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Caisse marocaine des retraites : La bombe Ă retardement
actuel n°135, vendredi 30 mars 2012
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Ce n’est ni une question d’arriérés de cotisations ni une affaire de mauvaise gestion. L’Etat a promis une retraite à ses fonctionnaires mais a mal calculé son taux de cotisation. Les pertes se chiffrent par centaines de milliards.
L'ardoise s’élève à plusieurs centaines de milliards de dirhams ! Oui, il s’agit bien de « plusieurs centaines de milliards de dirhams ». D’après des sources bien informées, elle s’élèverait, pour l’heure, à 500 milliards de dirhams.
L’origine de ce déficit abyssal ? La politique de l’autruche de l’Etat employeur. Le niveau de cotisation que celui-ci a accepté de verser, au titre de la retraite de ses fonctionnaires, depuis plusieurs années, n’a pas été correctement calculé. Pour tenter de colmater les brèches, ce taux a été porté de 7% à 10%. Mais, en réalité, il devrait être à 20%, face à une part salariale de 10% versée par les fonctionnaires. En clair, la règle couramment admise selon laquelle la part patronale doit représenter le double de celle du salarié, n’a jamais été respectée. Tout système de retraite étant un jeu à somme nulle, l’on est en droit de se demander qui paiera la facture au final ?
Si au terme de ce long et fastidieux processus de réforme du système des retraites, en cours depuis dix ans, l’on finit par opter pour un régime commun, il faudra soit régler les déficits passés et parer aux insuffisances techniques du régime de la CMR, soit transmettre le fardeau aux financeurs de demain, c'est-à -dire les entreprises et salariés du secteur privé et les indépendants. « Le financement de cette dette publique doit être assumé par tous les citoyens et non par les seuls salariés », affirme Saïd Ahmidouch, directeur général de la CNSS. Ces derniers ne sont pas plus de 4,6 millions de personnes, sur une population active globale de 10,5 millions de personnes. D'ailleurs, le BIT abonde dans le même sens en recommandant que cette dette accumulée par le régime du secteur public soit financée par les fonds publics. « Pour résorber ce déficit sans faire payer les cotisants, l'Etat doit injecter plus de 450 milliards de dirhams sur une durée de 50 ans. D'où l'urgence d'une réforme paramétrique », soutient Khalid Cheddadi, directeur général de la CIMR.
En plus de ce dossier épineux, la CMR va être confrontée à un déficit technique à partir du quatrième trimestre 2012, conséquence directe de l’extrême générosité de son régime. En effet, la retraite est calculée sur la base du dernier salaire de la carrière, tandis que la CNSS comme le RCAR retiennent comme salaire de référence le revenu moyen des huit dernières années. Par ailleurs, la CMR affiche un rapport de trois cotisants actifs pour un pensionné, et un taux de remplacement du dernier salaire de 75%, taux jugé trop élevé par rapport à un taux de cotisation de 20% (à parité égale entre l’Etat et les fonctionnaires).
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Trois actifs pour un retraité
Outre l’extrême générosité du régime, la fragilité de l’équilibre financier de la CMR s’explique aussi par la détérioration de sa base démographique. « A partir de 1983, date d’entrée en vigueur du plan d’ajustement structurel, les effectifs de la fonction publique ont stagné, alors que ceux des retraités ont augmenté en moyenne de 7%, entre 1983 et 2010 », précise le rapport annuel de la CMR. D’où la dégradation du rapport démographique (le nombre d’actifs finançant la pension d’un retraité). Celui-ci passe de 10 à 3 actifs pour un retraité en 2010. Enfin, sous la pression des syndicats, les gouvernements successifs se sont résolus à améliorer les pensions, aggravant les charges. Une première réforme en 1990, sous le gouvernement Azzedine Laraki, a permis d’intégrer 50% des indemnités et primes statutaires et permanentes dans l’assiette de liquidation de la pension des fonctionnaires. Une deuxième réforme survenue en 1997, sous la houlette de Mohamed Karim Lamrani, intègre, cette fois-ci, la totalité des indemnités et primes statutaires et permanentes. Ces deux décisions politiques doperont les pensions qui peuvent atteindre jusqu’à 100% du dernier salaire d’activité. Enfin, en 2002, le gouvernement El Youssoufi décide d’étendre la réforme de 1997 aux retraités antérieurs à cette date. Près de 200 000 pensions civiles et militaires bénéficieront de cet élan de générosité.
