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actuel n°111, vendredi 7 octobre 2011
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Que ce soit dans les bureaux feutrés des sièges sociaux ou dans les ateliers de production, le harcèlement sexuel et moral sévit au Maroc, au point que les délégués syndicaux ne savent plus où donner de la tête. Face à ce fléau, la législation est loin d’être dissuasive à l’encontre de patrons trop entreprenants et de contremaîtres persécuteurs. Tour d’horizon.


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a commence par des regards insistants, des compliments appuyés, des attouchements furtifs ou des propos évocateurs, et ça se termine parfois par des insultes à l’égard de l’employée réticente, souvent par des humiliations quotidiennes ou toute forme de dénigrement, voire même par des discriminations au travail.

A entendre les confidences des femmes, qu’elles soient cadres ou ouvrières, le harcèlement sexuel sévit gravement dans les entreprises, quels que soient la taille et le style de management.

Etouffé par la loi du silence, le phénomène n’est appréhendé ni par une stratégie nationale spécifique ni même par un observatoire pour en mesurer l’ampleur. L’omerta qui plane sur le monde du travail, encouragée par l’inefficacité d’une législation pas assez dissuasive, a fini par envenimer le climat social au sein de l’entreprise.

Focalisés sur la défense des acquis des travailleurs et l’amélioration de leurs conditions matérielles, les syndicats ont tendance à reléguer au second plan la problématique du harcèlement.

Un concept jugé d’ailleurs trop vague et surtout juridiquement difficile à prouver. Pourtant, selon plusieurs témoignages, ce fléau, qui ne cesse de faire des ravages, mine le moral des travailleurs, et peut entraîner un effet néfaste immédiat sur la productivité.

C’est pourquoi dans les pays développés, les sanctions appliquées à l’encontre du harceleur sont sans appel. Pour les faits avérés, pas de place à l’indulgence. Malheureusement, le Maroc accuse un net retard sur ce registre alors même que les femmes sont souvent les principales victimes du harcèlement sexuel, car les plus vulnérables socialement et matériellement.

Elles occupent encore, pour la plupart d’entre elles, des postes subalternes qui les exposent aux caprices de leur supérieur immédiat, sans aucun filet de sécurité. A ce jour, le législateur continue donc d’ignorer ce phénomène socialement tabou et les harceleurs peuvent agir en toute impunité.

 

Les femmes et aussi les hommes

C’est le cas de Farida, 30 ans, cadre de banque, victime de harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique : « D’agissements hostiles en remarques déplacées, il a tout fait pour me pourrir la vie.

Plus j’étais effondrée, plus il jubilait ! La peur de perdre mon emploi m’a longtemps paralysée au point de me retrouver avec de graves problèmes de santé. » Farida n’est qu’un cas parmi tant d’autres.

Mais en ce qui concerne le harcèlement moral, les hommes sont logés à la même enseigne. Kamal, cadre dans une société agroalimentaire, est mis au placard depuis plusieurs mois. Il lui a suffi de réclamer une augmentation de salaire pour que sa vie bascule.

« Mon patron m’a poussé vers la sortie par tous les moyens : pression, intimidation, retrait des outils professionnels (téléphone professionnel, ordinateur portable…). La direction est allée jusqu’à me retirer ma voiture de fonction, sachant que c’était un outil de travail indispensable. »

Pour autant, Kamal n’entamera pas de poursuites judicaires, car il sait d’avance que cette démarche est vouée à l’échec. Elle pourrait même s’avérer préjudiciable pour la suite de sa carrière professionnelle.

En réalité, le délit de harcèlement sexuel n’est que vaguement énoncé dans l’article 503-1 du code de travail, et dans l’article 40 qui invoque la responsabilité de l’employeur en cas d’insultes graves ou de pratique de toute forme de violence et d’agressivité à l’encontre de son salarié.

