L’annonce d’un impôt sur la fortune a fait l’effet d’une bombe et les lobbies commencent déjà à monter au créneau. L’idée n’est pas nouvelle mais l’équipe El Fassi n’a pas daigné jusque-là étudier sérieusement cette option. Le prochain gouvernement sera-t-il plus combatif ?
***
L e gouvernement El Fassi se soumet-il à l’effet de mode qui sévit actuellement de l’autre côté de l’Atlantique et de la Méditerranée, ou bien cède-t-il à la panique, à la veille d’une échéance électorale déterminante ?
Quoi qu’il en soit, force est de constater que les effets d’annonce se sont multipliés ces derniers jours, sous la pression du calendrier budgétaire et électoral. La dernière en date, et non la moindre, a trait à l’instauration « imminente » d’un impôt sur la fortune ou sur les signes extérieurs de richesse.
Celui-ci serait destiné à alimenter le fameux fonds national de solidarité en faveur des plus démunis. La création de ce dernier vient, elle-même, d’être annoncée par le Premier ministre quelques jours auparavant. Vaste programme…
Une vieille proposition
Après avoir fait preuve, au début de l’été, de largesses parfois inconsidérées, sous la pression de la rue, en concédant 7 milliards de dirhams supplémentaires dans le cadre du dernier dialogue social, le gouvernement El Fassi est aujourd’hui forcé de revenir à la réalité pour trouver des sources de financement additionnel.
L’urgence est donc de trouver, par tous les moyens, de nouvelles recettes pour boucler le budget 2011 et d’atténuer le déficit abyssal de la Caisse de compensation qui caracole à 45 milliards de dirhams… faute d’avoir eu le courage de s’attaquer à sa réforme.
Forcé à la fin de l’été d’abandonner, sans explication convaincante, la manne que devait générer la cession de 7% de Maroc Telecom (elle-même estimée à 7 milliards de dirhams, soit tout juste de quoi couvrir la hausse inattendue de la masse salariale), le gouvernement donne aujourd’hui l’impression d’être entraîné dans une fuite en avant.
Pour tenter de redorer son blason auprès des électeurs, il n’a rien trouvé de mieux que de ressortir de ses fonds de tiroirs de veilles propositions formulées par l’opposition trois ans auparavant. L’impôt sur la fortune en fait partie.
« Nous avions proposé plusieurs projets de loi visant la réforme de la compensation sans jamais susciter l’intérêt de l’exécutif », déplore Lahcen Daoudi, secrétaire général adjoint du PJD. Ce parti avait d’ailleurs milité pour un système de financement de la Caisse alimenté à 50% par l’Etat et à 50% par des taxes fiscales.
L’USFP avait également milité pour un ciblage des subventions mais en visant les plus démunis, au lieu de taxer les plus riches. « Pour notre part, nous estimons qu’il est plus difficile de cibler les populations défavorisées car la pauvreté est mobile. En revanche, les plus riches sont plus facilement identifiables », soutient Daoudi. C’est donc la raison pour laquelle le gouvernement El Fassi a fini par sortir ce joker.
Mais à l’évidence, l’instauration d’un impôt sur la fortune n’est pas gagnée d’avance. Elle requiert, au préalable, une remise à plat du système fiscal et un travail rigoureux de recoupement des informations (enregistrement des titres fonciers auprès de la Conservation foncière, déclarations de patrimoine adressées à la Cour des comptes, informations sur le train de vie du contribuable…).
A noter que la Direction générale des impôts recourt déjà , à travers l’examen de l’ensemble de la situation fiscale, à l’évaluation des dépenses des personnes physiques pour revaloriser l’impôt sur le revenu (article 29 du code général des impôts).
« Cela permet d’appréhender, à partir du train de vie et des dépenses du contribuable, ses revenus et de procéder au rapprochement avec ses déclarations fiscales », explique un inspecteur des finances. Reste que cette approche en vigueur pour l’impôt sur le revenu est vivement contestée car basée sur des critères subjectifs.
Ce n’est donc pas étonnant qu’aussitôt l’idée lancée, l’impôt sur la fortune suscite, déjà , une vive polémique. Les milieux financiers comme le monde des affaires jugent cette mesure injuste car, au-delà des revenus du travail, elle taxe le patrimoine stable, acquis souvent au prix de plusieurs années d’effort ou par voie de transmission.
« Sur le plan technique, l’impôt sur le patrimoine est tout à fait applicable car les bases de données sont disponibles. Mais il serait plus judicieux d’instaurer une tranche marginale de l’impôt sur le revenu qui taxerait les très hauts revenus », suggère un analyste financier.
