Depuis un certain 20 février, notre regard a changé sur la jeunesse marocaine. Mais il n’y a pas que des slogans à retenir, il y a des vies à découvrir. Qu’ils manifestent ou pas, rencontrez ceux qu’on écoute si peu…
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Ils se réveillent. On les disait amorphes, dépolitisés, sans idéaux ni valeurs. Ils viennent de prouver qu’ils peuvent se regrouper autour d’un socle commun dans des rassemblements pacifiques. Le Mouvement du 20-Février a incontestablement changé l’image que l’on pouvait avoir de la jeunesse marocaine.
Mais dans les défilés, il n’y a pas que des jeunes… et si on fait le total de tous les manifestants, on arrive à 0,1% ou 0,2% de Marocains dans les rues, alors que les 15-35 ans représentent 40% de la population du Royaume !
Les jeunes du 20-Février restent ultra-minoritaires dans le pays. C’est une minorité agissante, déjà mature et qui contribue grandement à faire bouger les lignes… mais qui ne peut pas tout à fait prétendre représenter une génération qui ne les suit pas.
Alors, on a voulu rencontrer d’autres jeunes qui ne se reconnaissent pas dans le mouvement mais n’en ont pas moins un regard pertinent, et pas forcément rétrograde, sur leur pays. Et nous avons aussi voulu connaître les vingtfévrieristes au-delà des slogans qu’ils professent.
Car une évolution politique est souvent le fruit d’un parcours individuel. Pour cela, nous ne sommes pas allés voir les stars médiatiques et les porte-parole habituels, mais les 20-25 ans qui forment le socle du mouvement.
Ces jeunes à qui nous donnons la parole dans ce numéro ne sont pas forcément représentatifs du pays : il s’agit d’une enquête, pas d’un sondage, et c’est d’abord Casablanca qui est au cœur de ce tour d’horizon.
Mais le spectre est large : du lycéen de Lyautey au bidonvillois de Sidi Moumen. Leurs points communs ? Ils sont tous méfiants vis-à -vis des formations politiques traditionnelles et conscients que le plus grand chantier du pays, c’est l’éducation.
Ils sont bien placés pour le savoir… Et même ceux qui ont bénéficié d’un enseignement de qualité sont lucides face au gouffre qui les sépare des autres. Mais outre ces convergences, il y a d’énormes différences. Au point qu’on peut légitimement se demander si les jeunes que nous avons rencontrés vivent dans le même pays.
Et la réponse est non. Les différentes tribus ne se côtoient pas et quand ces jeunes se rencontrent, plus souvent sur Facebook que dans la vie réelle, c’est pour s’invectiver vertement à l’image des pro et anti-vingtfévrieristes.
Les jeunes sont aussi le reflet d’une société. Rim (1), 16 ans, en première S à Lyautey ne se sent pas en sécurité dans son pays et a craint la guerre civile quand elle a vu l’émergence du 20-Février (aujourd’hui, elle est rassurée). Mais elle est aussi consciente de vivre dans un microcosme où les gens « sont plus concentrés sur eux-mêmes que sur le monde qui les entoure ».
Elle veut aussi revenir « servir » son pays après ses études et rêve qu’il y ait une « séparation entre la religion et l’Etat ; et que la Constitution n’obéisse pas aux lois de la religion ».
Pourtant, de nombreux jeunes du 20-Février sont tout aussi laïques que les enfants de la mission. Mais leur peur à eux est le manque d’enthousiasme de leurs pairs. D’ailleurs, ils ont tous été « cassés » par leurs amis à l’école, nettement moins favorisés que les lycéens de Lyautey, mais tout aussi frileux à l’idée de se rebeller.
« Les jeunes ont peur et n’ont pas acquis le réflexe d’arracher leurs droits », rétorque Saoussane. Nada, elle, a dû longtemps taire ses choix politiques même en famille, tandis que Zineb, fascinée par le rock, se fait virer de son école à cause d’un petit bracelet en cuir.
Tous les jeunes ne peuvent pas aller jusqu’au bout de leurs convictions, mais ils partagent tous, activement ou passivement, l’envie d’inverser la vapeur et de reprendre le rôle de relève à venir.
« Il faut laisser la parole aux jeunes. Nous ne sommes pas que des consommateurs pour qu’on ne nous demande jamais notre avis », conclut Fayçal Merzak, 25 ans, en master neurosciences à la faculté de médecine. Et si on les écoutait ?
Eric Le Braz & Zakaria Choukrallah
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