Les inspecteurs du travail comme les représentants syndicaux confirment que les catégories socioprofessionnelles défavorisées sont les plus exposées. Le harcèlement sexuel bat son plein dans les usines de confection et de conditionnement de produits agro-industriels où la main-d’œuvre féminine est dominante.

« A l’ignorance et à l’absence de sensibilisation, s’ajoute la précarité de l’emploi. Autant de facteurs qui exposent cette catégorie de main-d’œuvre aux agressions verbales et souvent physiques. Contremaîtres et chef de lignes de production prennent leurs aises en profitant de la vulnérabilité des ouvrières, sans aucune crainte d’être dénoncés », analyse un inspecteur du travail.

 

Une seule loi : celle du silence

« Mais attention aux constats trop simplistes ! », renchérit Khadija Ouldemmou, présidente de Nejma, centre d’écoute créé par l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM).

Selon cette militante, le fléau toucherait toutes les catégories socioprofessionnelles. Le harcèlement sexuel ne se limiterait donc pas aux ateliers de manufacture ni aux usines de conditionnement.

« Les appels de détresse nous parviennent aussi bien d’ouvrières que de cadres d’entreprises structurées. Toutes souffrent de la même manière ! » Mais c’est la loi du silence qui est difficile à supporter pour les victimes.

En l’absence d’une protection efficace de leurs droits juridiques, l’on serait tenté de croire que les employés peuvent trouver un appui réconfortant auprès de leurs collègues ou du délégué du personnel. Mais force est de constater que la solidarité ne joue que très rarement à ce niveau-là.

La peur de perdre son emploi, la précarité matérielle de la plupart des travailleurs et le manque d’encadrement syndical font que la victime du harcèlement se retrouve rapidement isolée à l’intérieur de l’entreprise, livrée à elle-même et plus vulnérable que jamais.

Zora El Hajii et Mouna Kably


 

Harcèlement moral : que dit la loi ?

Ce délit est quasiment ignoré des textes de loi. Il est toutefois énoncé dans les articles 40 et 532 du nouveau code du travail marocain. « Il s’agit de toute conduite abusive, de tout supérieur hiérarchique ou collègue, qui pendant une durée certaine, se manifeste par des comportements, des actes, des paroles, des écrits, répétés, visant systématiquement la (les) même(s) personne(s), portant ainsi gravement atteinte à sa personnalité, son intégrité psychique, tendant à rendre impossible le maintien de son emploi en dégradant volontairement ses conditions de travail. »

Sur le terrain, il apparaît que le motif le plus fréquent du harcèlement moral est la peur de « se faire piquer sa place ». Trop compétente, la victime présente un danger pour le harceleur. Mais le code du travail comme le code pénal restent muets sur les recours possibles de la victime. Il n’existe donc aucun moyen de défense si vous êtes le souffre-douleur de votre employeur.


 

 

Trois questions à... Karim Adyel, docteur d’Etat français en droit comparé

 

actuel. Quel est le dispositif légal de lutte contre le harcèlement sexuel au Maroc ?

Karim Adyel. Au Maroc, l’introduction de la notion de harcèlement sexuel dans le dispositif légal est récente (loi N° 24.03), même si ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Par ailleurs, les articles 503, 504 du code pénal, et 40 et 26 du code du travail, définissent et sanctionnent le harcèlement sexuel.

L’article 503-1 ajouté par la loi 24.03 au code pénal dispose : « Est coupable de harcèlement sexuel et puni de l’emprisonnement d’un à deux ans et d’une amende de cinq mille à cinquante mille dirhams, quiconque, en abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, harcèle autrui en usant d’ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autre moyen, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. »

 

Quelles sont les causes majeures du harcèlement ?

La précarité de l’emploi et le travail par intérim rendent plus vulnérables les salariés aux pressions hiérarchiques. Les femmes en sont le plus souvent victimes. Même si aucune étude n’a été réalisée sur le phénomène, le harcèlement moral ou sexuel est répandu dans les entreprises marocaines, mais rarement dénoncé.

