Patrons dâoffice Ă la barre, dĂ©putĂ©s ripoux devant les juges, maires en examen... Aux procĂšs qui se succĂšdent rĂ©pond la libĂ©ration de nombreux prisonniers politiques. Est-ce le dĂ©but du grand nettoyageâ?
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Est-ce le calme avant la tempĂȘteâ? Dans tous les tribunaux du pays, les juges retiennent leur souffle. Au ministĂšre de la Justice, le patron des lieux et son grand chambellan, le prĂ©sident de la Cour des comptes, dĂ©poussiĂšrent les dossiers.
Elus ripoux, maires indĂ©licats, dĂ©putĂ©s corrompus, patrons dâoffice qui ont confondu pendant longtemps lâinjonction de servir avec le verbe se servir⊠Les uns sont Ă©pinglĂ©s par le rapport de la Cour des comptes, les autres par les inspections des ministĂšres ou encore par les descentes de la redoutable BNPJ.
Le cru 2009 qui Ă©pingle des cas de gaspillage de lâargent public nâĂ©pargne ni les institutions bancaires comme le CIH, Ă lâĂ©poque oĂč rĂ©gnait sans partage le socialiste Khalid Alioua, ni les tĂ©lĂ©s publiques, ou encore la gestion dĂ©lĂ©guĂ©e Ă la Lydec et Amendis.
Le rapport qui sâinquiĂšte de tous ces dĂ©passements et autres dĂ©tournements a renforcĂ© lâimage de «poil Ă gratter» du pouvoir de cette institution. En tout cas, depuis lâĂ©clatement de lâaffaire Benallou, les affaires se suivent mais ne se ressemblent pas.
Ce vaste prĂ©sumĂ© rĂ©seau de fonctionnaires ripoux, pesant quelques millions de dirhams, fait pour lâinstant lâobjet dâune instruction fleuve. SociĂ©tĂ©s, propriĂ©tĂ©s Ă lâĂ©tranger, valises de cashâ: le dĂ©cor de lâaffaire comme son casting sont dignes dâun thriller.
AprĂšs avoir Ă©tĂ© cuisinĂ©s par la BNPJ, les prĂ©venus, Benallou et son chef de cabinet, en plus dâune dizaine de collaborateurs, ont effectuĂ© dĂ©jĂ plusieurs passages devant le procureur de la Cour dâappel de Casablanca.
Sur les dĂ©tournements et autres dĂ©passements quâil aurait commis quand il Ă©tait Ă la tĂȘte de lâONDA, lâex-directeur gĂ©nĂ©ral nâa pas hĂ©sitĂ© Ă enfoncer son ministre de tutelle, lâistiqlalien Karim Ghellab, quâil accuse dâavoir Ă©tĂ© au parfum. Alors que les nombreux autres bĂ©nĂ©ficiaires des largesses de Benallou ont Ă©tĂ© convoquĂ©s pour ĂȘtre entendus dans le cadre de lâenquĂȘte prĂ©liminaire.
Les politiques sont aussi en ligne de mire... Le scĂ©nario prĂ©sentĂ© par un autre illustre larron, le parlementaire USFP et maire dâEssaouira, ne dĂ©mĂ©rite pas.
EpinglĂ© pour une sĂ©rie de dysfonctionnements, condamnĂ© Ă 4 ans de prison (mais il a fait appel), lâex-prĂ©sident de la Mutuelle gĂ©nĂ©rale du personnel des administrations publiques avait durablement confondu les caisses de la mutuelle avec son compte personnel.
Mohamed El Ferrah a notamment financĂ© une acquisition de logiciels pour un montant de 20 millions de dirhams en 2005 sans autorisation du conseil dâadministration. En 2006, le conseil dâadministration de la CNOPS a constatĂ© une crĂ©ance de 10 millions de dirhams sur le secteur mutualiste de la MGPAP. Sans compter les soupçons dâachats de biens immobiliers enregistrĂ©s en sa faveur.
