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Politique fiction Et le gagnant est ...
actuel n°114, vendredi 28 octobre 2011
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actuel connaît le prochain gouvernement. Nous vous le révélons en exclusivité à travers trois scénarios. Ces articles sont de pures œuvres de fiction mais toute ressemblance avec des personnes existantes n’est pas fortuite !
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Qui va gagner les prochaines élections ? Le G8 ? Le PJD ? La Koutla ? Une autre alliance bricolée à la hâte ? Et qui sera le premier chef du gouvernement de la nouvelle Constitution ? Benkirane ? Ghellab ? Mezouar ? Ou un troisième larron, challenger qui attend son heure et deviendra le joker du roi qui doit choisir un membre du parti gagnant, mais pas forcément un leader...
A moins d’un mois du scrutin, tout est encore possible. On ignore les tendances de fond. Aucun sondage n’a été publié et ils seront de toute façon interdits au moment de la campagne ! Même l’Intérieur, habituellement au parfum, est incapable de prendre le pouls de l’électorat.
La situation est confuse et trop d’éléments entrent en ligne de compte : la précipitation du scrutin, le bâclage des programmes, l’influence du 20-Février et des printemps arabes sur le vote, le précédent tunisien...
Le Maroc va voter à l’aveugle et pourtant à actuel, nous avons tenté d’y voir plus clair. Nous avons retenu les trois hypothèses les plus probables : victoire de l’Istiqlal, du PJD ou du G8.
Et si on rĂŞvait
Mais au-delà de ces postulats plausibles, il fallait aussi imaginer des scénarios crédibles. Car le vainqueur ne pourra vraisemblablement pas gouverner seul. Il devra composer avec des alliés de circonstance, des ennemis d’hier... et un pays exaspéré par une classe politique discréditée. Les scénarios que nous vous proposons sont bien sûr des fictions. Mais ils sont cohérents. Souhaitables ? A actuel, nous ne prendrons pas parti, sauf pour la démocratie.
Enfin, la rédaction d’actuel a osé composer, pour le fun, son propre gouvernement. Un gouvernement qui n’engage qu’elle. En politique, on a aussi le droit de rêver...
E.L.B. |
Le Gouvernement qui n’existera jamais
C’est un gouvernement totalement subjectif, un gouvernement qui n’existera jamais. Dommage car nos choix ont été dictés uniquement par la compétence. Mais après d’intenses tractations et d’interminables négociations nocturnes, la rédaction est parvenue à un accord « historique ».
Ce gouvernement, qui va du 20-Février lucide au Makhzen éclairé, nous avons tenu (difficilement) à le rajeunir et à le féminiser. Un détail qui a son importance : il n’y a plus de ministère de la Communication pour gérer l’information. Un porte-parole suffit. Dans un pays démocratique, les journalistes sont assez grands pour se gérer eux-mêmes.
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Ministre de l’Enseignement : Najib Akesbi
Cet économiste et militant du PSU a le profil de l’intellectuel engagé qui saura sortir l’enseignement du plan d’urgence, pour aboutir à un véritable système éducatif moderne et accessible à tous. Bon courage.
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Ministre de la Jeunesse et des Sports : Mbarka Bouaida
La plus jeune députée de la législature a prouvé sa compétence et son ouverture d’esprit. Il n’y a pas beaucoup de rnistes qui savent parler aux jeunes, y compris du 20-Février. Son expérience à la direction de Radio Mars en fait aussi une observatrice avertie du sport marocain.
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Ministre de l’Environnement : Mehdi Lahlou
Le président de l’Association « pour un contrat mondial de l’eau », et militant écologiste, a beaucoup travaillé sur la problématique de l’accès à l’eau et de la gestion déléguée. Partisan d’une étatisation des services d’eau, d’assainissement et d’électricité, il pourra renégocier avec les multinationales fortement décriées par la rue.
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Ministre des Finances : Fouzia Zaâboul
L’actuelle directrice du Trésor connaît tous les rouages du ministère des Finances, elle gère parfaitement la dette... Appréciable par les temps qui courent et ceux qui s’annoncent.
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Ministre de la Santé : Saâdeddine Othmani
Intègre dans un secteur où la corruption est reine, formé par Harrouchi, le psychiatre du PJD Saâdeddine Othmani est au fait des problématiques de santé. Et il a même lancé le débat sur l’avortement au sein de sa formation islamiste.
