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Cheikh Maghraoui :  Cet homme est dangereux
actuel n°143, vendredi 25 mai 2012
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Nous ne vivons pas sous un régime islamiste. Mais tandis que les mouvements progressistes s’essoufflent, les forces les plus rétrogrades progressent en silence.


 

Une rencontre pour le moins insolite. C’était à la fin du mois de mars. En pleine polémique sur le décès d’Amina, cette jeune fille qui venait de se suicider après avoir été contrainte d’épouser son violeur présumé pour sauver l’« honneur » de la famille, Mustafa Ramid, notre ministre de la Justice et des Libertés, plutôt que de s’enquérir d’une possible révision du code pénal qui autorise les violeurs à épouser leur victime afin d’échapper à toute condamnation, préférait rendre visite à l’un des chiouks de la Salafia, auteur d’une fatwa autorisant le mariage des petites filles dès l’âge de neuf ans. Non content d’effectuer cette surprenante visite, Ramid se laissait alors aller à dénoncer « des gens du monde entier [qui] viennent à Marrakech pour passer beaucoup de temps à commettre des péchés et s’éloigner de Dieu ». Et pour faire bonne mesure, notre ministre PJD annonçait à son hôte qu’il allait faire le nécessaire pour que soient réouvertes les écoles coraniques du cheikh, fermées en 2008 par Chakib Benmoussa, alors ministre de l’Intérieur afin de « protéger la sécurité spirituelle et morale des citoyens ».

L’hôte de Ramid ? Mohamed El Maghraoui. L’actualité est ainsi faite qu’un événement en chasse un autre et qu’au rythme des dissonances qui agitent la vie du gouvernement Benkirane depuis son entrée en fonction, on en viendrait presque à oublier la signification d’une rencontre pour le moins inopportune. Maghraoui est tout sauf un personnage innocent. Son histoire, sa formation, ses réseaux, ses financements, son influence, son enseignement… tout en fait un personnage sulfureux qui vient troubler les fondements d’un Maroc ouvert à la modernité, dans le respect de ses constantes. Que Maghraoui retrouve, à cet instant de la vie politique marocaine, un regain de notoriété et donc d’influence, n’est en rien anodin. Et notre société serait bien inspirée, à l’heure où le champ de nos libertés individuelles – déjà passablement limitées – tend à se réduire de façon plus ou moins insidieuse, de prendre la mesure d’un homme, prosélyte d’un wahhabisme aux antipodes de nos valeurs qui, à bien des égards est, disons-le, dangereux. Enquête.

Y.B.

Le terrorisme intellectuel en marche

 

Les plus redoutables des islamistes ne font pas exploser de bombes :

ils pratiquent le lavage de cerveau.

 

Alors que les familles des victimes de l’attentat d’Argana commémoraient le souvenir douloureux du 28 avril 2011 au son de Imagine de John Lennon, en arrière-plan se tenait une conférence où le service d’ordre privé fortement barbu refusait du monde.

Dans la grande salle d’un café, le cheikh Maghraoui exposait aux commerçants de Jamaâ El Fna, et à ses disciples venus nombreux, sa conception « de la sécurité et le bonheur de jouir de la paix » ainsi que sa vision du terrorisme. Le leader salafiste, qui ne voit pas d’autre terrorisme que celui « imposé aux nations musulmanes par l’Occident », n’a rien d’un jihadiste. Malgré son allégeance à la patrie de Ben Laden, Maghraoui n’a jamais cautionné la violence des jihadistes mais il cultive une autre forme de terrorisme, bien plus insidieuse : un terrorisme intellectuel distillé par un enseignement de longue haleine sur les nattes de paille d’une centaine d’écoles wahhabites disséminées à travers le territoire national.

