Un moment Ă Sidi Moumen
Une maison, un boulot et un conjoint. C’est tout ce dont rêvent les jeunes de Sidi Moumen. Leur réalité n’a rien à voir avec celle des autres Casablancais.
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« Un chien à Anfa vit mieux qu’un jeune à Sidi Moumen. » La métaphore que lancent trois jeunes du bidonville Rhamna n’est pas si éloignée de la réalité. A Sidi Moumen, les jeunes ne vivent pas vraiment à Casablanca, mais dans un monde parallèle fait de chômage, de fumette, de petits boulots dans les usines et de cafés interminables après une soirée foot devant Al Jazeera Sport.
Rabiî Nkiri, 29 ans, chômeur, nous raconte sa journée type : « Je me réveille le matin, je sors courir et faire de la musculation, et le soir je vais au cyber ou au café. » Lunettes vissées sur la tête, diplômes inutiles de « mécanique polyvalente » et de « machines à coudre » (sic), propre sur lui mais sans plus.
Mais aux yeux de ses amis, il est quasiment un exemple de réussite. Tout ça, parce qu’il n’est tout simplement pas « m’bli » (toxicomane). A Sidi Moumen, les standards ne sont pas les mêmes que ceux des jeunes des autres quartiers de la ville blanche, même les plus pauvres.
« Les jeunes de Derb Soltan ont de bonnes écoles, pas comme à Sidi Moumen où la drogue circule à l’intérieur des établissements », explique Hamza, 25 ans, ancien toxicomane qui a arrêté l’école.
Les jeunes sont accueillants, brûlent d’envie de s’exprimer et de raconter leur vécu pour exploser le cliché du dangereux délinquant qui leur colle à la peau. Avant l’explosion démographique et l’extension du quartier, les habitants vivaient comme une famille.
Plus maintenant. « Il y a beaucoup d’agressions le soir à cause des délinquants d’un peu partout qui viennent traîner ici », explique Hamza. Les policiers, occupés à « racketter les jeunes motocyclistes qui n’ont pas de casques », selon Abdessamad, ne s’intéressent pas aux bidonvilles.
La pyramide vue d’en bas
L’Etat, démissionnaire depuis longtemps, est devenu encore plus dur envers cette population perçue comme un réservoir de terroristes depuis les attentats du 16 mai 2003. La dépolitisation et la marginalisation de ce quartier ont fait le terreau de l’islamisme.
« Nous avons le plus souffert de la loi antiterroriste. Un de nos voisins vient d’être gracié. Il était accusé de financer le terrorisme alors qu’il a juste prêté 2 500 dirhams à un ami religieux pour son mariage », explique Abdelfattah Nouimi, acteur associatif local.
Résultat : les jeunes sont systématiquement refoulés par les employeurs à cause des soupçons d’intégrisme qui planent sur eux. Ici, les rêves ne dépassent pas le premier niveau de la pyramide de Maslow : ils sont basiques.
Les jeunes veulent un logement sur les terrains où sont bâtis les bidonvilles pour ne pas s’éloigner de leur travail, un emploi stable payé plus de 8 dirhams de l’heure, et se marier pour ne plus être un poids pour leur famille.
S’ils vivent un cauchemar, pourquoi les jeunes que nous avons rencontrés sont-ils peu enclins à manifester dans les rues ? « Tout simplement parce que nos attentes sont encore plus grandes que les revendications du 20-Février », indique Abdelfattah Nouimi.
Les jeunes de Sidi Moumen n’ont en majorité pas été outillés pour la protestation. Ils voient la politique d’un œil suspicieux car ils ont été habitués aux élus ripoux qui les abandonnent aussitôt qu’ils votent (massivement) pour eux. Le rêve - et l’unique revendication des jeunes de Sidi Moumen - est à la fois simple et difficile à concrétiser. Il se résume en un mot : dignité.
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