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Vies brisĂ©es 
actuel n°35, samedi 20 février 2010
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Quand les journalistes se substituent aux juges, l’effet peut ĂȘtre terrible pour les personnes incriminĂ©es. PlongĂ©e dans un monde oĂč la prĂ©somption d’innocence n’a plus droit de citĂ©.

Le monstre est tombĂ© dans les ïŹlets de la police », « le pĂ©dophile en sĂ©rie sous les verrous », « un dangereux criminel hors d’état de nuire », la presse s’en est donnĂ© Ă  cƓur joie aprĂšs l’arrestation du dĂ©nommĂ© Abdelmalek Ouazzari, le 12 dĂ©cembre 2009 Ă  Mohammedia. Quelques mois auparavant, la paisible citĂ© des ïŹ‚eurs et plus spĂ©cialement le quartier de Hassania retenait son soufïŹ‚e : la prĂ©sence d’un pĂ©dophile en sĂ©rie, rĂŽdant dans les parages, terrorisait les mĂšres qui n’osaient plus envoyer leurs enfants Ă  l’école. L’alerte a Ă©tĂ© donnĂ©e suite Ă  la plainte dĂ©posĂ©e par une mĂšre de famille en novembre dernier « pour viol contre ses deux enfants, l’un ĂągĂ© de cinq ans et l’autre de 11 ans ».

AgressĂ©s sexuellement avec une violence inouĂŻe, les deux enfants ont dĂ» subir un suivi mĂ©dical trĂšs poussĂ© en raison des blessures occasionnĂ©es par le viol. Moins d’une semaine aprĂšs, c’est une autre maman qui vient porter plainte pour le mĂȘme motif. Puis une troisiĂšme. « Ce n’est que l’arbre qui cache la forĂȘt, j’ai reçu la visite d’autres mamans qui se sont contentĂ©es d’un suivi psychologique pour leur pauvre gosse en raison de la peur du ‘‘qu’en dira-t-on’’, ce qui laisse supposer que ce pĂ©dophile a fait bien d’autres victimes », explique l’assistance sociale. Les enfants sont revenus sur les conditions et les lieux de l’agression, en racontant leurs cauchemars, leurs peurs et leurs apprĂ©hensions pour l’avenir.

Dans un premier temps, plusieurs policiers sont mobilisĂ©s pour les recherches qui prĂ©cĂšdent un dĂ©ploiement mĂ©diatique trĂšs important. Le signalement donnĂ© par les enfants et quelques tĂ©moins dĂ©crit un jeune homme Ă  l’allure athlĂ©tique et arborant une coiffure rasta. Les enquĂȘteurs sont sur les dents, les suspects dĂ©ïŹlent, des individus au casier judiciaire bien chargĂ©, des jeunes de quartier dĂ©sƓuvrĂ©s, des chĂŽmeurs au comportement douteux. Abdelmalek Ouazzari a le proïŹl idĂ©al ; chĂŽmeur dĂ©guisĂ©, il exerce sporadiquement le mĂ©tier de marchand ambulant. Quand il est prĂ©sentĂ© aux enfants, la plupart ne le reconnaissent pas sauf le petit garçon violĂ© en prĂ©sence de son frĂšre cadet. Il dĂ©signe timidement Abdelmalek. Il n’en faut pas plus pour que la machine judiciaire s’emballe et que les ïŹ‚ashs des journalistes crĂ©pitent.

La suite des Ă©vĂ©nements s’accĂ©lĂšre. PrĂ©sentĂ© au procureur de la cour d’appel de Casablanca, Abdelmalek est placĂ© en garde Ă  vue avant d’ĂȘtre conduit Ă  la fameuse prison de Oukacha. La ville peut respirer et les parents dormir sur leurs deux oreilles
 sauf que deux semaines aprĂšs l’arrestation du jeune homme, un autre enfant, puis un autre et encore un troisiĂšme sont violĂ©s de maniĂšre identique et pratiquement sur les mĂȘmes lieux : Ă  proximitĂ© du jardin public d’Al Mesbahiate, un bel endroit verdoyant mais totalement abandonnĂ©, devenu le repaire de tous les dĂ©linquants. La reprise des viols donne des cheveux blancs aux services de police qui mettent des dizaines d’hommes sur le coup. Une pression qui donnera ses fruits le 11 fĂ©vrier quand les enquĂȘteurs encerclent dans la nuit une baraque situĂ©e dans un chantier en construction.