Nouvelle campagne dâassainissement ?
Ces deux grosses affaires constituent en fait lâarbre qui cache la forĂȘt. En cash ou sur des comptes Ă lâĂ©tranger, dâautres patrons dâoffice, des maires, des Ă©lus locaux sont accusĂ©s dâavoir arrosĂ© aussi en pots-de-vin des dizaines dâobligĂ©s, selon les enquĂȘteurs.
Il y a dâabord cette vingtaine de responsables locaux Ă El Jadida, les prĂ©sidents des communes de Dar Bouazza et de Bouznika (ainsi que quelques hommes dâaffaires aujourdâhui incarcĂ©rĂ©s), le maire de Marrakech qui revient dans lâactualitĂ©, et celui de Casablanca qui nâa pas encore trouvĂ© dâexplications Ă fournir aux inspecteurs de lâIntĂ©rieur.
Sommes-nous devant une nouvelle campagne dâassainissementâ? Pour lâinstant, les patrons que nous avons contactĂ©s sont partagĂ©s et la plupart nâont pas dâopinion arrĂȘtĂ©e, juste quelques inquiĂ©tudes bien lĂ©gitimes sur le timing choisi pour sortir ces «âaffairesâ».
Mohamed Ziane, qui avait dĂ©missionnĂ© de son poste de ministre des Droits de lâhomme pour protester contre la campagne dâassainissement lancĂ©e par Driss Basri en 1996, pense que le terme est inappropriĂ© puisquâil nây a pas de commissions ministĂ©rielles pilotĂ©es par les gouverneurs qui font passer les patrons Ă la moulinette.
Mais pour le bouillant avocat, «âlâesprit dâune nouvelle campagne dâassainissement est bien lĂ , on cherche Ă calmer la rue en jetant en pĂąture des citoyens qui sont innocents jusquâĂ preuve du contraire. Sâils sont coupables, pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de les faire passer Ă la barreâ?â»
Tentation de régler des comptes
Sauf que Benallou comme El Ferrah, pour ne citer quâeux, sont dans le collimateur de la justice depuis au moins deux ans, bien avant les grondements de la rue arabe. Or, la principale caractĂ©ristique des procĂšs politiques, câest dâĂȘtre expĂ©ditifs.
Mais il nâest pas exclu que la tentation de rĂ©gler des comptes soit plus forte que la soif de justice. En tĂ©moignent les nombreux documents qui atterrissent subitement dans les rĂ©dactions casablancaises. Des fuites rĂ©pĂ©tĂ©es qui sĂšment le doute sur leur origine.
Dans ces procĂšs avant lâheure, les articles Ă charge prennent rapidement des allures de rĂ©quisitoire. Ce raz de marĂ©e de confessions, de secrets volĂ©s livrĂ©s en vrac, de responsables jetĂ©s en pĂąture Ă lâopinion publique, dont les Marocains semblent se repaĂźtre, fait le bonheur des rĂ©dactions mais pas forcĂ©ment celui des intĂ©ressĂ©s.
Pressions féodales
Au vu des raccourcis beaucoup plus que des menaces judiciaires rĂ©elles qui pĂšsent sur les «âcoupables dĂ©signĂ©sâ», certains craignent des pressions fĂ©odales qui fassent largement usage de lâintimidation et de la peur.
Il y a aussi une question qui mĂ©rite dâĂȘtre posĂ©eâ: jusquâoĂč ira-t-onâ? Un gouvernement qui dĂ©cide de poursuivre ses commis risque de faire son propre procĂšs. DĂ©lits dâinitiĂ©s, corruption, marchĂ©s fictifs, dĂ©tournements de fonds publics, il sâagit du quotidien de toutes les administrations.