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Ministre de la Culture : Gad Elmaleh
Ce n’est pas un gag. Notre Gad national n’est pas seulement un humoriste, c’est un humaniste cultivé qui saura, mieux que tous ses prédécesseurs, vendre la culture à ces Marocains qu’il devine si bien.
Grâce à son ouverture à l’international, et à son carnet d’adresses, il saura aussi promouvoir le Maroc comme destination culturelle, à l’instar de ce que fit Melina Mercouri en Grèce ou Gilberto Gil au Brésil. Et il mettra de l’ambiance au Conseil du gouvernement !
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Ministre de l’Industrie et des Nouvelles Technologies : Omar Balafrej
« Le grand frère » du 20-Février est aussi le patron du Technopark. Ce centralien a le courage de ses opinions et les capacités pour diriger un ministère d’avenir.
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Ministre des Transports, de l’Equipement et du Logement : Khalid Hariri
Parlementaire toujours assidu durant deux mandats, membre actif de la commission des finances, il saura apporter une nouvelle vision à ce ministère stratégique. Celui qui fut un opposant au TGV sait faire valoir ce qu’il croit juste et saura ne pas délaisser les coins les plus reculés du Royaume. Il se fera un devoir de gérer au mieux les crédits de son ministère. Il ferait aussi un bon ministre de l’Enseignement, de la Santé ou de l’Economie.
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Ministre de l’Agriculture : Fatiha Layadi
La députée PAM des terres arides des Rhamna est au fait des problématiques agricoles et de la gestion de l’eau.
Son sérieux au Parlement, son sens du contact avec le monde paysan, son aisance à l’international, en font une femme qui saura gérer un ministère sensible, confronté aux changements climatiques, et dont le potentiel à l’export est considérable.
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Ministre du Tourisme, du Commerce et de l’Artisanat : Latifa Akharbach
Professeur de communication, ancienne directrice de l’Institut supérieur de journalisme (ISIC) et de la radio nationale, l’actuelle secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères a fait ses preuves. C’est une bosseuse qui sait convaincre les partenaires étrangers.
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Ministre de la Justice : Jaâfar Hassoune
Le juge incorruptible, qui a lui-même fait les frais de son indépendance, saura conduire le chantier titanesque de la réforme impossible de la justice.
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Ministre de la Régionalisation et de l’Amazighité : Ahmed Assid
Cet intellectuel, membre de l’Ircam pourra aider à l’élaboration d’une loi organique traduisant pleinement l’officialisation de la langue amazighe. Quant à la régionalisation, c’est une personnalité neutre (pour le Sahara) qui saura fédérer les Rifains.
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Ministre de l’Emploi : Abdelilah Jennane
Ce fin connaisseur des entreprises marocaines et des RH est un profil intéressant pour moderniser un ministère sensible.
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Ministre des Affaires sociales et de la RĂ©forme de la retraite : SaĂŻd Ahmidouch
Le DG de la CNSS a une longue expérience de l’assurance. Et il a le courage de mener à bien des réformes, même difficiles.
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Ministre des Affaires étrangères : Hassan Abouyoub
Diplomate dans tous les sens du terme, ex-ambassadeur à Rome, ex-ministre, c’est l’un des rares hommes d’expérience qui ne traîne pas trop de casseroles...
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Ministre de l’Intérieur : Ahmed Midaoui
L’actuel président de la Cour des comptes a prouvé à la tête de cette institution qu’il était bien l’homme intègre et compétent que nous avons toujours connu. Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Youssoufi, il a laissé une bonne impression.
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Ministre des Affaires religieuses : Abdellatif Menouni
D’une droiture exemplaire, ce juriste est un homme mesuré qui connaît bien les arcanes du champ religieux marocain. Sans être d’aucune chapelle.
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Ministre de l’Energie : Ali Fassi Fihri
C’est notre quota Fassi, et c’est un pro du secteur !
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Porte-parole du gouvernement : NeĂŻla Tazi
La fondatrice du festival d’Essaouira est aussi une grande prêtresse de la com. Elle dépoussièrera la propag... heu… communication gouvernementale.
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Que seront-ils devenus ?
