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Moi, Adil, 25 ans, marchand de chaussures et terroriste
Actuel n°94, vendredi 13 mai 2011
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L’homme qui a assassiné 17 personnes ne regrette pas son geste. Révélations sur un homme ordinaire qui s’est métamorphosé en jihadiste peu ordinaire.
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A croire qu’il fait le mariole. Adil El Atmani sourit et semble prendre plaisir à la reconstitution de l’attentat de Jamaâ El Fna ce mercredi 11 mai. On aura rarement vu un suspect aussi coopératif.
Avec son sweatshirt, ses lunettes, sa perruque et sa guitare, il semble savourer son heure de gloire en revivant les moments terribles du 28 avril. Les 17 morts du café Argana ne l’ont pas troublé, pas plus qu’ils ne paraît incommodé par les cris de la foule marrakchie qui réclame sa mise à mort.
Il a épargné des barbus !
Ce type ordinaire qui a avoué son crime sans tergiverser n’a pas l’air d’un jihadiste forcené : « Ne me demandez pas pourquoi j’ai fait ça, mais plutôt comment je l’ai fait », explique-t-il tranquillement.
Il raconte son crime dans le détail et précise avoir d’abord songé à semer la terreur au café de France, avant de se rendre compte que les « chrétiens » fréquentaient plutôt l’Argana. Autre détail glaçant dont nous avons eu connaissance : il a attendu 40 minutes qu’une famille de barbus quitte l’Argana avant de faire exploser la bombe.
Rien dans sa vie publique ne pouvait laisser présager la dérive d’un prospère vendeur de chaussures de Safi en tueur de « chrétiens ». Et ses aveux font froid dans le dos car ils prouvent qu’un homme déterminé peut se métamorphoser en terroriste autodidacte.
En six mois, il a pu se documenter sur Internet pour fabriquer une bombe artisanale à base de nitrate d’ammonium enrichi au TATP et assorti de 15 kilos de clous. Il a d’abord testé son système à côté du marabout de Sidi Daniel près de Safi, le long de la côte.
Le jour J, son engin meurtrier était placé dans deux cocottes-minute pour multiplier l’effet dévastateur de l’explosion. Et pendant la reconstitution, il indiquera comment il a fait exploser la bombe en actionnant son téléphone portable à deux pas du consulat de France…
« C’est un bricoleur de génie », nous révèle une source. Tandis que les enquêteurs estiment que son niveau intellectuel est « faible ». L’un n’exclut pas l’autre. Concevoir un système de bombe télécommandée par téléphone nécessite une vraie dextérité.
Mais, selon nos informations, Adil le Safiot a aussi commis une bourde de terroriste débutant en activant son téléphone meurtrier à Safi, après son achat. C’est ainsi que les policiers remonteront sa piste.
Car la police scientifique marocaine a réussi à reconstituer le téléphone déchiqueté puis à géolocaliser sa provenance. Avec le portrait-robot réalisé à l’aide des touristes hollandais intrigués par ce hippie qui a laissé traîner son sac à dos, ils parviendront à identifier le terroriste… avant de le cueillir calmement vendredi dernier.
Il voulait rejoindre la Libye
Si la DGST l’a si vite retrouvé, c’est parce que l’homme n’était pas inconnu des services. Il aurait tenté à trois reprises de rejoindre le jihad, d’abord Al-Qaïda en Irak en passant par la Libye, puis les combattants tchétchènes en transitant par la Turquie, et enfin l’Aqmi en Mauritanie.
A chaque fois, il a fait chou blanc. Et à chaque fois, selon les enquêteurs, il n’était pas seul. Deux autres Safiots l’auraient accompagné : Abdessamad Bitar, 28 ans, et Hakim Eddah, 40 ans, tous deux arrêtés le même jour.
Adil El Atmani aurait agi seul à Marrakech. Mais il aurait utilisé la maison de Hakim Eddah pour préparer les explosifs. Le même Eddah lui aurait conseillé de se faire oublier à Safi après l’attentat alors que Adil, qui avait liquidé son magasin la veille de l’Argana, voulait fuir avec son magot pour rejoindre les rebelles libyens...
