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Presse Ă©trangĂšre/Maroc Le grand malentendu
actuel n° 104/105, vendredi 22 juillet 2011
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Le monde se forge une image du Maroc Ă travers le rĂ©cit de ses journalistes. Certains titres respectables dĂ©crivent ce quâils voient, tandis que dâautres virent au sensationnalisme. Analyse.
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Comme les choses Ă©taient plus simples avant, Ă lâĂ©poque de Hassan II oĂč les titres de la presse Ă©trangĂšre, interdits de sĂ©jour pour beaucoup dâentre eux, cherchaient par tous les moyens Ă brocarder la monarchie, Ă©corchant au passage ces Marocains «âservilesâ» qui se laissaient conter des histoires.
Le monarque dĂ©funt se plaisait alors Ă inviter un panel impressionnant de journalistes Ă©trangers quâil faisait suer lors de joutes oratoires restĂ©es cĂ©lĂšbres. Dans une interview au quotidien parisien Le Figaro du 29 avril 1996, Hassan II rĂ©sumait ainsi ce grand malentenduâ: «âNous les Musulmans, nous sommes allĂ©s nous frotter Ă la culture occidentale, quâelle soit europĂ©enne ou amĂ©ricaine.
Nous connaissons bien vos religions. Vous ne connaissez rien de la nĂŽtre. Comparez le nombre dâArabes qui connaissent votre langue et le nombre de Français qui connaissent la nĂŽtre.â»
Quand Hassan II conduisait ces opĂ©rations de sĂ©duction, frĂ©quentes tout le long de son rĂšgne, Driss Basri, lui, se faisait un plaisir de mener les journalistes Ă©trangers en bateau et souvent au sens propre du terme (avec sorties en pleine merâ!).
Le tout-puissant vizir de HassanââII qui cumulait les fonctions de ministre de lâIntĂ©rieur et de lâInformation, invitait souvent des journalistes Ă©trangers Ă qui il faisait faire le tour du propriĂ©taire sur le ton de celui qui nâa rien Ă cacher.
Le landernau journalistique international Ă©tait friand de ces «âoffâ» dont bruissait le Makhzen, dâoĂč le nombre de journalistes et de directeurs qui se bousculaient au portillon. Et quand des reportages peu glorieux pour la corporation Ă©taient publiĂ©s dans les journaux de la mĂ©tropole, on leur tombait dessus dans les rĂ©dactions.
Une presse Ă©trangĂšre suspicieuse
Au cours de ses fonctions peu compatibles de ministre de lâIntĂ©rieur et de lâInformation, Driss Basri a rarement maniĂ© le bĂąton. La carotte,â si. Les sĂ©jours Ă la Mamounia et les riads acquis Ă Marrakech pour quelques kopecks en tĂ©moignent.
De temps Ă autre, une polĂ©mique un peu musclĂ©e Ă©clatait de lâautre cĂŽtĂ© des frontiĂšres, comme ce fut le cas avec le centre de dĂ©tention de Tazmamart dont HassanââII a niĂ© lâexistence jusquâĂ sa mort.
RĂ©sultat, une bonne partie des journalistes qui nâĂ©taient pas forcĂ©ment prĂȘts au compromis et qui faisaient le dĂ©placement se sentaient flouĂ©s, dâoĂč la rupture consommĂ©e entre eux et le Royaume de Hassan II.
Le malheur des uns faisant souvent le bonheur des unes journalistiques, nombre de professionnels nâont fait aucun effort pour tenter de comprendre sâil y avait eu depuis un vĂ©ritable changement.
RĂ©sultat des courses, tout ce qui se passe chez nous est toujours lâobjet de fortes suspicions de la presse Ă©trangĂšre qui continue dâen analyser lâactualitĂ© Ă travers le filtre du Maroc hĂ©ritĂ© de Hassan II.
