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Tanger Le dossier noir des inondations
actuel n°31, samedi 23 janvier 2010
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C’est une histoire Ă  rĂ©pĂ©tition, de pluies diluviennes, de boue, de populations sinistrĂ©es, d’habitations et d’usines submergĂ©es
 sur fond de gros sous. Revue de dĂ©tail.

Dans la ville du dĂ©troit, les caprices Ă  rĂ©pĂ©tition de la mĂ©tĂ©o, associĂ©s Ă  un dĂ©veloppement urbain anarchique, ont multipliĂ© les risques d’inondation de zones oubliĂ©es des Ă©lus et des autoritĂ©s locales.

JEUDI 24 DÉCEMBRE 2009. VĂ©hicules renversĂ©s, trains immobilisĂ©s, des quartiers entiers sous les eaux, une zone industrielle subissant de plein fouet les rafales de pluies rageuses, bref tout Tanger sinistrĂ© en quelques minutes. Il aura fallu juste quelques fortes prĂ©cipitations, des vents qui soufïŹ‚aient Ă  108 km/h dans le dĂ©troit de Gibraltar et des vagues de plus de sept mĂštres, pour que la plupart des oueds qui traversent la ville se dĂ©chaĂźnent, avant d’inonder la zone industrielle de Mghogha et de nombreux quartiers de la ville. Benkirane (Haoumat Chouk), Drissia, Aouama, Mghogha et Marjane, entre autres.

Les crues de l’oued Mghogha, gĂ©nĂ©reusement alimentĂ©es par les prĂ©cipitations de ce jeudi noir, ont provoquĂ© l’inondation d’une bonne partie de la zone industrielle. Le niveau des eaux a atteint pour certaines unitĂ©s entre 10 et 80 centimĂštres pour une hauteur totale par rapport Ă  la chaussĂ©e de 1,50 mĂštre. « GrĂące Ă  Dieu, les dĂ©gĂąts ne sont pas dĂ©sastreux. Beaucoup d’usines ayant pris leurs prĂ©cautions, la plupart des opĂ©rateurs avaient pris le soin de se protĂ©ger en surĂ©levant les marchandises ou en isolant les machines.

Mais les pertes en production peuvent ĂȘtre certainement plus importantes chez certains opĂ©rateurs », estime Adil Rais, prĂ©sident de l’Azit (Association de la zone industrielle de Tanger). À Mghogha Sghira, situĂ©e de l’autre cĂŽtĂ© de la route de TĂ©touan, qui a le plus souffert des inondations, on est beaucoup moins optimiste puisque la plupart des unitĂ©s textiles de cette zone ont dĂ» arrĂȘter avant de renvoyer les ouvriers chez eux. MĂȘme si l’industriel tient Ă  prĂ©ciser que la wilaya a quand mĂȘme rĂ©agi trĂšs vite en dĂ©clenchant des mesures d’urgence.

JEUDI 23 OCTOBRE 2008. Routes submergĂ©es, unitĂ©s de la zone industrielle englouties sous des tonnes de boue, chaussĂ©es dĂ©foncĂ©es, ponts dĂ©truits, habitations, commerces et vĂ©hicules irrĂ©mĂ©diablement endommagĂ©s ; des quartiers plongĂ©s dans l’obscuritĂ© pour plusieurs semaines et des milliers de personnes bloquĂ©es. Une ville coupĂ©e du reste du Royaume pendant plusieurs jours.

Ce jeudi noir, toute la ville du dĂ©troit se rĂ©veille sous un dĂ©luge de pluies torrentielles, quelque 176 mm qui vont envahir la ville en l’espace de cinq heures, ce qui reprĂ©sente environ 40% de la pluviomĂ©trie moyenne annuelle (400 Ă  500 mm). Des pluies diluviennes, les plus fortes prĂ©cipitations au Maroc depuis trente-cinq ans. De mĂ©moire de TangĂ©rois, on n’avait jamais vu ça ! Le plan ORSEC (Organisation de secours en cas de catastrophe) est dĂ©crĂ©tĂ© par la wilaya pour la circonstance. On dĂ©plore la mort de quelques citoyens et des dĂ©gĂąts estimĂ©s Ă  plusieurs milliards de dirhams. EmportĂ©es par le tourbillon, les 130 entreprises installĂ©es dans la zone industrielle de Mghogha sont frappĂ©es de plein fouet. « Ă  l’époque, nous avions estimĂ© les dĂ©gĂąts Ă  un milliard 300 millions de dirhams », rappelle le prĂ©sident de l’AZIT qui prĂ©cise que c’est la « cinquiĂšme inondation » depuis la crĂ©ation de cette zone ! Il y a mĂȘme de nombreuses unitĂ©s qui ont dĂ» mettre la clĂ© sous la porte.

