Rien n’est dû au hasard. La réactivation du dossier ONDA et la présentation de Benallou et consorts devant la justice, à ce moment précis, constituent un test décisif. La justice ira-t-elle jusqu’au bout ? Y aura-t-il un effet boule de neige pour solder les dossiers les plus sulfureux ? Autant de questions qui focalisent les attentes et tiennent l’opinion en haleine.
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La mise en examen de Abdelhanine Benallou, l’ex-directeur général de l’ONDA, et consorts, marque-t-elle véritablement la fin de l’impunité ? Les avis demeurent partagés. Les plus sceptiques se réfèrent aux expériences passées. A commencer par la tristement célèbre campagne d’assainissement, pilotée par l’ancien ministre de l’Intérieur, Driss Basri, en 1996.
Une campagne qui avait traumatisé les opérateurs économiques, sans modifier véritablement les pratiques. La preuve, quinze ans plus tard, les affaires de malversation, détournement et dilapidation des deniers publics n’en finissent pas d’alimenter la chronique.
L’enquête de la BNPJ sur l’affaire de l’ONDA, enclenchée à la demande du procureur général, est bouclée depuis plusieurs semaines. La justice s’en était d’ailleurs saisie voici plusieurs mois. Or, force est de constater que la réactivation de la procédure intervient « à un moment idéal pour le gouvernement Benkirane ».
A l’heure où les tensions sociales s’exacerbent, où les attentes des citoyens se font plus fortes, le tout dans un contexte de crise économique généralisée et de sécheresse annoncée. Pour calmer les esprits, quoi de mieux que de sortir aujourd’hui le dossier ONDA ? Un dossier qui avait pourtant été déterré par les inspecteurs de la Cour des comptes en… 2008 ? De là à penser qu’il y a instrumentalisation de la justice, il n’y a qu’un pas.
Tout porte à croire cependant que Abdelilah Benkirane et son ministre de la Justice, Mustafa Ramid, ne se contenteront pas du seul dossier ONDA. L’affaire du CIH, qui épingle Khalid Alioua pour dilapidation des deniers publics, est également dans les tuyaux. L’ex-patron du CIH a été entendu ces derniers jours par les services de la BNPJ.
Il aurait même menacé de dévoiler de grosses affaires dans lesquelles seraient impliquées de hautes personnalités. C’est la même histoire qui se répète puisque Moulay Zine Zahidi, son prédécesseur à la tête du CIH, condamné en 2007 par contumace, avait formulé les mêmes menaces. « Ils commencent tous par avoir la même réaction défensive. Mais face à l’intransigeance de la machine judiciaire, ils reviennent à de meilleurs sentiments, de peur d’aggraver leur cas ! », assure une source bien informée.
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D’une pierre deux coups
D’autres dossiers seraient également en instance de traitement imminent. Sur le registre de la gouvernance des entreprises publiques, les affaires ne manquent pas. Certaines traînent dans les dédales de la justice depuis de nombreuses années.
Celle de la CNSS, par exemple, bat tous les records puisqu’elle remonte à 2001 et met en jeu un déficit de 115 milliards de dirhams et 47,7 milliards partis en fumée en détournements, malversations et mauvaise gestion. Aura-t-on cette fois le fin mot de l’histoire pour solder le passif et tourner enfin la page ? D’une pierre deux coups : cela permettrait aussi de renflouer les caisses de l’Etat désespérément vides.
Les observateurs les plus optimistes veulent y croire, convaincus que quelque chose est en train de changer, compte tenu du contexte régional et de l’effet Printemps arabe, de la conjoncture politique et des contraintes économiques auxquelles est confronté le Royaume. « Nous sommes installés dans un processus irréversible de moralisation de la vie publique, et les déclarations du PJD sur la reddition des comptes et la lutte contre la dilapidation des deniers publics n’est pas un simple slogan.
Maintenant, toute la difficulté consiste à enclencher cette réforme de fond, sans basculer dans la chasse aux sorcières », explique Mohcine El Harti, chercheur à l’université de Tanger. Celui-ci en veut pour preuve la nouvelle Constitution qui renforce les dispositions en faveur de la moralisation de la vie publique.
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HĂ©morragie de capitaux
C’est sans doute là le véritable challenge du gouvernement Benkirane. Industriels et investisseurs sont sur le qui-vive, à l’affût du moindre signal susceptible de perturber leurs projets. Déjà échaudés par la récession, nombreux sont les opérateurs qui seraient prêts à différer ou à renoncer à leurs investissements, à la moindre alerte.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’on parle d’hémorragie de capitaux vers l’étranger, depuis l’été dernier. Le dernier rapport de Global Finance Integrity estime ces flux à 25 milliards de dollars.
Autant dire que le gouvernement Benkirane devra faire preuve, à la fois de fermeté et de doigté pour laisser la Justice faire son travail sereinement, sans tomber dans la récupération politique. Et installer de nouvelles pratiques de bonne gouvernance des entreprises publiques, de reddition des comptes des dirigeants, sans paralyser la machine économique.
« Pour réussir ce challenge, il faut vaincre des résistances comme l’impunité qui discrédite tous les discours réformistes. D’où la nécessité d’actions officielles, fortement symboliques, qui annoncent clairement la rupture avec les pratiques du passé », explique Abdelaziz Messaoudi, militant associatif. C’est sur cet aspect d’ailleurs que le gouvernement Benkirane est le plus attendu.