Alors que lâon nettoie les cellules pour accueillir les ripoux de lâadministration, lâEtat ouvre grand ses prisons pour libĂ©rer ses derniers dĂ©tenus politiques, quelques Sahraouis aux idĂ©es indĂ©pendantistes arrĂȘtĂ©es, un groupe de politiciens jetĂ©s derriĂšre les barreaux pour avoir refusĂ© de se prĂȘter Ă un chantage politique et quelques salafistes accusĂ©s dâavoir trempĂ© dans les attentats du 16 mai 2003.
Le roi a-t-il rĂ©pondu aux revendications du 20-FĂ©vrierâ? Peut-ĂȘtre, mĂȘme si la plupart des dossiers Ă©taient dĂ©jĂ sur les rails, mais lĂ nâest pas lâessentiel. A prĂ©sent que la machine semble lancĂ©e, les mouvements sociaux doivent ĂȘtre vigilants pour Ă©viter que le souci de justice ne se transforme en chasse aux sorciĂšres.
Le succĂšs dâun mouvement social qui exige la moralisation de la vie publique se mesure Ă sa capacitĂ© Ă enclencher une politique publique qui va dans le sens de ses revendications.
Quâest-ce qui empĂȘche les «âvingtfĂ©vrieristesâ» de prĂ©senter des propositions ââplutĂŽt que de pratiquer la politique de la chaise videââ visant Ă introduire la lutte contre la corruption, la fraude, les irrĂ©gularitĂ©s, le conflit dâintĂ©rĂȘts et la mauvaise gestion financiĂšre dans la rĂ©forme de la Constitutionâ? Ont-ils la capacitĂ© de substituer «âune police de citoyennetĂ©â» à «âla police du gouvernementâ»â? Rien nâest moins sĂ»r.
Abdellatif El Azizi
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Marouani : « La DST nâest pas sacrĂ©e »
Quelques heures aprĂšs sa libĂ©ration de la prison de SalĂ© aux cĂŽtĂ©s de Mustapha MoĂątassim dâAl Badil Al Hadari, Mohamed Amine Regala, Alaa Badella Maa-El Ainin et Abdelhafid Sriti, Mohamed Marouani, fondateur du parti Al Oumma, nous a accordĂ© cet entretien exclusif.
Vous avez toujours clamĂ© quâon avait « montĂ© » ce fameux dossier Belliraj pour vous jeter en prison ; qui pourrait vous en vouloir Ă ce point ?
Nous sommes des acteurs politiques comme les autres, mais depuis le début, nous avions clairement dit que nous voulions faire de la politique autrement. Pour trancher avec le climat délétÚre qui a marqué le champ politique depuis belle lurette.
La premiĂšre rĂ©ponse que lâon a reçueâ: «âVous nâavez pas les critĂšres requis pour la constitution dâun parti politique lĂ©gal.â» La vĂ©ritĂ© est que le pouvoir voulait des partis spĂ©cialisĂ©s dans les applaudissements, de simples «âbĂ©ni-oui-ouiâ».
Nous avions refusĂ© dâĂȘtre cataloguĂ©s comme parti de lâadministration. Câest Ă ce moment quâon nous a confectionnĂ© ce dossier dans le cadre de la loi antiterroriste. Les autoritĂ©s se sont basĂ©es sur des faits anciens qui remontent Ă une autre Ă©poque.
La question que lâon a posĂ©e, câest comment peut-on faire tomber le rĂ©gime avec des idĂ©es et des plans qui remontent Ă une vingtaine dâannĂ©esâ? MĂȘme si ces faits Ă©taient vĂ©ridiques, la prescription lĂ©gale et juridique rend caduque la suspicion sur des faits qui remontent Ă plus de vingt ans et la logique politique nâadmet pas cette conception.
Vous visez tout particuliÚrement les services secrets. Comment envisagez-vous la réforme des services de sécurité et leur contrÎle ?
Câest une chose Ă©vidente, nous sommes des victimes de ces services. Quand une autoritĂ© travaille en dehors du contrĂŽle, elle fait ce quâelle veut. Il ne devrait pas y avoir une institution dans le pays qui travaille en dehors de la loi. Les services de sĂ©curitĂ© qui travaillent dans le secret ne se conforment pas Ă la loi.
