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Mais que veulent les jeunes ? 
Actuel n°92, vendredi 29 avril 2011
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Depuis un certain 20 février, notre regard a changé sur la jeunesse marocaine. Mais il n’y a pas que des slogans à retenir, il y a des vies à découvrir. Qu’ils manifestent ou pas, rencontrez ceux qu’on écoute si peu…


***

Ils se réveillent. On les disait amorphes, dépolitisés, sans idéaux ni valeurs. Ils viennent de prouver qu’ils peuvent se regrouper autour d’un socle commun dans des rassemblements pacifiques. Le Mouvement du 20-Février a incontestablement changé l’image que l’on pouvait avoir de la jeunesse marocaine.

Mais dans les défilés, il n’y a pas que des jeunes… et si on fait le total de tous les manifestants, on arrive à 0,1% ou 0,2% de Marocains dans les rues, alors que les 15-35 ans représentent 40% de la population du Royaume !

Les jeunes du 20-Février restent ultra-minoritaires dans le pays. C’est une minorité agissante, déjà mature et qui contribue grandement à faire bouger les lignes… mais qui ne peut pas tout à fait prétendre représenter une génération qui ne les suit pas.

Alors, on a voulu rencontrer d’autres jeunes qui ne se reconnaissent pas dans le mouvement mais n’en ont pas moins un regard pertinent, et pas forcément rétrograde, sur leur pays. Et nous avons aussi voulu connaître les vingtfévrieristes au-delà des slogans qu’ils professent.

Car une évolution politique est souvent le fruit d’un parcours individuel. Pour cela, nous ne sommes pas allés voir les stars médiatiques et les porte-parole habituels, mais les 20-25 ans qui forment le socle du mouvement.

Ces jeunes à qui nous donnons la parole dans ce numéro ne sont pas forcément représentatifs du pays : il s’agit d’une enquête, pas d’un sondage, et c’est d’abord Casablanca qui est au cœur de ce tour d’horizon.

Mais le spectre est large : du lycéen de Lyautey au bidonvillois de Sidi Moumen. Leurs points communs ? Ils sont tous méfiants vis-à-vis des formations politiques traditionnelles et conscients que le plus grand chantier du pays, c’est l’éducation.

Ils sont bien placés pour le savoir… Et même ceux qui ont bénéficié d’un enseignement de qualité sont lucides face au gouffre qui les sépare des autres. Mais outre ces convergences, il y a d’énormes différences. Au point qu’on peut légitimement se demander si les jeunes que nous avons rencontrés vivent dans le même pays.

Et la réponse est non. Les différentes tribus ne se côtoient pas et quand ces jeunes se rencontrent, plus souvent sur Facebook que dans la vie réelle, c’est pour s’invectiver vertement à l’image des pro et anti-vingtfévrieristes.

Les jeunes sont aussi le reflet d’une société. Rim (1), 16 ans, en première S à Lyautey ne se sent pas en sécurité dans son pays et a craint la guerre civile quand elle a vu l’émergence du 20-Février (aujourd’hui, elle est rassurée). Mais elle est aussi consciente de vivre dans un microcosme où les gens « sont plus concentrés sur eux-mêmes que sur le monde qui les entoure ».

Elle veut aussi revenir « servir » son pays après ses études et rêve qu’il y ait une « séparation entre la religion et l’Etat ; et que la Constitution n’obéisse pas aux lois de la religion ».

Pourtant, de nombreux jeunes du 20-Février sont tout aussi laïques que les enfants de la mission. Mais leur peur à eux est le manque d’enthousiasme de leurs pairs. D’ailleurs, ils ont tous été « cassés » par leurs amis à l’école, nettement moins favorisés que les lycéens de Lyautey, mais tout aussi frileux à l’idée de se rebeller.

« Les jeunes ont peur et n’ont pas acquis le réflexe d’arracher leurs droits », rétorque Saoussane. Nada, elle, a dû longtemps taire ses choix politiques même en famille, tandis que Zineb, fascinée par le rock, se fait virer de son école à cause d’un petit bracelet en cuir.

Tous les jeunes ne peuvent pas aller jusqu’au bout de leurs convictions, mais ils partagent tous, activement ou passivement, l’envie d’inverser la vapeur et de reprendre le rôle de relève à venir.