L’autre facteur de scepticisme est lié à la subordination dont a fait preuve jusque-là , la Justice. « Il est temps de mettre fin à cette source de méfiance et de résignation du citoyen, et de réhabiliter la Justice dans son rôle », poursuit Messaoudi. Lui aussi estime que le moment est opportun compte tenu du caractère urgent des réformes et des attentes de plus en plus fortes des citoyens.
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Le pouvoir du conseil d’administration prime
Mais le gouvernement Benkirane devra aller au-delà du symbolique pour se pencher en profondeur sur le mode de gouvernance des entreprises publiques. Celui-ci souffre de plusieurs défaillances, des portes ouvertes à tous les dérapages, quels que soient les dirigeants. « Tous les dérapages au sein de l’ONDA, qui ont plombé ses résultats financiers, mettent en cause son mode de gouvernance », précise Mohcine El Harti.
Pourtant, la réforme a été amorcée avec la promulgation de la loi 69/00 sur le contrôle financier de l’Etat sur les entreprises publiques. Celle-ci se fonde sur quatre grands principes : la généralisation du contrôle, sa modulation et sa pertinence, la dynamisation du processus de contrôle et la clarification des pouvoirs.
Concrètement, la loi 69/00 responsabilise le conseil d’administration et dynamise l’audit externe. Mais dans les faits, la pratique est tout autre. « Que ce soit pour l’ONDA ou les autres entreprises publiques pointées du doigt par la Cour des comptes, il faut se poser la question de l’intégrité des auditeurs externes. » En effet, les comptes de ces entreprises étaient déjà certifiés alors que les anomalies ont été relevées, après coup, par les magistrats.
A cela s’ajoute le rôle défaillant du conseil d’administration alors que son pouvoir prime sur celui de l’équipe dirigeante. « Comment les membres qui siègent au conseil, souvent présidé par le Premier ministre, n’ont-ils rien vu venir ? On est en droit de se demander s’ils remplissent véritablement leur rôle d’administrateur et dans quelle mesure rendent-ils compte des dérives constatées ? », s’interroge El Harti.
Autant de zones d’ombres qui brouillent les cartes et diluent le champ des responsabilités. D’où l’urgence de revoir en profondeur le système de gouvernance en mettant l’accent davantage sur la qualité de l’audit externe, et en responsabilisant les administrateurs. Benkirane, qui entend réussir là où ses prédécesseurs ont échoué par paresse ou incompétence, joue gros sur l’un des engagements majeurs de sa campagne.
Mouna Kably & Khadija El Hassani
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ONDA
Chantier ouvert
Deux rapports accablants et des méthodes de gestion qui perdurent. Le ministre de l’Equipement et du Transport, Aziz Rebbah, mettra-t-il fin au laxisme ?
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Tous les projecteurs sont désormais braqués sur l’ancienne équipe dirigeante de l’ONDA. Sera-t-elle jetée en pâture pour donner l’exemple, ou aura-t-elle droit à un procès équitable ? Quelle que soit l’issue de ce procès, la poursuite de Abdelahnine Benallou pour dilapidation des deniers publics remet sur le devant de la scène les défaillances du système de gouvernance de l’Office.
Les pouvoirs publics en semblent conscients, au point que le gouvernement n’a pas omis de préciser dans son programme « la nécessité d’une réforme de la gestion de l’ONDA ». Un signe qui ne trompe pas.
L’Office est en proie à un problème de gouvernance qui perdure. La situation doit à l’évidence être reprise en main d’urgence pour éviter tout nouveau scandale. Outre la mauvaise presse dont souffre l’Office, la nouvelle organisation annoncée en août 2011 par Dalil Guendouz n’est toujours pas opérationnelle.
Une situation qui prête parfois à confusion dans le partage des responsabilités. Des appels à candidatures ont été ouverts en septembre dernier sans critère d’éligibilité. « Rien de tel pour nourrir l’arbitraire », déplore une source interne.
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Beaucoup d’anomalies
En 2008, la Cour des comptes avait formulé huit recommandations au terme de son audit. Elles seraient, pour la plupart, restées lettre morte. « A l’issue du conseil d’administration du 4 octobre 2011, Karim Ghellab, alors ministre de l’Equipement et président du conseil, avait spécifié, un peu tardivement, la nécessité d’assurer un suivi de ces recommandations. C’est la preuve que les chantiers n’avaient pas avancé ! »
Parmi les recommandations clés, la révision du processus de gestion des commandes. Une commission d’appels d’offres tournante devait être constituée tous les quatre mois. Mais, jusqu’à fin 2011, les mêmes membres siégeaient dans cette commission coiffée par Ouadii Mouline, directeur financier, actuellement poursuivi en état d’arrestation.
Autre anomalie : la création d’une direction financière qui coiffe tout le processus de règlement, de l’émission du bon de commande au paiement. Ce qui est anti-déontologique. Là aussi, c’est Mouline qui a coiffé cette chaîne jusqu’à la semaine dernière.
Quant à la rationalisation des dépenses, elle restera sans suite au regard des achats superflus comme l’acquisition par Dalil Guendouz d’une Audi A7 au titre de voiture de fonction, ou l’inflation des recrutements de contractuels au moment même où la trésorerie de l’Office plongerait dans le rouge.
Mouna Kably |