Il y a plusieurs affirmations de lâexistence de lieux de dĂ©tention et de torture. MalgrĂ© cela, lâEtat fait la sourde oreille et affirme quâil nâen est rien et que les arrestations se font conformĂ©ment Ă la loi. Il existe un lieu de dĂ©tention secret Ă TĂ©mara oĂč des personnes sont toujours sĂ©questrĂ©es et torturĂ©es.
Cette situation doit cesser. Les agents de la DST ne sont pas «âsacrĂ©sâ». Il nây a dâailleurs pas de sacralitĂ© qui rime avec responsabilitĂ©. Les services de sĂ©curitĂ© doivent ĂȘtre sous un contrĂŽle bien dĂ©fini.
Pourquoi ne trouve-t-on pas ce genre de problĂšme en Europe et dans les pays dĂ©mocratiquesâ? Parce que si les services de sĂ©curitĂ© dĂ©passent les bornes, ils sont rappelĂ©s Ă lâordre par les organes de contrĂŽle.
Ce contrĂŽle doit ĂȘtre interne, externe ou parlementaire ?
Ce contrĂŽle doit sâeffectuer dans le cadre des institutions dĂ©mocratiques car nous croyons aux institutions. Un Etat sans institutions ne veut rien dire, lâEtat câest dâabord la citoyennetĂ©. Les autoritĂ©s affirment toujours que nous sommes dans un Etat de droit.
Cela veux dire quâon doit savoir qui est responsable de ce qui a Ă©tĂ© fait par ces services. Aujourdâhui, on nâa plus le choix : on prend le train du changement et de la rĂ©forme totale. La dynamique dĂ©clenchĂ©e par le martyr Bouazizi ne sâarrĂȘtera pas en si bon cheminâ; cela, le pouvoir doit lâintĂ©grer dĂ©finitivement. Les Marocains ne demandent quâĂ vivre dignement, câest tout.
Le rapport final de lâIER avait exigĂ© la constitutionnalisation des recommandations qui englobent aussi la rĂ©forme sĂ©curitaire. Vous ĂȘtes toujours dĂ©terminĂ© Ă revendiquer leur application ?
En prison, jâavais entamĂ© une grĂšve de la faim non pas pour ĂȘtre libĂ©rĂ© mais pour lâapplication effective des recommandations de lâIER.
Comment peut-on clamer sur tous les toits quâon a entrepris une rĂ©conciliation avec le passĂ© alors quâen mĂȘme temps, on persiste Ă kidnapper les gens, Ă lancer des procĂšs dâintention avec, Ă la clĂ©, les pires violations des droits de lâhomme. Cette logique doit cesser. Les Marocains ne veulent plus de ce double langage.
Est-ce que vous tenez toujours à la légalisation du parti Al Oumma et à faire de la politique ?
Bien sĂ»r, nous demandons dâabord la libĂ©ration de tous les dĂ©tenus politiques. Pour avoir le droit dâexister en tant que parti politique, nous avions dĂ©posĂ© au ministĂšre de lâIntĂ©rieur tous les documents nĂ©cessaires en conformitĂ© avec la loi des partis politiques.
Quâest-ce qui bloque alors ?
Sans aucune pudeur, lâancien ministre de lâIntĂ©rieur, Chakib Benmoussa, avait dĂ©menti notre dĂ©marche devant le Parlement et avait dĂ©clarĂ© que jâavais juste demandĂ© des informations sur les dispositions administratives pour la constitution dâun nouveau parti.
Câest Ă©galement lui qui a dĂ©clarĂ©, lors dâune confĂ©rence de presse en 2008, que jâĂ©tais lâĂ©mir de la cellule terroriste de Belliraj. Violant du mĂȘme coup, et le secret de lâinstruction, et la prĂ©somption dâinnocence. Le plus grave, câest que ce monsieur a Ă©tĂ© nommĂ©, quelques temps aprĂšs, prĂ©sident du Conseil Ă©conomique et social.
