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Bilan Le code de la déroute
actuel n°110, vendredi 30 septembre 2011
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Un an aprĂšs la mise en application du nouveau code de la route, le bilan nâest guĂšre rĂ©jouissant.
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La trĂȘve de «âla guerre des routesâ» nâaura durĂ© que quelques mois. Et aprĂšs un Ă©tĂ© particuliĂšrement meurtrier, la victoire nâa jamais semblĂ© plus illusoire. Pourtant, suite Ă la mise en application, le 1er octobre 2010, du nouveau code de la route, le nombre dâaccidents de la circulation avait singuliĂšrement baissĂ©.
Un communiquĂ© du ministĂšre de lâEquipement et des Transports annonçait une baisse de 22,08% des accidents mortels et de 18,52% du nombre de tuĂ©s entre octobre et dĂ©cembre 2010, par rapport Ă la mĂȘme pĂ©riode en 2009.
Lâoccasion, pour Karim Ghellab, ministre de tutelle, de se rengorger, en Ă©voquant une baisse «âsensibleâ», preuve de «âlâefficacitĂ©â» dâune stratĂ©gie incitant les usagers à «âchanger leur comportement et Ă adopter une conduite responsableâ».
Mais «âlâefficacitĂ©â» du code sâest rĂ©vĂ©lĂ©e comparable Ă celle dâun placebo, dont lâeffet «âpsychologiqueâ» sur les conducteurs marocains sâest graduellement amenuisĂ©, pour disparaĂźtre tout Ă fait courant 2011.
Rappelons que le code de la route version 2.0 Ă©tait attendu depuis longtemps pour combattre ce que certains nâhĂ©sitent pas Ă qualifier de vĂ©ritable «âguerre des routesâ» au Maroc, faisant plus de 4â000 morts chaque annĂ©e.
Les armesâ? Les autos, camions, motos, etc. Car selon une Ă©tude du ComitĂ© national de prĂ©vention des accidents de la circulation (CNPAC), un vĂ©hicule tue treize fois plus au Maroc quâen France. Les tireursâ?
Les conducteurs, puisque le comportement des usagers est mis en cause dans la grande majoritĂ© des accidents. Par exemple, selon le CNPAC, un conducteur sur dix a pour habitude de griller les feux de signalisation. Et comme dans toute guerre, les «âcivilsâ» sont durement touchĂ©sâ: 405 enfants de moins de 15 ans ont Ă©tĂ© tuĂ©s en 2009.
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Un été meurtrier
Pour rĂ©duire lâhĂ©catombe, le nouveau code a introduit toute une batterie de nouvelles mesuresâ: permis Ă points, amendes plus salĂ©es, alcootests, radars fixes, professionnalisation des chauffeurs et routiers et, last but not least, lâaugmentation des salaires des policiers et gendarmes afin de mettre fin Ă la corruption.
Une batterie qui nâa pas fait ses preuvesâ: le bilan provisoire de la pĂ©riode qui va dâoctobre 2010 au mois dâaoĂ»t dernier nâa rien de glorieux, plombĂ© par «âune augmentation significative du nombre des accidents de la route en 2011, notamment en juin et juilletâ», selon un responsable ayant requis lâanonymat.
Avec 19,11% de personnes tuĂ©es en plus sur les routes en juillet 2011 par rapport Ă juillet 2010. Si chaque annĂ©e, lâĂ©tĂ© connaĂźt une recrudescence des accidents de la circulation, cette annĂ©e lâaugmentation est sans commune mesure. En cause, le relĂąchement des contrĂŽles et le retard pris dans la livraison des alcootestsâââtoujours pas utilisĂ©sââ âet des radars.
Depuis le dĂ©but du mois de septembre, les contrĂŽles se sont multipliĂ©s, le ministĂšre, la DGSN et la gendarmerie royale ayant enfin, semble-t-il, enclenchĂ© la cinquiĂšme avec un nouveau Plan stratĂ©gique dâurgence trĂšs musclĂ©. Combien de vies auraient Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©es par une (rĂ©)action plus rapide ? La rĂ©ponse dans le prochain communiquĂ©.