Pourquoi Maghraoui est-il dangereux ? Sa guerre « au monde impie », qui a vite viré à l’obscurantisme version « Al Saoud », a commencé sous Hassan II. Il a mis sur pied les germes d’une radicalisation de la société avec l’importation de modes de vie qui ont accentué la division du pays. Un travail de sape de plusieurs décennies relayé par des clercs chauffés à blanc à l’aide de la littérature en provenance de Riyad. La plupart officient aujourd’hui dans des mosquées qui ont pignon sur rue dans les grandes villes du Royaume. C’est un peu grâce au travail de fourmi effectué par ses troupes que beaucoup de Marocaines ont troqué la traditionnelle djellaba pour l’emblématique niqab. C’est cette même conception qui nourrit l’antisémitisme qui apparaît quelquefois là où l’on s’y attend le moins. Est-il besoin de rappeler que le Maroc est le seul pays arabe où un monarque, Mohammed V en l’occurrence, a risqué son trône pour protéger « ses juifs », en refusant notamment de les livrer pieds et poings liés au nazisme alors que le gouvernement de Vichy le lui ordonnait.

C’est aussi à cause des enseignements wahhabites dispensés entre autres dans ses écoles que l’anathème (takfir) est devenu courant dans la société marocaine, soit pour accuser une personne en considérant que sa croyance est hétérodoxe, soit pour mettre au ban de la communauté (umma) des individus dont les idées rompent avec le salafisme, fût-il musulman. Sachant que selon la pensée salafiste actuelle qui s’inspire abondamment du wahhabisme, les Marocains sont divisés en deux catégories : les musulmans d’un côté, et les alliés des mécréants de l’autre. Par une pratique caricaturale du licite (halal) et de l’illicite (haram), après avoir inventé « un islam culpabilisateur », ils régentent désormais les comportements. C’est le cheval de Troie de l’invasion wahhabite qui étend peu à peu ses tentacules sur la société marocaine. Les thèses du wahhabisme, qui sont diffusées dès les classes du primaire à l’école publique, représentent l’essentiel de l’enseignement dispensé dans ses médersas… Ses cassettes audio, vidéo, offertes gracieusement prolifèrent dans les universités qui profitent également de la bienfaisance wahhabite…

Le cheikh sort du bois

Aujourd’hui, il joue franc-jeu. Encouragé par la montée au pouvoir des islamistes, Maghraoui, plébiscité par Ramid en personne, n’hésite plus à œuvrer au grand jour. Ses tournées dans le pays sont suivies par des armées de salafistes qui vouent au personnage une admiration sans bornes.

Maghraoui dans le jeu politique ? Peu probable, l’homme préfère tirer les ficelles dans l’ombre et jouer la carte du PJD.

Lors de sa dernière sortie, il a félicité le PJD et a promis « aux islamistes de rester éternellement au pouvoir s’ils appliquaient à la lettre l’islam ». Le message adressé « à qui de droit » n’a pas échappé à plusieurs associations – dont le Mouvement vigilance citoyenne – qui sont montées au front pour dénoncer cette interférence du religieux dans le politique, et cet appel à peine voilé « à l’instauration d’un Etat séculaire ». C’est oublier que Maghraoui n’a jamais caché son soutien aux islamistes du PJD. Les résultats obtenus par les militants du parti de Abdelilah Benkirane aux communales de 2009 et aux dernières élections législatives doivent beaucoup aux consignes de vote données par le cheikh à ses disciples, notamment dans des provinces comme Marrakech. Avec le Printemps arabe et l’arrivée des islamistes au pouvoir, le cheikh Maghraoui estime avoir le feu vert pour continuer, ouvertement cette fois-ci, son travail de sape de la société marocaine.

Abdellatif El Azizi


Ecoles coraniques : la contre-offensive des Habous


Au ministère des Habous, on est conscient du danger mais les gestionnaires du champ religieux expliquent qu’ils sont sur le fil du rasoir.

« Pour des populations qui ne jurent que par l’enseignement dispensé dans les écoles coraniques, il est pratiquement impossible de faire la différence entre une école à sensibilité soufie et un enseignement qui s’inspire fortement du wahhabisme, d’où la difficulté de s’attaquer de front à ces structures qui n’avancent pas à visage découvert », explique un membre de la Rabita Mohammadia des oulémas. Mais cela n’empêche pas le département d’Ahmed Toufiq de suivre de près le fonctionnement des 400 autres écoles coraniques qui échappent à l’emprise des salafistes.