Le violeur coincĂ© n’a plus qu’à se rendre. Encore une fois, l’homme est surpris en ïŹ‚agrant dĂ©lit de viol d’un enfant de 6 ans. Une fois au commissariat, le suspect reconnaĂźt spontanĂ©ment les faits et une sĂ©rie d’agressions sexuelles commises sur des mineurs. Sans oublier la sĂ©questration d’une femme d’origine Ă©trangĂšre pendant une annĂ©e dans un douar perdu de l’Atlas. L’homme faisait d’ailleurs l’objet d’un avis de recherche pour ce crime. La confrontation avec les enfants dissipe les derniers doutes des policiers. L’homme est accusĂ© de prĂšs de sept agressions sexuelles, commises sur des enfants alors ĂągĂ©s de 5 Ă  11 ans.

A la question du policier : « Est-ce que vous le reconnaissez aujourd’hui ? », les enfants n’ont pas hĂ©sitĂ©. Ils ont juste ïŹxĂ© l’homme penaud pendant quelques secondes avant de rĂ©pondre : « C’est bien lui ! ». Et Ouazzari ? A force de crier son innocence, le jeune homme a perdu espoir. Les policiers ont pourtant accompli leur tĂąche, transmettant leurs conclusions au procureur et prĂ©cisant que le vĂ©ritable coupable avait Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©. Mais il faudra attendre le 29 avril, date Ă  laquelle l’audience a Ă©tĂ© reportĂ©e, pour que Ouazzari espĂšre recouvrer sa libertĂ©.

Aveuglement médiatique

Cependant, le jeune homme est complĂštement brisĂ©. « MĂȘme si je suis acquittĂ©, qui croira que je suis innocent, comment faire avec ceux qui ont dĂ» lire les dĂ©tails et voir mon nom dans les journaux ? », conïŹera-t-il Ă  sa mĂšre. Elle explique qu’elle a dĂ» Ă  plusieurs reprises le dissuader de se donner la mort, surtout au moment oĂč sa toute jeune femme a exigĂ© le divorce sachant que « son mari Ă©tait accusĂ© de pĂ©dophilie ». Dans la mĂȘme semaine, c’est l’inculpĂ©e numĂ©ro un d’une sombre affaire de traïŹc de bĂ©bĂ©s, qui va ĂȘtre victime d’un infarctus aprĂšs avoir Ă©tĂ© citĂ©e dans l’émission « 45 minutes », diffusĂ©e par la premiĂšre chaĂźne.

L’avocat de cette femme incarcĂ©rĂ©e Ă  la prison de Oukacha, a d’ailleurs dĂ©cidĂ© de poursuivre en justice les producteurs de l’émission, accusĂ©s d’avoir « divulguĂ© des informations avant que la justice n’ait tranchĂ© dans cette affaire ». Dans un autre registre, la violation de la prĂ©somption d’innocence, par la divulgation des photos et des identitĂ©s des personnes sous le coup d’une enquĂȘte, a connu son apogĂ©e aprĂšs les attentats du 16 mai 2003. Par l’aveuglement mĂ©diatique et policier et le dĂ©sastre humain consĂ©cutif, l’affaire des islamistes exĂ©cutĂ©s sur l’autel de la loi antiterroriste est l’exemple le plus frappant.

De l’affaire Kettani à l’affaire Slimani

Des milliers d’islamistes dont les photos ont fait la une des journaux avant mĂȘme leur arrestation, des pĂšres de famille bafouĂ©s dont les enfants sont devenus la cible de leurs camarades de classe, comme le prĂ©cisent les Ă©pouses de plusieurs d’entre eux. « Le pire dans tout cela, c’est que jusqu’à prĂ©sent, sur le millier de personnes incarcĂ©rĂ©es, on trouve juste quelques individus qui vĂ©hiculent un discours takïŹri, les autres sont victimes de procĂšs d’intention, ils sont accusĂ©s d’avoir des idĂ©es radicales ! », s’indigne Abderrahim Mouhtade, le prĂ©sident d’Annassir, une ONG qui se charge de dĂ©fendre les salaïŹstes en prison.