Pourquoi un bilan aussi lourd ? Pour de multiples raisons, dont la plus Ă©vidente : la zone industrielle de Tanger construite en 1975, a Ă©tĂ© bĂątie sur une zone inondable au cƓur mĂȘme du lit de l’oued Mghogha ! C’est le cas Ă©galement de nombreux quartiers populaires qui ont Ă©tĂ© construits sur l’oued Souani. À l’époque, les Ă©lus, pour des raisons que l’on devine aisĂ©ment, signaient les permis de construire Ă  tour de bras.

Pour corser le tout, une sĂ©rie d’erreurs se sont ajoutĂ©es Ă  un dossier dĂ©jĂ  bien lourd : des infrastructures et des canalisations sous-dimensionnĂ©es, un tout-Ă -l’égout qui laisse Ă  dĂ©sirer, et surtout un pont construit, sans le moindre respect des prĂ©cautions d’usage dans cette zone Ă  risque, par l’OfïŹ ce national des chemins de fer (ONCF) et qui limite drastiquement le dĂ©bit de l’oued. A un an d’intervalle, les TangĂ©rois ont revĂ©cu le mĂȘme cauchemar.

Un cauchemar prévisible

Les pluies torrentielles qui se sont abattues sur Tanger, en dĂ©cembre dernier, ont fait ressurgir le spectre des inondations sur la capitale du dĂ©troit, ce qui soulĂšve bien des questions sur les responsabilitĂ©s partagĂ©es des Ă©lus et des autoritĂ©s locales. SollicitĂ©s par actuel, ni le maire de Tanger ni le wali n’ont souhaitĂ© rĂ©pondre Ă  nos questions.

Ce lourd bilan met en relief la mise aux abonnĂ©s absents de dĂ©partements clĂ©s, tels que celui de l’eau et de l’hydraulique chargĂ© de gĂ©rer l’épineux dossier des inondations ; mĂȘme si le plan d’urgence des inondations relĂšve en premier lieu de la responsabilitĂ© du ministĂšre de l’IntĂ©rieur. À la suite du fameux dĂ©luge de 2008, il y a pourtant bien eu une sĂ©rie de consultations, et deux visites sur le terrain effectuĂ©es par le souverain en personne.

Sous la pression, des rĂ©unions au sommet ont Ă©tĂ© programmĂ©es entre Abdelkebir Zahoud, le patron du secrĂ©tariat chargĂ© de l’eau, Fouad Brini, le directeur gĂ©nĂ©ral de l’APDN, Mohamed Hassad, le wali de Tanger et bien d’autres responsables. Au menu, les dispositions Ă  prendre et les travaux Ă  effectuer pour Ă©viter que le cauchemar ne se rĂ©pĂšte. DĂšs les premiĂšres consultations, les oueds qui traversent Tanger sont pointĂ©s du doigt. En raison de pressions Ă©conomiques, sociales, fonciĂšres ou encore politiques, sans oublier la gangrĂšne de la corruption, ces cours d’eau ont souvent Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©s dans le dĂ©sordre, couverts, dĂ©viĂ©s, augmentant ainsi la vulnĂ©rabilitĂ© des populations et des biens. Le fameux oued Mghogha dont les caprices hydrauliques donnent des cheveux blancs aux industriels de la zone.

Mais Ă©galement, et plus encore, l’oued Lihoud dont les canalisations vĂ©tustes ne permettent plus d’évacuer e surplus en eaux de crue vers l’ocĂ©an. Dans la foulĂ©e, le secrĂ©tariat d’Etat chargĂ© de l’eau et de l’environnement va lancer une sĂ©rie d’expertises auprĂšs de bureaux spĂ©cialisĂ©s. L’étude concernant la protection de la ville de Tanger contre les inondations de l’oued Mghogha est conïŹ Ă©e Ă  IngĂ©ma, une sociĂ©tĂ© d’ingĂ©nierie, ïŹliale de CDG DĂ©veloppement. « Une Ă©tude pour la protection contre les inondations dues aux dĂ©bordements de l’oued Lihoud Ă  Tanger » est en mĂȘme temps commandĂ©e Ă  un cĂ©lĂšbre bureau d’études de Rabat, Conseil en IngĂ©nierie et DĂ©veloppement (CID).