En mars dernier, Mohammed VI a inauguré à Bejaâd (province de Khouribga) l’école Cheikh Mohamed Al Moata Ibn As-Salih Ach Charqi. Cet établissement « s’inscrit dans le cadre de l’encouragement de l’enseignement traditionnel en vue de renforcer le rôle des institutions religieuses dans la formation des fidèles et la préservation de la sécurité spirituelle des Marocains », selon le communiqué officiel.


Portrait : Qui est le cheikh Maghraoui ?

 

Le protégé des Saoudiens a réussi à infiltrer la société tout en évitant d’affronter le pouvoir.

 

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette » : Maghraoui est un redoutable manipulateur. Tout le monde se pose des questions sur ce salafiste en chef qui a échappé à « l’hospitalité légendaire » du centre de Témara, sous la législature de Laânigri. Pourtant, à l’époque, la barbe valait chef d’inculpation, et la guerre menée par les Etats-Unis aux wahhabites avait des prolongements jusque dans les coins les plus reculés du Royaume. Pourquoi le leader salafiste n’a-t-il pas accompagné Kettani et Abou Hafs au cours de leur séjour pénitenciaire ? Pour plusieurs raisons dont la plus importante est sans doute le fait que Maghraoui, qui a toujours ses entrées au Palais royal saoudien, reste un intouchable. Son amitié indéfectible avec le cheikh Abdel’ Aziz Ibn Baz, grand mufti de l’Arabie saoudite et président des oulémas de ce pays, lui a valu pendant longtemps une protection rapprochée.

Même après sa fameuse fatwa sur le mariage des filles de neuf ans, l’homme n’a pas été inquiété outre mesure. On lui a juste demandé de se mettre au vert pendant quelque temps. « L’islamisme et l’argent font toujours bon ménage. Si Maghraoui cultive chez ses disciples la glorification de la pauvreté, il n’hésite pas à faire des allers-retours en Arabie saoudite d’où il revient les bras chargés de valises de billets. Quand on est capable de lever des fonds aussi importants, on en tire une philosophie particulière qui permet d’acheter des protections haut placées », explique une source bien informée.

 

Maghraoui, le riche

On crédite l’homme d’une immense fortune. Le système Maghraoui paraît simple. Le cheikh n’a rien oublié de ses années de disette où il passait parfois des journées entières sans manger. C’était l’époque où le jeune gamin, né dans la tribu des Oulad Nacer , en 1948, dans la région d’Errachidia, fréquentait l’école coranique du douar. Le brillant élève intègre la Qaraouiyine de Fès, puis la médersa Ben Youssef à Marrakech. Il se rend par la suite dans la ville sainte en Arabie saoudite pour poursuivre ses études et décroche son doctorat à l’université islamique. Son maître à penser est Takyeddine Hilali, une grande figure salafiste qui a passé la moitié de sa vie auprès des wahhabites en Arabie saoudite. En 1946, Hilali publiait la revue Lissan Eddine (La voix de la religion) et assurait en parallèle la correspondance au Maroc du journal des Frères musulmans, dirigé alors par Hassan Al Banna. Hilali est notamment connu pour avoir enflammé les foules dans les mosquées de Aïn Chock, la mosquée d’Al Koudia, Al Masjid Al Kabir de Hay Mohammadi et la mosquée de Moulay Youssef.

A sa mort en 1987, Mohamed Ben Abderrahmane El Maghraoui reprendra le flambeau et sera chargé de défendre les thèses du wahhabisme au Maroc.

 

Maghraoui, le méthodique

A son retour, il se mettra immédiatement au service de l’idéologie wahhabite profitant de la bénédiction des services marocains et du puissant ministre des Habous de l’époque. Mohamed Ben Abderrahmane El Maghraoui sera désormais le seul leader salafiste à communiquer d’égal à égal avec les grands cheikhs du Golfe.

Il crée plusieurs associations et des écoles coraniques qu’il supervise toujours grâce à l’association-mère Addaâwa Lil Kourân Wa Assounna. Une centaine d’écoles qui font désormais dans la propagation de l’idéologie salafiste. On le crédite d’une sentence célèbre : « Laisse les régimes tranquilles et proclame ce que tu veux. » Résultat, entre chapelets de fatwas et déclarations incendiaires, le pionnier de l’islam made in Saudi tente, à coups de pétrodollars, un come-back tonitruant. Avec sa loquacité légendaire, il risque bien de réussir.

