D’année en année, l’enseignement privé, porté par sa réelle ou supposée valeur ajoutée, gagne du terrain. Cependant, la question de la qualité est désormais mise en doute.
Le système privé applique-t-il, comme le soutiennent ses promoteurs, des méthodes pédagogiques plus efficaces que le public ? Les élèves y travaillent-ils mieux ? Sont-ils plus épanouis ? En somme, les parents en ont-ils pour leur argent alors que les frais de scolarité augmentent d’une année sur l’autre ?
Compte tenu de la faiblesse de la concurrence du public et du manque d’alternative, les écoles privées sont assurées que les parents n’ont d’autre choix que de payer sans broncher. L’épisode du bras de fer entre les parents et la direction du groupe scolaire La Résidence est encore dans les esprits.
Des promesses non tenues
Logiquement, les frais ne doivent augmenter que s’ils sont justifiés. Or, selon les parents, plusieurs carences noircissent le tableau des écoles privées : déficit de la qualité, infrastructures insuffisantes, classes sous-équipées, manuels scolaires inadaptés et un corps enseignant peu motivé.
D’ailleurs, trop souvent, et c’est là un autre sujet d’insatisfaction des parents, ce sont les enseignants du public qui assurent des vacations dans les écoles privées. Comment réussissent-ils à jongler entre les deux systèmes en préservant la qualité ? Une autre question à laquelle devraient d’ailleurs répondre les autorités de tutelle.
En attendant, pour justifier leurs tarifs et se démarquer de la concurrence, les promoteurs promettent monts et merveilles aux parents sur les plans pédagogique et de la qualité du suivi.
D’autres surfent sur la vague des nouvelles technologies de l’information et donnent accès aux parents, via un extranet accessible par code confidentiel, aux résultats de leur progéniture ; ils sont avertis par SMS de tout retard ou absence de leurs enfants, explique Mohamed Yassafi, président de l’Association des parents d’élèves de Léon l’Africain.
D’autres directeurs d’écoles préfèrent mettre en avant les activités parascolaires : sorties, visites d’entreprises, voyages culturels.. pour mieux séduire les « clients ». Mais à en croire des parents, très peu tiennent vraiment leur promesse.
Et la poignée de bons établissements n’est pas représentative des 3 200 écoles privées que compte le Maroc. « Les pouvoirs publics ont laissé foisonner des écoles sans la moindre garantie ni souci de la qualité.
Les autorisations ont été accordées à tour de bras sans que l’on s’assure, via des contrôles, de ce qui se passe derrière les murs ni de la véracité des messages publicitaires lancés à la veille de chaque rentrée », déplorent des parents d’élèves. Certes, le privé a connu une expansion notable au cours des dernières années et assure 10% des besoins nationaux.
Mais, « il est loin de satisfaire la demande au plan quantitatif et qualitatif », reconnaît Bendaoud Merzaki, directeur de la promotion de l'enseignement scolaire privé au ministère de l'Education nationale.
En vingt ans, le nombre d'écoles a explosé de 531 établissements en 1991-1992 à 3 168 en 2010-2011. Dès la rentrée scolaire 1996-1997, le rythme s’est accéléré. Depuis, une centaine d'écoles ont ouvert leurs portes chaque année.
Et sans surprise, ce sont les grandes villes qui accueillent l'essentiel de ces nouvelles entités. Actuellement, 47% des établissements privés sont concentrés sur l'axe Casablanca-Rabat-Kénitra. Le reste est réparti entre les autres villes. Ces établissements dispensent pour la plupart des enseignements de différents niveaux, du préscolaire à la terminale, en passant par les cycles primaire, collégial et secondaire.
Les effectifs scolarisés dépassent actuellement les 550 000 enfants. Soit un peu plus de 10% des effectifs globaux. Cette forte inflation n’a toutefois pas été accompagnée d’un dispositif de régulation. Ce qui explique le niveau de la qualité pédagogique et managériale.
L'Etat doit jouer son rĂ´le
La question qui se pose aujourd’hui avec acuité est : comment gérer cette explosion tout en garantissant la qualité ? Parents et acteurs d’écoles privées sont unanimes, l’Etat a tout à gagner à jouer son rôle de régulateur.
« Les pouvoirs publics devraient s’investir davantage dans la régulation pour mettre un peu d’ordre dans cette jungle de l’enseignement privé où chacun fait prévaloir la loi du marché pour dicter ses règles », déplore une mère dont les deux enfants ont déjà changé d’école à deux reprises avant la fin du cycle primaire ! Selon elle, comme dans le public, l’apprentissage par cœur est la règle et les enfants sont souvent débordés par la masse de devoirs.
C’est en particulier le cas dans les écoles « bilingues ». Pour tenter d’apporter une réponse au diktat du système éducatif sur la langue d’enseignement - l’arabe au primaire et au secondaire et le français au supérieur -, beaucoup d’écoles dédoublent les programmes des matières scientifiques. Les élèves suivent ainsi la même matière en français et en arabe. Certaines, parmi les plus organisées, ont réussi à adopter ce système sans trop épuiser les élèves. Mais il s’agit d’une minorité.