Le cas de Hassan Kettani, considĂ©rĂ© comme l’un des leaders de la mouvance islamiste est assez Ă©diïŹant Ă  cet Ă©gard. Quel est son crime ? Le prĂ©dicateur a fait certes une erreur en critiquant les membres du gouvernement qui ont participĂ© Ă  la cĂ©rĂ©monie ƓcumĂ©nique, organisĂ©e en hommage aux victimes dans la CathĂ©drale Ă  Rabat, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Mais aucune charge n’a Ă©tĂ© retenue contre lui concernant les attentats du 16 mai 2003 au lendemain desquels il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, avant d’ĂȘtre condamnĂ© Ă  20 ans de prison. Une condamnation ayant donnĂ© naissance en 2004 Ă  un comitĂ© de soutien au « prisonnier politique Hassan Kettani » sur la proposition de l’ex-secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du PJD, feu Abdelkrim Khatib, qui a ralliĂ© Ă  sa cause des chefs de parti comme Mahjoubi Aherdan (MNP), Abdellah Kadiri (PND) ou encore Mohamed Ziane (PML).

Concernant l’affaire Belliraj, dĂ©signĂ© dĂšs le dĂ©part comme « un dangereux chef d’un rĂ©seau terroriste », la SĂ»retĂ© de l’État belge vient de publier le 28 janvier 2010, un rapport annuel qui souligne, sur ce dossier que « les Ă©lĂ©ments avancĂ©s par le Maroc n’ont pas permis de dĂ©montrer de maniĂšre indiscutable l’existence d’un rĂ©seau dont le chef serait Belliraj et l’implication de celui-ci dans six meurtres en Belgique ». Avant ce triste Ă©pisode, bien d’autres affaires ont secouĂ© les fondements de la sacrosainte prĂ©somption d’innocence. Les errements du procĂšs du CIH ont fortement marquĂ© les esprits.

De mĂ©moire de journaliste, on n’avait jamais vu une affaire oĂč les contradictions, le vice de forme et les procĂšs d’intention furent aussi ïŹ‚agrants. Surtout quand des hommes comme Othman Slimani, l’un des tout premiers PDG de la fameuse banque, ont Ă©tĂ© lynchĂ©s par les mĂ©dias avant mĂȘme le dĂ©marrage du procĂšs. Un homme politique ou un patron, mis en examen pour corruption, bĂ©nĂ©ïŹcient en gĂ©nĂ©ral dans les journaux de prĂ©cautions d’usage, mais Ă  l’époque, rares sont les mĂ©dias qui se sont abstenus de condamner Slimani avant de le livrer en pĂąture Ă  l’opinion publique. L’ex-PDG du CIH n’a d’ailleurs pas survĂ©cu Ă  cette Ă©preuve puisque l’homme dĂ©cĂšdera en avril 2004, juste trois ou quatre mois aprĂšs sa sortie de prison. Selon ses amis, ce brillant banquier n’aurait pas rĂ©sistĂ© aux articles de presse.

RĂšglements de compte politiques

SecrĂ©taire d’État aux Affaires Ă©conomiques en 1978 dans le gouvernement de Ahmed Osman, ce commis de l’État, qui a consacrĂ© presque toute sa vie au service public, avait pourtant gagnĂ© l’estime de ses collaborateurs dans un secteur oĂč l’amitiĂ© Ă©tait rare, oĂč les requins de la ïŹnance se permettaient tous les coups. De 1979 Ă  1993, il marquera son passage au CIH par une rigueur que lui reconnaissent tous ses anciens collaborateurs, avant que des malversations au sein du CrĂ©dit immobilier et hĂŽtelier ne fassent l’objet d’une commission d’enquĂȘte au sein de la Chambre des reprĂ©sentants en 2001.