Abdellatif El Azizi


***

 

Interview

Faouzi Skali  « Il existe bien un islam marocain »

Pour l’intellectuel soufi, le wahhabisme est en contradiction avec toutes nos valeurs.

 

Faouzi Skali est docteur en anthropologie, ethnologie et sciences des religions. Le fondateur directeur du Festival de Fès des musiques sacrées du monde est aussi à l’origine du colloque international « Une âme pour la mondialisation » qui se tient depuis 2001 à Fès. Il fait également partie du Groupe des Sages nommé par la Commission européenne. Entretien.

 

Est-ce que l’on peut dater l’intrusion du wahhabisme au Maroc ?

Dans l’histoire du Maroc, il y a eu une petite parenthèse historique qui a vite été refermée. C’est l’épisode de Moulay Slimane qui avait reçu une délégation des Al Saoud qui venaient juste de sceller une alliance avec le clan de Abd al-Wahhab. A l’époque, le souverain alaouite, séduit par l’appel à la rigueur de ces nouveaux venus, avait tenté d’en imposer les grandes lignes dans son pays. Sauf que la réaction violente des populations profondément attachées au soufisme, et à un islam marqué par le culte des saints, l’a fait reculer.

Par la suite, il s’était lié d’amitié avec un grand saint, Sidi Ahmed Tijani en l’occurrence, qui est devenu le grand défenseur de cet islam qui prend ses racines dans les enseignements dispensées à l’époque dans les zaouias.

Aujourd’hui, le wahhabisme étend toujours plus ses tentacules ; comment expliquer cette hégémonie ?

Nous avons observĂ© une montĂ©e progressive du wahhabisme au Maroc, dès les annĂ©es 60. Il faut comprendre que la mouvance a Ă©tĂ©  encouragĂ©e par les Etats-Unis qui ne voyaient pas d’alternative pour contrer l’influence grandissante du communisme dans les pays arabes. Ces derniers constituaient pour l’oncle Sam un enjeu stratĂ©gique majeur. Or l’objectif avouĂ© de Abd al-Wahhab, qui Ă©tait de rĂ©former un islam « souillé » par les « fausses religions », avait fini par menacer l’identitĂ© religieuse mĂŞme des Marocains qui est fondĂ©e, d’une part, sur l’école malĂ©kite et, d’autre part, sur le soufisme. RĂ©sultat, on a voulu imposer aux Marocains un islam radical, fanatique, sectaire, austère, puritain, rĂ©actionnaire, au dĂ©triment d’une spiritualitĂ© traditionnelle, beaucoup plus ouverte, qui s’inspire des grands maĂ®tres soufis qui ont marquĂ© l’histoire du Royaume.

 

Les signes extérieurs du wahhabisme font craindre un basculement définitif d’une partie du Maroc dans cette doctrine extrémiste. Y a-t-il un moyen de stopper la gangrène ?

Je suis persuadé que le pays est relativement vacciné contre l’influence du wahhabisme qui est, pour moi, un mal conjoncturel. Il ne faut pas oublier qu’avec les dérives « benladenistes », les Saoudiens eux-mêmes sont aujourd’hui embarrassés par l’héritage de Abd al-Wahhab. Cela dit, on a besoin en urgence de mettre en place une stratégie pour valoriser cette spiritualité bien de chez nous qui consiste essentiellement en un travail sur soi. Pour purifier son âme de l’égoïsme, de la haine et de l’extrémisme, avec l’intelligence de la retenue. A travers notamment l’éducation, les médias et la culture. La culture du samaâ, cette musique de l’âme, est parfaitement indiquée pour un retour à cet islam aux couleurs locales, expurgé de ces scories conjoncturelles qui avilissent une spiritualité venue d’abord libérer l’homme au lieu de l’asservir.

 

Justement, est-ce-que l’on peut parler d’un islam typiquement marocain ?