• Devenu le nouveau directeur de publication d’Al Massae, Khalid Naciri défraie la chronique avec son billet quotidien « zid zid ! »
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• Après le décès du cheikh Hamza et l’ouverture de son testament, l’ex-ministre des Habous Ahmed Toufiq hérite de la zaouïa boutchichia.
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• Retourné à ses chères études, Bensalem Himmich publie à compte d’auteur La vanité du cabinet, un recueil d’aphorismes sur son expérience ministérielle.
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• Après avoir créé un nouveau parti anti-M20, Moncef Belkhayat a récupéré la franchise de la chaîne Rotana au Maroc.
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• Abbas El Fassi, enfin libre des obligations de la primature, a décidé de créer une fondation pour aider les diplômés chômeurs avec l’aide précieuse de son gendre Nizar Baraka.
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• Ahmed Taoufiq Hejira se voit confier la nouvelle fondation Miloud Chaâbi pour le recasement des bidonvillois, l’occasion de démontrer tout son savoir-faire.
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Scénario Mezouar : Le jour où le G8 a gagné…
Ce que les partis de la Koutla et la rue redoutaient s’est finalement produit : le « G8 » de Mezouar a été sacré vainqueur. Mais cette victoire sera de courte durée…
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Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, a reçu mardi, au palais royal de Rabat, M. Salaheddine Mezouar, secrétaire général du Rassemblement national des indépendants (RNI), que le Souverain a nommé chef du gouvernement. »
La dépêche, lapidaire, comme nous y a habitués la MAP à chaque nomination officielle, met fin au faux suspense du week-end suivant les élections anticipées du 25 novembre. La « méthodologie démocratique », si chère aux partis, a donc bien été respectée et le parti arrivé premier au scrutin a accédé au pouvoir.
Tout comme aux précédentes législatives, les urnes n’ont pas dégagé de score net. Le RNI a fait à peine mieux qu’en 2007 en récoltant 16% des voix (13% en 2007). Pire, à eux huit, les formations de l’Alliance pour la démocratie n’ont comptabilisé que 46% des voix et ont dû accueillir dans leurs rangs l’USFP (11% des votes), dont le leader Abdelouahed Radi, qui s’accroche décidément bec et ongles au pouvoir. Avec 57%, le « G8 +1 » peut gouverner avec une majorité confortable.
Aussitôt la réception royale achevée, Salaheddine Mezouar se rend à la mosquée accomplir la prière en compagnie des 9 secrétaires généraux des partis qui forment désormais le « Pôle libéral socialiste », rebaptisé en raison de sa nouvelle – et forte – coloration de gauche.
El Himma et Zemzmi, out !
Les joyeux compères déjeunent ensuite dans une somptueuse salle des fêtes de la capitale rbatie, où les militants des partis du « G8 » avaient déjà entamé la célébration durant le week-end. Fouad Ali El Himma, que l’on a entraperçu le jour du vote avec une barbe bien taillée, a choisi de ne pas prendre part aux festivités, se retranchant dans sa villa du quartier Souissi.
Abdelbari Zemzmi, le bouillonnant islamiste, n’est pas de la partie non plus. Sermonné après ses déclarations à la presse, dans lesquelles il n’avait pas hésité à envisager la « charia » comme principale source de droit, l’imam fait profil bas.
Les chaînes de télévision et les médias ont, eux, répondu présent, et en masse. Entre deux petits fours, on peut écouter un Mezouar « satisfait de la confiance que lui a accordée Sa Majesté », et un Abdelouahed Radi qui se dit « fidèle aux valeurs de la gauche et à la poursuite des engagements que (son parti a) initiés depuis l’alternance ». Du déjà vu et déjà entendu, mais qui contraste fortement avec ce qui se passe a l’extérieur de la salle.
Le PJD dans le vingt
Le Parti de la justice et du développement (PJD) qui a récolté 14% des suffrages n’a pas vaincu, encore une fois. Sans aller jusqu’à remettre en question la transparence du scrutin, le parti de la lampe a haussé le ton. Les pjdistes se montrent ultra-offensifs en prenant part à la première grande manifestation du 20-Février au lendemain des élections.
Selon les dirigeants de la formation qui était donnée favorite, « c’est la faute à un découpage électoral qui a favorisé les notables ». Les détracteurs et les observateurs, chiffres à l’appui, déclarent pour leur part que « le PJD n’a pas réussi une nouvelle fois à s’imposer dans le rural et au Sahara ». Mettre un Sahraoui en tête de la liste des jeunes n’a donc servi à rien.