On apprendra plus tard que cette affaire dont les contours ne sont pas encore clairs rĂ©pondait en fait Ă  des rĂšglements de compte politiques qui n’ont pas encore Ă©tĂ© soldĂ©s. Quid de la prĂ©somption d’innocence ? Le syndicaliste Younes Moujahid fustige des journalistes friands de crimes et de dĂ©lits, de sang Ă  la une, adeptes d’un voyeurisme commode mis en avant pour sĂ©duire des lecteurs ou augmenter une audience, quitte Ă  condamner avant tout examen judiciaire les personnes mises en cause. Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du syndicat des journalistes met en avant une charte que personne ne respecte.

Relations contre nature

Dans son article 9 sur la prĂ©somption d’innocence, la charte dĂ©ontologique du SNPM est pourtant claire : « Les comptes rendus et reportages traitant des affaires judiciaires doivent respecter le principe de la prĂ©somption d’innocence au bĂ©nĂ©ïŹce des personnes en rapport avec la justice. AprĂšs que le tribunal a annoncĂ© la dĂ©cision d’inculpation d’un prĂ©venu, le journaliste doit tenir compte des sentiments de la famille et parents de la personne concernĂ©e, ainsi que les chances de sa future rĂ©insertion sociale. »Des journalistes mal informĂ©s ou « prĂ©sumĂ©s » coupables ? Ni l’un ni l’autre. La recherche de l’information dans ce mĂ©tier est trop complexe pour se contenter de jeter la pierre aux journalistes.

Entre les policiers et les journalistes, les juges et les mĂ©dias, c’est une bien vieille histoire. Concernant les affaires en cours, la police nationale ou les services de gendarmerie n’ont pas le droit de donner des informations aux mĂ©dias puisqu’ils sont tenus par le principe du secret de l’enquĂȘte. Mais les relations contre nature entre ces deux corps de mĂ©tier si diffĂ©rents font que les professionnels des mĂ©dias sont souvent appelĂ©s Ă  cĂŽtoyer les professionnels de l’enquĂȘte policiĂšre. Un journal qui lance une enquĂȘte sur la criminalitĂ© aura forcĂ©ment besoin de la police ne fĂ»t-ce que pour avoir des chiffres ïŹ ables. « C’est humain, Ă  force de se voir, on ïŹ nit par tisser des relations durables avec les journalistes. Si ce n’est pas dĂ©terminant dans un sens ou dans un autre pour le bon dĂ©roulement de l’enquĂȘte, il n’y a pas de mal Ă  expliquer Ă  un journaliste oĂč en est l’avancement d’un dossier », explique un commissaire.

Alimenter la presse est une pratique admise au sein de tous les corps de mĂ©tier, exceptĂ© l’armĂ©e oĂč il reste difïŹcile pour un journaliste d’avoir ce que l’on appelle dans le jargon professionnel « une gorge profonde ». À l’époque oĂč il prĂ©sidait aux destinĂ©es de la DGST, le gĂ©nĂ©ral LaĂąnigri a usĂ© Ă  satiĂ©tĂ© du procĂ©dĂ©, abreuvant les journalistes « d’informations inĂ©dites » sur de pseudo rĂ©seaux maïŹeux, des thĂšses qui n’ont pas survĂ©cu au passage devant les juges. À la dĂ©charge des journalistes, il faut reconnaĂźtre que la recherche du procĂšs-verbal ou du dossier inĂ©dits permettant l’exclusivitĂ©, ne se fait pas toujours dans la lĂ©galitĂ©. Quitte Ă  entretenir des relations ambiguĂ«s, oĂč on ne sait plus qui manipule qui


Abdellatif El Azizi

Bavures sans frontiĂšres

Les dérapages de la presse ne sont pas une spécialité marocaine. Petit tour du monde des plus grosses boulettes journalistiques lors de faits divers tragiques.

L’une des premiĂšres cĂ©lĂ©britĂ©s Ă  avoir Ă©tĂ© « jugĂ©es par les mĂ©dias » est Roscoe Conkling «Fatty» Arbuckle, un rĂ©alisateur et acteur de cinĂ©ma muet, trĂšs populaire Ă  Hollywood au dĂ©but du XXĂšme siĂšcle. En 1921, il est soupçonnĂ© d’avoir violĂ© puis tuĂ© une starlette lors d’une soirĂ©e. Trois procĂšs plus tard, il apparaĂźt que cette derniĂšre est vraisemblablement dĂ©cĂ©dĂ©e des suites d’un Ă©niĂšme avortement ratĂ©. Bien qu’innocentĂ©, et ce avec les excuses du jury - un fait sans prĂ©cĂ©dent dans l’histoire de la justice amĂ©ricaine -, le scandale a ruinĂ© sa carriĂšre et sa vie personnelle. En effet, celui que ses amis dĂ©crivaient comme « l’homme le plus chaste de l’industrie » a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© par les journaux comme un satyre et un meurtrier, utilisant son statut pour abuser de pauvres jeunes ïŹ lles innocentes durant des orgies.