Dans la sourate de « La vache », il y a un verset d’une importance capitale qu’on peut traduire par « il n’y a pas de contrainte en religion ». Autrement dit, le rapport au Tout-Puissant relève pour beaucoup de nos compatriotes de la conviction personnelle. C’est un premier niveau de lecture qui montre la spiritualitĂ© que les Marocains ont vĂ©cue au quotidien depuis des siècles. A cette tolĂ©rance innĂ©e, il faut ajouter que l’islam marocain se rĂ©clame du rite malĂ©kite et de  la doctrine achâarite.

Propos recueillis par Abdellatif El Azizi

 

***

 

Maghraoui en 6 questions

 

Le wahhabisme est une idéologie rétrograde, financée par des pétrodollars, qui gangrène le pays en toute impunité.

 

Qui est derrière Maghraoui ?

Le cheikh Maghraoui a flirté avec les services quand Basri siégeait à la tête de la DST. C’était à la fin des années 60. Comme le Royaume subissait les coups de boutoir violents de l’extrême gauche et des ennemis jurés de Hassan II qu’étaient Nasser et Kadhafi, les services ont voulu leur opposer un adversaire à la hauteur. Maghraoui, entre autres leaders salafistes, a eu le feu vert pour introduire le wahhabisme au Maroc en vue de contrer la poussée chiite et le marxisme-léninisme rampant. « Après la révolution iranienne, alors que les étudiants de la gauche comme les islamistes portaient en triomphe le portrait de Khomeiny, Hassan II a voulu s’attaquer aussi bien aux chiites de l’imam qu’aux islamistes de Yassine, et contrer par la même occasion la gauche. Dans son discours de janvier 84, Hassan II, pointant le portrait de Khomeiny à la télévision, a accusé l’Iran et Israël de chercher à déstabiliser le Royaume pour des objectifs différents », explique le politologue et islamologue marocain Saïd Lakhal.

 

Quelle est sa pensée ?

Maghraoui n’hésite pas à s’attaquer aux salafistes quand il considère que ceux-ci s’éloignent du rigorisme vanté par le wahhabisme. Au début des années 80, il va tirer à boulets rouges sur la pensée de Hassan El Banna, le chef des frères musulmans, dans un pamphlet resté célèbre dans la littérature salafiste : Ahl Al Fikr wal Bouhtane que l’on peut traduire par « Les gens de la pensée et du mensonge ». Comme tous les leaders salafistes, Maghraoui nie son appartenance au wahhabisme. Il réfute même le terme d’islamiste considérant que « les Marocains étant tous musulmans », le qualificatif est inadéquat. Reste que le livre de chevet des disciples de Maghraoui est celui de l’imam Ibn Taymiya et de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, le fondateur du dogme wahhabite. Abd al-Wahhab est derrière ce « salafisme missionnaire » que prône Maghraoui.

 

Que veut-il ?

Pour avoir une petite idée du projet de société que caressent les salafistes, il suffit d’écouter les sermons de Maghraoui et de décortiquer ses références. En plus de l’incontournable Ibn Taymiya, on retrouve plusieurs leaders salafistes contemporains tels que Mohamed ibn Saleh Al-Otheimine qui s’était fait connaître en interdisant, entre autres, de « féliciter les mécréants [juifs et chrétiens notamment] durant leurs fêtes religieuses » ; ou encore Nassereddine al-Albani, décédé en 1999, qui s’était spécialisé dans l’émission de fatwas qui dénoncent la modernité à l’instar de celle qui a interdit aux « véritables musulmans » l’usage de la télévision et de la radio.

 

D’où vient l’argent ?

Dans la galaxie Maghraoui, l’argent ne semble pas poser problème. Les lieux de culte et les mĂ©dersas sont soigneusement entretenus et les milliers de « talibans » qui les frĂ©quentent bĂ©nĂ©ficient du gĂ®te et du couvert tant qu’ils sont en « activitĂ© scolaire ». Une fois « diplĂ´mĂ©s », nombre de  ces prosĂ©lytes, naguère pauvres et au chĂ´mage, se retrouvent du jour au lendemain Ă  la tĂŞte de commerces florissants.