Les islamistes, rejoints par une petite frange d’istiqlaliens en colère (Abbas El Fassi a quant à lui disparu des radars), déambulent aux côtés du 20-Février, au sein de la plus grande marche qu’a connue le pays depuis le 20 mars.
L’avenue Mohammed V, qui abrite le Parlement, est noire de monde et, au loin, le dispositif sécuritaire impressionne. Au lendemain d’un rendez-vous également observé par la communauté internationale, le Makhzen veut éviter tout débordement.
Si le 20-Février marche pour dénoncer une élection « pièce de théâtre », Benkirane, Ramid et les politiques en colère réclament un nouveau décompte des voix sur plus d’une vingtaine de circonscriptions !
« Si le PJD marche avec nous, marh’ba, cela veut dire qu’il s’est enfin rendu compte que les réformes sont une mascarade ! », nous déclare un vingtfévrieriste visiblement satisfait du succès de cette démonstration de force.
Du côté des islamistes, silence radio sur cette alliance de circonstance avec le M20, si ce n’est un Lahcen Daoudi qui répète à tue-tête aux médias internationaux « les Escobar ont gagné, les Escobar ont gagné ! ».
Le colère du PJD est d’autant plus compréhensible que la formation, pourtant arrivée deuxième derrière le RNI, s’est retrouvée éjectée de la future opposition parlementaire en gestation.
Un million de manifestants ?
Les autres composantes de la Koutla – le PPS et l’Istiqlal principalement – se sont soulevées contre la « traîtrise historique de l’USFP » et ont annoncé des négociations avancées avec plusieurs petites formations pour composer une « forte opposition » aux « wafidine al-joudoud » (les nouveaux arrivants) !
Le Parti du front des forces démocratiques (FFD) hésite à rejoindre le « G8+1 » qui n’a pas, de son côté, envie de se faire taxer de « pôle hégémonique ». Le FFD se trouve donc opposant malgré lui.
Le front des boycotteurs annonce pour sa part une grave crise politique Ă venir, et compare la nouvelle carte politique avec celle du voisin tunisien. LĂ -bas, si les alliances sont de circonstance, elles paraissent tout de mĂŞme plus solides.
Toute cette agitation ne semble pas effrayer le Makhzen qui ne s’est livré « qu’à  » quelques intimidations, observés surtout dans les petites villes. Au total, ce sont quelque 400 000 personnes qui ont pris part aux manifestations selon les médias indépendants, un million selon le M20… et seulement « des centaines » selon la MAP !
La formation du gouvernement ne semble intéresser que le microcosme politique (et les médias), tant la grande majorité des Marocains ont simplement repris leur vie quotidienne (ils n’étaient que 28% à participer au scrutin).
Tout indique que la nouvelle équipe gouvernementale ne fera que poursuivre « les chantiers » ouverts par l’ancienne. Au final, malgré la fameuse déclaration de Mezouar, le soir de sa victoire, sur « la rupture dans la continuité », on aura assisté à un mouvement de chaises musicales plutôt qu’à ce second souffle qu’attendaient les observateurs. Il y a déjà un parfum de remaniement dans l’air.
Zakaria Choukrallah
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Scénario PJD : Printemps islamiste
Inspirés par le modèle tunisien, les Marocains ont voté massivement PJD. Là encore, le Royaume fait « exception » et gère cette montée islamiste en douceur. Mais au sein du parti de la lampe, c’est la guerre.
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Le soir des résultats, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, préfère rester chez lui, loin des projecteurs et des questions indiscrètes des journalistes. Une réaction à chaud non calculée, après l’annonce des résultats du scrutin du 25 novembre, pourrait coûter très cher.
Les minutes passent comme des années, et Benkirane, cloîtré à domicile, stresse. Même si les premiers résultats partiels donnent 60 sièges au PJD, il a du mal à y croire. Lui et son parti ont tellement été malmenés et contrecarrés par les partis au pouvoir... Finalement, un appel téléphonique de Abdellah Baha, ami intime et vieux compagnon de l’ex-Chabiba islamiya, met fin à ses inquiétudes : « On a gagné ! C’est nous… 80  sièges exactement comme on le voulait », s’exclame Baha, depuis le siège du ministère de l’Intérieur, sur fond de cris de joie et d’Allah Akbar clamés par les ténors pjdistes présents sur place. Les larmes aux yeux, Benkirane reste sans voix… Mais ce qu’il ne sait pas encore, c’est que le PJD va passer tout prêt de la disparition du fait de sa propre victoire.