Steven Jay HatïŹll est un mĂ©decin et virologiste amĂ©ricain, expert en armes biologiques. En 2001, il est soupçonnĂ© d’ĂȘtre impliquĂ© dans la sĂ©rie d’attaques Ă  l’aide d’enveloppes contaminĂ©es au bacille du charbon (anthrax), qui a dĂ©butĂ© une semaine aprĂšs le 11 septembre. Il est alors prĂ©sentĂ© comme le coupable idĂ©al par les mĂ©dias, qui couvrent chacune des incursions du FBI dans sa maison. En 2008, il est mis hors de cause, et un accord est annoncĂ©. Le ministĂšre de la Justice, qu’il a poursuivi pour violation de sa vie privĂ©e et du secret de l’instruction en communiquant des informations Ă  des journalistes, lui verse 4,6 millions de dollars. Depuis, les soupçons de la justice se portent sur un autre scientiïŹque qui s’est donnĂ© la mort avant d’ĂȘtre interrogĂ©.

En 1980, Lindy Chamberlain et son mari font du camping en famille en Australie quand leur petite derniĂšre, Azaria, disparaĂźt. Selon sa mĂšre, le bĂ©bĂ© de 9 semaines a Ă©tĂ© tuĂ© et emmenĂ© par un dingo (chien sauvage australien). L’enquĂȘte avance difïŹcilement, et quand elle est accusĂ©e du meurtre, les mĂ©dias se dĂ©chaĂźnent contre elle. Ils lui reprochent de ne pas pleurer la mort de son enfant « normalement », et parce qu’elle fait partie de l’Eglise adventiste du septiĂšme jour, ils insinuent que le meurtre de l’enfant pourrait participer d’un horrible rituel. JugĂ©e coupable, alors que beaucoup de tĂ©moignages en sa faveur avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s, elle est libĂ©rĂ©e quatre ans plus tard quand un vĂȘtement que l’enfant portait ce jour lĂ  est dĂ©couvert Ă  moitiĂ© enterrĂ© prĂšs de la taniĂšre d’un dingo.

Le 16 octobre 1984, GrĂ©gory Villemin, 4 ans, est retrouvĂ© mort, noyĂ© dans une riviĂšre des Vosges. Ses poignets et ses chevilles sont entravĂ©s. Le meurtre est revendiquĂ© par un mystĂ©rieux « corbeau » qui harcĂšle les parents, Christine et Jean– Marie Villemin, depuis quatre ans. AussitĂŽt, « l’affaire GrĂ©gory » attire une foule de journalistes. Le 5 novembre suivant, Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie, est inculpĂ© d’assassinat, et malgrĂ© sa libĂ©ration quelques mois plus tard, par manque de preuves, il reste un « assassin » pour la presse. Alors que la justice se tourne vers Christine Villemin, Jean-Marie abat son cousin, comme il l’avait annoncĂ©. En 1993, Christine est innocentĂ©e, et les Villemin reçoivent des indemnitĂ©s de l’État. En 2008, ils obtiennent la rĂ©ouverture de l’enquĂȘte pour rechercher les traces ADN sur les Ă©lĂ©ments du dossier. Cette affaire reste cĂ©lĂšbre autant pour les dĂ©rapages des enquĂȘteurs et magistrats, que ceux des journalistes.

Amanda Chapon


BILLET : Liberté !