C’est sous le poids de ces charges qu’il a été décidé de porter à 20% le taux total de cotisation. Dans la foulée, l’Etat réglera ses arriérés à la CMR, au titre de la part patronale, arrêtés à 11 milliards de dirhams. Mais rien n’y fait. Ces mesures ne suffisent pas à combler le trou de la CMR.
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Faillite programmée en 2019
Si les choses demeurent en l’état, la Caisse sera en faillite à partir de 2019. Tant que le gouvernement ne tranche pas, le déséquilibre actuariel est appelé à s’aggraver chaque année de 16 milliards de dirhams. « Nous avons formulé des recommandations en juin 2011 pour limiter les dégâts, mais le risque s’aggrave. Nous planchons actuellement sur de nouvelles options pour tenter, une nouvelle fois, de freiner le déficit », annonce Mohamed El Alaoui El Abdallaoui, directeur général de la CMR. Parmi les mesures suggérées en juin 2011, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite à 65 ans, de manière progressive, jusqu’à l’horizon 2021.
Parallèlement, le calcul du salaire de référence doit être basé sur la moyenne des salaires des huit dernières années, de manière progressive jusqu’en 2018. Enfin, le taux de cotisation est à réévaluer progressivement de 20% à 22% en 2012, puis 24% en 2013, et à 26% en 2014. Il est évident qu’en l’espace de neuf mois, la situation de la CMR na cessé de se dégrader et ces mesures sont, en partie, désuètes. Une fois actualisée, cette réforme paramétrique devra être adoptée d’urgence, la Caisse des fonctionnaires ne peut attendre la mise en œuvre de la réforme globale des retraites programmée, elle, à l’horizon 2016. « Sans tarder, la CMR doit mener sa réforme paramétrique, sachant que les autres régimes obligatoires ne sont pas non plus à l’abri… », insinue le directeur général de la CMR. De nouvelles propositions seront donc présentées au prochain conseil d’administration prévu en mai.
Ensuite, la balle sera dans le camp du gouvernement Benkirane.
Une chose est sûre, aucun plan de sauvetage n’est prévu, pour l’heure, dans le projet de loi de Finances 2012. Le régime des pensions civiles étant géré par une loi qui doit passer par les deux Chambres du Parlement, la CMR n’est pas près de voir le bout du tunnel. Pas plus que les fonctionnaires ne sont prêts à renoncer à leurs acquis. La bataille, si elle a lieu, promet d’être rude.
Mouna Kably
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Trois questions à ... El Aziz Abdelkarim, représentant de la CDT à la commission technique
OĂą en est la commission technique ?
El Aziz Abdelkarim : Nous venons de discuter, en début de semaine, des différentes variantes de scénarios proposées par le cabinet Actuaria, et les recommandations du BIT. Ensuite, nous nous sommes penchés sur le système cible auquel nous avons consacré la réunion de vendredi dernier.
Que ressort-il de ces discussions ?
Pour l’heure, le système cible semble recueillir l’adhésion de toutes les parties car il répond le mieux à certaines exigences, notamment l’élargissement de l’assiette des bénéficiaires. Aujourd’hui, la part des personnes âgées couvertes par un régime de retraite est très faible, pas plus de 30% des actifs. La plupart des personnes âgées, notamment les femmes au foyer, les chômeurs et tous ceux qui travaillent dans le secteur informel, ne peuvent prétendre à une retraite.
Le système cible propose une réforme globale et profonde et non pas uniquement paramétrique. Le régime de base unifié (RBU) sera généralisé au personnel du secteur public, des entreprises publiques, aux professions libérales et travailleurs non salariés. Il sera à prestations définies et non à cotisations définies. Ce système cible prévoit, en plus, deux régimes complémentaires obligatoires, l’un pour le public et l’autre pour le privé. Mais, à ce stade, aucune piste n’est encore privilégiée car la réflexion est à peine entamée. Il faut la développer pour arriver à un modèle qui tienne compte des propositions d’Actuaria, du BIT et des syndicats.