Les mĂ©dias europĂ©ens cĂšdent-ils toujours aussi facilement Ă des accĂšs dâantimarocanisme primaire, comme câest le cas dans une partie de la presse espagnoleâ? Pour le moment, il semble que lâexercice continue Ă faire des adeptesâ; en tĂ©moignent les angles dâattaque des reportages de France 24 ou encore les sorties de chroniqueurs vedettes comme Eric Zemmour.
«âA mon avis, on ne peut pas accuser toute la presse Ă©trangĂšre dâavoir une attitude de partialitĂ©, mais il faut reconnaĂźtre quâil y a une tendance Ă traiter les Ă©vĂ©nements du Maroc par la lorgnette du sensationnel, par des correspondants qui viennent au Maroc, dont quelques-uns ne connaissent pas du tout le pays, alors que dâautres dĂ©barquent avec des idĂ©es prĂ©conçues ou cherchent Ă vendre, sans respect des normes du mĂ©tierâ», explique YounĂšs Moujahid, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Syndicat national de la presse marocaine.
Moujahid, qui a assurĂ© pendant des annĂ©es la correspondance pour lâagence EFE, avait dĂ©missionnĂ© aprĂšs le fameux bidonnage des Espagnols qui avaient fait passer la photo dâun enfant palestinien dĂ©cĂ©dĂ© pour une victime des Ă©vĂ©nements de LaĂąyoune.
«âJâai dĂ©missionnĂ© de lâagence de presse espagnole EFE pour des raisons de dĂ©ontologie, et jâai demandĂ© des dommages en me basant sur la clause de conscience, qui autorise les journalistes Ă quitter lâentreprise de presse si elle ne respecte pas la charte rĂ©dactionnelle, ce qui Ă©tait justement le cas pour EFE vis-Ă -vis du Maroc.
Mon objectif Ă©tait de dĂ©montrer que des mĂ©dias, mĂȘme publics, qui ont pourtant une charte rĂ©dactionnelle et prĂ©tendent respecter la dĂ©ontologie, ne sont pas Ă la hauteur de leur engagement, surtout quand il sâagit du Maroc.â»
DĂ©graissage des troupes
Il faut aussi relever un Ă©lĂ©ment objectif qui explique un peu cette difficultĂ© des mĂ©dias Ă©trangers Ă apprĂ©hender des rĂ©alitĂ©s locales qui Ă©chappent souvent aux schĂ©mas de lecture classiquesâ: les correspondants des journaux, agences de presse et chaĂźnes europĂ©ennes en poste au Maroc se comptent dĂ©sormais sur les doigts de la main.
A part les Espagnols dont les effectifs sont en augmentation constante, Sebta et Melilia obligent, les médias des autres pays ont opéré depuis quelques années un vaste dégraissage de leurs troupes au Maroc.
Le journaliste El Hamraoui, qui a travaillĂ© pour lâAFP, a vu les effectifs de cette agence (et des autres agences installĂ©es) Ă Rabat se rĂ©duireâ: «âLes dĂ©graissages ont commencĂ© dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000, avec le dĂ©part dâIgnace Dalle.
On a vu fondre ces effectifs avec les annĂ©es. Et ceux qui partent Ă la retraite ne sont pas remplacĂ©s.â» RĂ©sultat, les sujets de fond sur le Royaume se rarĂ©fient et nombre dâentre eux sont façonnĂ©s dans les capitales europĂ©ennes, oĂč les journaux et les chaĂźnes ne sont pas trĂšs regardants sur la matiĂšre fournie par des pigistes payĂ©s au lance-pierres.
Pour mieux comprendre la persistance actuelle de ce «âmoroccan bashingâ», ou bastonnade antimarocaine, il faudrait se pencher sur les enjeux multiples et variĂ©s qui nous lient au niveau international.
Surtout que le monde a lui mĂȘme beaucoup changĂ© et que des pays comme lâEspagne ou encore lâAlgĂ©rie, empĂȘtrĂ©s dans leurs propres contradictions, ont sans doute perdu le droit dâassĂ©ner des leçons de vertu.