« Il faut laisser la parole aux jeunes. Nous ne sommes pas que des consommateurs pour qu’on ne nous demande jamais notre avis », conclut Fayçal Merzak, 25 ans, en master neurosciences à la faculté de médecine. Et si on les écoutait ?

Eric Le Braz & Zakaria Choukrallah

Trois questions Ă  Abdelbaki Belfakih

Anthropologue, université Hassan II

 

« Les jeunes prennent leur distance de la culture makhzenienne »


Nos jeunes forment-ils un tout homogène ou leurs attentes sont-elles différentes selon leur milieu au point de ne pas converger ?

Les jeunes ne forment pas tous un groupe homogène. Cela étant, les revendications urgentes sont les mêmes. Liberté, changement, justice, formation, emploi, dignité, transparence et séparation entre les pouvoirs… forment les leitmotivs récurrents.

Il est tout à fait sain qu’il y ait du débat à l’intérieur de cette jeunesse, du moins celle qui se retrouve dans l’espace public. Tout cela est décalé par rapport à la culture qui réduit à l’obéissance. Et c’est mieux ainsi.

 

Les différentes études menées sur les jeunes pointent du doigt le faible engagement politique de la jeunesse marocaine. Le 20-Février vient-il contredire tout cela ?

Les pouvoirs n’ont pas de sympathie pour des chiffres qu’ils n’ont pas produits. Si ces rapports ont dû mal apprécier les prémisses du mouvement des jeunes, considérés jusqu’alors dans un faible engagement politique, c’est sans doute parce qu’il y a dysfonctionnement ou du moins glissement.

Comme le malade prend conscience de sa partie souffrante, nous découvrons le mouvement de ces jeunes, au moment où la société marocaine dans la majeure partie de ses structures et institutions est en crise.

Sociologiquement, ces jeunes portent le Maroc en eux, passé absolutiste, doléances, rêves et avenir incertain. Ils disposent d’une intention et ils se réfèrent à leur expérience personnelle fondée sur la corporéité ou le réglage de la distance par rapport aux différents pouvoirs.

Ces jeunes investissent la place publique, vainquent la peur et osent clamer haut et fort contestations et revendications. Ils  annoncent le vent du changement symbolisĂ© par la prise de distance par rapport Ă  la culture makhzenienne. Ce mouvement est aujourd’hui effectif. Seule une enquĂŞte sociologique peut nous renseigner sur son volume.

Quels que soient leur origine  sociale ou leur profil, les jeunes s’interrogent sur leur identitĂ© et se sentent peu pris au sĂ©rieux. Comment analysez-vous cela ?

Il est clair que nous nous retrouvons tous devant une situation inédite qui n’a guère d’équivalent dans l’histoire du Maroc. Les nationalistes d’autrefois ont agi à partir et au travers de la religion. Le mouvement du changement d’aujourd’hui a tendance à vaincre le sacré et le tabou.

L’épreuve est difficile et nĂ©cessite une longue nĂ©gociation et un sacrifice. L’identitĂ© est en continuelle construction. Le jeune, longtemps muet, se cherche au moment oĂą il prend l’initiative. Il sait pertinemment ce qu’il ne veut pas voir se reproduire et ce qu’il ne veut pas ĂŞtre. Le reste est une affaire de durĂ©e. 

Propos recueillis par Z.C.


Interview facebook

 

« M6 doit ĂŞtre plus prĂ©sent » 

Il est apolitique, préfère regarder des vidéos sur YouTube que le JT de 2M, de France 24 ou d’Al Jazeera. C’est un jeune Marocain ordinaire qui ne sort pas manifester.

Que penses-tu du 20-FĂ©vrier ?

Tout ce que les jeunes du 20-Février ont dit dans leur première vidéo est vrai. Je pense aux réformes de l’emploi, de la santé, de l’éducation et à la lutte contre la corruption. Payer 60 dirhams avant d’entrer dans un hôpital public, c’est con ce truc.

Es-tu pour une monarchie où le roi règne mais ne gouverne pas ?

Je n’ai pas trop d’infos de ce côté-là. Juste ce que j’ai entendu dire.