La sociĂ©tĂ© Al Khibra Études et Conseils dĂ©croche, quant Ă  elle, le marchĂ© lancĂ© par l’Agence du bassin hydraulique du Loukkos Ă  TĂ©touan concernant « les missions relatives Ă  l’étude de protection de la ville de Tanger contre les inondations engendrĂ©es par Oued Souani ». Les spĂ©cialistes d’IngĂ©ma prĂ©sentent leur exposĂ© sur l’historique des crues en soulevant une problĂ©matique qui ne date pas d’hier puisqu’en janvier 1996, le mĂȘme oued a connu une crue mĂ©morable qui a sinistrĂ© toute la zone causant des dĂ©gĂąts considĂ©rables.

« MĂȘme un novice vous expliquera que cet oued a des crues de pĂ©riode de retour qui ne dĂ©passent pas les 20 ans et le tracĂ© topographique dĂ©montre clairement que l’écoulement des eaux prend une direction prĂ©fĂ©rentielle vers la zone industrielle », explique un ingĂ©nieur qui prĂ©cise que d’autres Ă©tudes lancĂ©es en 1996 et en 2000 avaient conclu Ă  l’obligation de construire un barrage en amont de l’oued Mghogha. Les propositions d’IngĂ©ma ont insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de prĂ©voir la construction de ce barrage pouvant supporter des crues Ă  plus de 300 m3/s pour une enveloppe budgĂ©taire de 200 millions de dirhams - hors frais d’expropriation qui, eux portent sur 17 hectares.

Un coût de 43 millions

Concernant l’oued Lihoud, c’est le 9 janvier 2009 que les ingĂ©nieurs du bureau d’études CID rendent, Ă  leur tour, leur copie. L’étude dĂ©taillĂ©e entreprise par les ingĂ©nieurs du CID propose trois alternatives, le maintien de l’ovoĂŻde (canal souterrain qui traverse la ville) auquel, on ajoutera le creusement d’excavation pour amĂ©liorer le stockage Ă  l’amont pour un coĂ»t de 8,3 millions de dirhams (HT).

Le problĂšme, c’est que le niveau de protection ne dĂ©passerait pas les vingt ans. La seconde solution consisterait dans le maintien de l’ovoĂŻde avec l’amĂ©nagement d’une digue de 1,5 m de hauteur, l’excavation pour amĂ©liorer le stockage Ă  l’amont de l’ovoĂŻde, au niveau du Golf de Boubana. Pour un coĂ»t bien supĂ©rieur aux 8,3 millions en raison des travaux qui devront ĂȘtre effectuĂ©s au niveau de cette zone.

Quant Ă  la derniĂšre proposition qui a Ă©tĂ© ïŹnalement retenue, elle fait Ă©tat du remplacement de cet ovoĂŻde par un dalot, assistĂ© d’une digue de 1,5 m de hauteur et d’excavations pour amĂ©liorer le stockage Ă  l’amont de l’ovoĂŻde. Une solution qui a l’avantage de porter Ă  100 ans les prĂ©visions de protection mĂȘme si le coĂ»t de 43 millions de dirhams (HT) reste particuliĂšrement Ă©levĂ©. Le bureau d’études prĂ©cise que la rĂ©alisation de la route de dĂ©gagement du port condamnera l’ovoĂŻde existant (ouvrage non ferraillĂ© et en Ă©tat dĂ©labrĂ©) et « pour assurer la continuitĂ© d’évacuation des eaux de l’oued Lihoud vers la mer, cet ouvrage devra ĂȘtre refait de maniĂšre Ă  rĂ©sister Ă  la charge de la route projetĂ©e en dessus ».

Autre aberration, la route 108 qui mĂšne au port a Ă©tĂ© construite dans la prĂ©cipitaion avant l’étĂ© alors qu’il aurait fallu attendre la ïŹ n des travaux du fameux dalot. Quant Ă  l’expertise concernant l’oued Souani, elle sera livrĂ©e en avril 2009. Le diagnostic est sans appel. Les crues Ă  rĂ©pĂ©tition de l’oued Souani, qui constitue un des plus importants oueds de la ville de Tanger, auraient pu ĂȘtre Ă©vitĂ©es si les Ă©lus et les autoritĂ©s locales faisaient correctement leur travail. On apprend ainsi que « le dĂ©part de l’oued n’est pas bien matĂ©rialisĂ© sur le terrain Ă©tant donnĂ© la forte urbanisation de la zone » ; les eaux pluviales sont donc Ă©vacuĂ©es par les rues et les voies d’amĂ©nagement, gĂ©nĂ©rant des dĂ©gĂąts important aux chaussĂ©es et aux riverains.