Abdellatif El Azizi
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Nos amis les Français...
Leur sens critique nâa pas complĂštement disparu, mais il nây a plus beaucoup de Gilles Perrault dans les rĂ©dactions françaises.
Les Français en veulent-ils au Marocâ? Câest lâimpression souvent ressentie aprĂšs avoir entendu un invitĂ© unique casser un discours royal sur France 24 ou aprĂšs avoir visionnĂ© un reportage dans «âEnvoyĂ© spĂ©cialâ» oĂč les images de bastonnades de manif viennent illustrer un sujet sur le tourisme en pĂ©ril...
Il est vrai quâaprĂšs des annĂ©es de reportages louangeurs sur le rĂ©gime tunisien, quand lâambiance dans les rĂ©dactions parisiennes post 11-Septembre tournait autour du crĂ©do «âplutĂŽt un dictateur quâun barbuâ», les articles critiques sur le Royaume passaient mal. Mais si câĂ©tait le Maroc qui avait du mal Ă se vendreâ? «âVous imaginez que les journalistes français se rĂ©veillent chaque matin en se disant ââcomment, je vais massacrer le Maroc aujourdâhuiâ?âââ»
Câest Soundouss El Kasri qui le dit. Pendant des annĂ©es, lâactuelle rĂ©dactrice en chef dâaufait a jouĂ© les «âfixersâ» pour Patrica AlĂ©moniĂšre, Stephen Smith ou Vincent HervouĂ«tâ: «âEt tous ces journalistes aiment le Maroc. Mais ils font leur mĂ©tier.â»
Et Soundouss de raconter combien elle Ă©tait consternĂ©e quand elle leur faisait interviewer des officiels confits de propagandeâ: «âA part AndrĂ© Azoulay, je nâai jamais rencontrĂ© une autoritĂ© dans ce pays qui ne mâait pas fait honte.â»
Le problĂšme, câest que les images peuvent contredire tous les discours. Sâil nây avait pas de bastonnade... on ne les diffuserait pasâ! Et le travail dâun correspondant comme dâun envoyĂ© spĂ©cial nâest pas de raconter les histoires de trains qui arrivent Ă lâheure (au Maroc, il aurait du malâ!).
Et pourtant, depuis quelques mois, on est presque frappĂ© par les reportages plutĂŽt positifs sur le Royaume. AprĂšs le discours du 9 mars, le Maroc est mĂȘme apparu comme un Ăźlot de stabilitĂ© dans un monde arabe en Ă©bullition.
«âMohammed VI offre au Maroc une rĂ©volution tranquilleâ», titrait immĂ©diatement Le Monde. Dans Le Figaro, sous la plume de Thierry OberlĂ©, on remarque que «âle palais royal, qui dĂ©tient le vĂ©ritable pouvoir, ne rĂ©prime pas les contestataires.
Les rassemblements sont autorisĂ©s et les coups de matraque plutĂŽt rares. Rien Ă voir avec Algerâ». Dans lâhebdo Ă©conomique LâUsine nouvelle, Pierre Olivier Rouaud Ă©crit que «âles manifestations ont lieu le dimanche pour ne pas perturber lâĂ©conomie...â», et que «âlâĂ©cho des rĂ©volutions arabes sâest arrĂȘtĂ© aux portes de lâusineâ».
Un a priori favorable
Au regard des tyrannies sanguinaires du monde arabe, le Royaume bĂ©nĂ©ficie dâun a priori souvent favorable. Dans Le Point, Mireille Duteil reprend Ă son compte un discours souvent entendu iciâ: «âCertes, la nouvelle Constitution marocaine ne met pas en place une monarchie parlementaire Ă lâespagnole comme le souhaitent les jeunes manifestants.