L’argent a souvent empruntĂ© des circuits diplomatiques qui ont pignon sur rue. « Jusqu’aux dĂ©but des annĂ©es 2000, Maghraoui et bien d’autres chioukhs salafistes recevaient de l’argent provenant des reprĂ©sentations diplomatiques de plusieurs pays du Golfe. C’était un secret de polichinelle pour tous les services du pays et le ministère des Habous laissait faire. Après le 11-Septembre, on a conseillĂ© Ă  ces ambassades de lever le pied. Depuis, l’argent emprunte d’autres circuits plus opaques », explique un ancien de la DGED. Sans oublier que sous des prĂ©textes divers, des organisations comme le Congrès islamique mondial, le Haut Conseil des Affaires musulmanes, l’Organisation de la confĂ©rence islamique, la Ligue du monde musulman ou encore  l’AssemblĂ©e mondiale de la jeunesse musulmane accordent rĂ©gulièrement des financements Ă  des ONG marocaines, dont celles de Maghraoui. Pour s’assurer le rĂ´le de Vatican de l’islam, l’Arabie saoudite n’a jamais lĂ©sinĂ© sur les pĂ©trodollars.

 

Que fait l’Etat ?

Dès l’avènement de Mohammed VI, le Maroc, par le biais de circuits parallèles, a interrogé des experts sur l’influence wahhabite au Maroc et les moyens de la contrer. Le rapport confidentiel commandé au début des années 2000 à l’islamologue Antoine Basbous, « Le wahhabisme, sa formation, ses menaces et son introduction au Maroc », avait dressé une radioscopie sans complaisance du danger salafiste saoudien qui planait sur le Royaume. Le rapport parle de véritable « invasion wahhabite » qui remonte aux années 70 avec le succès notamment de prédicateurs vedettes tels que Aboubaker El Jazaïri qui officiait dans les mosquées de Hay Mohammadi à Casablanca. On apprend ainsi que Hassan II, qui avait besoin du soutien saoudien dans les années 70, face à la montée du nassérisme et du marxisme régional, avait fait rentrer le loup dans la bergerie. L’auteur du document rappelle que « Feu Hassan II était conscient de la menace wahhabite. Au milieu des années 80, il avait signé un décret royal exigeant l’observation de l’école théologique malékite. L’administration n’en a pas tenu compte. De même, Hassan II avait exigé en vain que le Coran fut psalmodié selon la version bien marocaine du warch et non selon la version hafs introduite par l’invasion wahhabite ».

Basbous explique que la difficultĂ© de combattre le wahhabisme vient du fait « qu’une vingtaine d’oulĂ©mas, pas toujours d’accord entre eux, prĂŞchent, selon l’auteur, leur doctrine au Maroc. Certains bĂ©nĂ©ficient de la complicitĂ© du ministre des Affaires religieuses et ont un accès rĂ©gulier Ă  la tĂ©lĂ©vision ». L’expert parle ici de Abdelkebir Mdaghri Alaoui, l’ex-patron du ministère des Habous  que Mohammed VI a limogĂ© parce qu’il Ă©tait trop proche des Saoudiens. Son remplacement par Ahmed Toufiq, un spĂ©cialiste du soufisme et membre de la zaouia boutchichie, avait Ă©tĂ© motivĂ© par la volontĂ© de « dĂ©wahabisation » de ce dĂ©partement qui a jouĂ© par le passĂ© un rĂ´le clĂ© dans la diffusion de cette doctrine.

 

Comment le wahhabisme divise-t-il la société ?

Près de 80% des mosquées de Marrakech sont contrôlées par des salafistes purs et durs dont la grande majorité est issue des écoles de Maghraoui ; dans les autres villes, la situation n’est guère reluisante. Si le prêche du vendredi est relativement contrôlé, rien n’empêche les prédicateurs de faire des digressions sur « les maux de la société ». Les remèdes préconisés, port du voile, pratiques religieuses, stigmatisation de l’autre, sont garantis 100% wahhabite ! Résultat, la pensée wahhabite divise la société marocaine petit à petit. Le danger, c’est que les salafistes qui avançaient jusqu’à présent cachés n’ont désormais plus de scrupules à s’afficher. Aujourd’hui, ils appellent à un retour à « l’islam des origines », expurgé de la bidaâ (innovation blâmable) qui, de leur point de vue, pervertit la religion. Dans le collimateur, la pensée occidentale, notamment les idées humanistes, la démocratie ou encore la laïcité.