Tout commence en cette soirée du 25 novembre. Après l’annonce des résultats officiels, le traditionnel coup de fil royal de félicitations se fait attendre. Mauvais présage, disent les observateurs qui commencent déjà à spéculer sur la réaction du Palais face à cette écrasante victoire islamiste, plutôt inattendue car le peuple a surpris ceux qui réfléchissent à sa place en votant massivement PJD, aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Le parti de la lampe disposera donc du gouvernement. Mais pas Abdelilah Benkirane.
Le choix royal se porte en effet sur Saâdeddine Othmani, ancien numéro un du parti, et personnage réputé pour sa diplomatie et son sens aigu du compromis. Rien d’étonnant, commentent les politologues qui s’attendaient à pareille nomination, estimant que Benkirane n’avait pas le profil, ou plutôt qu’il l’avait trop.
Populaire, charismatique et audacieux, on disait que ces qualités étaient mal vues par le sérail. « Avec un tel charisme, le futur chef de gouvernement pourrait sérieusement faire de l’ombre au Palais », a-t-on l’habitude de répéter dans les salons feutrés de Rabat.
Après le MUR, le PUR !
Quoi qu’il en soit, Benkirane, en politicien assagi et réaliste, passe volontiers la main à Othmani. Les cadres du parti applaudissent ce geste très fair-play, mais c’est sans compter sur l’ire d’une large frange de la jeunesse du parti.
Véritable relent du Mouvement unicité et réforme (MUR), cette jeunesse tente par tous les moyens de faire pression sur Othmani et l’élite du parti afin de ne pas accepter cette nomination, et d’exiger celle du secrétaire général « démocratiquement élu à la tête du parti ».
Aux yeux de la direction, c’est trop demander. D’autant que l’article 47 de la Constitution est clair : « Le roi nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats. » La tension atteint son paroxysme.
Othmani, Benkirane, Baha et Lahcen Daoudi s’accrochent à la constitutionnalité de la démarche suivie par Mohammed VI, et décident de faire un bloc uni devant les contestations du front des mécontents conduit par Mustapha Ramid et Mohamed Hamdaoui, président du MUR.
Toutes les tentatives de médiation ayant échoué, c’est la scission. Le MUR est le premier à mettre ses menaces à exécution, en annonçant sa séparation du PJD le jour même de l’audience royale accordée à Saâdeddine Othmani.
Dans un communiqué virulent, le mouvement « fait part de son intention de créer un nouveau parti politique » : le PUR (Parti de l’unicité et de la réforme), qui veut rassembler les figures les plus intransigeantes du PJD, lequel souffrira de plusieurs démissions de membres affiliés ou sympathisants du MUR.
« Le PJD perd ses bases », « Les islamistes fragilisés », « Le Makhzen divise pour mieux régner », titre la presse au lendemain de ce divorce, pour le moins inattendu. Mais à quelque chose malheur est bon.
Sachant qu’avec le mode de scrutin de liste il est mathématiquement impossible d’avoir une majorité absolue, le nouveau chef de gouvernement doit faire face à un premier défi de taille. Il s’agit d’arriver à former un gouvernement réunissant un large éventail de sensibilités politiques, a priori inconciliables.
Ainsi, avec ses 80 sièges, le PJD est très en avance sur l’Istiqlal arrivé deuxième avec à peine 49 sièges, devançant d’une coudée le MP et le RNI, tous deux membres de l’Alliance pour la démocratie qu’on disait commanditée par le PAM.
Partager le gâteau
Sans la scission au sein du parti, il aurait été plus difficile de former la coalition gouvernementale. Le PJD fragilisé est, forcément, moins regardant sur la nature de ses alliés. Le RNI et le MP profitent de leurs scores rapprochés pour former une nouvelle alliance et partager le gâteau, à égalité, avec le parti en tête.