Les victimes craignent de perdre leur travail et savent qu’il est difficile de prouver les persécutions subies. Les salariés, qu’ils soient victimes de harcèlement moral ou sexuel, doivent fournir des preuves.

Les responsables ou les dirigeants d’entreprise ont aussi recours à cette pratique pour pousser un salarié à démissionner. L’employeur vise ainsi à contourner les procédures de licenciement.

 

Quelle est la part de responsabilité de l’employeur du salarié harceleur ?

La personne mise en cause, que ce soit l’employeur ou un salarié de l’entreprise, peut recourir à une tentative de conciliation préliminaire, prévue par l’article 532, pour réintégrer son poste.

La victime reçoit alors une indemnisation dont le montant est fixé d’un commun accord par les deux parties en conflit. Par ailleurs, l’inspecteur du travail peut procéder à une tentative de conciliation en proposant une mutation du salarié à un autre poste.

En France, un salarié auteur de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire, qui peut se traduire par une sanction pénale : 15 000 euros d’amende et 1 an d’emprisonnement. De même, l’employeur engage sa responsabilité car il répond des actes des personnes exerçant une autorité sur les salariés de l’entreprise et ce, même en l’absence de faute de sa part.

Propos recueillis par Zora El Hajii


Les politiques aussi des DSK à la marocaine

 

La différence entre le Maroc et le reste du monde, ce n’est pas la pudeur de nos hommes politiques, mais leur impunité.

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Un ministre en exercice prend soin de s’entourer uniquement de collaboratrices et son cabinet est soumis à un turn over infernal pour des raisons qui se comprennent aisément. Harcèlement sexuel ? Bof… Bien entendu, aucune des intéressées ne pipera mot sur les pratiques peu orthodoxes du personnage.

Et contrairement à ce que l’on croit, le syndrome DSK sévit également dans la classe politique locale. Des ministres qui pratiquent le droit de cuissage pour accepter de signer un marché, des chefs de service qui monnaient une promotion, des députés qui se font une réputation d’enfer en raison d’une libido effrénée ou encore des agents d’autorité qui font usage de leur statut pour contraindre des administrées à passer par la case « chambre à coucher », les couloirs des ministères bruissent de secrets d’alcôve qui font le délice des colporteurs de commérages.

« Si le pouvoir représente une excitation permanente, le pouvoir politique serait un ‘‘aphrodisiaque absolu’’. Le harcèlement sexuel est un acte violent lié à une agression orale ou physique, mais dans une société où la femme continue d’être représentée comme un être mineur, cela n’est pas considéré comme un crime, d’où les plaisanteries parfois graveleuses qui circulent dans ce monde », explique le professeur en psychiatrie Omar Battas.

« Le monde politique est basé de fait sur des rapports de force. C’est pour cela que le machisme semble si évident vis-à-vis des femmes. Dans ce monde plus qu’ailleurs, être subordonné et femme de surcroît vous donne droit au mieux à des remarques salaces et au pire à des avances sexuelles sans équivoque », renchérit une ancienne députée.

Des hommes comme Benallou ne traînent pas uniquement des casseroles au niveau financier. Certaines collaboratrices ont confié à des journalistes que l’homme pratiquait également, et à satiété, la « promotion canapé ».

Les langues se délieront-elles au cours du procès qui serait imminent ? Les anecdotes scabreuses de cet autre patron d’entreprise publique font le tour des salons casablancais et pourtant, jusqu’à présent, aucune des victimes n’a osé porter plainte.

« Le monde politique étant un centre du pouvoir par excellence, les victimes n’osent pas porter plainte contre des personnes jugées trop puissantes », décrypte le psy.

Les histoires de harcèlement sexuel dans les milieux politiques sont courantes, mais l’omerta est de mise. Et si elles sont rarement dénoncées officiellement par les témoins, cela ne signifie pas que la vie cachée des responsables politiques n’intéresse pas. L’utilisation des turpitudes sexuelles contre ses adversaires politiques est un procédé vieux comme le monde.

