougar

***

Rédouane, 13 ans, drogué, prostitué

Rencontre avec l’un des enfants oubliés de la ville blanche.

Rédouane vit dans la rue. Il dit avoir 13 ans mais on lui en donne à peine 8. Il est tout petit, avec son bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles pour cacher deux grosses bosses de chaque côté de la tête, sa chemise verte trop grande pour lui, son petit jean tout crasseux et ses pieds nus dans des sandales en plastique dont les bords frottent une plaie purulente à la cheville.

 RĂ©douane a la peau douce des bĂ©bĂ©s, de grands yeux verts colorent son regard un peu lointain mais encore vif, son nez droit descend sur une belle bouche Ă  la moue boudeuse. Il sent la colle Ă  plein nez.

 Je m’arrĂŞte Ă  son niveau, l’invite Ă  monter et il grimpe dans ma voiture sans poser de questions, comme il suivrait n’importe qui, pour n’importe quoi.

 Je le « ramasse », comme on ramasse un chat, vers une heure du matin, dans le vieux Casablanca. A cette heure-ci, les bars sont pleins, des cabarets s’échappent les chants des « chikhates » et les marchands de brochettes font fumer leurs grills pour une petite foule de fĂŞtards dans le quartier « Prince » oĂą RĂ©douane et sa bande de copains en loques, pas plus âgĂ©s que lui, font la manche, rĂ©cupèrent par-ci par-lĂ  un morceau de pain ou un cornet de frites, se battent autour d’une cigarette et sont prĂŞts Ă  tout pour une poignĂ©e de dirhams…

 

Hamid, le chef de bande

Ce soir, Rédouane a de la chance de tomber sur moi. Au chaud et en confiance, il me raconte sa vie. Il n’est pas orphelin, ses parents vivent à Lalla Meriem et son grand frère est marié. Il rentre chez lui quelquefois, se lave, mange, se repose un peu puis retourne à la nuit et ses vapeurs de colle. Avec ses compagnons d’infortune, il dort à la grande poste ou dans une villa abandonnée de Casablanca, partout sauf dans la maison connue de tous les enfants des rues, squattée par un certain Hamid, un chef de bande « qui te met un couteau sous la gorge avant de te baisser le pantalon », murmure-t-il.

 Plus tard, je me rends compte que ce Hamid est très connu dans le milieu, son nom revient sans arrĂŞt dans les conversations et il est toujours Ă©voquĂ© avec effroi. « C’est lui qui vend la colle aux enfants », tĂ©moigne une infirmière du Samu social, l’organisme qui programme des rondes de nuit quotidiennes pour s’occuper des enfants (cf. reportage Samu social). Cet homme a une trentaine d’annĂ©es et, comme dans Oliver Twist de Charles Dickens, règne sur un petit groupe d’enfants perdus qui ont eu le malheur de croiser sa route. « Lui est clean, dĂ©crit encore l’infirmière, il se fait passer pour un peintre afin de pouvoir acheter le silicium dans n’importe quelle droguerie de la ville, 15 dirhams le litre, qu’il revend 60 dirhams aux enfants, sachant que la consommation usuelle de chacun est d’un demi-litre par nuit… »

 

Des enfants sans défense

Des « Hamid », il en existe quelques-uns à Casablanca, qui profitent de la misère, de la détresse et de la pauvreté pour utiliser des femmes et des enfants à des fins commerciales monstrueuses.

 Les rĂ©seaux de prostitution enfantine n’existent donc pas qu’à Marrakech, pour une clientèle Ă©trangère aisĂ©e en quĂŞte d’interdit, mais aussi ici, pour une clientèle locale, qui ne nage pas dans l’opulence.

 Une des Ă©ducatrices de l’organisme, crĂ©Ă© en 2006, de permanence cette nuit de dĂ©cembre, confie que « la plupart des enfants que recueille le Samu social ont Ă©tĂ© violĂ©s par des membres de leurs familles ou dans la rue, par un voisin ou le deuxième Ă©poux de leur mère, qui abuse de cet enfant du premier lit pour faire pression sur la mère et asseoir sa nouvelle autoritĂ©.