D’aprĂšs les documents auxquels actuel a eu accĂšs, « l’interaction trĂšs marquĂ©e entre les rĂ©seaux d’assainissement et l’oued Souani (rejet des dĂ©versoirs d’orage du rĂ©seau d’assainissement dans l’oued), ainsi que leur insufïŹsance Ă  Ă©vacuer les dĂ©bits d’eaux pluviales, concourent Ă  l’apparition de nombreuses zones d’inondation qui se rĂ©sorbent parfois difïŹ cilement, d’autant que viennent se greffer des problĂšmes d’engouffrement des eaux de ruissellement en de nombreux endroits. L’urbanisme croissant de toute la zone urbaine et pĂ©riphĂ©rique actuelle ne fera qu’accroĂźtre ce phĂ©nomĂšne de saturation et d’inondation ».

Feu sur les Ă©lus

Les experts concluent que « les principaux problĂšmes d’inondation sont liĂ©s au sousdimensionnement du rĂ©seau Ă  l’amont des dĂ©versoirs d’orage et Ă  l’insufïŹ sance de capacitĂ© de l’oued Souani et de ses ouvrages d’art notamment Ă  l’aval de la Place de la Ligue arabe ». Parmi les propositions avancĂ©es, on note la construction de dalot au dĂ©part de l’oued aïŹ n d’éviter les dĂ©versements et de permettre d’acheminer les eaux directement vers ce cours d’eau au niveau du quartier Bendibane ; l’amĂ©nagement de cet oued par un canal en bĂ©ton armĂ© aïŹ n d’augmenter sa capacitĂ© d’écoulement et d’en assurer notamment la stabilitĂ© des talus, ce qui facilite son curage.

Les ingĂ©nieurs ne se privent pas de tirer Ă  boulets rouges sur les Ă©lus en fustigeant « les constructions dans le lit de l’oued susceptibles d’entraver son Ă©coulement, en prĂ©conisant l’interdiction et le contrĂŽle strict des dĂ©pĂŽts des ordures mĂ©nagĂšres dans les lits des cours d’eau qui constituent un obstacle Ă  l’écoulement et inïŹ‚ uencent nĂ©gativement les hauteurs d’eau et les vitesses d’écoulement ». Autrement dit, comme pour tous les cours d’eau, le plus gros du travail se passe en amont. Car mĂȘme l’entretien des berges et le curage n’y feront rien si, aux sources des oueds, les communes ne font pas leur part de travail. Or il existe encore Ă  Tanger des quartiers pĂ©riphĂ©riques sans rĂ©seau d’assainissement : tout part au ruisseau ! Une fois les Ă©tudes bouclĂ©es, ceux qui s’attendaient Ă  voir les bulldozers dĂ©barquer en ont Ă©tĂ© pour leurs frais.

On n’entendra plus parler de ces histoires d’inondations jusqu’à la visite du souverain Ă  Tanger. Le roi, qui a constatĂ© de visu l’absence de rĂ©activitĂ© des intervenants, a convoquĂ© tout ce beau monde pour une rĂ©union de travail qui se soldera par une convention spĂ©ciïŹque visant la mise en Ɠuvre du programme d’amĂ©nagement des oueds traversant la ville de Tanger (Mghogha, Souani, El Mlaleh et Lihoud), pour un montant global de 670 millions de dirhams.

Ce projet, qui devait ĂȘtre rĂ©alisĂ© dans le cadre du programme de dĂ©veloppement urbain 2009-2013 de la ville de Tanger - initiĂ© en partenariat avec le secrĂ©tariat d’Etat chargĂ© de l’eau et de l’environnement, la wilaya de la rĂ©gion de TangerTĂ©touan, la commune urbaine de Tanger, la direction des amĂ©nagements hydrauliques et l’Agence du bassin hydraulique du Loukkos - tarde encore Ă  voir le jour. Car une fois les appareils photo et les camĂ©ras rangĂ©s, tout le monde remballe ses dossiers en attendant les prochaines pluies.

« En ce qui concerne l’oued Mghogha, nous savons que l’option des barrages est Ă  l’ordre du jour mais nous ne savons pas quand le dĂ©marrage des travaux est prĂ©vu » se dĂ©solent plusieurs industriels de la zone en question. Il faudra attendre dĂ©cembre 2009, quelques jours Ă  peine avant ce fameux jeudi noir pour voir un semblant de dĂ©marrage de travaux sur oued Lihoud prĂšs de l’ancien port de Tanger.