A Safi (lire ci-dessous), on ne veut pas croire à la culpabilité du trio. La famille et les connaissances de Adil, Abdessamad et Hakim sont sous le choc. Ces jihadistes sans barbe cachaient bien leur jeu… C’est ce qu’on appelle la taqia, l’art de la dissimulation hypocrite (mais licite) pour parvenir à ses fins.
La ville sous le choc succombe aux théories du complot. Certains voient même une suite aux derbies violents qui opposent le Kawkab de Marrakech à l’Olympique de Safi ! Les habitants ont surtout peur aujourd’hui que leur cité soit cataloguée comme un nouveau Sidi Moumen : des voix s’élèvent dans le milieu associatif et envisagent d’organiser une marche contre le terrorisme.
Ce serait bien la meilleure réponse d’une cité dont le plus illustre enfant, Nour-Eddine Lakhmari, aime rappeler qu’elle fut une terre de tolérance où vivaient harmonieusement juifs, musulmans et chrétiens…
Eric Le Braz, avec Zakaria Choukrallah envoyé spécial à Safi |
Adil El Atmani
Nerveux, réservé et discipliné
Le magasin de Adil El Atmani, principal accusé et célèbre vendeur de chaussures du quartier Bououda, est fermé à double tour. Le modeste café de quartier de son frère, Abdelali El Atmani jouxte son magasin et ouvre comme à l’accoutumée.
Abdelali est au comptoir, la mine défaite, la détresse au fond des yeux. « J’ai vu Abdelali hier à 3 heures du matin, adossé à un poteau, seul dans la rue », raconte un ami de la famille.
Il hésite à parler à la presse qui « n’arrête pas de publier des calomnies », mais finit par nous raconter l’histoire de son frère, pour qu’on le laisse tranquille. « Mon frère a 25 ans. A cet âge, on fabrique des bombes à votre avis ?
Un ami qui a fait les sciences physiques m’a dit que mon frère devait être un génie pour fabriquer une bombe qui explose à distance. Je voudrais poser la question à mon frère. Il est sincère, s’il l’a fait, il me le dira.
Si c’est lui, je le renie et il doit être puni. Mais s’il est innocent, je vais me battre pour le sortir de là . » Dans son quartier, ses amis sont convaincus qu’il n’a pas pu « le faire ». Adil a laissé l’image d’un gars sans histoires, qui arrive en motocyclette le matin, ouvre son magasin, y passe la journée, puis rentre tranquillement le soir.
« Il n’a jamais porté la barbe. Il n’a aucun penchant politique. Rien ! », explique Abdelali. Hassan le connaît bien car il venait régulièrement acheter « les meilleurs chaussures de la ville » chez lui.
« Il avait de belles pièces, surtout les baskets signées qu’on achetait 600 dirhams au lieu de 1 500 dirhams. Il avait le goût des belles choses et s’habillait lui-même très bien. Il ne mettait jamais des habits de salafiste.
En plus, il n’a jamais fait une remarque déplacée à une fille par exemple par rapport à la religion. » Les signes de religiosité se limitaient pour Adil à ses cinq prières par jour dans la mosquée du quartier, à l’image de tous les autres commerçants.
Dans son entourage, on raconte qu’il vivait un peu en marge : assez secret, discipliné, il avait ses propres fréquentations et ne parlait pas beaucoup dans son derb natal. Le coiffeur du quartier se rappelle que Adil était « du genre nerveux ».
« On le voyait faire ses affaires. Il n’aimait pas marchander avec ses clients. Il leur disait : prends à ce prix ou va-t’en. Il était un peu rigide, pas comme les gens ici. » Le magasin de Adil fonctionnait à plein régime, et l’homme gagnait bien sa vie. Il avait son propre appartement où il était installé avec sa seconde femme. Dans sa jeunesse, Adil a dû batailler avant d’ouvrir son commerce.