 Beaucoup de filles sont d’anciennes bonnes qui se sont enfuies de chez leurs employeurs. Lorsqu’elles se retrouvent dans la rue, elles se font exploiter par des mères-maquerelles qui les attirent avec de beaux discours puis les enferment dans une maison oĂą les clients se rendent ensuite Ă  tour de rĂ´le.

 Quand elles tombent enceintes, celles qui dĂ©cident de garder leur bĂ©bĂ© se retrouvent Ă  nouveau dans la rue et celles qui accouchent chez la « samsara » (maquerelle) sont assurĂ©es de ne plus revoir leur petit. Parce que la maquerelle le revendra ou le louera Ă  une mendiante pour lui garantir de meilleurs gains ». Et lorsque les enfants ainsi louĂ©s atteignent l’âge de 6 ans, ils partent mendier tous seuls et deviennent alors de nouvelles proies faciles…

Dans la maraude de nuit du Samu social

Toutes les nuits, à Casablanca, des centaines de mineurs s’approprient les rues noires et dangereuses de la ville blanche. Abandonnés ou orphelins, ils sont exposés aux pires dangers d’une mégapole aveugle. En première ligne face à ce fléau, les « héros » ordinaires du Samu social.

Toutes les nuits, entre 21h et 5h du matin, une maraude du Samu social fait le tour de la plus grande ville du Royaume pour s’occuper de ces enfants oubliés. Ils sont « peut-être un millier, dont 300 qui passent chaque nuit dans la rue », selon les statistiques de Hicham, le travailleur social affecté à la ronde de cette nuit glacée de décembre.

De six à une vingtaine d’années, garçons et filles abandonnés survivent plus mal que bien dans l’obscurité et les recoins d’une cité de près d’une dizaine de millions d’habitants qui, pour la plupart, ne sont même pas au courant de la vie parallèle que mènent les jeunes perdus de la capitale économique.

En véritable service d’aide d’urgence, les trios qui composent les Equipes mobiles d’aide (EMA) du Samu social vont quotidiennement à la rencontre des enfants des rues, leur apporter une écoute, du réconfort, des conseils pas toujours suivis, du café chaud, des sandwichs au fromage et des soins de premiers secours. Mais pas seulement.

 

L’action sociale, une « évidence »

Cette nuit, Mustapha le chauffeur, Zineb l’infirmière et Hicham vont aussi répertorier les nouveaux arrivants, s’enquérir de celui qu’ils n’auront pas croisé ce soir auprès de ses amis, rechercher les personnes disparues dont les proches leur ont fourni le signalement. Et surtout, ils vont tenter de ramener au moins un jeune au siège du Samu social, dans le quartier Bourgogne, pour qu’il puisse se laver, manger un repas chaud, dormir dans un lit – en sécurité – et être aidé à proprement parler.

Des éducateurs sociaux, des psychologues, des médecins et des médiateurs essaieront, dès le lendemain matin, de recréer le lien familial brisé ou de trouver une solution concrète pour « le bénéficiaire », selon le terme consacré. « On crée un dossier, on discute avec eux pour connaître leur histoire, on les soigne s’ils en ont besoin mais comme c’est un service d’urgence : les jeunes ne restent pas plus de trois jours chez nous », explique Hicham. « Si nous n’arrivons pas à contacter leurs parents, nous les envoyons vers d’autres structures partenaires dont le métier est de faire le suivi sur le long terme », ajoute le jeune homme pour qui l’action sociale est « une évidence ».

 

L’heure de répit

Il est 21 heures, la maraude entame son circuit nocturne par les abords de la grande mosquée Hassan II. Mustapha repère trois jeunes garçons et stoppe l’estafette. Comme on s’en rendra compte à chaque arrêt, l’équipe est très attendue et accueillie avec la plus grande joie par les jeunes qui engloutissent leurs sandwichs avec la gloutonnerie des affamés et se balancent en arrière de soulagement à la sensation du café fumant qui vient réchauffer leurs corps maigres et cabossés.