Amanda chapon
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Code de la route : pourquoi ça a fait pschitt
ExcĂšs de vitesse, conduite dangereuse, manque de civismeâ: rien nâa changĂ©. En sept points, voici pourquoi le nouveau code est un fiasco. MĂȘme sâil y a de lâespoir...
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Le nouveau code de la route a eu lâeffet escomptĂ©â: les conducteurs, impressionnĂ©s par les menaces dâamendes salĂ©es, de retrait de points de permis ou dâincorruptibilitĂ© des agents, se sont tenus Ă carreau⊠du moins pendant quelques semaines, voire quelques mois. Au bout desquels le taux de mortalitĂ© sur nos routes sâest envolĂ©, atteignant de nouveaux sommets pendant lâĂ©tĂ©.
Certes, Karim Ghellab nous avait prĂ©venus, «âle code de la route seul ne peut rĂ©duire le nombre dâaccidentsâ», et il est Ă©vident que changer les comportements des Marocains ne peut se faire du jour au lendemain.
Surtout aprĂšs des dĂ©cades durant lesquelles le mot dâordre de chaque conducteur semble avoir Ă©tĂ© «âaprĂšs moi, le dĂ©lugeâ». NĂ©anmoins, câest surtout parce que la pĂ©riode de transitionââânĂ©cessaire Ă la mise en place de toute nouvelle rĂ©glementationâââsâest prolongĂ©e exagĂ©rĂ©ment, que lâĂ©tĂ© a Ă©tĂ© si meurtrier. En effet, les usagers de la route se sont vite engouffrĂ©s dans les brĂšches du systĂšme.
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1) Les alcootests sâĂ©vaporent
AnnoncĂ©s Ă plusieurs reprises, les fameux alcootests, ces outils de mesure du taux dâalcoolĂ©mie dans le sang des conducteurs, ne sont toujours pas utilisĂ©s. La derniĂšre fois, câĂ©tait sĂ»r, «âpromisâ», les alcootests allaient faire leur apparition le 1er septembre, nous avait-on informĂ©s au milieu de lâĂ©tĂ©.
On nous avait mĂȘme expliquĂ© que deux types dâappareils allaient ĂȘtre utilisĂ©sâ: lâĂ©thylotest pour dĂ©tecter la prĂ©sence dâalcool dans le sang et lâĂ©thylomĂštre, pour calculer le taux dâalcool (plafonnĂ© Ă 0,2 g par litre de sang, câest-Ă -dire moins quâun verre de vin).
Depuis, rien. Pourtant, environ 15% des accidents de la circulation seraient dus Ă la conduite en Ă©tat dâivresse. Et une source policiĂšre nous indique que les premiers alcootests ont Ă©tĂ© livrĂ©s dĂšs le dĂ©but de lâannĂ©e 2011 aux services de la DGSN.
De mĂȘme, les formations auraient dĂ©butĂ© il y a plusieurs mois. Alorsâ? MystĂšre⊠Faut-il blĂąmer les islamistes qui sâĂ©taient opposĂ©s Ă lâidĂ©e de «âplafondâ», exigeant la tolĂ©rance zĂ©ro, Etat musulman obligeâ?
Quoi quâil en soit, le Plan national de contrĂŽle routier pour la pĂ©riode 2011-2013 adoptĂ©, fin aoĂ»t, par le ComitĂ© permanent de sĂ©curitĂ© routiĂšre (CPSR, un comitĂ© interministĂ©riel), prĂ©voit lâachat pour les services de gendarmerie et de police de centaines dâalcootests. Du cĂŽtĂ© de la police, notre source indique «âquâau mois dâoctobre, ils seraient certainement mis en serviceâ». Promis, jurĂ©â?