Pourtant, câest incontestablement un pas de gĂ©ant vers des institutions marocaines plus dĂ©mocratiques.â» Et de sâavancerâ: «âLa nouvelle Constitution marocaine donne au roi des pouvoirs Ă©quivalant Ă ceux du prĂ©sident de la RĂ©publique française.â»
Tous les articles ne sont, bien sĂ»r, pas aussi indulgents. Mais mĂȘme Isabelle Mandraud, qui a souvent la dent dure dans Le Monde, reconnaĂźt que «âla nouvelle Constitution apporte incontestablement des avancĂ©esâ».
Ce qui ne lâempĂȘche pas de relever les malaises qui minent la sociĂ©tĂ© marocaine ou de raconter comment les violentes baltagias perturbent les manifs du 20-FĂ©vrier. Mais aprĂšs tout, elle raconte ce quâelle a vu... tout comme nous lâavions racontĂ© dans actuel.
Slimane Ammor
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Algérie mon amour
La relation journalistique entre nos deux pays pourrait se rĂ©sumer par une seule formuleâ: Je tâaime moi non plus !
VoilĂ au moins deux choses que les AlgĂ©riens nous envient Ă haute voixâ: lâinscription de la langue amazighe dans la Constitution marocaine et le contenu de la Constitution elle-mĂȘme. Pour lâenvoyĂ© spĂ©cial dâAl Watan, il sâagit là «âincontestablement, dâun acquis historique arrachĂ© de haute lutte qui contraint les autres pays dâAfrique du Nord, dont lâAlgĂ©rie, Ă ne plus persister dans le dĂ©ni identitaireâ».
Hacen Ouali qui a Ă©cumĂ© lâAtlas au lendemain du rĂ©fĂ©rendum en conclut quâ«âaprĂšs sa reconnaissance en tant que langue nationale en 2003, cette langue, dont les racines structurent lâhistoire de lâAfrique du Nord, est dĂ©sormais gravĂ©e dans le marbre de la Constitution du Marocâ».
A quelques exceptions prĂšs, les commentaires de la presse algĂ©rienne sont encore plus laudatifs pour une Constitution qualifiĂ©e de «âvĂ©ritable rĂ©volution dĂ©mocratiqueâ». Dans son Ă©dito du 19 juin 2011, Le Matin, quotidien algĂ©rien de lâopposition, estime que «âsâil tend la main Ă cette jeunesse inflexible mais porteuse de modernitĂ©, nul doute que le roi fera du Maroc la premiĂšre terre dĂ©mocratique de cet ensemble disparate quâon persiste Ă appeler le ââmonde arabeââ. Ce serait, en dĂ©finitive, la premiĂšre ââRĂ©publiqueââ de ce monde ââarabeââ, telle que lâont rĂȘvĂ©e les peuples depuis un demi-siĂšcleâ».
Une relation passionnelle
Mais il ne faut pas trop se fier Ă ces «âĂ©carts de langageâ» dictĂ©s par lâĂ©motion du printemps arabe. En gĂ©nĂ©ral, la presse algĂ©rienne sâapplique Ă casser du sucre sur le dos de ses voisins. Une pratique dâailleurs bien Ă©prouvĂ©e dans la presse marocaine qui raffole aussi des scandales algĂ©riens.
En gĂ©nĂ©ral, dĂšs quâil sâagit des frontiĂšres ou encore du Sahara, la presse algĂ©rienne sort la grosse artillerie. Les membres du Polisario et la dĂ©lĂ©gation marocaine nâont pas encore pris lâavion pour New York que les quotidiens voisins se sont rĂ©glĂ©s Ă lâheure de Tindouf.
Câest Lâexpression qui a ouvert le bal avec un article intitulĂ© «âChristopher Ross dans le chaudron sahraouiâ». Le quotidien qui sâinterroge sur lâimpartialitĂ© du reprĂ©sentant personnel de Ban Ki-moon donne la voix au prĂ©sident de la RASD qui met en garde contre «âles intentions du gouvernement marocain de mettre en Ćuvre des dĂ©cisions politiques concernant la rĂ©forme constitutionnelle au Maroc, dans laquelle il envisage aussi dâinclure le Sahara font penser que ces pourparlers informels se dirigent droit dans le murâ», conclut le journal.