Après s’être enquis de l’état des trois adolescents, la camionnette reprend sa lente course vers la Corniche. Près du McDo, une ribambelle d’enfants d’une dizaine d’années accompagnés de deux jeunes filles sautent au cou de Zineb, Mustapha et Hicham et sautillent d’impatience à la vue des quelques pulls et chaussettes que l’équipe leur a apportés. Hasna a 18 ans et sept ans de rue derrière elle.

Dans son survêtement rouge et sous un foulard lui couvrant le cou et la tête, on devine une chevelure abondante et un corps mince. Elle est contente de s’asseoir cinq minutes et de discuter avec l’infirmière qui dévoilera plus tard que Hasna est mère d’un bébé de sept mois qu’elle a eu alors qu’elle purgeait une peine de quatre mois de prison pour agression avec violence. « Elles sont toutes mères. Soit elles laissent leur petit chez leurs proches, soit elles l’abandonnent, soit elles le vendent, parfois à 500 dirhams. »

 

Ouled Ziane, les portes de l’enfer

Pour « vivre », Hasna et sa copine Sarah (15  ans) mendient et se prostituent « pour 20 dirhams, pour manger », ajoute Zineb, mais de ça elles ne parleront pas ce soir. Lorsqu’elles imaginent leur vie idéale, le rêve est simple et humble : « Je voudrais apprendre un métier, comme couturière par exemple, je ferais de beaux caftans et de jolies takchitas », souffle Sarah. « J’aurais un mari et des enfants et il ne serait PAS QUESTION qu’ils aillent traîner dans la rue, sinon je les enfermerais dans leur chambre jusqu’à ce qu’ils comprennent ! », s’exclame-t-elle, les yeux brillants de détermination.

Vers minuit la maraude fait son premier arrêt à la gare routière Ouled Ziane. « Nous y venons deux fois par nuit parce que c’est ici que tous les nouveaux atterrissent », explique Mustapha. « Les enfants arrivent de la campagne envoyés par leurs parents ou eux-mêmes attirés par la grande ville, confirme Hicham. C’est là que tout commence ».

On dirait un décor sorti tout droit d’un film de série B mexicaine. La vaste gare est éclairée de néons aveuglants sous lesquels la vie a prit un autre rythme, lent, somnolent et poisseux. Autour des lignées de bancs en béton brut sur lesquels des voyageurs attendent en fumant, dorment roulés en boule sous une couverture chinoise ou recroquevillés sous la capuche de leur gandoura, les épiciers vendent biscuits, kleenex et cigarettes, les employés des petits snacks préparent des sandwichs, les policiers scrutent les entrants et sortants, les chauffeurs hèlent les destinations des autocars, les coiffeurs coiffent et les barbiers rasent, les cafetiers servent des nouss nouss aux futurs passagers scotchés face à un film de Steven Seagal, les balayeurs balaient devant les toilettes publiques et les pieux prient dans la petite mosquée improvisée au sous-sol de la gare.

Au milieu de cette étrange ambiance, trois jeunes filles sont adossées à un pilier, attendant visiblement le client. Zineb se dirige vers elles provoquant la fuite de l’une d’entre elles, les salue et entame la discussion. Les filles se vident alors littéralement de leurs histoires : Meriem et Nadia disent avoir 18 ans mais, encore une fois, en paraissent quatre de moins. Toutes les deux sont déjà mères, alors elles « font attention » depuis et prennent la pilule. Nadia raconte son accouchement, la douleur, les contractions commencées à 6 heures du matin et la délivrance, à l’hôpital public Maurice Gaud, à 21 heures.

Meriem elle, enchaîne sur son quotidien, ses passes à 50 dirhams dans des voitures, ou celles, plus avantageuses à 150 dirhams lorsqu’elle descend au centre-ville. Elle parle des réactions négatives de sa famille et de la chambre qu’elle loue avec d’autres filles, dans un appartement du quartier.

Nadia s’épanche ensuite sur la mort de son père et on devine que c’est l’élément déclencheur de sa perte de repères… Pendant toute la discussion, un vieillard édenté à l’étage les fixe en leur faisant des clins d’œil et autres gestes dégoûtants auxquels les filles répondent par des sourires mi-timides mi-entendus.