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2) Les radars sont en retard
A la date du 1er octobre 2010, quelques radars fixes, censĂ©s photographier les aspirants SchumacherâââĂ qui on enverrait, par la poste, de jolies contraventions avec amende Ă payer et retrait de pointsâââĂ©taient dĂ©jĂ installĂ©s.
Ils devaient ĂȘtre rejoints par une flopĂ©e de radars fixes et de radars portables, capables, eux aussi, de prendre une photo de la plaque dâimmatriculation des voitures en excĂšs de vitesse. Le hic, câest que certains des radars dĂ©jĂ installĂ©s ne fonctionnaient pas, et que leurs petits frĂšres et cousins ont pris leur temps pour les rejoindre, accumulant les retards.
«âLes nouveaux radars portables ne sont arrivĂ©s quâen maiâ», explique une source policiĂšre. Et encore une fois, il a fallu former policiers et gendarmes. Et ce nâest que depuis quelques semaines que lâon a pu voir les policiers et gendarmes, radar au poing, «âflasherâ» les conducteurs trop pressĂ©s.
La bonne nouvelleâââou la mauvaise, pour les amateurs de vitesseâââ, câest que dâici 2013, la gendarmerie royale devrait disposer de plus de 400 radars portatifs et radars patrouilles (montĂ©s sur des vĂ©hicules en mouvement, comme aux USA). Quant Ă la DGSN, elle devrait disposer de 340 radars portatifs, tandis que le parc de radars fixes serait portĂ© Ă 1â000 unitĂ©s.
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3) Les moniteurs et les chauffeurs gardent leurs mauvaises habitudes
Le nouveau code annonçait des mesures qui devaient rĂ©volutionner la conduite des Marocains, en amĂ©liorant leur formation. Ainsi, les auto-Ă©coles, dont la capacitĂ© Ă enseigner, mais aussi les diplĂŽmes des moniteurs, et la conformitĂ© des « programmes » doivent ĂȘtre inspectĂ©s et validĂ©s.
Les moniteurs, eux-mĂȘmes, doivent ĂȘtre qualiïŹĂ©s titulaires dâune «âautorisation de moniteur dâenseignement de la conduiteâ». Ces derniers sont soumis Ă lâobligation de la formation continue dispensĂ©e par les organismes agrĂ©Ă©s par lâadministration. Pareil pour les chauffeurs dâautobus ou de car, qui doivent ĂȘtre titulaires dâune «âcarte professionnelleâ» attribuĂ©e Ă lâissue dâune formation.
Mais mettre en place de tels contrĂŽles et formations prend du temps, et des «âdĂ©laisâ» ont donc Ă©tĂ© accordĂ©s aux moniteurs (2 ans) et chauffeurs (5 ans). La nouvelle gĂ©nĂ©ration de conducteurs professionnels «modĂšlesâ», au fait des rĂšgles, et dotĂ©s de civisme et de savoir-vivre, nâest donc pas encore arrivĂ©e. Et elle nâest pas pour tout de suite.
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4) Les contrÎleurs ne sont pas du tout contrÎlés
Câest Karim Ghellab lui-mĂȘme qui a Ă©voquĂ©, au Parlement, la Gendarmerie royale et la DGSN dont «âle relĂąchement du contrĂŽleâ» aurait induit «âlâaugmentation directe du nombre dâaccidentsâ».
Mais on a tous constatĂ© la rarĂ©faction des gendarmes et policiers, du moins jusquâĂ rĂ©cemment. Les explications, dans la presse, pointaient du doigt le manque dâĂ©quipements (radars, etc.).
«âDĂšs le 1er octobre 2010, les contrĂŽles ont Ă©normĂ©ment diminuĂ©â», explique une source policiĂšre qui impute aussi cette «âdisparitionâ» Ă la mĂ©connaissance des agents des nouvelles procĂ©dures de verbalisation.