A la vĂ©ritĂ©, quelques Ă©chafaudages Ă©rigĂ©s sur un terrain vague. Un chantier ouvert par la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale des travaux du Maroc (SGTM). Un marchĂ© attribuĂ© par l’Agence de dĂ©veloppement des provinces du Nord Ă  l’entreprise des Kabbaj. Or, Ă  la lecture des documents signĂ©s par la SGTM et l’APDN, et validĂ©s par le maĂźtre d’ouvrage dĂ©lĂ©guĂ© qui n’est autre que le bassin hydraulique du Loukkos, apparaissent nombre d’irrĂ©gularitĂ©s ïŹ‚agrantes dans ce marchĂ© qui porte sur « les travaux de remplacement de l’ovoĂŻde, une sorte de canal souterrain, du tronçon terminal de l’oued Lihoud par un dalot ».

Il y a d’abord le coĂ»t du marchĂ© lui-mĂȘme : alors que l’étude du CID limite l’enveloppe budgĂ©taire globale pour le remplacement du canal ovoĂŻde par un dalot Ă  43 millions de dirhams, le contrat signĂ© avec l’entreprise de BTP a arrondi ce chiffre Ă  la coquette somme de
 77 835 000 de dirhams. Cerise sur le gĂąteau, le contrat a Ă©tĂ© signĂ© le 3 juillet 2009, soit prĂšs de six mois avant le dĂ©marrage des travaux. « La signature du contrat impose Ă  toute entreprise de dĂ©marrer les travaux une semaine, voire 15 jours au maximum aprĂšs la ïŹnalisation de l’accord, sous peine de sĂ©vĂšres pĂ©nalitĂ©s », explique le patron d’une importante entreprise de Casablanca, spĂ©cialisĂ©e dans les grands ouvrages publics.

7 millions en question

Et ce n’est pas tout : alors que le bordereau des prix fait Ă©tat d’une somme de 7 millions de dirhams, qui correspond au coĂ»t des coffrages soumis Ă  l’eau, la solution proposĂ©e par le bureau d’études, qui consiste Ă  construire le dalot en lieu et place de l’ovoĂŻde, a ïŹnalement Ă©tĂ© abandonnĂ©e pour d’obscures raisons. « En clair, cela veut dire que les travaux ne seront plus effectuĂ©s dans un milieu aquatique et du coup, l’utilisation des coffrages soumis Ă  l’eau n’ayant plus de raison d’ĂȘtre, les 7 millions de dirhams n’ont pas Ă  ïŹgurer sur le contrat », explique notre patron, expert en BTP. De surcroĂźt, ce dĂ©placement de derniĂšre minute des travaux empiĂ©tant sur des terrains privĂ©s, la wilaya s’est mis Ă  dos les propriĂ©taires, dont un riche Saoudien, avant d’engager les procĂ©dures lĂ©gales d’expropriation.

Il faudra donc attendre que les propriĂ©taires se fassent exproprier (ou non) pour dĂ©marrer des travaux qui de toute façon seront durablement perturbĂ©s par les intempĂ©ries Ă  rĂ©pĂ©tition, annoncĂ©es par la mĂ©tĂ©o. Du cĂŽtĂ© de la SGTM, c’est le silence radio. MalgrĂ© nos sollicitations, aucun responsable n’a acceptĂ© de rĂ©pondre Ă  nos questions. Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour rĂ©agir aux dangers d’inondation pourtant bien prĂ©visibles ?

Pour Benbiba Abdelmajid, le directeur gĂ©nĂ©ral de la direction de l’Hydraulique, il faudra attendre le rĂ©sultat des Ă©tudes concernant la viabilitĂ© des barrages en amont de l’oued Mghogha pour dĂ©clencher des procĂ©dures d’appel d’offres plutĂŽt contraignantes mais « devant l’urgence, des travaux viennent d’ĂȘtre dĂ©clenchĂ©s pour le recalibrage de cet oued ». Dans les coulisses, on parle de difïŹcultĂ©s Ă  mobiliser les fonds nĂ©cessaires alors que nos sources Ă©voquent des histoires d’argent et autres joyeusetĂ©s dont l’administration a le secret.