Il a arrêté ses études au collège, a travaillé un certain temps en tant que ramasseur d’algues puis s’est lancé dans le business de la chaussure, aidé par son père installé en France, qui va lui céder le magasin familial. Avant de réussir à gagner sa vie, Adil rêvait d’immigration clandestine en Europe.
La version officielle parle, elle, de tentatives pour rejoindre l’Irak et la Tchétchénie en vue du jihad. « C’est vrai qu’il disparaissait pendant des mois, mais pour moi c’était un herrag. Il ne voulait pas partir au jihad, mais vivre en Europe.
C’est pour cela qu’il s’est rendu en Libye », estime son frère. La vie de Adil comprenait de nombreuses zones d’ombre mais rien ne laissait prédire une telle destinée. Seule l’enquête pourra apporter des réponses.  Z.C.
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Un jihadiste spontané
Ben Laden est mort, mais avant de s’écrouler sous les balles des Navy Seals, il avait déjà suscité de nouveaux héritiers…
Si les premiers éléments de l’enquête sont confirmés, Adil El Atmani apparaîtrait comme un nouveau type de terroriste. Ni kamikaze ni formé dans des camps de la terreur, il a recouru à un mode opératoire qui a surpris les enquêteurs. Nous sommes face à une nouvelle génération de jihadistes : les terroristes spontanés online. Questions.
Y a-t-il d’autres « Adil » au Maroc ?
« Les terroristes, ce n’est pas ce qui manque », nous dit un connaisseur des filières jihadistes. On peut estimer que, ces dernières années, plusieurs centaines de Marocains ont tenté de rejoindre la mouvance d’Al-Qaïda en passant par les mêmes circuits que les Safiots.
Le processus est souvent identique. Les candidats à la guerre sainte vont sur des sites jihadistes où ils entrent en contact avec des passeurs qui leur promettent une exfiltration vers l’Irak, le Pakistan ou d’autres contrées fertiles en terror academy.
Ils atterrissent alors dans un pays tiers comme la Libye et le passeur vient les chercher à l’aéroport après les avoir délestés de quelques centaines d’euros. Puis il les parque dans un abri jusqu’à réunir suffisamment de clients pour que la police locale vienne les arrêter et les expulser vers leur pays d’origine.
Et c’est ainsi qu’on a pu repérer les candidats au jihad dans le Royaume. Dont certains pourraient être tentés de suivre l’exemple de Adil El Atmani en expérimentant localement ce qu’ils n’ont pu réussir à l’étranger. Par chance, ils ne sont pas forcément bricoleurs...
Quelles leçons tirer de cet attentat ?
Si on a retrouvé aussi rapidement le terroriste, c’est en grande partie grâce au portrait robot que les touristes hollandais ont fourni car ils étaient sensibilisés comme tous les Occidentaux à repérer des individus qui laissent traîner des sacs…
Une campagne du type « Attentifs, Ensemble » qui a été réalisée en France, après les attentats de 1995, ne serait pas inutile chez nous pour intégrer ces simples réflexes antiterroristes.
Et c’est un véritable plan Vigipirate qui pourrait être déclenché dans le Royaume. Il faut des caméras de vidéosurveillance (en état de fonctionnement) dans les sites les plus fréquentés, des contrôles efficaces et des fouilles réelles à l’entrée des magasins et hôtels…
On doit aussi retenir que Adil a pu tranquillement prendre un bus pour rejoindre Safi sans être le moins du monde contrôlé. Toutes les forces de sécurité étaient mobilisées sur Jamaâ El Fna, omettant de vérifier les identités des personnes qui quittaient la ville juste après l’attentat… Il était fiché comme jihadiste potentiel et aurait pu être appréhendé plus tôt.
Adil préfigure-t-il le nouveau visage d’Al-Qaïda ?
Même si Aqmi a démenti être à l’origine de l’attentat du café Argana, Taïb Cherkaoui a bien souligné que le terroriste était fortement imprégné de l’idéologie jihadiste et qu’« il avait ouvertement exprimé son allégeance à Al-Qaïda ».