Quel sera le coût de cette réforme ?
Cette question n’est pas encore discutée. Mais il va sans dire que l’Etat devra mettre la main à la poche pour mener à bien ce chantier. Il s’agit de maintenir les équilibres financiers des caisses de retraite tout en préservant le droit des cotisants à une retraite décente.
Propos recueillis par Khadija El Hassani
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Pour une TVA sociale
Au-delà du problème posé par la CMR, le mode de financement de la sécurité sociale doit être repensé. Compte tenu des mutations économiques et démographiques, le financement de la retraite ne peut plus reposer, exclusivement, sur l’assiette du travail. La consommation doit également être mise à contribution pour alléger la charge sur les salariés et employeurs. La TVA sociale pourrait apporter une bouffée d’oxygène à un système en mal de financement.
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RĂ©serves en danger
Cette activité, qui a démarré en 1997, est assurée par les équipes internes de la CMR. Mais la gestion des fonds est réglementée, et la loi sur la réorganisation de la CMR précise les classes d’actifs venant en représentation des réserves. De même, l’allocation stratégique d’actifs et les règles prudentielles de gestion sont définies par arrêté du ministre des Finances.
En 2010, les réserves de la CMR se sont établies à 70,6 milliards de dirhams et les produits de placements à 3,5 milliards de dirhams. Le taux de rendement atteint 5,57% l’an. Vu que les cotisations de l’Etat et de ses fonctionnaires ne suffiront pas à couvrir les prestations de retraite, la CMR est obligée de recourir aux produits financiers pour combler le gap. Et si la réforme n’est pas mise en place rapidement, la Caisse devra littéralement puiser dans ses réserves.
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Paramètres du régime civil de la CMR
• Taux de cotisation de 10% pour la part patronale et 10% pour la part salariale contre 7% / 7% auparavant.
• Age de la retraite à 60 ans en général, 65 ans pour les professeurs universitaires et jusqu’à 66 ans pour les magistrats.
• Retraite anticipée : service immédiat de la pension sur la base d’un taux de 2%.
• Taux moyen de remplacement : 75% du dernier salaire. |
Réforme des retraites : Dix ans de réflexion et pas une action
Si rien n’est fait, c’est tout le système qui va s’effondrer. La CMR annonce déjà un gros déficit technique pour cette fin d’année. Mais les autres caisses ne sont pas à l’abri. Une autre « patate chaude » pour le gouvernement Benkirane. Se démarquera-t-il de son prédécesseur ?
Annoncée en grande pompe en 2003, sous le gouvernement Jettou, la réforme de la retraite se fait toujours attendre. Dossier hautement sensible, tant sur le plan social et politique que financier, il sera « refilé » d'un gouvernement à l’autre, comme une patate chaude. Une décennie plus tard, aucune avancée n’est enregistrée. A chaque fois, une date butoir est fixée sous la pression des syndicats, mais différents prétextes sont ensuite invoqués pour renvoyer la mise en œuvre des mesures aux calendes grecques. «La décision est purement politique et requiert beaucoup de courage pour passer à la concrétisation de mesures, certes douloureuses mais nécessaires », soutient une source syndicale.
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Changer les paramètres
Depuis sa création en 2003, la commission technique s'est réunie plus de cinquante fois. Quant à la dernière réunion de la commission nationale, elle remonte à 2007. Et pendant tout ce temps, la pression sur les caisses de retraite n'a cessé de s'aggraver. Mais la situation de la CMR est, de loin, la plus alarmante. Dès cette année, elle enregistrera son premier déficit technique. Elle sera alors contrainte de puiser dans ses réserves pour servir les pensions de retraites des fonctionnaires, explique Karim El Aziz de la CDT. A ce rythme, et si rien n'est fait, les réserves de la caisse s'amenuiseront en 2019. En cause, la chute du ratio démographique. Autrement dit, la baisse du nombre de cotisants du secteur public qui, non seulement ne recrute plus comme par le passé, mais, en plus, subit les effets néfastes de la réduction drastique de ses effectifs, après le fameux programme de départs volontaires (DVD). « D’où la nécessité d’un plan de sauvetage basé sur un changement de paramètres », relève une source syndicale. Or, durant le mandat de Abbas El Fassi, aucune avancée perceptible n’a été réalisée. Prétextant l’attente de résultats des études actuarielles, la commission nationale, présidée par l’ancien premier ministre istiqlalien, ne s’est jamais tenue. En réalité, explique un observateur, « la véritable raison était toujours d’ordre politique. On préférait éluder ce dossier pour ne pas compromettre les chances des uns et des autres lors des élections électorales ».