S’attaquer aux vrais problèmes
Au-delà de la polémique suscitée par cette nouvelle annonce, la véritable question concerne l’impact réel d’une telle mesure sur les finances publiques.
Pour être réaliste, il faut d’abord écarter toute retombée sur la loi de Finances 2012. Ensuite, pour que l’impôt sur la fortune finisse par voir le jour, il faudrait que le prochain gouvernement fasse preuve d’une exceptionnelle ténacité face aux lobbies qui ne vont pas manquer de s’organiser dans les prochains mois.
Réussira-t-il là où ses prédécesseurs ont échoué ? A moins qu’il ne se résigne enfin à s’attaquer aux problèmes de fond aux retombées plus pérennes ; à savoir, imposer les grandes exploitations avant la date butoir de 2013, s’attaquer aux niches fiscales et lutter contre l’évasion fiscale, sans oublier l’éradication, ou au moins la taxation, du secteur informel, véritable plaie de l’économie nationale.
Khadija El Hassani & Mouna Kably
Â
Entretien avec Larbi Habchi, l’un des conseillers et membre de la FDT.
Â
« Taxer les riches sans toucher leur fortune »
Â
Le groupe fédéral de la Chambre des conseillers figure parmi les premiers lobbies à militer pour l’impôt ciblant les riches. Aujourd’hui, il revoit sa copie et revient à la charge. Eclairage.
Â
Actuel : Que pensez-vous de l’annonce du gouvernement El Fassi ?
Larbi Habchi : Même s’il n’est pas un concept fiscal reconnu au plan international, l’impôt ciblant les riches est un instrument qui permet de réduire les charges de la Caisse de compensation et de favoriser la solidarité entre les différentes catégories sociales.
Dans le contexte actuel, cette revendication est cruciale, mais elle doit être appréhendée de manière différente de ce que nous avions proposé en 2009. Le gouvernement et les autres groupes de la Chambre des conseillers l’avait alors rejetée. Désormais, nous prônons un impôt solidaire qui ne s’appliquera pas nécessairement sur la fortune.
Â
Pourquoi ce revirement ?
L’expérience de plusieurs pays européens est très parlante. Les risques de fuite des capitaux et le coût élevé de gestion de cet impôt par rapport à son rendement limité ont acculé ces pays à le supprimer pour le remplacer par d’autres formes de contribution : hausse de l’impôt sur les revenus les plus élevés (Allemagne), prélèvement sur les revenus des intérêts de l’épargne (Luxembourg), hausse des taux sur les plus-values non mobilières (Danemark), impôt sur le patrimoine immobilier (Finlande), prélèvement à la source sur les bénéfices des fonds d’investissement (Belgique). Le Maroc gagnerait à s’inspirer de ces expériences.
Â
Cet impôt atténuerait-il le déficit de compensation ?
Ce concept d’impôt solidaire doit être lié à la réforme de la Caisse qui souffre de trois défaillances : une enveloppe financière non maîtrisée et orientée non pas vers le renforcement de la protection sociale, mais vers la consommation ; un soutien aux secteurs dotés d’une capacité concurrentielle et favorisant l’économie de rente ; des subventions bénéficiant plus aux riches. Ces défaillances ont un impact négatif sur les finances publiques et empêchent l’équité sociale.
Cela dit, il ne s’agit pas de supprimer le système de compensation mais de le réformer. Sa suppression signifierait l’application des prix réels et pénaliserait le pouvoir d’achat de la majorité des Marocains : 80% des familles ont des revenus mensuels ne dépassant pas 6 650 dirhams.
Â
Quelle mesure concrète suggérez-vous ?
La réforme de la Caisse de compensation doit se baser sur trois volets. Tout d’abord, le maintien de ce système avec la maîtrise de son budget ; l’amélioration des instruments de bonne gouvernance ; et la lutte contre la rente.
Le deuxième volet porte sur le ciblage direct des démunis en leur garantissant l’accès aux services de base. Le troisième volet consiste à appliquer un impôt solidaire aux plus riches mais sans toucher à leur fortune.
Ce dernier instrument permettra de récupérer les aides dont bénéficie cette population via la compensation. Le gouvernement a déjà commencé à appliquer progressivement les deux premiers volets. En revanche, pour le troisième aspect, il hésite encore. Or, la réforme du système de compensation ne pourra pas être complète si elle ne cible pas les riches, premiers bénéficiaires des subventions.
Propos recueillis par Khadija El Hassani |