Trois jours avant la mort de Ben Laden, ce terroriste spontané prouvait qu’Al-Qaïda pourrait longtemps survivre à son fondateur. On a souvent comparé la nébuleuse terroriste à un système de franchise.
Aujourd’hui, nous sommes face à de petits entrepreneurs indépendants et à des autodidactes du terrorisme. « A l’image de l’ingénieur kamikaze de Meknès qui s’était fait exploser en tentant de pénétrer dans un bus de touristes en 2007, Adil El Atmani s’est radicalisé tout seul », estime un observateur averti.
C’est sur Internet qu’il a appris à confectionner une bombe. C’est aussi sur le web qu’il semble s’être « converti » à la guerre sainte. Il y a pire sur Jihad Online : selon nos informations, Adil a avoué avoir profité des forums pour préparer son crime en demandant par exemple s’il pouvait voyager en train sans risquer de faire exploser la bombe. Mais les appels au meurtre qui prévalent sur les sites jihadistes ne semblent gêner personne, à commencer par ceux qui les hébergent…
Eric Le Braz
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Abdessamad Bitar
« Les attentats, c’est hchouma »
Abdelilah et Youssef nous rapportent la réaction de leur frère, Abdessamad Bitar, deuxième suspect dans l’affaire Argana, quand il a vu les images de l’attentat à la télévision : « Il était avec sa femme, et il lui a dit que c’était hchouma tout cela. »
De plus, leur frère n’a pas quitté Safi le jour de l’attentat, qui coïncidait avec la naissance de son premier fils. « Il était heureux et impatient de faire le sbouâ (baptême). Pourquoi aurait-il mis en péril toute sa vie ?
Pour tout vous dire, on n’a même pas encore trouvé un nom pour l’enfant tellement la famille est bouleversée », nous explique Youssef. Du coup, la famille est convaincue que Abdessamad n’a rien à voir avec le drame. Abdelilah a, lui, saisi un avocat et les associations, afin de recoller les morceaux et d’y voir plus clair.
« La police est venu l’appréhender directement devant son magasin, personne n’est venu nous expliquer ; cela fait bientôt une semaine », nous explique-t-on. Au marché Biyada, où Abdessamad avait également un magasin de chaussures, on se rappelle comment le jeune homme a suivi calmement la police quand elle est venue le chercher.
Un agent des renseignements que nous avons rencontré sur place nous affirme même qu’il était le premier surpris : « On est en général bien informés, mais là , j’ai l’impression d’avoir mal fait mon travail. Je m’attendais à tout sauf à cela de la part de quelqu’un tout ce qu’il y a de plus banal. »
Ses collègues commerçants affirment que Abdessamad était discret, sérieux, et que mis à part les cassettes de Coran qu’il diffusait dans son magasin et les prières quotidiennes qu’il suivait assidûment, rien ne le distinguait de ses voisins. « Sa famille est un modèle pour nous.
Le père était très généreux et son fils, lui, très discipliné et adorable. J’aurais aimé avoir un enfant comme lui », nous raconte sa vieille voisine. Autour de la famille Bitar s’est formé un élan de solidarité spontané. Les coups de fils affluent et la mahlaba de la famille ne désemplit pas. Les connaissances de la famille viennent apporter leur soutien.
Lui non plus n’a jamais porté la barbe et gagnait correctement sa vie. C’est un jeune homme plein d’ambition. « Il m’a montré un matériel de restauration qu’il venait d’acheter. Il avait comme projet d’ouvrir un snack », nous dit son frère Youssef. Il est le plus jeune d’une fratrie de dix enfants et ne jurait que par l’Italie, pays où il voulait s’installer. Seule l’enquête déterminera son niveau d’implication.
Z.C
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Les trois nouveaux suspects
Le lundi 9 mai, la ville de Safi se réveille en apprenant trois nouvelles arrestations : Azzedine L., chômeur et ancien joueur de football d’un club local, Brahim, vendeur de téléphones portables et d’électroménager, et Wadiî S., vendeur ambulant.