Certes, ils avaient Ă©tĂ© formĂ©s, mais pas familiarisĂ©s avec les nouveaux imprimĂ©s, les nouvelles donnĂ©es Ă reporter, etc. «âMais la police a Ă©galement eu dâautres prioritĂ©s, Ă partir du 20 fĂ©vrierâ: les mouvements sociauxâ», ajoute notre source.
En tout cas, il a fallu que le CPSR se rĂ©unisse, en aoĂ»t dernier, en rĂ©action aux statistiques alarmantes des accidents de la route, pour que soit dĂ©cidĂ©e une augmentation drastique des contrĂŽles des gendarmes (de 4â000 Ă 6â000 par mois dâici la fin de lâannĂ©e) et des policiers.
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5) Des bakchichs Ă fond la caisse
Eh oui, malgrĂ© lâobligation de porter un badge avec nom et numĂ©ro de matricule, malgrĂ© les radars avec photo pour preuve, malgrĂ© lâaugmentation des salaires des gendarmes et policiers, la corruption nâa pas disparuâŠ
Certes, avec les nouveaux radars portatifs, explique notre source, le policier est «âobligĂ© dâintercepter et de verbaliser le conducteur imprudentâ». Oui, mais cela ne concerne que les excĂšs de vitesse.
Pour le tĂ©lĂ©phone portable, la ceinture, le dĂ©passement, tout est encore possible⊠La preuve, «âles barrages de gendarmes ont tout dâun pĂ©ageâ», nous explique un professionnel du transport routier.
Un espoirâ: mardi 23âaoĂ»t Ă Benslimane, deux gendarmes ont Ă©tĂ© interpellĂ©s en flagrant dĂ©lit de corruption, rayĂ©s des rangs de la Gendarmerie royale, et prĂ©sentĂ©s Ă la justice.
Et ce nâĂ©tait pas le fait dâun sniper armĂ© dâune camĂ©ra comme Ă Targuist, mais du service des inspections et contrĂŽle de la Gendarmerie royale. MĂȘme si ce nâest que le bout de la pointe Ă©mergĂ©e de lâiceberg, câest un pas dans la bonne direction.
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6) Des amendes pas trÚs pressées
Vous avez fait un excĂšs de vitesse en novembre dernierâ? Vous nâavez rien reçuâ? Cela ne veut pas dire que vous nâavez pas Ă©tĂ© flashĂ©, comme sâen est rendu compte Jalil, qui par curiositĂ©, a entrĂ© son numĂ©ro dâimmatriculation, la semaine derniĂšre, sur le site du ministĂšre des Transportsâ: 300 dirhams Ă payer pour un excĂšs de vitesse de 8 kmâ/âh commis le⊠13ânovembre dernierâ!
Une «âpruneâ» dont il aurait dĂ» recevoir la notification par courrier. Mais Ă ce niveau-lĂ , il y a apparemment de gros soucis dâorganisation, puisque la mĂȘme mĂ©saventure est arrivĂ©e Ă un policier. Alors forcĂ©ment, des radars insuffisants, combinĂ©s Ă des P.-V. pas encore reçus (ou envoyĂ©s), cela donne une impression dâimpunitĂ© peu propice Ă inspirer le respect des rĂšgles de conduite.
7) Et les Marocains nâont pas changĂ©...
Mohamed est un conducteur de taxi pas comme les autres. Dans sa voiture toute propre, les ceintures de sĂ©curitĂ© fonctionnent. Il ne louvoie pas et conduit calmement. Pour lui, «âle nouveau code de la route nâa rien changĂ©, les gens conduisent toujours nâimporte commentâ».
La faute Ă lâaugmentation du parc automobile, dit-ilâ: «âIl y a trop de voitures, cela crĂ©e des embouteillages, et comme les gens sont pressĂ©s, ils conduisent mal en essayant de gagner du temps.â»
Il ne considĂšre pas que lâaugmentation du nombre de contrĂŽles et des agents chargĂ©s de rĂ©guler la circulation soit une solution idĂ©ale, puisque «âĂ ce moment-lĂ , il en faudrait un Ă chaque carrefourâ». Une opinion partagĂ©e par notre source policiĂšre, qui nous explique que cela va «âprendre beaucoup de temps, pour changer les comportementsâ».