Puis un petit garçon aux cernes noirs et profonds vient demander Ă  Zineb de soigner sa blessure Ă  la tĂŞte. Lui aussi trouve l’argent oĂą il peut, et comme tous les enfants rencontrĂ©s depuis le dĂ©but de la soirĂ©e,  il est imbibĂ© de ce « douliou » (diluant) qu’il cache sous son pull.

 

Au lever du soleil, le Samu s’en va

En remontant à l’étage, on aperçoit une adolescente assise toute seule et sans bagages sur un des bancs en béton de l’enceinte de la gare. L’œil exercé de l’équipe du Samu reconnaît instantanément la posture d’une personne égarée, mais ce n’est qu’au deuxième passage de la maraude, à 4 heures du matin, et alors qu’elle est en train de se faire harceler par un groupe de cinq jeunes hommes, qu’elle acceptera, terrorisée, de se faire raccompagner au centre.

C’est une petite victoire pour Zineb, Hicham et Mustapha, « au moins elle sera en sécurité et le personnel du centre pourra l’aider à revenir dans le droit chemin », espèrent-ils. La jeune fille pleurera d’épuisement, de peur, de froid et de soulagement jusqu’à l’arrivée de l’estafette au siège de l’organisme.

Sur le chemin du retour, quelques filles font encore le trottoir sur les boulevards d’Anfa et Zerktouni mais elles sont majeures. « Les mineures partent en premier, explique l’infirmière de l’équipe, c’est ce que les clients recherchent le plus. » Dans quelques heures, lorsque le soleil se lèvera, les enfants perdus de Casablanca iront se coucher, avant une nouvelle nuit, d’une vie à l’envers.

***

Entretien avec Hicham Kennoudi, directeur administratif  de l’association « Touche pas Ă  mon enfant », l’ONG fondĂ©e  par Najat Anwar en 2004, qui consacre son action Ă  la lutte contre les maltraitances sur mineurs.

 

« Les réseaux de prostitution infantile sont rares »

 

A partir de quel âge et jusqu’à quel âge parle-t-on de prostitution infantile ?

Il n’existe pas d’âge spécifique pour parler de prostitution infantile. Le phénomène peut commencer à un âge très précoce.

Le terme « pédophilie » existe-t-il dans la loi marocaine ?

Malheureusement, le législateur marocain n’utilise pas ce genre de terminologie. On parle au niveau des textes de loi « d’attentat à la pudeur ».

Comment est sanctionné, juridiquement, un acte de pédophilie ?

Les articles de loi pénale (484-488) punissent ce genre d’agissements et les peines encourues varient selon plusieurs critères de violence, de degré de parenté avec la victime, etc. Elles peuvent néanmoins atteindre 30 ans de réclusion.

Comment « reconstruire » un enfant victime d’actes pédophiles répétés ?

Il est très difficile de reconstruire un enfant ayant subi des actes pédophiles répétés. Cela nécessite un suivi psychologique rigoureux, qui peut durer plusieurs années. Une thérapie de groupe peut être envisagée, car les membres de la famille sont souvent traumatisés eux aussi.

Comment s’organisent les réseaux de prostitution infantile ?

Heureusement, les rĂ©seaux de prostitution infantile sont rares dans notre pays. Mais ils existent. Ils s’organisent essentiellement au niveau de villes connues pour leur  attrait touristique, grâce Ă  des rabatteurs comme des faux guides, des chauffeurs de taxis, etc.

Comment un enfant se retrouve-t-il dans cette situation ?

Le leitmotiv permettant d’expliquer la présence d’un enfant dans ce genre de réseaux est la précarité sociale. La lutte contre ce fléau est d’ailleurs l’une des revendications sur lesquelles insiste notre association.

Trouve-t-on des enfants prostitués à travers tout le Maroc ?

Oui, certainement, comme partout ailleurs. Ce n’est pas un phénomène propre au Maroc, ça fait partie de l’humanité.