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Il y a urgence
Résultat : c’est le gouvernement Benkirane qui hérite de ce dossier épineux. Fera-t-il preuve de plus de courage politique ? Quoi qu’il en soit, toutes les études, à savoir celles de la commission technique, du cabinet Actuaria, et plus récemment, celle du Bureau international du travail (BIT), sont bouclées et confirment l’urgence de la réforme, à commencer par celle de la CMR.
Les autres caisses, sont, elles aussi, exposées au risque d'épuisement des réserves, mais au delà de 2037. Sous l’effet de la dégradation des rapports démographiques, toutes les caisses risquent de connaître le même sort, si la réforme est une nouvelle fois reportée.
Khadija El Hassani
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Les syndicats veillent au grain
Voilà presque une décennie que le constat des déficits abyssaux des caisses de retraite est établi. Dix ans aussi que les deux commissions, nationale et technique, devaient établir un diagnostic, puis proposer des pistes de réformes. C’est Driss Jettou qui a eu l’idée de lancer le chantier de la réforme des régimes de retraite lors du Colloque national sur les régimes de retraite.
Alors que la commission technique bat un record avec ses cinquante réunions déjà tenues, la commission nationale, elle, ne s’est pas réunie une seule fois depuis 2007. Contrairement à Driss Jettou, Abbas El Fassi, l’ex-Premier ministre, n’a jamais convoqué la Commission nationale de suivi de la réforme des retraites dont il assurait la présidence. En 2004, soit un an après sa création, la commission technique dresse un état des lieux des régimes de retraite et propose trois scénarios de réforme. Scénarios qui seront fortement critiqués par les syndicats. Ces derniers solliciteront, en 2007, l’avis d’un cabinet d’études externe. En septembre 2009, le premier rapport du cabinet français Actuaria tombe. La commission technique juge ce rapport incomplet et demande des compléments d’informations début 2010. Le rapport final remis en avril 2010 confirme ce que tout le monde savait déjà , à savoir la situation alarmante du système des retraites, et livre trois scénarios, en plus d’un scénario alternatif. Toujours insatisfaits, les syndicats se tourneront vers le BIT qui remettra son verdict en mars 2012. |
Quel modèle voulons-nous ?
Solidaire ou individualiste ? La question n’est pas tranchée. Elle n’est même pas abordée par la commission technique chargée d’éclairer la commission nationale. D’un rapport à l’autre, les débats se focalisent sur les aspects techniques. Tour d’horizon.
Au-delà des multiples tergiversations que suscite la réforme des retraites en suspens depuis plus de huit ans, une question de fond demeure toujours sans réponse : quel modèle voulons-nous pour le Maroc ? Si le dossier traîne depuis si longtemps, c’est que la réforme des retraites n’est pas tributaire des seuls choix techniques ou des niveaux de paramètres à retenir. Au-delà de ces détails, elle implique des choix sociaux, économiques, mais aussi, politiques. Des choix d’autant plus complexes qu’ils engagent plusieurs générations. « Sommes-nous pour un système individualiste à l’anglo-saxonne ou pour un système solidaire à la suédoise ? C’est la question essentielle à laquelle toutes les parties prenantes, Etat, syndicats, employeurs et gestionnaires des caisses de retraite, doivent réfléchir pour trouver un consensus. Sachant qu’il n’existe pas de solution unique et que chaque pays est tenu d’échafauder son propre système de retraite, en tenant compte de sa culture, de ses contraintes sociales et financières », souligne d’emblée Saïd Ahmidouch, directeur général de la CNSS. Pour l’heure, force est de constater que le modèle marocain continue toujours de se chercher.