Je considĂšre que la nomination de cette personne est une insulte alors que la logique du changement nĂ©cessite le dĂ©part de tous ceux qui ont Ă©tĂ© mĂȘlĂ©s dâune maniĂšre ou dâune autre Ă des abus et/ou des malversations. Nous nâallons pas exiger leur poursuite judiciaire mais juste quâils disparaissent de lâespace public.
Le Maroc est en train de procĂ©der Ă des rĂ©formes constitutionnelles ; est-ce que vous comptez participer Ă lâĂ©laboration dâun mĂ©morandum au sujet de ces rĂ©formes ?
Nous avons aussi notre point de vue au sujet de la rĂ©forme constitutionnelle. Depuis notre cellule, on a signĂ© la plateforme intitulĂ©e «âLa rĂ©forme que nous voulonsâ». Nous sommes impliquĂ©s dans cette dynamique nouvelle qui aspire au changement au Maroc. Nous sommes concernĂ©s par cette dynamique.
On avait aussi appelĂ© Ă la monarchie parlementaire depuis 1999. Le plus cocasse dans tout cela, câest que le motif de notre arrestation est justement notre implication dans ce processus qui appelait aux rĂ©formes politiques. Certaines parties ont essayĂ© de nous briser mais on est sorti de cette crise encore plus solide et bien plus dĂ©terminĂ©.
Propos recueillis par Mohamed El Hamraoui
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DĂ©tenus politiques
Lâarbre qui cache la prison
AprĂšs lâeuphorie de la libĂ©ration des prisonniers politiques, vient le temps des questionsâ: quel sera le sort des autres dĂ©tenus dâopinion et notamment des salafistesâ? Faudra-t-il organiser une IER bis pour solder les comptesâ?
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Si le 14 avril, les prisonniers politiques, leurs familles et les militants se congratulaient Ă lâintĂ©rieur du CNDH, contents quâune injustice soit enfin rĂ©parĂ©e, Ă lâextĂ©rieur de lâĂ©difice, lâambiance Ă©tait tout autre.
Les «âvingtfĂ©vrieristesâ» ont improvisĂ© une manifestation rĂ©clamant la tĂȘte de Fouad Ali El Himma, ministre dĂ©lĂ©guĂ© Ă lâIntĂ©rieur Ă lâĂ©poque oĂč plusieurs de ces dossiers ont Ă©tĂ© instruitsâ: lâaffaire Belliraj, celle des islamistes arrĂȘtĂ©s dans le sillage du 16 mai, etc.
«âOn rĂ©clame la fin de lâimpunitĂ© et lâapplication des recommandations de lâInstance Ă©quitĂ© et rĂ©conciliation (IER). On veut que ceux qui ont mis des innocents en prison rendent des comptes et soient traduits en justice. De plus, il y a encore beaucoup de dĂ©tenus dâopinion, dont les membres du 20-FĂ©vrier Ă Marrakechâ», explique Najib Chaouki, membre du 20-FĂ©vrier.
«âLa libĂ©ration des ces personnes est une mesure partielleâ», tonne pour sa part Abdelilah Benbdesslam, vice-prĂ©sident de lâAssociation marocaine des droits humains (AMDH) qui rĂ©clame aussi dâautres mesures, comme lâautorisation des partis Al Badil Al Hadari et Al Oumma, dont les prĂ©sidents comptaient parmi les dĂ©tenus politiques du rĂ©seau Belliraj.
Tout le monde est certes soulagé de la grùce exceptionnelle accordée à 190 détenus, mais cette réponse royale est encore loin de refermer définitivement le dossier des détenus politiques.
Les militants associatifs et le Mouvement du 20 fĂ©vrier rĂ©clament aujourdâhui la libĂ©ration de ceux qui restent encore en prison et davantage de signaux positifs de la part de lâEtat, Ă la faveur de ce vent dâapaisement politique.