«âIl y a des accidents que les agents chargĂ©s dâenquĂȘter nâarrivent mĂȘme pas Ă expliquer. Et davantage de contrĂŽle ne va pas changer çaâŠâ» MoralitĂ©â? MortalitĂ©...
Amanda chapon
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Pas de retraite pour les cars de la mort
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Cet Ă©tĂ© encore, des accidents impliquant des cars ont fait plusieurs dizaines de victimes. Et les «âchauffardsâ» ne sont pas les seuls responsables...
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Les accidents de la route impliquant des autocars sont tragiquement frĂ©quents au Marocâ: collisions, cars renversĂ©s, voire mĂȘme qui chutent dans des ravins, sont rĂ©guliĂšrement mentionnĂ©s dans la presse.
En début de mois, encore, deux autocars sont entrés en collision sur la nationale reliant Tanger à Tétouan, faisant au moins 4 morts et 56 blessés, dont 12 griÚvement. Sont souvent mis en cause dans ces accidents les excÚs de vitesse, la fatigue des conducteurs, le mauvais état des véhicules, etc.
Pourtant, des dispositions ont Ă©tĂ© prises, dans le nouveau code de la route, pour tenter de limiter lâhĂ©catombe. Comme lâobligation pour tout candidat au permis de conduire de camions et autocars (catĂ©gorie «âCââ» et «ââDââ») dâĂȘtre titulaire dâun permis de catĂ©gorie «âBââ» depuis deux ans au moins.
Une carte professionnelle a Ă©tĂ© instaurĂ©e, dĂ©livrĂ©e en principe aux chauffeurs qui ont suivi une formation de qualification initiale dispensĂ©e dans des Ă©tablissements agrĂ©Ă©s. Valable 5 ans, elle est renouvelable sous condition de justification du suivi de la formation continue mise en place Ă cet effet. Enfin, le code a instituĂ© un temps de conduite maximum de quatre heures qui doit ĂȘtre suivi de quatre heures de repos, comme en Europe.
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LâexcĂšs de vitesse mis en cause
Mais seule cette derniĂšre disposition vient Ă lâesprit de Pierre-Marc Cormy, PDG de la sociĂ©tĂ© de transport Casa-Fdala (STCF), quand il Ă©voque les changements apportĂ©s dans son mĂ©tier par le code.
Et pour cause, les conducteurs professionnels qui Ă©taient dĂ©jĂ en exercice ont Ă©tĂ© dispensĂ©s de la formation initiale qualifiante, et devaient recevoir leurs cartes sur demande et justification dâexercice de la profession.
Pas de formation avant quatre ans, donc, au moment du renouvellement de la carte... «âSur les trajets de plus de 400 kilomĂštres, on embarque deux chauffeurs dans lâautocar, pour quâils puissent se relayerâ», explique le gĂ©rant de la STCF, dont les 14 autocars assurent des liaisons avec BĂ©ni Mellal, Safi, MeknĂšs et MohammĂ©dia.
Ce qui est frappant, souligne-t-il, câest que «âle parc automobile a Ă©tĂ© multipliĂ© par dix en quelques annĂ©es, mais le rĂ©seau routier, malgrĂ© de gros efforts, reste plus ou moins inchangĂ©â».
Cependant, les excĂšs de vitesse, sont, selon lui, le facteur dĂ©terminant dans les accidents impliquant des autocars : «âSur la route de BĂ©ni Mellal, les autocars vont tellement vite quâil arrive que le dĂ©placement dâair fasse tomber les piĂ©tons au bord de la routeâ» !