Le deal s’impose de lui-même : l’USFP et le PAM (respectivement 5e et 6e) rejoignent l’opposition. Au sein de la majorité, l’Istiqlal se voit attribuer notamment les portefeuilles des Affaires islamiques et de la Famille, le RNI chapeaute l’Enseignement, la Santé et les Transports, le MP gère le nouveau département de l’Amazighité et un autre beaucoup plus prestigieux, les Affaires étrangères.
Le vainqueur (PJD) conserve les départements qui lui sont chers : l’Economie, la Justice et l’Emploi. Quant à l’Intérieur, le Palais ne lâchant pas encore du lest, c’est Taïb Cherkaoui qui est reconduit à ce poste, en attendant des jours meilleurs.
Vaste programme
La déclaration gouvernementale devant les deux Chambres donne le ton : réduire le fossé entre riches et pauvres, notamment à travers la réforme de la fiscalité et du système de compensation ; soutenir l’investissement public et prendre en charge les services sociaux (en particulier la revalorisation du SMIG à 3 000 dirhams) ; accompagner la croissance à travers la création de 250 000 emplois par an ; accélérer la mise en œuvre des lois organiques sur la langue amazighe ; refondre et simplifier les procédures devant la justice et, last but not least, agir pour préserver le cachet arabo-islamique de la société marocaine et de ses bases intouchables depuis plus de douze siècles. Vaste programme.
Mais après la première mesure un peu démago du ministre des Finances, Lahcen Daoudi, qui décide d’attribuer des Logan de fonction à ses pairs, les islamistes vont découvrir qu’il faut à présent convertir les slogans en réalisations concrètes. Et leur ambitieux programme va se trouver confronté à l’implacable crise économique européenne qui commence à toucher les rives du Maghreb...
Ali Hassan Eddehbi
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Scénario remake : Victoire surprise de l’Istiqlal
On prend (presque) les mêmes et on recommence ! Les électeurs ont décidé de reconduire le parti de l’Istiqlal au pouvoir... mais délesté d’une Koutla anachronique.
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Y a-t-il eu consensus sur le choix de Adil Douiri à la tête du nouveau gouvernement ou a-t-on forcé la main au parti de l’Istiqlal pour que soient confiées les commandes de la nouvelle équipe issue du scrutin du 25 novembre 2011 au jeune technocrate ?
Ni l’un ni l’autre. Soucieux de ne pas écorner la nouvelle Constitution, le Makhzen a laissé les istiqlaliens se déchirer pour la chefferie du gouvernement, qualifiée dans les milieux politiques comme celle de la « dernière chance ».
La bataille rangée entre les caciques du parti de la balance, qui soutenaient la candidature de Ahmed Khalifa, et les jeunes loups a fini par un match nul qui a failli mettre en péril l’avenir du parti.
Selon un membre du bureau politique, la désignation de Douiri est loin d’être un plébiscite, l’ex-ministre du Tourisme n’ayant pas que des amis dans la formation de Abbas El Fassi.
Mais avec le soutien de Chabat, nul doute que la chance ne pouvait que sourire au patron de l’alliance des cadres istiqlaliens, qui, soit dit en passant, ne se sont pas foulés pour faire passer leur président.
Le nouveau cabinet compte 27 membres, y compris le chef du gouvernement, dont seulement une femme et trois ministres sortants : Taïb Cherkaoui, qui a été nommé à la tête du département des Habous après avoir été bariolé aux couleurs du PJD, Salaheddine Mezouar qui est toujours ministre de l’Economie et des Finances, et Mohand Laenser qui troque le titre ingrat de ministre d’Etat pour le prestigieux secteur des Affaires étrangères.
Le patron du Mouvement populaire, qui a réalisé un score confortable en raflant la seconde place après le parti de l’Istiqlal, a bien négocié son entrée au gouvernement, réussissant à placer trois de ses lieutenants aux départements du Tourisme, de l’Education et de l’Habitat. Quant à Ghellab, qui n’a pas obtenu la primature, il se console en restant l’inamovible ministre de l’Equipement.
L’équipe de Douiri, qui s’est engagée à répondre aux attentes pressantes de la rue, a promis de prouver son efficacité dans les six mois selon les propres termes de son chef. Un délai de grâce que la tension dans la rue rend encore plus précaire dans la course à « la primauté du droit » que le gouvernement promet à ses administrés.