En l’absence d’un consensus autour d’une vision globale pour sauver le système des retraites, les débats se focalisent, encore et toujours, sur des détails techniques, au risque de perdre de vue l’essentiel. Il est vrai que la commission technique, longtemps mise en veilleuse, vient de reprendre du service début mars, sous la houlette de la Direction des assurances et de la prévoyance sociale. Cette commission qui réunit tous les partenaires sociaux et représentants des caisses de retraite, doit, à la lumière du rapport du cabinet Actuaria, remettre ses recommandations à la Commission nationale. A charge pour cette dernière de trancher et de choisir le scénario final. Pour l’heure, le cabinet Actuaria a terminé son travail et remis ses recommandations, dont un scénario alternatif. Les syndicats avaient sollicité, en juin 2011, l’avis du Bureau international du travail (BIT) sur certains aspects de ce rapport. Celui-ci vient de remettre ses remarques qui conforteraient, à certains égards, la position des syndicats et la perception de la CNSS.
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Eléments contradictoires
Sans remettre en cause le travail du cabinet Actuaria, le BIT recommande, tout de même, des éléments techniques contradictoires. Ainsi, selon plusieurs sources concordantes, le BIT prônerait un régime de base à prestations définies (prestations garanties, indépendamment de la santé future du régime). Le cabinet Actuaria avait suggéré, au contraire, un régime de base à cotisations définies. « Dans ce cas, ce n’est qu’au moment de la retraite que le salarié connaîtra le montant de sa pension, en fonction de la valeur du point », explique un syndicaliste. Pour l’heure, les principaux régimes obligatoires, à savoir la CNSS, la CMR (Caisse marocaine des retraites) et le RCAR (Régime collectif d’allocation retraite), sont à prestations définies. Seule la CIMR est un régime à cotisations définies. « Là encore, quel modèle marocain voulons-nous ? Sachant que le système à prestations définies garantit aux salariés une visibilité et une lisibilité sur leur retraite à venir », insiste le directeur général de la CNSS. Le régime à cotisations définies semble plus facile à piloter car il transfert le risque sur l’assuré. Pour autant, assurent les spécialistes de la retraite, le régime à prestations définies n’est pas voué à être déficitaire. « S’il est géré avec des outils spécifiques, sa viabilité financière peut être garantie », explique un actuaire. Aujourd’hui, syndicats et employeurs qui siègent à la commission technique sont conscients de la nécessité de concilier entre la gestion de l’équilibre financier des régimes et la garantie d’une retraite décente à l’ensemble des salariés.
Autre recommandation du cabinet Actuaria réfutée par le BIT : l’adoption d’un régime de base faible, avec un plafond fixé à deux fois le Smig. « Voulons-nous une retraite de base décente ou une paupérisation programmée de nos retraités ? », s’interroge encore une fois Ahmidouch. Pour comparaison, la CNSS applique, aujourd’hui, un plafond de retraite équivalant à trois fois le Smig. Ce qui est jugé faible puisque dans les pays où le salaire minimum est bas, comme le Maroc, la retraite de base est calculée à plus de six fois le Smig. En fait, le BIT préconise que le plafond soit variable, indexé sur l’évolution générale des salaires, pour éviter une baisse tendancielle du pouvoir d’achat. « Le plafond de la retraite peut également être calculé, chaque année, de façon mécanique, et figurer dans la loi de Finances », est-il suggéré. Enfin, Actuaria préconise une retraite complémentaire obligatoire à partir du premier dirham. « C’est sans compter avec la situation économique du pays et la fragilité des entreprises, en particulier des PME ! » Imposer un régime complémentaire équivaut à un taux de cotisation des employeurs de 18%, contre un taux de 11,89% en vigueur actuellement. « C’est insensé quant on sait que l’on n'arrive toujours pas à mettre en place l’indemnité pour perte d’emploi moyennant une charge patronale supplémentaire de 1%. » Alors, on peut toujours rêver d’une retraite complémentaire obligatoire à partir du premier dirham !