Sâil contrĂŽle la vitesse de ses chauffeurs, en utilisant des tachygraphes ou mĂȘme des contrĂŽleurs qui suivent les autocars en voiture, il ajoute que la racine du problĂšme rĂ©side dans le fait «âquâaujourdâhui, le voyageur a une montre au poignet et, sur un parcours, plus le conducteur va vite, plus le client est contentâ».
La seule exception Ă la rĂšgle ? Le transport de personnel. «âDans ce cas de figure, câest diffĂ©rent. Les clients veulent de bons vĂ©hicules et de bons chauffeurs. Il arrive quâils appellent pour refuser tel chauffeur, et en demander un autre.â» Mais en gĂ©nĂ©ral, «âplus le car va vite, plus la clientĂšle augmenteâ».
Imparable. Surtout que le systĂšme dâagrĂ©ments en place renforce cette dynamique. «âLa distribution est inappropriĂ©e. Avant, sur un trajet comme Casablanca-Agadir, les dĂ©parts Ă©taient dĂ©calĂ©s : une compagnie partait Ă 6h00, une autre Ă 6h30 ou 7h00, etc.
Mais aujourdâhui, Ă 7 heures du matin, il y a 6 autocars qui partent vers Essaouira. Ce qui occasionne une bagarre pour la clientĂšle.â» Une clientĂšle qui va choisir le car le plus rapide... Pour Pierre-Marc Cormy, la solution rĂ©side dans des contrĂŽles routiers plus frĂ©quents et plus «âsĂ©rieuxâ» de la gendarmerie.
Plus «âsĂ©rieuxâ» ? Câest-Ă -dire «âmoins corrompusâ», commente un professionnel du transport â qui souhaite rester anonyme â avant dâajouter, dubitatifâ: «âIl faut dâabord empĂȘcher la corruption au niveau des gendarmes. Leurs barrages ? Ce sont des pĂ©agesâ!â» Et les «âfrais de pĂ©ageâ» des chauffeurs sont systĂ©matiquement remboursĂ©s par les compagnies de transport.
Car, si «âun jour, le chauffeur ne donne rien, le lendemain, sur le mĂȘme barrage, les gendarmes lui cherchent des noises. ContrĂŽlant minutieusement le vĂ©hicule, les passagers... il fait perdre du temps Ă lâautocar, et les voyageurs ne sont pas contentsâ». De lĂ Ă affirmer que le chauffeur va conduire encore plus vite pour rattraper le temps perdu, il nây a quâun pas. Un vrai cercle vicieux...
Amanda chapon
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Abdellah Hammouchi, secrétaire général de la Fédération nationale des transporteurs de marchandises (camionneurs)
« Le bakchich a augmenté »
«âLe nouveau code de la route a Ă©chouĂ© sur toute la ligne. Il y a maintenant plus dâaccidents, de morts et de blessĂ©s sur nos routes. La seule Ă©volution au niveau de la corruption, câest le prix du bakchich qui a augmentĂ© proportionnellement avec le montant des amendes.
Pire, on attend toujours les dĂ©crets dâapplication qui tardent... RĂ©sultatâ: la loi est floue, et les camionneurs en souffrent. On les arrĂȘte pour «âmarchandise non sĂ©curisĂ©eâ», or il nây a rien dans la loi qui dĂ©termine justement ces normes de protection. Les policiers arnaquent les camionneurs car ils ont un pouvoir discrĂ©tionnaire.
Nous contestons Ă©galement les taxes sur le tonnage. Câest une bonne chose dâavoir interdit la surcharge, mais il est anormal que lâon continue de payer une taxe pour 38 tonnes alors que lâon ne charge dĂ©sormais que 27 tonnes.â»
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Mohamed Al Mehdi, prĂ©sident de lâUnion des syndicats des professionnels du secteur des transports
« On risque de repartir en grÚve »
«âIl existe un trĂšs grave problĂšme de dĂ©termination de la responsabilitĂ© en cas dâaccident. Les transporteurs se voient facilement arrĂȘtĂ©s et dĂ©fĂ©rĂ©s devant les tribunaux, ou perdent leur permis aprĂšs un accident car on ne sait toujours pas comment dĂ©terminer avec exactitude les responsabilitĂ©s.