Quelles sont les actions concrètes de «Touche pas à mon enfant » ?

En dehors de nos campagnes de sensibilisation, nous avons mené des actions sur plusieurs plans et grâce à notre détermination, nous avons obtenu que des pédophiles soient condamnés à des peines maximales, c’est-à-dire 30 ans. Nous avons aussi permis la levée des tabous sur le phénomène, grâce à nos centres d’écoutes installés sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, les chiffres des études que nous réalisons sont fiables et utilisés comme références tant au Maroc qu’à l’étranger.

Possédez-vous des chiffres officiels permettant de se faire une idée de l’ampleur du phénomène au Maroc ?

Notre dernière étude date de 2008 et fait état de seulement 306 cas relatés d’abus sexuels, mais ce chiffre est à revoir à la hausse. La revue analytique que nous sommes en train d’élaborer pour 2011, et sur laquelle nous communiquerons bientôt, fait état d’un chiffre nettement supérieur.


L’enfant, victime de la honte

Saïd Raji, directeur exécutif de l’Observatoire National des Droits des Enfants.

 

Nous ne possĂ©dons pas de statistiques prĂ©cises sur la prostitution infantile en elle-mĂŞme, contrairement aux agressions sexuelles. Mais, en nous basant sur les dossiers que nous avons traitĂ©s ici, sur 520 cas de maltraitance et de nĂ©gligence envers les enfants entre janvier et novembre 2011, 109 cas concernaient des agressions d’ordre sexuel, dont la plupart avaient eu lieu dans la sphère familiale ou par des voisins, voire  par des mineurs eux-mĂŞmes. Les petites bonnes, travaillant dans des demeures fermĂ©es, sont souvent les premières exposĂ©es au risque d’agression sexuelle.

 L’exploitation sexuelle n’est pas un phĂ©nomène nouveau, surtout dans une culture arabo-musulmane dans laquelle le sentiment de honte est très prĂ©sent, dans laquelle on ne peut pas parler. Ce qui a pour rĂ©sultat de considĂ©rer l’enfant non pas comme une victime mais plutĂ´t comme une source de honte pour la famille.

 Ce n’est que depuis 2004 que les choses ont commencĂ© Ă  Ă©voluer, lorsque les pouvoirs publics ont pris conscience du phĂ©nomène, avec l’aide des associations montĂ©es par la sociĂ©tĂ© civile. Mais, honnĂŞtement, on commence Ă  peine Ă  lever le voile sur les cas d’exploitation sexuelle de mineurs.

 Nos actions conjointes participent beaucoup Ă  sensibiliser les magistrats et on remarque que les procureurs gĂ©nĂ©raux sanctionnent de plus en plus lourdement les agresseurs.

Mais régler le problème de l’exploitation infantile reste un vaste chantier car c’est lié à beaucoup d’éléments, dont l’éducation en elle-même ou le manque d’éducation (sexuelle) tout court pour ne citer que cela.

 A l’échelle de l’ONDE, nous tentons de lever le tabou par des campagnes de sensibilisation, en dĂ©clenchant des dĂ©bats entre les pouvoirs et l’opinion publics, en renforçant la protection des enfants socialement et administrativement et en continuant de plaider pour la protection des droits de l’enfant.

***

TĂ©moignage

« Mon corps joue mais pas ma tête »

Hasnaa a 17 ans, l’âge d’être en terminale. Dans une vie normale, la jolie brune devrait passer son bac cette année, au lieu de ça, elle fait le trottoir, depuis deux ans.