« Ni la mairie, ni la wilaya et encore moins la RĂ©gion ne sont en mesure de supporter les coĂ»ts faramineux de la mise Ă  niveau des infrastructures de base et le rĂ©amĂ©nagement des oueds », prĂ©cise, sous couvert d’anonymat, une source Ă  la wilaya. Quand bien mĂȘme ! Ces retards dĂ©montrent qu’il n’y a pas de canaux directs entre les diffĂ©rents intervenants permettant d’anticiper une crise de ce type et de la gĂ©rer. C’est l’enseignement majeur Ă  tirer de ces inondations. En attendant, les industriels et les rĂ©sidents de certains quartiers de Tanger croisent les doigts en scrutant le ciel, les quelques rĂ©amĂ©nagements opĂ©rĂ©s Ă  la force du poignet auront sans doute permis, cette fois-ci, d’éviter le pire. Mais pour combien de temps encore?

Abdellatif El Azizi

Ciel, mon oued !

Au Maroc, les inondations se suivent et se ressemblent. Tanger, TĂ©touan, Nador, Agadir
 mĂȘme la mĂ©tropole Ă©conomique n’a pas Ă©chappĂ© au courroux de la mĂ©tĂ©o. Chaque annĂ©e, depuis la ïŹ n du cycle des sĂ©cheresses, des citoyens perdent leurs biens, parfois mĂȘme leur vie, et souvent tout espoir d’ĂȘtre Ă  l’abri des prochaines averses. Pour comble d’infortune, la conjoncture mondiale de la mĂ©tĂ©o est orageuse, pluvieuse et dĂ©primante. Comme le bon peuple, habituĂ© Ă  bĂ©nir toute l’eau qui tombe du ciel, est plutĂŽt indulgent, il ne tient guĂšre rigueur aux ministres et walis des sinistres « qui dĂ©pendent des caprices de la mĂ©tĂ©o ».

Autant dire que les dĂ©fauts aveuglants de l’« exception marocaine » - et d’abord son recours Ă  la fatalitĂ© pour expliquer tout et justiïŹ er l’injustiïŹ able - sont autant d’aubaines pour des responsables, minĂ©s par le dĂ©faitisme qui, sans broncher, continueront Ă  plaider la politique du laisser-faire, de l’incivilitĂ©, de l’hypertrophie des droits les plus Ă©lĂ©mentaires... Et pourtant, le ciel a bon dos ! Malraux, qui prĂ©conisait que le XXIĂšme siĂšcle serait religieux ou ne serait pas, n’a pas oubliĂ© de prĂ©ciser que « Dieu n’est pas fait pour ĂȘtre mis dans le jeu des hommes comme un ciboire dans la poche d’un voleur ». Si le tsunami est forcĂ©ment imprĂ©visible, les dĂ©gĂąts que produiront les prochaines prĂ©cipitations le sont parfaitement.

Le prĂ©visible, c’est une politique qui rompt vraiment avec l’incurie des autoritĂ©s et la corruption des Ă©lus, mĂȘme si elle ne risque de produire ses effets que dans trois Ă  quatre ans. Mieux vaut tard que jamais, on peut toujours commencer Ă  construire des digues, curer des oueds et arrĂȘter d’ériger des bidonvilles et mĂȘme des zones industrielles sur les lits des cours d’eau, seules garanties de rompre avec une pente calamiteuse.


Gharb: Les gros dégùts du Sebou

Quelques semaines de pluie ont suffi : les rĂ©centes prĂ©cipitations, bien que loin d’atteindre les records de l’an passĂ©, ont provoquĂ© de nouvelles inondations, notamment dans le Nord et dans le Gharb. Le « grenier du Royaume » prend l’eau. Reportage.

Mardi 12 janvier : entre KĂ©nitra, le chef-lieu de la riche rĂ©gion agricole du Gharb, et Sidi Kacem, les paysages sont dĂ©trempĂ©s. De part et d’autre de la route, des mares, et dans les agglomĂ©rations traversĂ©es, certains quartiers semblent construits sur des marĂ©cages. Mais ce sont les crues de l’oued Sebou et de son afïŹ‚uent, l’oued Baht, qui ont, encore une fois, provoquĂ© le plus de dĂ©gĂąts. Selon l’ORMVAG (OfïŹce rĂ©gional de mise en valeur agricole du Gharb), elles ont inondĂ© 50 000 hectares de terres agricoles, particuliĂšrement Ă  Sidi Allal Tazi, Mechraa Bel Ksiri, Souk el ArbaĂą, Sidi Slimane et Sidi Kacem.