A.E.A.

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Actuel n°92 : RĂ©volutions et attentats Sale temps pour Zenagui 
Actuel n°92 : Mais que veulent les jeunes ? 
Actuel n°92 : Il n’y pas que le 20-FĂ©vrier…  
Actuel n°92 : Qui cherche Ă  dĂ©stabiliser le pays ?  
Actuel n°92 : Â«â€‰Nos attentes sont plus grandes que le 20-FĂ©vrier »  
Actuel n°92 : Trois jeunesses 
Actuel n°91 : Le grand nettoyage 
Actuel n°90 : Le retour des adlistes 
Actuel n°89 : Ruby : sexe, mensonges et vidĂ©o 
Actuel n°88 : ImpĂ´ts : Halte Ă  la fraude 
Actuel n°87 : Hassan II TV c’est fini 
Actuel n°86 : Marine Le Pen : L’islam, les Arabes et moi 
Actuel n°85 : Vive le Maroc libre 
Actuel n°84 : Rumeurs, intox : Ă  qui profite le crime ? 
Actuel n°83 : ET MAINTENANT ? Une marche pour la dĂ©mocratie
Actuel n°81 : Sale temps pour les tyrans 
Actuel N°72 : Aquablanca : La faillite d’un système  
Actuel n°69-70 : Benguerir sur les traces de Settat 
Actuel n°68 : Art, sexe et religion : le spectre de la censure 
Actuel n°67 : Dans les entrailles de Derb Ghallef 
Actuel n°66 : Ces FQIHS pour VIP 
Actuel n°65 : RNI, le grand politic show 
Actuel n°64 : Bourse de Casablanca, des raisons d’espĂ©rer 
Actuel n°63 : Ex-ministres :  y a-t-il une vie après le pouvoir ?
Actuel n°62 : Le code de la route expliquĂ© par Ghellab
Actuel n°61 : La vie sexuelle des Saoudiennes… racontĂ©e par une Marocaine
Actuel n°60 : Chikhates, shit et chicha 
N°59 : Eric Gerets, la fin du suspense ?
N°58 : Onze ans, onze projets 
N°57 : Raid sur le kif 
N°56 : Sea, Sun & Ramadan 
N°55 : Casablanca, mais qui est responsable de cette pagaille ?
N°54 : Ces ex-gauchistes qui nous gouvernent 
N°53 : Au cĹ“ur de la prostitution marocaine en Espagne 
N°52 : DiplĂ´mĂ©s chĂ´meurs : le gouvernement pris au piège
N°51 : 2M : Succès public, fiasco critique
N°50 : L’amĂ©rique et nous 
N°49 : Crise, le Maroc en danger ?
N°48 : Les 30 Rbatis qui comptent 
N°47 : Pourquoi El Fassi doit partir 
N°46 : Chirurgie esthĂ©tique :  plus belle, tu meurs
N°45 : McKinsey dans la ligne de mire  
N°44 : Trafic sur les biens des Ă©trangers 
N°43 : Avec les Ă©vadĂ©s de Tindouf 
N°42 : GCM / Tamesna : Un scandale en bĂ©ton !
N°41 : ONA - SNI: Ils ont osĂ©
N°40 : Enseignement: Missions Ă  tout prix
N°39 : Le Maroc, terre d'accueil des espions 
N°38 : Bleu Blanc Beurk 
N°37 : Boutchichis Les francs-maçons du Maroc
N°36 : Hamid Chabat rĂ©veille les vieux dĂ©mons
N°35 : Vies brisĂ©es 
N°34 : Maires Ceux qui bossent et ceux qui bullent
N°33 : Botola Combien gagnent nos joueurs
N°32 : Sexe, alcool, haschich, jeux… Les 7 vices des Marocains
N°31 : Tanger Le dossier noir des inondations
 
 
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