Le scandale du commissaire Tabit qui piégeait allègrement des leaders politiques n’est que la face révélée des agissements qui sévissent dans toutes les officines. Aujourd’hui, les vidéos hot de lieutenants du cheikh Yassine, postées régulièrement sur Youtoube, en disent long sur ces pratiques.

Des responsables bien placés dans la hiérarchie islamiste ayant allègrement fait usage de leur autorité pour obtenir les faveurs de la gent féminine, ce n’est pas ce qui manque chez ces politiciens supposés être plus chastes que leurs confrères laïques.

La drague des puissants reste un tabou majeur. Ainsi, Nouzha Skalli s’est fait brocarder en 2008 quand elle a voulu pénaliser le harcèlement sexuel. Un projet de loi rejeté par les députés. Parce qu’ils pratiquent le harcèlement ?

Abdellatif El Azizi


Tableau (cynique) : clinique du harceleur

Ses procédés sont aussi divers que redoutables. Sachez reconnaître celui que vous avez en face de vous !

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Le harceleur a recours à la ruse et à la sournoiserie pour déstabiliser sa proie, se nourrissant principalement de la souffrance et de la crainte de sa victime. Cette espèce en voie d’expansion s’adapte à toutes les catégories socioprofessionnelles. Si vous en voyez un s’approcher de vous, affrontez-le !

 

Lunatique aigu ou humeur maligne

Le harceleur est pourvu d’un caractère versatile, son humeur est digne d’un grand huit. Souvent caractériel, il lui arrive aussi d’être conciliant. Le stress hiérarchique descendant peut être à l’origine de cette pathologie : si le « n+1 » stresse « n », ce dernier reportera son stress sur le « n-1 », etc.

La théorie de Lavoisier peut ainsi être parodiée : « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transfère. » Le bureau se transforme en ascenseur émotionnel pour les collègues et subordonnés dont les questions existentielles deviennent les suivantes : « Comment éviter son courroux, quelle est l’humeur du jour ? »...

 

Narcissique compulsif

Le bourreau ne supporte pas le désaccord ou des opinions différentes des siennes. Son narcissisme est tel que si un subordonné (« sbire, larbin ») s’avise de lui faire comprendre qu’il a tort, le harceleur risque l’écroulement.

Toute critique est assimilée à une attaque personnelle, à une remise en question de ses capacités intellectuelles. S’il finit par admettre (en son for intérieur) son erreur, il s’approprie sans scrupule les idées et les recommandations de ses subordonnés. Le harceleur peut alors manifester bienveillance et compréhension.

Le caractère compulsif du narcissique endort la méfiance de l’« ennemi », s’il considère stratégique de simuler de l’intérêt pour son entourage. Objectif : soutirer un maximum d’informations.

 

Autoritaire victimophile

Le tyran souffre d’un besoin d’emprise surdimensionné. Techniques de flicage, rudoiement et menaces sont utilisés à tour de bras pour « motiver » le subordonné. Le tortionnaire devient spécialiste du maintien de l’état de stupeur de son équipe, le but étant d’en tirer le meilleur (effroi). Grand ou petit, si le despote rabaisse, c’est pour paraître à la hauteur.

 

Hystérique chronique

Le tourmenteur éprouve de sérieuses difficultés à gérer son agressivité, qui se manifeste sous la forme d’un comportement azimuté. Un imprévu ou un contretemps peuvent avoir l’effet d’une bombe H.

L’hystérique, victime du surmenage, se lance dans une prestation vocale digne des plus grands ténors. On retrouve ce genre de pathologie dans des milieux où la concurrence et la compétition sont rudes. Si les réunions prennent l’aspect de Blitzkrieg (guerre éclair) sanguinaire, c’est majoritairement lié à une effusion émotive du souffrant. La pression ambiante débouche sur des crises de nerfs.

 

Hypervigilant paranoïaque

Le vicieux riposte promptement – le plus souvent sous forme d’engueulade – contre tout ce qui est ressenti comme un danger omniprésent. Tel un sniper, il traque, guette toutes les failles, ambiguïtés ou erreurs professionnelles.

Suspicion et contrôle sont à l’ordre du jour. Le supérieur paranoïaque introduit sans cesse des significations interprétatives aux événements du quotidien. Tout épanouissement des employés est ressenti comme une menace vitale à son ascension, car un harceleur ambitionne toujours d’être promu !

 

Le harceleur souffre d’une flopée de tares

Malade certes, mais son cas n’est pas désespéré. Il peut en guérir, à condition d’accepter de se faire soigner. En attendant, les victimes, elles, devront se forger une carapace solide pour tenir bon.

Zora El Hajii


Témoignages de la hogra ordinaire

 

La prolifération du harcèlement professionnel pollue l’ambiance au travail. Mais il n’a jamais fait l’objet d’études sérieuses au Maroc. Les cas sont pourtant nombreux et les séquelles souvent graves. Florilège.

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Harcèlement moral

Pas le droit de s’exprimer

(« Khdem wou skout »)

 

Latifa, 35 ans, juriste

« Ton avis ne compte pas Â»

Mon boss m’empêche de donner mon avis ou de me prononcer sur une décision. Pas la peine de préciser que mes initiatives personnelles sont vouées à l’échec : « Non, il faut respecter les directives à la lettre » ou encore « on ne t’a rien demandé ».

J’ai l’impression de travailler à la chaîne et que ma présence est superflue. Lorsque je trouve des dossiers sur mon bureau, je me sens nauséeuse à l’idée de demander des détails sur la méthode à suivre.

Toutes mes questions obtiennent en réponse des « pas maintenant », « vous pensez que je n’ai que ça à faire ? » ou pire « si vous ne comprenez pas les tâches qui relèvent de votre fonction, je ne peux rien faire pour vous ».

Mon mari m’incite à démissionner, mais nous venons de nous installer dans un petit appartement acquis à la sueur de notre front, les traites sont élevées et je ne peux me permettre de renoncer à un salaire. Solution ? Une autre opportunité professionnelle, mais je ne trouve aucun poste vacant correspondant à mes compétences (érodées depuis cette horrible expérience).

 

Tarik, 29 ans, commercial

« Mon cerveau était lobotomisé Â»

J’ai été victime de mon silence et de ma lâcheté. Je m’en voudrai toute ma vie d’avoir contribué à la joie d’un bourreau et ce, durant toute une année. Je travaillais comme commercial dans une société d’informatique ; mon chef était connu pour être caractériel mais je ne m’attendais pas à ce qu’il s’acharne sur moi.

J’étais devenu son chien qu’il tenait en laisse, il me hurlait dessus, m’interrompait systématiquement et me menaçait de sanctions. Mon entourage me poussait à me défendre ou à partir, mais il est difficile d’expliquer l’incapacité à partir, à croire que votre cerveau est lobotomisé.

Les effets sur ma santé n’ont pas tardé à se manifester : herpès, eczéma, insomnie, perte de poids… et de ma fiancée. Un jour, suite à la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, j’ai pris mon courage et mes affaires à deux mains et je lui ai balancé à la figure tout le « bien » que je pensais de lui : ultime satisfaction ! Un conseil aux victimes : indignez-vous contre la « hogra » !

 

 

Isoler la victime

(« Hettou fel frigo Â»)

 

Dalila, 34 ans, auditrice

« Prisonnière dans un bureau d’un mètre carré Â»

Ma boss m’a longtemps dénigrée auprès de la hiérarchie, simulant des fautes professionnelles et des erreurs d’incompétence. Elle a tout fait pour m’isoler de mes camarades en me confinant dans un local d’un mètre carré.

Le harcèlement est allé au point de me supprimer petit à petit mes outils professionnels et d’interdire à mes collègues de m’aider. Elle en remettait une couche en m’excluant des groupes de sorties et d’événements festifs. Ce qui m’a sauvée ? Un collègue empathique (au bras long) qui a fait preuve de courage !

 

Warda, 26 ans, dans la mode

« Elle prend plaisir à me faire du mal Â»

Le vilain petit canard. Voilà une expression qui prend tout son sens dans mon cas ! Entre les remarques blessantes et les comportements humiliants, je me retrouve prisonnière d’un boss en délire ! Elle trouve un malin plaisir à me faire du mal, j’ai même eu droit à des menaces : « Si tu dis du mal de moi, je peux te garantir que tu ne trouveras plus jamais de boulot dans le domaine. »

J’ai également droit à des élégances du style « la mode ce n’est pas ton truc, il n’y a qu’à te voir ». Si je ne pars pas, c’est parce que j’aime ce domaine et je ne voudrais pas qu’elle me mette des bâtons dans les roues… J’attends plutôt que la roue tourne.

 

 

Discréditer la victime dans

son travail (« khedma hadi ! Â»)


Omar, 39 ans, directeur de restauration

« C’est quoi ce boulot de gamin ? Â»

Mon chef passe la majeure partie de son temps à m’humilier auprès de mon équipe, et le reste du temps à rouspéter. Pas un jour ne passe sans que j’encaisse des remontrances : « Ach had lkhdema dial lbrahech ? (C’est quoi ce boulot de gamin ?) ; kat deya3 lia ou9ti ! (tu me fais perdre mon temps !) »

Je suis victime de brimades et d’humiliations constantes. En réunion, il ne se gêne pas pour me ridiculiser et mettre en doute mes capacités de décision. Pourquoi je reste ? Par peur d’être confronté au même problème ailleurs.

 

Mohamed, 34 ans, responsable marketing

« Je vous trouve très mou Â»

J’ai travaillé pendant trois ans dans une société où Gozilla m’aurait moins effrayé que mon boss. Il avait pour habitude de m’interpeller par mon nom de famille sur un ton à faire vibrer les murs.

Tous les jours, j’avais droit à des subtilités telles que « je vous trouve très mou », « ce ne sont pas des gens comme vous qui réussissent ». En réunion, je devenais le dindon de la farce, des « insider jokes » circulaient à mon sujet et arrivaient même à faire rire mon assistante !

Après avoir consulté un ami avocat, j’ai appris que la loi n’était pas de mon côté, sachant qu’elle ne reconnaissait même pas l’existence du harcèlement moral. Alors, j’ai quitté mon poste et je remercie mon ancien boss d’avoir fait de moi un homme résistant à toute épreuve.

 

 

Harcèlement sexuel

Quand l’employé devient l’objet sexuel…

 

Kenza, 37 ans, secrétaire de direction

« Après les attouchements, le placard Â»

Mon cauchemar a commencé le jour où j’ai annoncé mon divorce à une collègue de bureau. Mon chef a alors changé de comportement. Les premiers mois, je me voyais couverte de compliments et de faveurs (après-midi libres, cadeaux…). Je pouvais prendre des initiatives et j’étais félicitée pour mes démarches et mes idées.

Des attouchements n’ont pas tardé à suivre, mais après avoir calmé ses ardeurs, j’ai été mise au placard. Je dois supporter des réprimandes et des commentaires déplacés sur mon physique (qui ne l’a pas dérangé quand il me draguait) ainsi que sur ma méthode de travail. Je suis aujourd’hui en recherche active d’une autre opportunité d’emploi. En attendant, me voilà coincée avec un malade !

Propos recueillis par Z.E.H.


 

 

Ghita El Khayat : Le harceleur ne choisit pas ses victimes au hasard

 

Les liens entre harcèlement moral et sexuel sont parfois ténus. Mais les victimes se ressemblent : un harceleur cible toujours les proies les plus faciles à persécuter.