Nous empruntons la route rĂ©gionale qui va de Sidi Kacem vers le nord, jusqu’à la bourgade de Souk el ArbaĂą du Gharb. Celle-ci disparaĂźt, pendant quelques kilomĂštres sous les eaux du Sebou. La R 410 est coupĂ©e, impraticable mĂȘme pour notre 4x4, et des barrages de gendarmes empĂȘchent les tĂ©mĂ©raires de tenter l’aventure. La protection civile, elle, est en alerte, dans son pick-up remorquant un Zodiac. De chaque cĂŽtĂ© de la voie, les champs sont inondĂ©s, et l’apparition d’un rickshaw ne dĂ©tonnerait pas dans le dĂ©cor. Des adolescents Ă  vĂ©lo dĂ©signent du doigt des douars isolĂ©s par les eaux, Ă  l’ouest, de l’autre cĂŽtĂ© de la voie ferrĂ©e.

« Les autorités ne font rien »

Badr Khorssi, un habitant du coin, se propose de nous servir de guide, nous assurant qu’avec un 4x4, la piste qui y mĂšne est praticable. AprĂšs quelques minutes, il devient Ă©vident que notre guide est, soit blasĂ©, soit habituĂ© aux dĂ©bordements du Sebou ou bien un grand optimiste. A notre gauche, le grand fossĂ© est complĂštement inondĂ©, et dĂ©borde sur la piste, Ă  tel point qu’il nous serait difïŹ cile de suivre son tracĂ© sans les indications de notre guide improvisĂ© ! « C’est la troisiĂšme fois en un mois, nous dit-il, il y a bien quelques digues, mais ce ne sont que des levĂ©es de terre qui s’effondrent quand l’eau monte. »

On progresse lentement, en ignorant les bips d’avertissement Ă©mis par la voiture, puis on tourne pour rejoindre le douar S’hraim Laazib. Et lĂ , on ne peut retenir une exclamation : la piste disparaĂźt complĂštement dans ce qui ressemble Ă  un petit lac, devant le douar. « C’est l’un des douars qui se retrouve le plus souvent isolĂ© par les eaux », nous apprend Badr, et l’annĂ©e derniĂšre, c’était pire. » DifïŹ cile Ă  imaginer
 On s’engage alors dans le « lac », seule solution pour atteindre quelques habitants qui se tiennent, de l’eau presque jusqu’aux genoux, devant leurs maisons encore relativement au sec. Brahim nous raconte, rĂ©signĂ© : « C’est comme ça chaque annĂ©e. Il faudrait construire des digues, des canaux de dĂ©rivation. Mais les autoritĂ©s ne font jamais rien
 »

La voiture arrĂȘtĂ©e au milieu du lac, l’alarme sonne dĂ©sormais en continu. Faire demi-tour semble trop pĂ©rilleux, on choisit donc, encouragĂ©s par les gens du douar, de continuer la traversĂ©e. Un peu moins de 400 mĂštres jusqu’à la voie ferrĂ©e (surĂ©levĂ©e), et la route de Souk el Arbaa du Gharb. Devant notre crainte de noyer le moteur, Brahim propose de nous assister. Il part en Ă©claireur, tĂątant le sol de ses pieds nus pour s’assurer que l’on reste sur la piste. A mi-chemin, le niveau de l’eau s’élĂšve encore, et la tension monte d’un cran dans l’habitacle. Notre guide nous rĂ©conforte Ă  peine en nous informant qu’un tracteur pourrait venir nous tirer, au cas oĂč !

« Nulle part oĂč aller »

EnïŹn, on arrive au sec, et d’autres hommes du douar, ayant assistĂ© Ă  notre lente progression, nous accueillent, lĂ©gĂšrement goguenards. Ils sont fatalistes, et expliquent, en se coupant la parole, « qu’ils ont toujours connu ça ». Les coupables ? En vrac, « la pluie, l’absence de digues, l’incurie des autoritĂ©s
 » Or, pour ces derniĂšres, la situation est due Ă  la nature marĂ©cageuse du bassin, l’envasement de l’oued Sebou et l’absence de barrages sur certains oueds.