En premier lieu, parce quâil reste beaucoup de prisonniers dâopinion dans les pĂ©nitenciers. Abdelilah Benabdeslam les Ă©numĂšreâ: «âIl y a les activistes sahraouis, ceux arrĂȘtĂ©s dans le sillage du 20-FĂ©vrier, les Amazighs, dâautres militants associatifs de tous bords et des centaines de dĂ©tenus salafistesâŠâ»
Ce sont surtout ces derniers qui font le dĂ©bat. Selon lâassociation Annassir pour la dĂ©fense des droits de ces dĂ©tenus et de la loi antiterroriste, il en reste prĂšs dâun millier. «âDans la prison de SalĂ©, il y a 360 dĂ©tenus salafistes, Ă KhĂ©nifra, ils sont 190. A FĂšs, il y en a 66, etc.â», liste Abderrahim Mouhtad, coordinateur dâAnnassir.
Rien ne filtre
Pour ce dernier, la mesure de grĂące est un premier pas, prometteur car il a concernĂ© un Ă©chantillon assez diversifiĂ© de salafistes appartenant Ă des groupes diffĂ©rents, mais le combat lui continue, et lâEtat doit continuer dans cette voie.
Dâailleurs, sur quatre idĂ©ologues «âvedettesâ» des salafistes, seuls deux sont sortis de prisonâ: Mohamed Fizazi et Abdelkrim Chadli. Kettani et Abou Hafs sont toujours incarcĂ©rĂ©s.
«âOn peut comprendre quâils nâont pas tous Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s car contrairement Ă Fizazi qui a Ă©crit un mea culpa, il nâest pas certain que la position des autres idĂ©ologues ait Ă©voluĂ©â», explique Mouhtad. Le scĂ©nario idĂ©al concernant les salafistes serait pour les associatifs une libĂ©ration graduelle mais rapide de tous les dĂ©tenus pour quâil ne reste en prison, Ă terme, que ceux qui ont fomentĂ© les attentats du 16 mai et la cellule des djihadistes, dite dâAfghanistan.
Lâespoir est permis, mĂȘme si du cĂŽtĂ© officiel on prĂ©fĂšre que chaque chose se fasse en son temps. Joint Ă ce sujet, le prĂ©sident du CNDH, Driss Yazami, prĂ©fĂšre ne pas sâavancer sur des libĂ©rations Ă©ventuelles.
Les «âvingtfĂ©vrieristesâ», pour leur part, ne lĂąchent pas prise. Ils prĂ©voyaient de rĂ©clamer la libĂ©ration des dĂ©tenus dâopinion lors du sit-in du 20 avril et de la grande marche du 24 avril.
Zakaria Choukrallah
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Grands patrons
Fin de lâimpunitĂ© ou dĂ©magogie ?
Alors que les uns sont graciĂ©s, dâautres, et non des moindres, sont dĂ©jĂ dans le collimateur de la justice. En tĂȘte de liste, Abdelhanine Benallou et son ex-bras droit, Amine Barkallil, mais aussi des administrateurs de renom siĂ©geant au conseil de grandes entreprises, sont soupçonnĂ©s de dĂ©lits dâinitiĂ©s.
Ce nâest pas une premiĂšre dans lâhistoire du marchĂ© financier marocain mais cette fois-ci, le Conseil dĂ©ontologique des valeurs mobiliĂšres a voulu frapper fort en transfĂ©rant cinq dossiers au procureur du roi. Des rumeurs persistantes laissent croire que dâautres tĂȘtes pourraient tomber trĂšs bientĂŽt.
ParallĂšlement, la diffusion du rapport de la Cour des comptes devrait dĂ©clencher de nouvelles poursuites Ă lâencontre de hauts fonctionnaires et dirigeants dâoffices publics. Benallou et consorts en savent aujourdâhui quelque chose.
Lâex-directeur gĂ©nĂ©ral de lâONDA et une dizaine de ses proches collaborateurs ont Ă©tