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Mohammed VI versus al-Assad,  Au nom du père
actuel n°118, vendredi 25 novembre 2011
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Etrange retournement de l’histoire : Hafez voulait renverser Hassan II. Aujourd’hui, c’est le roi du Maroc qui soutient le combat des victimes du tyran de Damas.


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Ironie du sort, l’histoire a parfois de ces retournements ! Hier, al-Assad père armait les militants de la gauche pour faire tomber Hassan II et, aujourd’hui, le sort d’Al-Assad fils se joue en partie dans les coulisses de la diplomatie parallèle entre le Maroc, la Turquie et le Qatar.

La Syrie, en coma politique profond aggravé par l’incurie du pouvoir de Damas déjà à vau-l’eau, ira-t-elle au diable et al-Assad a-t-il le pouvoir de résister longtemps à l’effet domino du Printemps arabe ? D’ores et déjà, le Maroc, la Turquie et le Qatar s’échinent à maîtriser les inconnues avec le sentiment vertigineux d’ignorer l’issue... mais d’y courir inéluctablement.

Les moukhabarat syriens ne se sont d’ailleurs pas trompés sur le rôle du Maroc dans la préparation de l’après-Assad. Avant même la tenue de la seconde réunion de la Ligue arabe à Rabat, le 16 novembre, les baltajias du maître de Damas ont attaqué l’ambassade du Royaume dans la capitale syrienne.

L’appel du Maroc à recevoir les ministres arabes au lendemain de leur décision de suspendre la Syrie de la ligue arabe a provoqué la colère du clan al-Assad. Le Maroc a tout de suite rappelé son ambassadeur à Damas, Mohamed Lakhsassi, en protestation à la violation des coutumes protocolaires et des traditions diplomatiques, mais surtout pour montrer sa détermination à répondre par la fermeté au régime de Damas.

« Nous plaçons beaucoup d’espoir dans le Royaume qui a les moyens de faire plier le régime d’al-Assad, non seulement parce qu’il est membre du Conseil de sécurité, mais aussi parce que les Syriens ont suivi avec beaucoup d’attention le coup de main donné par les Marocains au CNT libyen », explique un membre du Conseil national syrien (CNS) en contact avec les Marocains.

Sauf que les embardées du régime syrien montrent que Bacharal-Assad n’a rien retenu des leçons libyennes et tunisiennes.

 

Réponse du berger à la bergère

Pour répondre à l’ultimatum de la Ligue arabe sommant le régime de cesser la répression de la révolte, le président syrien, au pouvoir depuis 2000, a choisi l’hebdomadaire britannique The Sunday Times pour narguer les dirigeants arabes et réitérer à ses ouailles sa ferme volonté d’écraser dans le sang toute velléité de révolte.

« Mon rôle de président est dans l’action, pas dans des discours ou du chagrin, a-t-il déclaré. La seule solution est de chasser les bandes armées, d’empêcher l’entrée d’armes et de munitions depuis des pays voisins, d’empêcher le sabotage et de faire respecter la loi et l’ordre. » Bacharal-Assad a accusé certains pays arabes de créer un « prétexte » à une intervention militaire occidentale qui provoquerait un « séisme » dans la région.

Il a soulignĂ© qu’il Ă©tait tout Ă  fait prĂŞt Ă  combattre et Ă  mourir s’il devait affronter des forces Ă©trangères et, « cela va sans dire,  il est indĂ©niable que la Syrie ne s’inclinera pas » malgrĂ© la multiplication des appels pressants Ă  son dĂ©part.

 

Une question d’éthique

Le dossier syrien est aujourd’hui plus une question d’éthique que de politique. La gravité de la répression, l’épuisement de tous les recours face à une dictature qui a révélé son vrai visage avec l’assassinat de citoyens, montrent chaque jour une société meurtrie en profondeur, et qui crie son désespoir sous l’objectif de photographes amateurs. Hormis l’USFP qui entretient des relations étroites avec l’opposition syrienne, et le PJD en contact avec les Frères musulmans de Syrie, la classe politique marocaine suit timidement l’évolution de la situation.

« Nous avons eu plusieurs réunions concernant la situation en Syrie. A l’USFP, nous soutenons sans conteste le peuple syrien et l’opposition. Nous trouvons regrettable que le régime syrien, dans lequel on avait fondé beaucoup d’espoir, se soit vite transformé en une dictature qui exécute des civils sans défense », explique Abdelhamid Jmahri, membre du bureau politique de l’USFP.

Il ajoute que « Burhan Ghalioun, président provisoire du CNS, est très lié aux usfpéistes qu’il fréquente d’ailleurs assidûment depuis les années 70 ». Même son de cloche du côté de AbdelilahBenkirane : « Il est grand temps que ce régime disparaisse. Un chef d’Etat qui fait tirer sur son peuple a dépassé les limites. Des citoyens exposés à tout moment aux exactions des moukhabarat, qui prennent des membres de la famille en otage pour contraindre les fugitifs à se constituer prisonniers, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Bien entendu, nous soutenons sans réserve la lutte de l’opposition syrienne. » Quant au Marocain lambda, les yeux rivés sur Al Jazeera, il contient sa colère en attendant avec impatience de savoir comment finira le chef d’Etat syrien.

Abdellatif El Azizi

Billet : Le temps des sanctions

Damas ne cèdera rien. Plus de 3 500 victimes civiles plus tard, Bacharal-Assad n’a que faire des remontrances de la communauté internationale. L’ONU, l’Europe, la Turquie le laissent indifférent.

Quant aux « traîtres » de la Ligue arabe, qui l’ont lâché le 16 novembre dernier en l’excluant de ses travaux, il n’a que faire de leur menace de sanctions. Mieux, il sait pouvoir compter sur l’indéfectible soutien politique de la Russie (dont les unités navales relâchent dans les eaux de Tartous, second port syrien, véritable base navale russe à échéance… 2012).

Et sur quelques autres alliés proches : l’Irak (dirigé par les chiites et qui ne souhaitent pas voir arriver les sunnites au pouvoir à Damas), le Liban (dont le gouvernement demeure favorable à Damas) et l’Iran (qui soutient son bras de fer avec tout ce qu’abhorre le régime de Téhéran).

Alors que la Chine semble avoir pris quelque distance, la Russie maintient son rôle de « bouclier politique », et le trio Irak-Liban-Iran pourra prendre, demain, celui de poumon économique en cas de sanctions. En revanche, l’étau pourrait se resserrer si, au-delà des « corridors humanitaires » évoqués par la France, les premières « frappes aériennes étrangères » sollicitées par l’Armée syrienne libre (ASL) venaient à être effectuées…

H.L.


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Quand al-Assad rĂŞvait de faire tomber Hassan II

Lorsque la vague du baasisme battait son plein, al-Assad armait et entraînait les commandos de la gauche afin d’éliminer Hassan II. Retour sur une destabilisation manquée.

Il est regrettable que le dernier témoin vedette de l’histoire tumultueuse entre Hassan II et al-Assad reste muet comme une tombe. Pourtant, AbderrahmanYoussoufi aurait des choses à dire sur la folle équipée de la gauche marocaine dans les camps syriens.

Le 22 novembre 1963, l’ex-Premier ministre de Hassan II puis de Mohammed VI, comparaissait aux côtés de quelques centaines de personnes dont FqihBasri, l’un des fondateurs de l’UNFP, MoumenDiouri, et Omar Ben Jelloun, assassiné en 1978.

Le complot, dans lequel FqihBasri et Mohamed Bensaïd auraient tenu le rôle principal, consistait en gros à envoyer un commando dans la chambre de Hassan  II pour l’éliminer, avec la complicité de quelques officiers des FAR.

 

Le soutien de Hafez al-Assad

Tout ce beau monde sera condamné à mort en 64 à l’issue d’un procès fleuve. Mais c’est l’assassinat de Ben Barka qui va pousser les militants de la gauche dans les bras du régime syrien.

Quelques jours à peine après l’annonce de sa disparition, le Parlement syrien va demander à son gouvernement des explications et exiger le rappel de l’ambassadeur syrien de Rabat.

Dans la foulée, une avenue de Damas va être baptisée avenue Mehdi Ben Barka. Dans ses mémoires, AbdelhadiBoutaleb, conseiller de Hassan  II, se souvient de l’incident diplomatique.

« Après la provocation des Syriens, le souverain avait Ă©mis la volontĂ© de voir l’ambassadeur syrien quitter le Maroc, mais le rĂ©gime syrien avait refusĂ© de rappeler son reprĂ©sentant diplomatique sous prĂ©texte que celui-ci Ă©tait reprĂ©sentant auprès du peuple marocain et non pas auprès du roi.  Hassan II m’avait alors chargĂ© de dire nommĂ©ment Ă  l’ambassadeur syrien qu’à partir du moment oĂą il avait prĂ©sentĂ© ses lettres d’accrĂ©ditation au roi, c’est ce mĂŞme roi qui mettait fin Ă  son mandat. »

Entre-temps, les militants de l’UNFP avaient rejoint les camps d’entraînement syriens pour préparer la guérilla au Maroc. FqihBasri, à la tête d’anciens de l’Armée de libération nationale, distribuant des pétrodollars pour recruter à tour de bras, organise les cellules clandestines au Maroc.

Finalement, « c’est à Damas que le destin de ces hommes se noue autour d’un projet commun : matérialiser l’option révolutionnaire ». Comment ? « D’abord grâce à des agents recruteurs du Fqih, comme Lakhsassi et Taoufiq Drissi, qui infiltrent les milieux de l’UNEM (Union nationale des étudiants du Maroc, ndlr) en France et attirent des étudiants », explique Mehdi Bennouna dans Héros sans gloire.

Pour enseigner Ă  ces guĂ©rilleros comment faire le coup de feu,  des instructeurs de l’armĂ©e syriens et palestiniens encadraient les cellules clandestines en accueillant Ă  tour de rĂ´le les nouveaux arrivants dans le cĂ©lèbre camp de Zabadani en Syrie, situĂ© Ă  60 kilomètres au nord-ouest de Damas. C’est lĂ  qu’Ahmed Ben Jelloun, un des chefs du Tanzim en Syrie, prĂ©pare aux cĂ´tĂ©s de Mohamed Bennouna, LhoucineManouzi, ou encore Omar Dahkoun, exĂ©cutĂ© le 1er novembre 1973, l’avènement de la rĂ©publique socialiste qui n’aura jamais lieu.

Pourquoi al-Assad en voulait-il tant à Hassan II ? En réalité, leur inimitié n’avait pas réellement un caractère personnel – même si al-Assad jalousait Hassan II pour son aura à l’international –, mais c’est la nature même du Baas qui exigeait de faire la guerre aux monarchies.

Dans le jargon révolutionnaire des baasistes, la priorité est d’abord accordée au panarabisme, au détriment des questions nationales de chaque pays. Autre impératif : l’adhésion au socialisme et le rejet catégorique du libéralisme, assimilé au néo-impérialisme américain, et enfin l’attachement à une laïcité rigoureuse, qui interdit toute interférence du religieux dans le politique.

C’est-à-dire tout le contraire de la politique que prônait Hassan II à l’époque ! Pour l’anecdote, le baasisme est également l’un des piliers idéologiques du système politique algérien, ennemi juré du Royaume. « On est arabes, on est arabes, on est arabes ! », avait clamé, en chœur avec Nasser et d’autres, l’ancien président algérien, Ahmed Ben Bella, les premiers jours de l’indépendance, en 1962.

Entre le fils al-Assad et Bouteflika, la lune de miel se poursuit puisque, le 25 juin dernier, une promotion d’officiers syriens fraîchement promus à Alger ont pris l’avion pour Damas, afin de participer au massacre des civils.

En 1969, remonté contre la gauche et les provocations à répétition des baasistes sur son propre territoire, Hassan II donne carte blanche au cab 1. Celui-ci peut procéder à une chasse aux révolutionnaires, déconsidérés par une grande partie des Marocains en raison de l’allégeance aveugle qu’ils vouent aux régimes ennemis de Damas, d’Alger ou encore de Tripoli.

Résultat, une vague d’arrestations s’abat sur les mouvements clandestins comme le Tanzim. Hassan II n’hésitera pas à faire appel à la France, à l’Espagne et à la Tunisie pour les mettre en garde contre « le complot baasiste de 1969 », fomenté à Damas. De retour de Tunis, le général Oufkir ne se fait pas prier pour mettre la pression sur les révolutionnaires.

Malgré l’accalmie qui a marqué les rapports entre Damas et Rabat depuis, l’histoire retiendra que Hafez al-Assad fut le grand absent des funérailles de Hassan II.

Abdellatif El Azizi


 

***

Diplomatie : Sur les chapeaux de roues

Taïeb Fassi Fihri a-t-il mangé du lion ? Pas une semaine sans que la diplomatie marocaine ne gagne des points. Entre l’adhésion au Conseil de sécurité, la danse du ventre du Conseil de coopération du Golfe et l’accueil de la ligue arabe à Rabat, ou encore le va-et-vient des nouveaux patrons de la Libye.

Dès la chute de Ben Ali, dont Rabat a pris soin de bouder la demande d’asile, et la chute de Moubarak, fini la langue de bois et la diplomatie de la chaise vide. Le Royaume n’hésite plus à accueillir le gratin de la révolution arabe.

C’est paradoxalement avec le Printemps arabe que les Affaires étrangères engrangent leurs premiers succès. Quand le Conseil national de transition libyen a tenu sa première réunion, Taïeb Fassi Fihri était de la partie.

Une audace que ne lui ont pas pardonnée les Algériens. Rebelote sur le dossier syrien, où les Marocains ont plusieurs longueurs d’avance sur les voisins. Dans le viseur, pêle-mêle : la Libye, la Tunisie, l’Egypte et le dernier de la liste, la Syrie. Dans ce dossier, la pression du Maroc, du Qatar et de la Turquie a été déterminante pour que la Ligue arabe, d’habitude si frileuse, aille aussi loin dans sa condamnation du gouvernement en place.

« Le régime de Bacharal-Assad semble complètement sourd aux énormes efforts extérieurs, dont ceux de la Ligue arabe, pour régler le problème des violences », commente Taïeb Fassi Fihri.

« On sent bien qu’aujourd’hui Fassi Fihri est à l’écoute de ses diplomates ; dans le passé, bien des erreurs auraient pu être évitées si l’information circulait correctement, des couacs imputables essentiellement à l’amateurisme des personnes propulsées à la tête d’ambassades de premier plan », explique un diplomate en poste en Europe.

Cerise sur le gâteau : à l’heure où la diplomatie africaine connaît un sérieux trou d’air dans l’opinion asiatique, le Maroc se permet même le luxe d’être le premier pays du continent à établir, le 21 novembre dernier, des relations diplomatiques, avec le royaume du Bhoutan.


Comment faire plier al-Assad ?

Notons-le tout de suite, c’est la première fois dans l’histoire du « machin » arabe, comme disait de Gaulle, que l’instance adopte une position aussi tranchée contre un dictateur du cru.

Jusqu’à présent, la Ligue arabe, qui avait surtout une présence symbolique et permettait à l’Egypte de renflouer ses caisses grâce aux pétrodollars mendiés pour faire fonctionner le siège au Caire, s’abstenait de faire de la politique. Autres temps, autres mœurs : ce sont bien les adhérents de la même instance qui se permettent de tancer violemment l’un de leurs anciens colocataires.

Quand al-Assad a répondu par le mépris à l’ultimatum de la Ligue arabe, la machine s’est mise en branle pour déterminer les mesures à prendre en vue de ramener le président syrien à de meilleurs sentiments.

Selon des sources internes, on s’acheminerait, dans un premier temps, vers un embargo économique. Dans un entretien publié par le quotidien économique saoudien al-Iktissadia, le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe pour les affaires économiques, Mohammad Twaijri, a détaillé une batterie de mesures qui concernent les voyages, les transferts de devises, le blocage des avoirs (syriens) dans les pays arabes, l’arrêt des projets arabes ou arabo-syriens et la suspension de la Syrie du GAFTA (zone de libre-échange arabe) : « Nous voulons étouffer financièrement le régime d’Assad et pas la population. »

A.E.A


« Poursuivez votre avance ! »

MahjoubTobji, ancien commandant des FAR, raconte sa rencontre avec les Syriens lors de l’envoi des troupes marocaines au Golan en 1973.

Quoi qu’on puisse penser du personnage, Hassan II avait du panache. Malgré l’inimitié que lui portait Hafez al-Assad, il n’a pas hésité à lancer ses hommes dans une bataille décisive que se sont livrée Syriens et Israéliens sur le plateau du Golan.

Dans Les officiers de Sa Majesté, le livre choc de MahjoubTobji paru aux éditions Fayard (et introuvable au Maroc), cet ancien commandant des forces armées royales fournit une multitude de détails inédits sur l’épisode de l’envoi des troupes marocaines au Golan pour prêter main forte aux Syriens. Extraits.

 

Ma guerre en Syrie

Nous avons débarqué le 3 juillet à Lattaquieh, le plus grand port syrien. J’ai appris beaucoup plus tard que le président syrien Hafez al-Assad avait regretté l’accord qu’il avait conclu avec Hassan  II, et qu’il se serait finalement volontiers dispensé de la présence d’unités marocaines.

Hassan II a donc été obligé d’envoyer dans l’urgence un Boeing bourré de soldats pour le mettre devant le fait accompli. Notre ambassade à Damas fut même attaquée à la tomate quelques jours avant notre arrivée. Le président syrien avait évidemment donné son accord.

Nos relations avec nos collègues syriens ont dans l’ensemble très bien fonctionné. J’ai eu la chance que mon unité soit installée sur une aile de la base aérienne de Mazzé à la sortie sud de Damas. J’ai ainsi pu fréquenter et partager un peu le quotidien de jeunes et brillants pilotes syriens.

Nous discutions à bâtons rompus sur une prochaine guerre avec Israël à laquelle ils ne croyaient en aucune façon. Ce n’était pas du tout mon avis mais j’étais sans doute avantagé puisque, en tant qu’aide de camp du général Sefrioui, j’assistais à toutes les réunions avec le sommet de l’état-major syrien, et notamment le général Naji Jamil, un des chefs des services de renseignements, et le général Mustapha Tlass, ministre de la Défense nationale.

Sans avoir de renseignements particuliers, j’étais persuadé du déclenchement d’une guerre à court ou moyen terme. Les exercices et entraînements étaient notre lot quotidien et nous découvrions auprès des Syriens de nouvelles armes, et la façon de lutter contre le napalm ou d’autres armes chimiques. Nos troupes disposaient d’une autonomie totale et nous payions rubis sur l’ongle toutes nos dépenses.

 

Dans le secret

Le 17 septembre 1973, après avoir assisté en sa compagnie au baptême d’une promotion de pilotes de l’Ecole de formation de Homs, entre Damas et Alep, le général Sefrioui eut un aparté assez bref avec le général Naji Jamil.

A sa sortie, son visage s’était transformĂ© et, le connaissant bien, cela ne m’avait pas Ă©chappĂ©. Sur la route du retour, il fit arrĂŞter la voiture en rase campagne et nous nous mĂ®mes Ă  marcher sur le bas-cĂ´tĂ©. Puis, grave,  après quelques moments de silence, il prit la parole :

- C’est pour le 6 octobre !

Hassan II en a toujours voulu au général de ne pas l’avoir mis dans le secret. Lorsque, le 15 novembre 1973, nous avons ramené au Maroc les blessés marocains, le roi a dit à Sefrioui (note : j’étais à ses côtés et tenais dans les mains le cadeau que le général avait rapporté au roi, de Damas)

- « C’est toi ou les Syriens qui n’ont pas confiance en moi ? »

Le général lui a dit qu’il n’avait pas confiance dans les moyens de transmission et qu’il ne voulait pas compromettre une opération que l’état-major syro-égyptien avait mis des mois à préparer. Hassan II lui a alors rétorqué qu’il aurait dû prendre l’avion pour venir lui rendre compte. Il lui a rappelé qu’il était le chef des armées et que, à ce titre, il aurait dû être informé de l’entrée de ses troupes en guerre.

Au cours des trois semaines prĂ©cĂ©dant la guerre,  Sefrioui multiplia les rencontres avec l’état-major syrien et, après d’âpres discussions, reçut le feu vert pour que le corps expĂ©ditionnaire marocain soit en première ligne. Les entraĂ®nements, qui avaient commencĂ© dès notre arrivĂ©e au dĂ©but de l’étĂ©, se poursuivirent jusqu’au bout et la guerre qui, pour les Syriens, Ă©tait hier improbable, devenait chaque jour plus plausible.

 

La guerre Ă©clate

On y était ! Pour la première fois depuis un demi-siècle de conflit, les Arabes allaient attaquer les premiers et les Egyptiens et les Syriens mettre le paquet pour obtenir la surprise la plus totale. Tout avait été prévu pour tromper la vigilance de l’ennemi qui utilisait les moyens les plus sophistiqués pour surveiller les fronts nord et sud.

Le 6 octobre 1973 à 14 heures, les premiers raids de l’aviation syrienne commencent. Les objectifs ont été fixés à l’avance. Simultanément, l’artillerie pilonne les premières lignes de défense ennemies pour permettre le débouché des unités d’assaut. A l’état-major marocain, en première ligne mais encore à l’abri des feux directs de l’ennemi, nous admirons le spectacle qui se déroule dans le ciel.

Les petits Mig 16 collent les lourds fantômes comme des tiques et des combats épiques font rage entre pilotes des deux nations. Sur terre, en dehors de la récupération remarquable du mont Hermon par les commandos des unités spéciales syriennes (note : et non pas par les Marocains, comme il a parfois été dit.

Même chose pour la ville de Kuneitra sur le Golan qui a été prise par les Syriens), la progression s’avère difficile sur un terrain volcanique plein de rocailles. Les rares axes de progression ont été verrouillés par les Israéliens qui y ont mis à juste titre tous leurs moyens anti-chars possibles.

Les nôtres peinent à avancer et sont plutôt cloués sur place. Le général Sefrioui ne cache pas son impatience, d’autant plus que la phrase : « Poursuivez votre avance », la seule qu’on entend sur le réseau commun de transmission, ne correspond absolument pas à la réalité.

A plusieurs reprises, le général m’envoie voir ce qu’il en est réellement de la situation de nos unités à l’avant. Par chance, je suis le seul sur ce théâtre d’opération à avoir une jeep Willis américaine. A plusieurs reprises, l’aviation ennemie survole mon véhicule mais sans tirer, les pilotes israéliens se demandant sans doute si un des leurs ne s’est pas perdu de ce côté du champ de bataille.

 

Les nuages s’accumulent

Le 11 octobre, les Syriens, qui avaient consommé tous les missiles anti-aériens dont ils disposaient, éprouvaient les plus grandes difficultés à être ravitaillés par les Russes qui rechignaient sans doute pour des raisons financières.

Par ailleurs l’aviation américaine intervenait désormais directement sans même changer ses signes distinctifs. A partir du 11 octobre, j’ai vu à de nombreuses reprises des F-114 américains venus de la VIe Flotte ou de Turquie labourer en un seul lâcher de bombes près de deux hectares de terrain.

Tous les moyens de destruction modernes étaient utilisés. Les bombes au napalm ou à fragmentation larguées par les Phantom provoquaient des ravages sur des dizaines d’hectares.

Par un mouvement d’un détachement d’une unité irakienne, je compris – nous étions le 11 octobre – que les jeux étaient faits et fis savoir au général Sefrioui que nous devions nous replier dans un second PC prévu à cet effet.

Le même jour, dans la matinée, le colonel M’Hamed El Allam, que le général avait envoyé en liaison vers le bataillon blindé, eut la peau entièrement brûlée par un obus au phosphore qui venait de frapper un char tout proche. Il mourut quarante huit heures plus tard après d’atroces souffrances.

L’égalitĂ©, qui s’était Ă©tablie sur le terrain depuis le 6 octobre, n’était plus qu’un souvenir. Nos rĂŞves viraient au cauchemar. Des hommes de toutes les unitĂ©s et de toutes les armes confondues, syriennes et marocaines,  dĂ©boulaient vers l’arrière.

Dans la soirée du 11 octobre, le Golan était vide de toute présence syro-marocaine et les unités israéliennes purent y entrer comme dans du beurre. Le lendemain, la brigade Golanie, célèbre unité israélienne, récupéra à son tour, après d’âpres combats, l’observatoire du mont Hermon que Tsahal avait perdu le premier jour de la guerre. Le 14 octobre, nous reçûmes la visite du colonel Ahmed Dlimi envoyé par Hassan II pour réconforter les soldats marocains.

C’était sa seconde visite en Syrie. La première avait eu lieu au début du mois de septembre. Il ne restait jamais plus de quelques heures et n’a jamais passé la nuit sur place. Outre Dlimi – mais ce dernier était dans son rôle – une des rares personnalités marocaines à avoir visité le contingent marocain a été le docteur Abdelkrim El Khatib. Arrivé à la mi-octobre alors que le vent tournait en défaveur des Arabes, il est resté au moins deux semaines.

Très proche du Palais, ce chirurgien, aussi brillant qu’ambigu, n’a pas rechigné et a bien travaillé dans la discrétion et sans manifester d’exigence particulière. Un comportement qui fut apprécié ! Les échanges de tir d’artillerie continuèrent jusqu’à la fin novembre, et nous eûmes encore quelques blessés mais la véritable guerre était finie depuis un bon moment.

L’état-major syrien nous a affirmé plus tard que les Egyptiens, contrairement aux accords conclus, s’étaient arrêtés dès le franchissement du canal permettant ainsi aux Israéliens de balancer toutes leurs forces du côté syrien. L’histoire jugera.

Plus de trente ans après cette guerre, je suis toujours persuadé que le président Anouar el-Sadate, en ne respectant pas les accords passés avec les Syriens, a permis à Tsahal de jeter toutes ses forces en direction du Golan. Les tractations secrètes et douteuses menées par Sadate avec les Américains, ainsi que l’implication de l’aviation américaine dans les combats, ont considérablement facilité la tâche des Israéliens.

 

Retour au pays

L’histoire de notre séjour en Syrie ne serait pas complète si je ne mentionnais le « cadeau » pour Hassan II rapporté de Damas, «  au nom du contingent marocain », par Sefrioui.

Connaissant la passion du roi pour les monnaies anciennes rares – en bon numismate, il adorait les vieilles pièces –, le général avait réussi à soudoyer le directeur de la Banque centrale syrienne et avait pu faire sortir de Syrie une magnifique collection. Sefrioui était également rentré au pays avec quelques chevaux arabes.

Avant de clore ce chapitre je tiens à rendre hommage aux Syriens, gens de culture et d’un grand raffinement, qui, après un moment d’hésitation, nous ont ouvert non seulement leurs demeures mais aussi leurs cœurs.

L’armée syrienne jugea que j’avais accompli un travail hors norme et je reçus la plus haute distinction de l’armée syrienne, le Ouissam el Harbi, au même titre que Rifa’atal-Assad, le tristement célèbre frère du président Hafez al-Assad, qui avait à l’époque plus de trente mille hommes sous ses ordres au sein des fameuses « sarayaad-difa’h » (brigades de défense).

Le 3 juillet 1974,  après avoir laissĂ© sur ordre royal tous nos vĂ©hicules, l’armement lourd et nos munitions, nous quittâmes Lattaquieh sous un dĂ©luge de fleurs et de jets de parfum. Encore aujourd’hui, je regrette amèrement d’avoir remis le film tournĂ© sur ces adieux grandioses Ă  notre ministre de l’Information de l’époque. Ce film, en effet, n’est jamais passĂ© ni sur les Ă©crans de cinĂ©ma ni Ă  la tĂ©lĂ©vision marocaine.

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N°124 : Le 20-FĂ©vrier s'essoufle...  mais le Maroc bouillonne
N°123 : Protectorat,   Cent ans sans solitude
N° 122 : Formation du gouvernement,  Ca coince et ca grince
N°121 : Portables, Internet, documents biomĂ©triques…  Flicage, mode d’emploi
N° 120 : Sondage exclusif :  Benkirane, Monsieur 82%
N°119 : Pourquoi le Maroc ne sera pas   islamiste
N°118 : Mohammed VI versus al-Assad,   Au nom du père
N°117 : Gouvernement :   Cabinets ministĂ©riels, de l’ombre Ă  la lumière
N°116 : Plan social :  les sacrifiĂ©s de la RAM
N°115 : Coup d’Etat :   Skhirat, L’histoire du putsch revue et corrigĂ©e
N°114 : Politique fiction  Et le gagnant est ...
N°113 : Le dernier combat de   Mohamed Leftah
N°112 : Portrait Abdelbari Zemzmi
N°111 : Harcèlement sexuel et moral  Un sport national
N°110 : Bilan  Le code de la dĂ©route
N° 109 : L’ONDA  Grosses tensions et petites combines
N°108 : Placements Comment sauvegarder son patrimoine  
N°107 : ImpĂ´t sur la fortune El Fassi lance un pavĂ© dans la mare  
N° 106 : Interview 
N° 104/105 : Presse Ă©trangère/Maroc Le grand malentendu  
N°103 : Le temps de l’amazigh  
actuel 102 : RĂ©fĂ©rendum Ecrasante victoire du Oui  
actuel 101 : FatĂ©ma Oufkir : Le roi et moi 
N°100 : 100 indignations et 100 solutions pour le Maroc 
N°99 : Projet constitutionnel Le roi et nous  
N° 98 : PĂ©dophilie  : Tolerance zero 
N° 97 : Gad, Jamel & co Pourquoi les Marocains font rire le monde
N° 96 : L’horreur carcĂ©rale 
N° 95 : Enseignement privĂ© : Le piège  
Actuel n°94 : Moi, Adil, 25 ans, marchand de chaussures et terroriste  
N°93 : Ces cliniques qui nous ruinent 
Actuel n°92 : Attentat : Le jeudi noir de la ville ocre  
Actuel n°92 : RĂ©volutions et attentats Sale temps pour Zenagui 
Actuel n°92 : Mais que veulent les jeunes ? 
Actuel n°92 : Il n’y pas que le 20-FĂ©vrier…  
Actuel n°92 : Qui cherche Ă  dĂ©stabiliser le pays ?  
Actuel n°92 : Â«â€‰Nos attentes sont plus grandes que le 20-FĂ©vrier »  
Actuel n°92 : Trois jeunesses 
Actuel n°91 : Le grand nettoyage 
Actuel n°90 : Le retour des adlistes 
Actuel n°89 : Ruby : sexe, mensonges et vidĂ©o 
Actuel n°88 : ImpĂ´ts : Halte Ă  la fraude 
Actuel n°87 : Hassan II TV c’est fini 
Actuel n°86 : Marine Le Pen : L’islam, les Arabes et moi 
Actuel n°85 : Vive le Maroc libre 
Actuel n°84 : Rumeurs, intox : Ă  qui profite le crime ? 
Actuel n°83 : ET MAINTENANT ? Une marche pour la dĂ©mocratie
Actuel n°81 : Sale temps pour les tyrans 
Actuel N°72 : Aquablanca : La faillite d’un système  
Actuel n°69-70 : Benguerir sur les traces de Settat 
Actuel n°68 : Art, sexe et religion : le spectre de la censure 
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Actuel n°64 : Bourse de Casablanca, des raisons d’espĂ©rer 
Actuel n°63 : Ex-ministres :  y a-t-il une vie après le pouvoir ?
Actuel n°62 : Le code de la route expliquĂ© par Ghellab
Actuel n°61 : La vie sexuelle des Saoudiennes… racontĂ©e par une Marocaine
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N°59 : Eric Gerets, la fin du suspense ?
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N°54 : Ces ex-gauchistes qui nous gouvernent 
N°53 : Au cĹ“ur de la prostitution marocaine en Espagne 
N°52 : DiplĂ´mĂ©s chĂ´meurs : le gouvernement pris au piège
N°51 : 2M : Succès public, fiasco critique
N°50 : L’amĂ©rique et nous 
N°49 : Crise, le Maroc en danger ?
N°48 : Les 30 Rbatis qui comptent 
N°47 : Pourquoi El Fassi doit partir 
N°46 : Chirurgie esthĂ©tique :  plus belle, tu meurs
N°45 : McKinsey dans la ligne de mire  
N°44 : Trafic sur les biens des Ă©trangers 
N°43 : Avec les Ă©vadĂ©s de Tindouf 
N°42 : GCM / Tamesna : Un scandale en bĂ©ton !
N°41 : ONA - SNI: Ils ont osĂ©
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N°39 : Le Maroc, terre d'accueil des espions 
N°38 : Bleu Blanc Beurk 
N°37 : Boutchichis Les francs-maçons du Maroc
N°36 : Hamid Chabat rĂ©veille les vieux dĂ©mons
N°35 : Vies brisĂ©es 
N°34 : Maires Ceux qui bossent et ceux qui bullent
N°33 : Botola Combien gagnent nos joueurs
N°32 : Sexe, alcool, haschich, jeux… Les 7 vices des Marocains
N°31 : Tanger Le dossier noir des inondations
 
 
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