Les cas se sont multipliĂ©s. Le ministĂšre a promis la mise en place dâune commissionâ-âinterface entre le dĂ©partement de tutelle et les professionnels, mais elle nâa toujours pas Ă©tĂ© mise sur pied.
Enfin, lâĂ©tat gĂ©nĂ©ral des routes est dĂ©plorable. Par exemple, le tronçon de lâautoroute vers Agadir. Il y a une pente ascendante et descendante de quinze mĂštresâ: un danger majeur pour les gros transporteurs. Les camions peuvent avoir du mal a dĂ©cĂ©lĂ©rer, et provoquer des drames.
Le code ne rĂ©glera rien si les infrastructures ne suivent pas. Nous nous sommes opposĂ©s Ă cette loi dĂšs sa proposition et nous sommes plus dĂ©terminĂ©s que jamais. Dâailleurs, il est probable que lâon reparte en grĂšve dĂšs le mois dâoctobre.â»
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Une heure dans la peau dâun agent de la circulation
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Une heure dâobservation dans un grand carrefour Ă une heure dâaffluence, câest une heure passĂ©e dans le chaos. Relever toutes les infractionsâ? Mission impossible mais tentĂ©e par actuel.
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17H00. Un jour de semaine Ă lâintersection entre les boulevards Massira el Khadra et Zerktouni, Ă Casablanca. On ne peut pas encore vraiment parler «âdâheure de pointeâ», mais le trafic sâintensifie de minute en minute, et les encombrements avec.
Assis sur un banc en face du Twin Center, on peut embrasser dâun regard tout le dĂ©sordre du carrefour⊠MalgrĂ© les efforts de lâagent de police chargĂ© de rĂ©guler la circulationâââainsi que de verbaliser, le cas Ă©chĂ©ant, les contrevenantsââ,âles voitures slaloment comme dans un jeu vidĂ©o, les files se tĂ©lescopent et un concert de klaxons en colĂšre retentit rĂ©guliĂšrement.
Un motocycliste passe sans casque sur le boulevardâ: le policier ne rĂ©agit pas. Ne lâa-t-il pas vuâ? PrĂšs de notre poste dâobservation, un taxi sâarrĂȘte soudainement pour dĂ©poser un passagerâââassis devant, sans ceintureââ,âobligeant le conducteur dâun autre taxi, juste derriĂšre, Ă freiner brusquement, pour Ă©viter de justesse la collision.
Lâagent, pourtant postĂ© Ă une dizaine de mĂštres, ne bronche pas, occupĂ© Ă rĂ©gler la circulation. Par contre, quand une mobylette effectue un demi-tour illĂ©gal Ă gauche, il rĂ©agit et siffle. Sans effetsâ: la mobylette se faufile entre les voitures arrĂȘtĂ©es et rĂ©ussit Ă filer.
Finalement, notre policier tout fringantâââil a pris son tour vers 17 heuresâââfinit par arrĂȘter un beau coupĂ© Renault. En plus de parler au tĂ©lĂ©phone, le jeune conducteur ne portait pas de ceinture.
Alors que ses deux passagĂšres plaisantent, ce dernier descend de la voiture (dĂ©sormais garĂ©e quelques mĂštres plus loin) et prĂ©sente ses papiers Ă lâagent. Et il a beau gesticuler, prenant apparemment le ciel Ă tĂ©moin, le reprĂ©sentant de la loi reste intraitableâ: pour rĂ©cupĂ©rer son permis, il doit aller chercher le montant de lâamende, 700 dirhams, au guichet le plus proche.