A ce sujet, le wali de la rĂ©gion du Gharb-Chrarda-Beni-Hssen, M. Abdellatif Benchrifa, rappelle la programmation, en 2010, de la construction de deux barrages supplĂ©mentaires (Mdez sur l’oued Sebou, Ouljet soltane sur oued Baht). Driss, un paysan d’un Ăąge assez avancĂ© est sceptique : « Jusqu’à prĂ©sent, la construction de barrages (il y en a 3) n’a pas rĂ©glĂ© le problĂšme. On est inondĂ©s rĂ©guliĂšrement. L’annĂ©e derniĂšre, j’ai tout perdu, rĂ©coltes et bĂ©tail. Cette annĂ©e, je vais encore perdre mes rĂ©coltes, et je ne sais pas oĂč mettre mes bĂȘtes pour les protĂ©ger. » C’est pour cela que les Ă©lus de la rĂ©gion insistent, pour leur part, sur la nĂ©cessitĂ© d’un plan de mise Ă  niveau du Gharb, l’organisation de la distribution de l’aide aux populations sinistrĂ©es, et la dĂ©localisation des douars situĂ©s prĂšs des ïŹ‚ euves.

Pour Driss, ce n’est pas une solution. « Je ne peux pas partir, je suis nĂ© ici, j’ai hĂ©ritĂ© de la maison de mon pĂšre qui l’avait hĂ©ritĂ© de son pĂšre
 On n’a nulle part oĂč aller ! » Il nous demande de le prendre en stop pour qu’il puisse acheter du pain dans un village Ă  cinq kilomĂštres. Au douar, ils n’ont plus rien. Juste aprĂšs, il se remet Ă  pleuvoir. Un train passe, lentement. Les passagers regardent par les fenĂȘtres et les portes ouvertes, dĂ©couvrant, l’air Ă©bahi, le paysage immergĂ©. Quelques jours plus tard, la circulation des trains est Ă  son tour interrompue en raison des inondations.

Amanda Chapon


Comment font les autres ?

Dans la plupart des pays, il existe ce que l’on appelle la « politique de prĂ©vention des inondations » qui s’occupe essentiellement de gĂ©rer les risques d’inondation. En France, les communes ont, Ă  leur charge, la prise en compte du risque alors que l’État s’occupe de rendre effectifs les plans de prĂ©vention des risques naturels (PPR) pour les communes les plus menacĂ©es. Cette politique de prĂ©vention s’organise autour de deux axes. Le premier consistant en des « Programmes d’action et de prĂ©vention des inondations » (Papi), qui regroupent un certain nombre de propositions dont la rĂ©gulation du dĂ©bit en amont des cours d’eau grĂące Ă  la crĂ©ation ou Ă  la restauration des champs d’expansion des crues. Alors que le second volet consiste en des « plans de prĂ©vention des risques » (PPR), qui dĂ©ïŹnissent comment prendre en compte dans l’occupation du sol les diffĂ©rents risques naturels (inondation, sĂ©isme, avalanches, incendies de forĂȘt, etc.). Dans les zones les plus dangereuses appelĂ©es « zones rouges », le PPR interdit les implantations humaines. Les zones rurales d’expansion de crues Ă  prĂ©server sont Ă©galement classĂ©es en rouge quel que soit le niveau d’alĂ©a. Dans les zones urbaines oĂč l’alĂ©a est moins fort, nommĂ©es « zones bleues », le PPR autorise les constructions moyennant certaines prĂ©cautions. Le PPR est conduit par la direction dĂ©partementale de l’Équipement en concertation avec les communes concernĂ©es.

 


Réfugiés dans le stade

La pluie ayant persistĂ© jusqu’au weekend, les eaux de l’oued Baht ont continuĂ© Ă  monter, obligeant les habitants de plusieurs douars de la commune de Magrane (25 km environ au nord de KĂ©nitra) Ă  abandonner leurs habitations dans la nuit du 15 janvier. Ils ont Ă©tĂ© accueillis dans des bivouacs amĂ©nagĂ©s dans un stade de football Ă  Sidi Allal Tazi et au poste forestier d’El Manzeh, dans la banlieue de KĂ©nitra. Dans le stade, ce sont quelque 320 Ă  350 personnes du douar Taaouniat El Khir qui se sont installĂ©es dans des tentes dressĂ©es par la protection civile, lui donnant un air de camp de rĂ©fugiĂ©s. Dans la journĂ©e de samedi, plusieurs autres douars ont dĂ» ĂȘtre Ă©vacuĂ©s, avec l’aide de la protection civile et de la Gendarmerie royale. Les habitants ont trouvĂ© refuge sous les tentes ou chez des parents. D’autre part, des matelas, des couvertures, des produits alimentaires et de l’orge pour le bĂ©tail ont Ă©tĂ© distribuĂ©s. Lorsque la pluie a cessĂ©, dimanche, les barrages Ă©taient sous forte pression. Selon le wali de la rĂ©gion, le taux de remplissage du barrage Al Wahda atteignait alors 104%.

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