Mouna Kably
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Attention à l’évasion fiscale
La CNSS compte dans son portefeuille 130 000 entreprises. Pas plus de 5% d’entre elles sont affiliées à la CIMR, soit un total de 5 000 entités.
Par ailleurs, entre 2005 et 2011, la CNSS a recruté 1 million de TPE supplémentaires. Son portefeuille est donc passé de 1,58 million à 2,58 millions de TPE affiliées. Mais cette population de très petites unités vulnérables, qui a accepté d’intégrer le secteur formel en optant pour une couverture sociale, peut à tout moment rebasculer dans l’informel en cessant de déclarer tous ses employés. A coup sûr, ce sera le cas si la retraite complémentaire devient obligatoire. Les charges sociales seront jugées trop lourdes par la majorité de ces TPE. Une telle mesure, qui ne tient pas compte de la réalité du tissu économique, peut donc provoquer des effets pervers comme l’évasion sociale. |
Diagnostic
Le BIT met son grain de sel
Dans son dernier rapport dont actuel détient, en exclusivité, une copie, l'instance préconise des aménagements qui confortent la position des syndicats.
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La commission technique présidée par Hassan Boubrik, directeur de la DAPS, n’est pas au bout de ses peines. Après la copie remise par le cabinet Actuaria, fin avril 2010, c’est au tour du Bureau international du travail (BIT), sollicité par les centrales syndicales, de livrer ce mois-ci ses recommandations, après analyse de tous les scénarios de réforme proposés. D’entrée de jeu, le BIT juge essentiel que la réforme introduise des modifications pour équilibrer les ressources et les charges futures. Elle doit aussi proposer des mécanismes pour payer la dette des générations passées. Une condition sine qua non pour garantir la viabilité des caisses de retraite. Autre recommandation saluée par les syndicats : la mise en place de mécanismes adaptés aux populations non couvertes. Une mesure qui viendrait compléter, avec le Ramed, la couverture sociale d’une large frange de la population, jusque-là laissée pour compte. Le BIT attire également l’attention sur la nécessité d’actualiser les données ayant servi à l’élaboration des études, pour mieux coller à la réalité socio-économique du pays. Cette remarque est formulée à maintes reprises car, entre le lancement de l’étude et sa finalisation, la situation évolue et rend caduques les recommandations. L’évolution du marché du travail et des salaires doit également être suivie de près pour assurer une meilleure cohérence des réformes proposées.
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PĂ©renniser les caisses
Par ailleurs, le BIT recommande des études d’impact du relèvement de l’âge de retraite sur les comportements du marché du travail. Rappelons que la proposition de relever l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, formulée en 2010, avait suscité une levée de boucliers des syndicats. Mais, depuis le Printemps arabe, cette suggestion est tombée dans les oubliettes… Pour pérenniser les caisses de retraites, le BIT préconise un taux de remplacement du revenu à la retraite pour le Régime de base unifié (RBU) qui tienne compte des contraintes financières « pour les générations présentes et futures ». En clair, ce taux de remplacement doit laisser une marge de manœuvre financière pour que la pension soit protégée contre l’érosion du pouvoir d’achat. Les contraintes financières devraient s’exprimer en termes de taux de cotisation maximum. Ce dernier, applicable au RBU, peut inclure une provision qui amortirait une partie de la dette des régimes du secteur public.
Plus loin, le BIT estime que ses objectifs en matière de protection sociale doivent être définis de manière à viser, à long terme, une pleine capitalisation des engagements à la charge de l’Etat employeur. « Ce qui revient à une reconnaissance de dette explicite. » La partie de la dette des régimes du secteur public qui ne peut être financée par les cotisations du RBU doit l’être par l’Etat, au moyen d’un mécanisme spécifique et transparent. Autant dire que la réforme du système des retraites et la pérennité des caisses restent tributaires de la liquidation du passif, toujours à la charge de l’Etat. Reste à savoir si, maintenant que le terrain est balisé et que les exigences des uns et des autres en matière d’études sont satisfaites, le gouvernement franchira enfin le pas de la réforme. En tout cas, ce ne sera pas pour 2012.
Khadija El Hassani |
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