RĂ©confortant de voir que le policier nâa pas demandĂ©âââou acceptĂ©âââde bakchich. Mais pendant quâil verbalisait, il ne pouvait rĂ©guler la circulation, et les embouteillages ont empirĂ©. Le bruit des klaxons devient rapidement insupportable...
A droite, sur le boulevard Zerktouni, un grand panneau dâaffichage met en garde les piĂ©tons qui seraient tentĂ©s de traverser hors des clous. Un homme y est reprĂ©sentĂ© en mauvaise posture pour avoir traversĂ© nâimporte oĂč.
En lĂ©gende, un avertissementâ: «âPiĂ©tons, traverser en dehors du passage protĂ©gĂ© tue.â» Ironique. Car si le policier en service nâarrĂȘte pas la circulation, impossible de traverser le boulevard Zerktouni devant les Twin, mĂȘme sur le passage piĂ©tonnierâ! Ou bien alors Ă ses risques et pĂ©rils, entre les voitures embouteillĂ©es, exactement comme sur le contre-exemple de lâafficheâ!
Et tandis quâĂ coups de sifflet et de gestes Ă©nergiques, lâagent essaie de rĂ©tablir, tant bien que mal, la situation, deux femmes tentent, elles, de franchir le boulevard Zerktouni, sur le passage «âprotĂ©gĂ©â». Juste devant le panneau expliquant que traverser en dehors des clous, câest dangereux. Le feu est rouge, et la traversĂ©e de la premiĂšre voie se passe sans encombre.
Mais sur la deuxiĂšme, elles doivent reculer prĂ©cipitamment, manquant de se faire renverser par un petit taxi qui dĂ©bouche Ă toute allure. Loin de sâexcuser, celui-ci klaxonne rageusement. Il nâa apparemment jamais entendu parler de la prioritĂ© accordĂ©e aux personnes qui empruntent les passages piĂ©tonniers.
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17h30. Au fur et à mesure que la soirée avance, la circulation devient tellement chaotique que le flic doit se contenter de limiter le désordre. Il ne voit pas les deux jeunes qui, sur un scooter, traversent le boulevard sur le passage piéton, slalomant entre les voitures, pour finalement emprunter une petite rue perpendiculaire...
Vers 18 heures, la circulation est tellement ralentie que lâon remarque plus facilement que nombreux sont les conducteursâââainsi que les passagers assis Ă la «âplace du mortâ»âââqui nĂ©gligent de porter la ceinture de sĂ©curitĂ©. Un, deux, cinq, sept... on perd vite le compte. Et dans les taxis, lâabsence de ceinture est la rĂšgle (de toute façon, les clics sont toujours cassĂ©s).
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Finalement, les oreilles qui sifflent Ă cause des klaxons, le cĆur au bord des lĂšvres Ă force dâavaler du gaz dâĂ©chappement, on quitte le carrefour avec soulagement. Avec une petite pensĂ©e, quand mĂȘme, pour le policier dont câest le quotidien.
Et pour toutes ces rÚgles de sécurité et de conduite ignorées superbement par tant de conducteurs, en seulement une heure. Dans une ruelle plus calme, derriÚre Massira, surgit alors un motocycliste.
Sâil porte un casque, ce nâest pas le cas du garçonnet de 5 ans qui gigote sur la selle, derriĂšre lui. Juste le temps dâun regard, et il rejoint le carrefour encombrĂ©. Il nây a plus quâĂ espĂ©rer quâil soit arrĂȘtĂ© avant que le pire ne se produise.
Nous nâavons pas Ă©tĂ© les seuls Ă avoir cette idĂ©e. La mĂȘme semaine, un reportage de 2M pointait le mĂȘme capharnaĂŒm au mĂȘme endroit. Et quand nous sommes repassĂ©s, il nây avait pas moins de huit policiers au pied des Twinâ! Mais pendant ce temps, aux autres croisements stratĂ©giques de Casablanca, lâanarchie continuait.
A.C.
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