Selon une source sécuritaire, citée par l’agence AFP, « ces trois personnes ont seulement pris connaissance du projet d’attentat mais n’ont pas pris part activement à son exécution ». Dans le quartier « Les courses », les riverains racontent comment le lundi, à 2 heures du matin, la police est arrivée pour perquisitionner la boutique de Brahim.
Pour les habitants, c’était un homme sans histoires, qui n’affichait aucun signe ostentatoire de religiosité. Azzedine habite, lui, entre l’ancien bidonville de Laârissa et le domicile familial qui se trouve dans le quartier Kliaâ. Sa famille s’est retranchée dans sa maison et refuse de parler à la presse.
Ses amis affirment que c’est un jeune très ouvert, qui adore jouer au football et raconter des blagues à ses amis du quartier. Quant à Wadiî, nous n’avons pas pu recueillir de témoignages probants le concernant. Ces trois nouvelles arrestations n’ont, à l’écriture de ces lignes, pas encore débouché sur de nouveaux éléments.
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Hakim Eddah
Fan du Real Madrid et de cinéma américain
Il y a un souvenir qui ne s’efface pas de l’esprit de Younès Eddah, le frère de Hakim Eddah, le troisième complice présumé de Adil. « Je prenais une douche le vendredi vers 17 heures, quand j’ai entendu du bruit.
Je suis sorti et j’ai vu mon frère escorté par une dizaine de policiers scientifiques à l’intérieur de la maison en train de fouiller partout. Il m’ont dit que c’était en rapport avec les attentats de Marrakech. » Younès s’assied, abasourdi.
« Ma tête s’est bloquée, je n’entendais plus rien autour de moi. C’était le choc. » Depuis, Younès s’alimente peu, ne sait plus s’il dort ou s’il est éveillé et n’arrête pas de penser à l’arrestation de son frère. Il se souvient du jour de l’attentat, où, installé avec ses amis au café, ils tentaient d’analyser l’événement : « On se demandait si c’était pour créer la fitna dans le pays, comme ce qui s’est passé en Egypte.
Mon frère lui-même m’a dit que c’était un crime. Je n’y comprends rien », nous dit Younès, affalé dans le petit salon d’un deux-pièces qu’il loue dans le modeste quartier « Les courses ». Hakim, 40 ans, est, contrairement à Adil, très extraverti et particulièrement apprécié par tous ses voisins.
« Je l’ai vu avant son arrestation emporter un chat de la rue chez lui et le nourrir. Il était très gentil, même avec les animaux, je ne l’imagine pas une seconde en train de planifier la mort d’êtres humains », raconte sa voisine de palier.
Hakim était un bon vivant et un musulman lambda qui se contentait de faire ses prières quotidiennes. Sans plus. « Il ne fréquentait même pas les salafistes et les adlistes du quartier », raconte un des ses amis. « Il n’a jamais obligé personne à faire sa prière par exemple. Vous savez, il adore les films et le foot.
Il était fan du Real Madrid et, l’autre jour, il me racontait l’histoire du film l’Exorciste qu’il venait d’acheter en DVD », s’étonne son frère. Il poursuit : « Il ne laissait pas un poil lui pousser sur le visage, il adorait les beaux habits et s’entraînait beaucoup car il détestait avoir du ventre. Je n’ai jamais vu un islamiste qui fait aussi attention à son corps. »
Hakim est, de toute la bande, le plus instruit mais aussi le plus pauvre. Un baccalauréat scientifique en poche (avec d’excellentes notes en maths), il repasse l’examen pour en décrocher un autre en économie puis s’inscrit à l’université Cadi Ayyad de Marrakech.
« Il a envoyé des candidatures qui ont été retenues dans des facultés en France et en Belgique, mais à cause de notre faible revenu, il a dû abandonner son rêve. Il a été très affecté et a arrêté les études avec en tête l’idée d’immigrer. »
Chômeur, il se contentait de quelques petits boulots, notamment dans le commerce de chaussures avec Adil. « Ils ont travaillé un moment ensemble, mais depuis la mort de notre mère en août de l’année dernière, il n’est plus venu chez nous », explique Younès. « Mon frère voulait découvrir l’Europe, comment aurait-il pu faire ça ? »
Z.C
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Tous les terroristes se ressemblent
C’était une fausse piste mais un vrai terroriste. Abdellatif Zahraoui, le sabreur du café Hafa à Tanger et suspecté dans celui d’Argana, s’est donné la mort.