***

Ghita El Khayat, psychiatre, psychanalyste et spécialiste en médecine du travail, dessine le profil du harceleur et décortique l’impact de ses actes sur la santé psychologique de la victime.

 

Actuel : Quelles sont les caractéristiques du harceleur dans le milieu professionnel ?

Ghita El Khayat : Il est important de distinguer harceleur sexuel et harceleur moral.

Le harceleur sexuel est en général un homme (dans 95% des cas). Souvent mégalomaniaque, il pâtit de problèmes sexuels.

Le harceleur frustré refuse toute forme de désobéissance ou de résistance émanant de la subordonnée. Le harcèlement sexuel peut également être pratiqué par une femme, souvent haut gradée et exerçant un pouvoir certain sur ses subordonnés. Ce type de harcèlement est latent. Il est ressenti par le subordonné masculin comme une domination ou même une castration.

 

Les deux types de harcèlement peuvent-il se conjuguer ?

Oui, tout a fait. Les cas de victimes des deux types de harcèlement sont très fréquents. Le harceleur peut commencer par affaiblir moralement sa « proie », en la dévalorisant ou en la manipulant, telle une marionnette, pour ensuite passer au harcèlement sexuel. La victime diminuée renonce généralement à toute forme de résistance par peur de perdre son travail.

 

Comment le harceleur choisit-il sa victime ?

Le harceleur ne choisit pas ses victimes au hasard, loin de là. Ces dernières sont sélectionnées en fonction de leur faiblesse, de leur fragilité. Les personnes ciblées présentent généralement une faille psychologique (manque  de confiance en soi, etc.) ou sociale (mère de famille ayant besoin de garder son emploi pour élever ses enfants, personne isolée...) que le harceleur va exploiter. En bref, le harceleur vise les personnes qui supporteront en silence son harcèlement.

 

Quel est l’impact du harcèlement sur l’individu ?

Le harcèlement déstabilise psychologiquement la victime, et une dépression profonde en découle. Il est également important de mesurer les conséquences pour l’entreprise comme pour l’environnement sociétal.

Le harcèlement moral ou sexuel réduit radicalement la productivité de la victime et son engagement professionnel ; les résultats de l’entreprise peuvent à leur tour en pâtir. Les conséquences étant encore plus graves sur le moral de la victime, elles affectent donc certainement son environnement (foyer, famille, enfants, amis…).

 

Que faire en cas de harcèlement ?

Dans le cas de harcèlement sexuel ou moral, il faut impérativement se tourner vers l’inspection du travail pour déposer plainte et tenter une négociation avec la hiérarchie. Si la négociation n’aboutit pas, il faut faire appel à un avocat.

Il faut réaliser que les victimes sont de plus en plus souvent des cadres, parfois haut placés, et que ces perturbations ne sont pas sans conséquences pour l’entreprise. Les démarches contre le harcèlement sont donc importantes pour faire évoluer les mentalités. Un relais médiatique soutenu est également important pour dénoncer les abus pratiqués par les harceleurs. Brisons les tabous.