Elle se souvient très bien de sa première fois. Cette Ă©vocation lui fait instantanĂ©ment monter les larmes aux yeux. « J’avais 15 ans, une copine  m’a emmenĂ©e Ă  une soirĂ©e. J’étais encore vierge », souffle-t-elle avant de raconter cette vie qui l’abĂ®me. « Parfois ça se passe dans une voiture, parfois chez le type, parfois chez la « kouada » (maquerelle) oĂą tu tombes sur quelqu’un que tu connais, un voisin, un ami, un cousin… et lĂ , un contrat moral de silence mutuel se met en place. Certains clients ne payent pas, d’autres sont violents. »

Hasna voudrait arrêter ce métier qui la détruit pour se lancer dans la coiffure ou l’esthétique, et met l’argent de ses passes (entre 50 et 500 dirhams) de côté pour y arriver. « Je ne fais ça que pour l’argent, mon corps joue mais pas ma tête. »


Chronique

Le peuple invisible

J’ai vécu six mois dans un des quartiers les plus chics de Casa, entre des boutiques de luxe et des bancs en marbre. J’y ai vu toute la faune et la flore des fashion victims défiler sous les palmiers, de l’aube à la nuit. J’ai rencontré quelques mendiants diplômés et une demi-douzaine d’arnaqueurs à touristes aussi.

 Mais je n’avais jamais rencontrĂ© mes voisins. Ils vivaient pourtant de l’autre cĂ´tĂ© de la rue, Ă  deux pas de chez moi et Ă  des annĂ©es lumière de notre monde. Mais Hiba et Soufiane, Khadija et Omar, mĂŞme pas soixante ans Ă  eux quatre, ont une particularité : ils sont invisibles. Comme des super anti-hĂ©ros. Nous ne voulons plus les voir, alors ils disparaissent de notre champ de vision. Bien sĂ»r, de temps Ă  autre, on croise un de ces fantĂ´mes qui sniffent ostensiblement sur le mĂŞme trottoir. Alors, on s’écarte. Nous avons si bien assimilĂ© cette stratĂ©gie de l’esquive qu’en dehors d’une rencontre frontale, ces enfants sont devenus transparents.

 Il m’a suffi de passer une nuit avec le Samu social pour que ces invisibles qui peuplent les nuits de Casa apparaissent au grand jour. Dix fois, j’ai dĂ» rencontrer cette gamine grimĂ©e en garçon sur le boulevard d’Anfa sans jamais la voir.

 A chaque passage sur la corniche, j’ai oubliĂ© de voir ces enfants qui, Ă  13 ans, en paraissent 8 car ils ont oubliĂ© de grandir ou qui, Ă  16 ans, ont une peau de vieux et un regard de dingue ravagĂ© par la colle.

 Et six mois durant, j’ai oubliĂ© de rencontrer mes voisins. Ils Ă©taient pourtant juste en face de chez moi, pas loin du commissariat, dans une villa en ruine miraculeusement Ă©pargnĂ©e par les bulldozers. Les travailleurs du Samu social m’ont fait pĂ©nĂ©trer Ă  l’intĂ©rieur de ce squatt dĂ©corĂ© comme une dĂ©charge. C’est lĂ  que vivent deux couples d’ados qui s’aiment et dessinent sur les murs des grands cĹ“urs.

 Le peuple invisible de Casa vit en bande. Quand ils ne sont pas sous la coupe d’un tyran, on y rencontre des couples alliĂ©s et des grands qui protègent les petits. Le coach et psycho-thĂ©rapeute Pierre Blanc-Sahnoun, qui nous accompagnait dans cette plongĂ©e pas très touristique du Casa by night, compare ces petites tribus aux enfants perdus de Peter Pan : « Ce conte rassurant nous dit qu’il existe toujours une passerelle vers l’espoir et une Wendy au grand cĹ“ur pour assurer la traversĂ©e du Pays Imaginaire vers la Vraie Vie.

 Les travailleurs sociaux du Samu social marocain tentent de jouer ce rĂ´le en les persuadant de quitter la vie de la rue pour entrer dans le circuit d’intĂ©gration proposĂ© par les services sociaux : hĂ©bergement d’urgence, Ă©cole, formation, etc. Mais certains refusent et prĂ©fèrent continuer Ă  mourir lentement dans le Pays Imaginaire. »

 Ils ne sont que quelques centaines dans cette ville. Est-il vraiment impossible de les aider ? Le Samu social manque cruellement de moyens. Et nous manquons tous de volontĂ© pour oser nous attaquer Ă  ce flĂ©au. Nous vivons dans une sociĂ©tĂ© qui ignore ces enfants et c’est une  honte collective que nous partageons tous, du gouvernement aux passants.