Ainsi lâun des grands paradoxes de la relation de voisinage avec lâAlgĂ©rie, câest que lâactualitĂ© dâun cĂŽtĂ© comme de lâautre ne peut ĂȘtre apprĂ©hendĂ©e que par la lorgnette de lâinsulte ou lâĆil de bĆuf des Ă©loges.
«âA mon avis, il faudrait sâen fĂ©liciter au lieu de sâen offusquer. Chez les arabes, les cousins se dĂ©chirent souvent, les guerres sont forcĂ©ment fratricides, elles laissent des traces mais câest la preuve vivante que la passion existe, quâil y a des liens trĂšs forts entre les frĂšres ennemisâ», plaisante Lounes Marouane, pseudo dâun journaliste dâun quotidien algĂ©rois qui nâhĂ©site jamais Ă brocarder ses voisins.
A.E.A
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Interview
Pourquoi serions-nous différents
La presse espagnole est rarement tendre avec le Maroc. Le plus cĂ©lĂšbre des correspondants espagnols au Maroc sâexplique.
Face au printemps marocain, la presse espagnole ne se distingue pas toujours de ses homologues Ă©trangers mĂȘme si le ton est souvent plus agressif. LâĂ©ditorial dâEl Pais datĂ© du 19 juin souligne lâavancĂ©e du Maroc («âMarruecos se mueveâ») et la nĂ©cessitĂ© dâune lutte contre la corruption menĂ©e par le roi Mohammed VI.
Plus virulent, le journaliste et Ă©crivain RamĂłn Luis Acuña Ă©voque, aprĂšs le «âOui » au referendum, une rĂ©volution «âsoumiseâ». Pour lui, seuls les vingtfevrieristes reprĂ©sentent une rĂ©volutionâ: la Constitution nâen est pas une.
Quant au journaliste et Ă©crivain Ignacio Cembrero, correspondant dâEl Pais et spĂ©cialiste du Maroc, il a titrĂ© son article du 31 janvier, Ă lâheure oĂč lâincertitude sur la contagion Ă©tait Ă son combleâ: «âLe Maroc ne fera pas exceptionâ», citant le prince Moulay Hicham. Par ailleurs, il fut correspondant diplomatique en charge de la politique extĂ©rieure pour El Pais entre 1989 et 1996.
Il a rĂ©digĂ© lâĂ©pilogue du livre de Jean-Pierre Tuquoi Le dernier roi. CrĂ©puscule dâune dynastie, puis a Ă©crit en 2003 Voisins Ă©loignĂ©s. Les secrets de la crise entre lâEspagne et le Maroc. Il est connu au Maroc pour avoir interviewĂ©, en 2005, le roi Mohammed VI.
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actuel : Pensez-vous que la presse espagnole se focalise sur le roi au détriment des affaires intérieures ?
Ignacio Cembrero : Avec lâancienne Constitution, et la nouvelle, le roi est lâinstitution la plus importante du pays. Câest le pivot, le centre de dĂ©cision de ce que vous appelez les affaires intĂ©rieures.
Rappelez-vous le nombre de couvertures que jadis Le Journal Hebdo et aujourdâhui TelQuel consacrent Ă Sa MajestĂ©. Et, dans un autre ordre, Le Matin du Sahara. Le roi y est partout. Pourquoi voulez-vous que nous soyons diffĂ©rentsâ?
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Pourquoi y a-t-il plus de vingt journalistes espagnols au Maroc, soit le plus grand nombre de correspondants Ă©trangers dans le Royaume ?
Je mâĂ©tonne que vous vous Ă©tonniez du nombre de journalistes espagnols Ă Rabat. Le Maroc est un voisin important pour lâEspagne. Qui plus est, câest le seul voisin avec lequel nous ayons de temps en temps des problĂšmes, ce qui nâest pas le cas de la France ou du Portugal. Les papiers sur le Maroc sont bien lus sur les journaux ou les pages web dâinformation espagnoles. En plus, il fait bon vivre au Maroc, et plus spĂ©cialement Ă Rabat.