Le président du gouvernement s’est engagé à accélérer les réformes politiques, et surtout à faire passer des réformes « impopulaires mais salutaires ». Cumulant discours après discours, cet ancien ministre, considéré comme un économiste brillant, a réitéré les engagements très fermes d’orthodoxie économique.
Rappelant que c’était son parti qui avait lancé l’idée d’un impôt sur le revenu avant d’être attaqué par toutes les formations politiques, y compris la gauche qui soupçonnait l’Istiqlal de lui avoir usurpé son principal cheval de bataille. Le quadra a promis d’augmenter le niveau général des prélèvements dans le pays et de taxer durement les grosses fortunes.
Eradiquer l’humiliation, la hogra
Présenté comme réaliste et réalisable durant les cinq prochaines années par Nizar Baraka, devenu depuis ministre de l’Industrie, le programme « en adéquation avec les valeurs du projet sociétal du parti » a été vendu comme une véritable feuille de route articulée autour de procédures à mettre en œuvre contre l’arbitraire pour éradiquer l’humiliation du citoyen, la hogra (sic).
Le second axe concerne la justice sociale, la répartition équitable des richesses et l’amélioration du niveau de vie grâce à la mise en place d’un régime fiscal en vertu duquel « les riches se solidarisent avec les classes pauvres et moyennes, à travers un impôt sur les revenus dépassant les deux millions de dirhams, un impôt sur les produits de luxe, un impôt sur les terrains non construits, un impôt sur les propriétés foncières qui entrent dans le périmètre urbain, et la création de nouveaux fonds pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, ou encore pour participer à l’équilibre et la solidarité entre régions dans le cadre de la régionalisation avancée ».
Concernant l’emploi, c’est précisément Adil Douiri qui s’était chargé de rédiger la partie du programme concernant l’emploi des jeunes, avec la création de 170 000 postes annuellement dans les secteurs public et privé, malgré une conjoncture internationale et régionale défavorable.
Un credo étonnant quand on n’est pas sans savoir que ce jeune leader de la droite conservatrice est un fortuné qui a construit son patrimoine dans la finance, dès qu’il a quitté le gouvernement de l’alternance. Une tâche d’autant plus difficile que le programme qui a été servi par le parti de la balance, au cours de la campagne, pullule de formules choc et de promesses sans lendemain.
La gauche veut se refaire une virginité
Cerise sur le gâteau, les réactions négatives à la nomination de ce nouveau gouvernement ne manquent pas. Laminée par le scrutin avec moins de 10% des suffrages, la gauche veut se refaire une virginité.
Le nouveau leader de l’USFP, Hassan Tarek, qui a pris le pouvoir au sein du parti après un putsch mené par la jeune garde alliée au clan de Lachgar, menace de rejoindre la rue. Car la pression du 20-Février redouble et passe à la cadence de deux manifestations par semaine pour dénoncer « le retour des fossoyeurs de la démocratie » au pouvoir.
« Nous avons battu le pavé durant tout l’été pour que l’équipe El Fassi dégage et voilà qu’ils reviennent. Nous n’allons pas nous taire », martèle Oussama El Khlifi qui était pourtant pressenti comme le candidat de l’USFP aux législatives.
D’autres comme ces militants de l’extrême gauche vont plus loin, ils parlent de falsification des élections et accusent l’Istiqlal d’avoir usé des moyens de l’Etat pour revenir au gouvernement.
Comme d’habitude, il ne s’agit là que d’accusations vagues et générales, les observateurs internationaux qui ont couvert le scrutin étant formels : pas de doute sur la transparence des élections.
Comment expliquer alors le retour de l’Istiqlal aux commandes ? A l’issue des élections législatives du 25 novembre, l’Istiqlal a remporté 57 sièges, s’imposant comme la première force politique du pays.
Le parti nationaliste, qui fait partie de la coalition gouvernementale sortante, est arrivé en tête des élections législatives marocaines, faisant mieux qu’en 2007 où il avait obtenu 52 sièges, juste devant le Parti de la justice et du développement (47 sièges) avant que le PAM ne joue de la transhumance, bouleversant la donne.
Tout cela n’explique pas la confiance accordée aux istiqlaliens par une bonne partie des 41% d’électeurs (taux de participation plus élevé que prévu) qui ont fait le déplacement. Les voies du populisme sont impénétrables !
Abdellatif El Azizi
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