Le mythique café Hafa est un véritable monument à Tanger. Ses terrasses en paliers, quasiment suspendues, offrent une vue unique sur la mer et les côtes ibériques. Il est très couru par les touristes qui viennent y admirer le coucher du soleil. Les Beatles, les Rolling Stones et Jimi Hendrix y ont siroté des verres de thé à la menthe fumant et, à en croire les mauvaises langues, fumé autant de joints.
Membre de la « cellule catalane »
C’était un havre de paix. Jusqu’au 15 avril dernier où un jeune homme élancé y entre subitement en dégainant un sabre. Au cri répété d’Allah Akbar, il s’attaque aux clients attablés. I
l tue un jeune homme de 28 ans, Hassan Ziani, étudiant à l’Institut du roi Fahd de traduction à Tanger, dont le seul tort est de se trouver sur la trajectoire d’une lame folle, et blesse légèrement un autre Marocain, un Français, une Suédoise et une Espagnole. Avant de s’enfuir précipitamment.
La police, qui l’identifie rapidement car c’est un résident du quartier, le traque sans relâche. Abdellatif Zahraoui, marié sans enfant, est à 34 ans un homme légèrement dérangé et désœuvré.
Connu pour être un salafi jihadi, il vient d’être relaxé depuis peu, après trois ans d’emprisonnement pour appartenance à la « cellule catalane ». Ce réseau d’exfiltration de moudjahidines en Irak a été démantelé en 2007 en Espagne d’où il a été extradé.
Bien avant, il s’était signalé dans sa jeunesse par le viol d’une mineure pour lequel il a purgé une peine de dix ans de prison où il s’est radicalisé. Sa photographie, celle d’un jeune homme barbu au regard mélancolique et à la chevelure lisse, noire et longue, est diffusée dans tous les commissariats de police et postes frontières.
Or le portrait robot réalisé, suite à l’attentat du café Argana à Marrakech, grâce à un couple de Néerlandais, se révèle d’une ressemblance saisissante avec le fou de Tanger. Certes l’homme du portrait-robot a les traits moins émaciés, mais le suspect a pu grossir entre-temps, sans compter qu’un portrait-robot n’est qu’une approximation…
Jeudi 5 mai, des informations filtrent dans la presse française selon lesquelles les services de renseignement marocains auraient arrêté Abdellatif Zahraoui, dans le cadre des attentats des cafés Hafa et Argana.
L’information est démentie par une source judiciaire autorisée. Cette nuit-là , on apprend que les trois suspects de Safi ont été arrêtés par la DGST dans le cadre de l’affaire Argana.
Hara-kiri
Abdellatif Zahraoui est mis hors de cause mais il est toujours traqué. La surveillance de son domicile ne faiblit pas, à raison. Sentant la pression baisser, il s’aventure à rejoindre son domicile dans la nuit du 6 au 7 mai. L’alerte est donnée.
Les policiers, tous services confondus, quadrillent le quartier avant de faire irruption dans la maison. Ils le débusquent dans sa chambre, dans un état déplorable. Sale et amaigri, il se saisit d’un couteau pour les dissuader d’avancer. Les policiers tentent de le raisonner en lui disant qu’il est cerné de toutes parts et qu’il n’a aucune chance de leur échapper.
Mais il ne les écoute plus et continue de les menacer avec son couteau. Finalement, il préférera mourir plutôt que de se rendre. Tel un soldat de l’hombre déshonoré, il commence par se taillader les veines du poignet gauche puis, pour abréger son agonie, il finit par s’éventrer. Il s’écroule sur le lit, le sang giclant de ces blessures, sous les cris et les pleurs de sa mère, de sa sœur et de son épouse, avant de rendre l’âme. « Justice est faite », comme dirait Obama.
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