Propos recueillis par Amanda Chapon


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N°110 : Bilan  Le code de la déroute
N° 109 : L’ONDA  Grosses tensions et petites combines
N°108 : Placements Comment sauvegarder son patrimoine  
N°107 : Impôt sur la fortune El Fassi lance un pavé dans la mare  
N° 106 : Interview 
N° 104/105 : Presse étrangère/Maroc Le grand malentendu  
N°103 : Le temps de l’amazigh  
actuel 102 : Référendum Ecrasante victoire du Oui  
actuel 101 : Fatéma Oufkir : Le roi et moi 
N°100 : 100 indignations et 100 solutions pour le Maroc 
N°99 : Projet constitutionnel Le roi et nous  
N° 98 : Pédophilie  : Tolerance zero 
N° 97 : Gad, Jamel & co Pourquoi les Marocains font rire le monde
N° 96 : L’horreur carcérale 
N° 95 : Enseignement privé : Le piège  
Actuel n°94 : Moi, Adil, 25 ans, marchand de chaussures et terroriste  
N°93 : Ces cliniques qui nous ruinent 
Actuel n°92 : Révolutions et attentats Sale temps pour Zenagui 
Actuel n°92 : Mais que veulent les jeunes ? 
Actuel n°92 : Il n’y pas que le 20-Février…  
Actuel n°92 : Qui cherche à déstabiliser le pays ?  
Actuel n°92 : Â«â€‰Nos attentes sont plus grandes que le 20-Février »  
Actuel n°92 : Trois jeunesses 
Actuel n°92 : Attentat : Le jeudi noir de la ville ocre  
Actuel n°91 : Le grand nettoyage 
Actuel n°90 : Le retour des adlistes 
Actuel n°89 : Ruby : sexe, mensonges et vidéo 
Actuel n°88 : Impôts : Halte à la fraude 
Actuel n°87 : Hassan II TV c’est fini 
Actuel n°86 : Marine Le Pen : L’islam, les Arabes et moi 
Actuel n°85 : Vive le Maroc libre 
Actuel n°84 : Rumeurs, intox : à qui profite le crime ? 
Actuel n°83 : ET MAINTENANT ? Une marche pour la démocratie
Actuel n°81 : Sale temps pour les tyrans 
Actuel N°72 : Aquablanca : La faillite d’un système  
Actuel n°69-70 : Benguerir sur les traces de Settat 
Actuel n°68 : Art, sexe et religion : le spectre de la censure 
Actuel n°67 : Dans les entrailles de Derb Ghallef 
Actuel n°66 : Ces FQIHS pour VIP 
Actuel n°65 : RNI, le grand politic show 
Actuel n°64 : Bourse de Casablanca, des raisons d’espérer 
Actuel n°63 : Ex-ministres :  y a-t-il une vie après le pouvoir ?
Actuel n°62 : Le code de la route expliqué par Ghellab
Actuel n°61 : La vie sexuelle des Saoudiennes… racontée par une Marocaine
Actuel n°60 : Chikhates, shit et chicha 
N°59 : Eric Gerets, la fin du suspense ?
N°58 : Onze ans, onze projets 
N°57 : Raid sur le kif 
N°56 : Sea, Sun & Ramadan 
N°55 : Casablanca, mais qui est responsable de cette pagaille ?
N°54 : Ces ex-gauchistes qui nous gouvernent 
N°53 : Au cÅ“ur de la prostitution marocaine en Espagne 
N°52 : Diplômés chômeurs : le gouvernement pris au piège
N°51 : 2M : Succès public, fiasco critique
N°50 : L’amérique et nous 
N°49 : Crise, le Maroc en danger ?
N°48 : Les 30 Rbatis qui comptent 
N°47 : Pourquoi El Fassi doit partir 
N°46 : Chirurgie esthétique :  plus belle, tu meurs
N°45 : McKinsey dans la ligne de mire  
N°44 : Trafic sur les biens des étrangers 
N°43 : Avec les évadés de Tindouf 
N°42 : GCM / Tamesna : Un scandale en béton !
N°41 : ONA - SNI: Ils ont osé
N°40 : Enseignement: Missions à tout prix
N°39 : Le Maroc, terre d'accueil des espions 
N°38 : Bleu Blanc Beurk 
N°37 : Boutchichis Les francs-maçons du Maroc
N°36 : Hamid Chabat réveille les vieux démons
N°35 : Vies brisées 
N°34 : Maires Ceux qui bossent et ceux qui bullent
N°33 : Botola Combien gagnent nos joueurs
N°32 : Sexe, alcool, haschich, jeux… Les 7 vices des Marocains
N°31 : Tanger Le dossier noir des inondations
 
 
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