AccusĂ© Ă  tort, incarcĂ©rĂ© avec cette Ă©tiquette de « pĂ©dophile » qui place, d’emblĂ©e, le nouveau prisonnier Ă  la merci de la vindicte fĂ©roce de ses compagnons de cellules, Abdelmalek Ouazzari est dĂ©sormais rĂ©putĂ© innocent des faits pour lesquels il Ă©tait poursuivi. Aussi Ă©trange que cela puisse paraĂźtre, l’arrestation de l’auteur prĂ©sumĂ© des actes barbares perpĂ©trĂ©s Ă  l’égard de jeunes enfants de Mohammedia n’a toujours pas conduit Ă  la libĂ©ration de Ouazzari ! Pire encore, le jeune homme – que l’on imagine psychologiquement affectĂ© par ce qu’il a endurĂ© depuis le 12 dĂ©cembre, entre accusations publiques, interrogatoires et incarcĂ©ration – devra attendre encore plus de deux mois avant que la justice se prononce sur son Ă©ventuelle mise en libertĂ©.La prolongation de son incarcĂ©ration rĂ©sonne comme un insupportable acharnement.

Qui, en conscience, supporterait une telle absurditĂ© ? Pas mĂȘme un Ă©minent membre du corps judiciaire ! Or, la triste rĂ©alitĂ© est lĂ , qui voit ce jeune, prĂ©sumĂ© innocent, devoir prolonger son sĂ©jour au pays de Kafka, alors qu’une libĂ©ration sous contrĂŽle judiciaire permettrait d’attendre plus sereinement la prochaine audience. Une telle situation conïŹne Ă  l’aberration. Le nouveau ministre de la Justice, dit-on, s’est attelĂ© sans tarder Ă  cette rĂ©forme - maintes fois initiĂ©e, maintes fois remisĂ©e - que le pays appelle de ses vƓux. On veut espĂ©rer que le cas de Ouazzari, spectaculaire mais sĂ»rement pas isolĂ©, inspire nos rĂ©formateurs. Pour que la libertĂ© prĂ©vale sur l’arbitraire.

Henri Loizeau


Trois questions Ă ...

 YounĂšs Moujahid, SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Syndicat national de la presse marocaine

« Le lecteur a de moins en moins confiance dans la presse »

La déontologie dans la presse serait-elle particuliÚrement malmenée ?

Y OUNÈS MOUJAHID : C’est une situation extrĂȘmement prĂ©occupante. Nous avons participĂ© derniĂšrement Ă  un colloque Ă  Tanger oĂč les juges, procureurs et autres experts de la justice Ă©taient nombreux. La plupart des critiques visaient essentiellement la maniĂšre dont les journalistes traitaient des procĂšs, des mises en examen et autres affaires judiciaires. Les magistrats sont effarĂ©s devant la recherche du sensationnalisme qui fait oublier les rĂšgles Ă©lĂ©mentaires de la prĂ©somption d’innocence. Avant mĂȘme que le tribunal n’ait dĂ©cidĂ© de l’inculpation d’un prĂ©venu, ses photos et son nom Ă©talĂ©s en premiĂšre page des journaux.

D’aprĂšs vous, Ă  quoi est dĂ» ce virage subit dans la profession, sachant que jusqu’à la ïŹ n des annĂ©es 90, les dĂ©rapages Ă©taient plutĂŽt rares ; peut-on incriminer la formation des journalistes ?

C’est plutĂŽt la formation des rĂ©dacteurs en chef que l’on devrait incriminer. Je ne comprends pas comment un responsable peut laisser passer un article oĂč la prĂ©somption d’innocence n’est pas respectĂ©e, publier la photo d’un gosse victime d’un pĂ©dophile ou encore les minutes d’un ancien procĂšs, alors que le concernĂ© a, entre-temps, bĂ©nĂ©ïŹciĂ© d’un acquittement. Concernant la formation, nous organisons des sĂ©minaires rĂ©guliĂšrement mais la hiĂ©rarchie n’autorise pas les journalistes Ă  suivre ces formations sous prĂ©texte que les Ă©quipes rĂ©dactionnelles sont trop rĂ©duites.

Le syndicat a publiĂ© une charte de dĂ©ontologie en 2002. C’est pourtant une feuille de route prĂ©cise et opĂ©rationnelle ?