Les jeunes réclament un Premier ministre élu qui prend les décisions. Comme en Espagne…

Ça pourrait marcher comme ça pourrait ne pas marcher…

Comment cela ?

Avec Hassan II, ce problème ne se posait pas : il gérait tout. Tu sentais sa présence. Le roi doit reprendre les choses en main, être plus présent et parler davantage au peuple.

Donc tu n’es pas contre les pleins pouvoirs du roi mais tu penses que le roi doit être plus présent…

Oui, voilĂ .

Les gens pensent que sortir en nombre pousse les autorités à prendre des décisions. Et toi ?

Il y a d’autres moyens : organiser des journées portes ouvertes dans les facs pour s’exprimer, faire une grève générale une journée. Sortir dans la rue, c’est prendre le risque de provoquer le chaos.

Propos recueillis sur facebook par Z.C.


Interview facebook 2

 

« Il faudrait plus de génies et moins d’ingénieurs ! »

 

Naïl Lazrak, franco-marocain, 18 ans, terminale L à Lyautey. L’année prochaine, il veut faire une prépa en lettres classiques. Puis revenir au Maroc « jouer un rôle dans le développement de la culture et de l’éducation ». Déjà, il organise des soirées philo où même des « S » et des « ES » viennent débattre.

Il ne ressemble pas à tous les élèves du lycée de l’élite casablancaise où « les rapports sont très utilitaires, minimalistes et généralement méprisants ». Mais il sait de quoi il parle et sa petite musique mérite d’être entendue…

 

On parle du 20-FĂ©vrier Ă  Lyautey ?

Un peu. Ce n’est pas la préoccupation principale. Quelques-uns seulement se sentent concernés, pour les autres, tout ce qui se passe hors des murs leur est étranger. Bien sûr, ça fait bien de prôner la démocratie et de se dire sympathisant, mais ça s’arrête là.

Pour ma part, je suis d’assez près l’actualité politique du monde arabe en général. Je me méfie des révolutions car je ne pense pas que ce soit la meilleure voie pour parvenir à la démocratie.

Si on prend les principaux exemples de révolution dans l’histoire, les suites ont rarement été séduisantes : en France, la Terreur, les Empires et la Restauration ; en URSS, le totalitarisme ; en Chine, encore un milliard de personnes n’ont pas accès à Internet, et en Iran, une théocratie moyenâgeuse.

 

Le 20-FĂ©vrier milite pour des changements constitutionnels. Tu rejoins leurs positions ?

Tout à fait. Les changements constitutionnels ne peuvent de toute façon pas avoir lieu en quelques semaines, et je suis pour des réformes réfléchies. Une monarchie parlementaire est ce qui pourrait arriver de mieux au Maroc.

 

Quelles sont les autres réformes nécessaires ?

Je crois que la première des réformes devra concerner l’éducation.

 

Le 20-Février ne se positionne pas sur des problèmes de société. Penses-tu qu’il y ait des lois à changer dans ce domaine...

Oui, tout cela changera un jour, mais on peut espérer que ce qui se passe en ce moment accélère le processus. Il faudra finir par instaurer la parité totale, y compris dans l’héritage ; une démocratie transparente, ce qui passe par une forme de laïcité (même à l’américaine : religion d’État mais liberté totale de culte) ; et puis essayer de purifier l’économie en luttant contre la corruption...

 

Ton rĂŞve pour le Maroc ?

Moins de pauvreté et d’analphabétisme, plus de mobilité sociale... et que le Royaume devienne un grand pays dans d’autres domaines que l’économie.

 

Il faudrait plus de philo pour ça !

Ah ça oui ! Il serait par exemple intéressant de sillonner le pays avec quelques idées en poche pour sensibiliser le grand public à la pensée philosophique. La darija est une langue qui s’y prête extrêmement bien (et mieux que le français).

 

Mais à Lyautey plus qu’ailleurs, on est au Maroc dans la sacralisation de l’ingénieur. Et donc du comment au détriment du pourquoi...

Il faudrait plus de génies et moins d’ingénieurs ! En fait la figure de l’ingénieur reste intéressante, mais à un autre niveau : il faut construire des ponts entre les classes sociales, entre les gens, entre les disciplines.

Propos recueillis sur facebook par E.L.B.

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