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Dans votre livre Voisins lointains, vous expliquez la nĂ©cessitĂ© dâĆuvrer pour un bon voisinage. Est-ce que la presse espagnole en gĂ©nĂ©ral, et vos articles en particulier, participent Ă cet effort ?
Cela mĂ©rite une longue explication. Vous laissez entendre que mes articles sont critiques vis-Ă -vis de la rĂ©alitĂ© marocaine, nonâ? Probablement. Mais est-ce que vous pensez que mon journal est tendre envers David Cameron, Nicolas Sarkozy ou, plus encore, Silvio Berlusconi dont nous avons publiĂ© des photos compromettantesâ?
Est-ce que vous avez lu, dans un autre ordre dâidĂ©es, ce que racontaient les diplomates amĂ©ricains accrĂ©ditĂ©s au Maroc dans les tĂ©lĂ©grammes quâils envoyaient Ă Washington en 2008 ou 2009â? Ils sont encore sur le site de WikiLeaks et sur ceux dâEl PaĂs ou du Monde.
Ils nâĂ©taient pas du tout tendres quand ils parlaient de la corruption, des magouilles Ă©lectorales, des dĂ©faillances de la justice ou de la libertĂ© de la presse au Maroc. Quand ils rapportaient, par exemple, les magouilles du PAM pour conquĂ©rir la mairie dâOujda en juin 2009, ils sont allĂ©s bien plus loin que les articles de la presse europĂ©enne sur les consĂ©quences des Ă©lections municipales.
Demandez donc aux AmĂ©ricains si, en agissant ainsi, ils ne causent pas un certain prĂ©judice Ă la relation des Ătats-Unis avec le Maroc. Ils vous rĂ©pondront quâils informent leur gouvernement, quâils font leur boulot.
Mon rĂŽle, le rĂŽle des journalistes, nâest pas dâĆuvrer pour un bon voisinage. Câest le rĂŽle des diplomatesâââquand les tĂ©lĂ©grammes ne sont pas publiĂ©sâââdes hommes politiques, des hommes dâaffaires, etc.
Le rĂŽle des journalistes nâest pas non plus de raconter que les trains arrivent Ă lâheure. Les bonnes nouvelles nâont, sauf quelques rares exceptions, aucun intĂ©rĂȘt. Le rĂŽle des journalistes est, en revanche, de raconter que les trains ont du retard, pourquoi, Ă qui cela cause prĂ©judice et quelles mesures vont ĂȘtre prises pour quâils soient ponctuels. Câest cela informer.
Câest ce quâon mâa appris dans les Ă©coles de journalisme que jâai frĂ©quentĂ©es en France et dans les mĂ©dias oĂč jâai travaillĂ© en Espagne. Câest comme cela que je conçois mon mĂ©tier.
Sâil y a 9 millions de Marocains qui ont votĂ© au rĂ©fĂ©rendum constitutionnel et que le nombre dâadultes en Ăąge de voter est de 22 millions de personnes, on peut difficilement dire que la participation a Ă©tĂ© de 73% comme lâaffirme le ministĂšre de lâIntĂ©rieur, nonâ? La participation doit se calculer sur le nombre dâadultes en Ăąge de voter et non pas en fonction du nombre de cartes dâĂ©lecteur distribuĂ©es.
Eh bien, quand on est journaliste, il faut rappeler ces chiffres-lĂ , que cela Ćuvre ou pas au bon voisinage dont vous parlez. Cela Ă©tant dit, mes observations critiques ne sâadressent quâau systĂšme politique marocain et, en aucun cas, Ă un pays ou Ă un peuple que jâaime, et oĂč je me sens comme chez moi.
Propos recueillis par Salima Yacoubi Soussane
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