Eric Le Braz

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Actuel n°94 : Moi, Adil, 25 ans, marchand de chaussures et terroriste  
N°93 : Ces cliniques qui nous ruinent 
Actuel n°92 : Qui cherche Ă  dĂ©stabiliser le pays ?  
Actuel n°92 : Â«â€‰Nos attentes sont plus grandes que le 20-FĂ©vrier »  
Actuel n°92 : Trois jeunesses 
Actuel n°92 : Attentat : Le jeudi noir de la ville ocre  
Actuel n°92 : RĂ©volutions et attentats Sale temps pour Zenagui 
Actuel n°92 : Mais que veulent les jeunes ? 
Actuel n°92 : Il n’y pas que le 20-FĂ©vrier…  
Actuel n°91 : Le grand nettoyage 
Actuel n°90 : Le retour des adlistes 
Actuel n°89 : Ruby : sexe, mensonges et vidĂ©o 
Actuel n°88 : ImpĂ´ts : Halte Ă  la fraude 
Actuel n°87 : Hassan II TV c’est fini 
Actuel n°86 : Marine Le Pen : L’islam, les Arabes et moi 
Actuel n°85 : Vive le Maroc libre 
Actuel n°84 : Rumeurs, intox : Ă  qui profite le crime ? 
Actuel n°83 : ET MAINTENANT ? Une marche pour la dĂ©mocratie
Actuel n°81 : Sale temps pour les tyrans 
Actuel N°72 : Aquablanca : La faillite d’un système  
Actuel n°69-70 : Benguerir sur les traces de Settat 
Actuel n°68 : Art, sexe et religion : le spectre de la censure 
Actuel n°67 : Dans les entrailles de Derb Ghallef 
Actuel n°66 : Ces FQIHS pour VIP 
Actuel n°65 : RNI, le grand politic show 
Actuel n°64 : Bourse de Casablanca, des raisons d’espĂ©rer 
Actuel n°63 : Ex-ministres :  y a-t-il une vie après le pouvoir ?
Actuel n°62 : Le code de la route expliquĂ© par Ghellab
Actuel n°61 : La vie sexuelle des Saoudiennes… racontĂ©e par une Marocaine
Actuel n°60 : Chikhates, shit et chicha 
N°59 : Eric Gerets, la fin du suspense ?
N°58 : Onze ans, onze projets 
N°57 : Raid sur le kif 
N°56 : Sea, Sun & Ramadan 
N°55 : Casablanca, mais qui est responsable de cette pagaille ?
N°54 : Ces ex-gauchistes qui nous gouvernent 
N°53 : Au cĹ“ur de la prostitution marocaine en Espagne 
N°52 : DiplĂ´mĂ©s chĂ´meurs : le gouvernement pris au piège
N°51 : 2M : Succès public, fiasco critique
N°50 : L’amĂ©rique et nous 
N°49 : Crise, le Maroc en danger ?
N°48 : Les 30 Rbatis qui comptent 
N°47 : Pourquoi El Fassi doit partir 
N°46 : Chirurgie esthĂ©tique :  plus belle, tu meurs
N°45 : McKinsey dans la ligne de mire  
N°44 : Trafic sur les biens des Ă©trangers 
N°43 : Avec les Ă©vadĂ©s de Tindouf 
N°42 : GCM / Tamesna : Un scandale en bĂ©ton !
N°41 : ONA - SNI: Ils ont osĂ©
N°40 : Enseignement: Missions Ă  tout prix
N°39 : Le Maroc, terre d'accueil des espions 
N°38 : Bleu Blanc Beurk 
N°37 : Boutchichis Les francs-maçons du Maroc
N°36 : Hamid Chabat rĂ©veille les vieux dĂ©mons
N°35 : Vies brisĂ©es 
N°34 : Maires Ceux qui bossent et ceux qui bullent
N°33 : Botola Combien gagnent nos joueurs
N°32 : Sexe, alcool, haschich, jeux… Les 7 vices des Marocains
N°31 : Tanger Le dossier noir des inondations
 
 
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