On n’a rien inventĂ©. Depuis toujours, on sait qu’un journaliste, digne de ce nom, est tenu pour responsable de tous ses Ă©crits. S’il a un souci de justice, il ne devrait pas pour autant confondre son rĂŽle avec celui du juge. Aujourd’hui, malheureusement, mĂȘme si les professionnels des mĂ©dias ne sont pas tous en cause, les gens se mĂ©ïŹent de plus en plus des journalistes. Le lecteur a de moins en moins conïŹance dans la presse. Certains journalistes se plaignent de traĂźner une mauvaise image auprĂšs du public. Le problĂšme aujourd’hui, c’est que tout le monde se prĂ©tend journaliste. Alors qu’un vĂ©ritable journaliste est un professionnel qui recueille l’information, la vĂ©riïŹe, la hiĂ©rarchise ; c’est un observateur privilĂ©giĂ© qui doit ĂȘtre trĂšs vigilant. C’est pourquoi il est devenu aussi urgent de rĂ©ïŹ‚Ă©chir sur la dĂ©ontologie.

 


Entretien avec Youssef Chehbi, avocat.

«Les journalistes devraient rĂ©flĂ©chir avant d’écrire »

Qu’est-ce que la prĂ©somption d’innocence ?

C’est le principe selon lequel, toute personne est innocente, tant que le tribunal n’a pas rendu une dĂ©cision dĂ©ïŹ nitive. On commet une atteinte Ă  la prĂ©somption d’innocence, quand on parle d’une personne faisant l’objet d’une instruction ou dont le procĂšs est en cours, comme d’un coupable. Cela ne concerne pas seulement les mĂ©dias d’ailleurs, puisque mĂȘme un chef d’Etat comme Nicolas Sarkozy a portĂ© atteinte Ă  la prĂ©somption d’innocence quand il a dĂ©clarĂ© lors du procĂšs Cleasrtream que « les coupables » Ă©taient devant le tribunal.

Comment expliquer que des personnes soient désignées comme coupables dans la presse avant leur jugement ?

En principe, la police est censĂ©e respecter le secret de l’instruction. Pourtant, il est constamment bafouĂ©, et on retrouve souvent les dĂ©tails des PV de police dans les journaux. C’est devenu d’ailleurs la spĂ©cialitĂ© de certains journalistes qui rĂ©cupĂšrent les PV les plus crapuleux, les plus vendeurs avant de les publier. Le problĂšme n’est pas vraiment juridique mais culturel. DĂšs que, dans un immeuble, la voiture de police s’arrĂȘte et embarque quelqu’un, ce dernier est tout de suite « condamnĂ© » par ses voisins. Si dans les mĂ©dias, on traite quelqu’un de voleur, d’assassin ou de violeur avant que le jugement n’ait Ă©tĂ© rendu, c’est encore plus grave et la personne peut se retourner contre le ou les titres de presse et obtenir des dommages et intĂ©rĂȘts.

Pourquoi, alors, les mĂ©dias ne sont pas davantage poursuivis pour atteinte Ă  la prĂ©somption d’innocence ?

Parce que les gens n’ont pas encore ce rĂ©ïŹ‚exe, ce n’est pas dans notre culture. Mais cela ne saurait tarder. Et la justice va fonctionner comme un rĂ©gulateur. Quand les gens commenceront Ă  se dĂ©fendre, les journalistes apprendront Ă  user de prĂ©cautions. Il y a dix ans, les plaintes pour diffamation n’étaient pas aussi nombreuses et les sanctions n’étaient pas aussi sĂ©vĂšres. Mais c’est Ă©galement une question de conscience et d’éthique : les journalistes devraient rĂ©ïŹ‚Ă©chir avant d’écrire et de dĂ©truire ainsi la vie d’une personne, de sa famille, de ses enfants.

Il faudrait insister sur ce point dans le Code de la presse ?

Il faudrait rĂ©nover les journalistes aussi (Rires). Plus sĂ©rieusement, il est nĂ©cessaire de crĂ©er une sorte de Conseil dĂ©ontologique en mesure de statuer sur les limites Ă  respecter. De la mĂȘme maniĂšre qu’en France, pendant vingt ans, tout le monde savait que François Mitterrand avait une ïŹ lle cachĂ©e, et personne n’en a parlĂ©. C’est ce qu’on appelle le respect de la vie privĂ©e.

Propos recueillis par Amanda Chapon

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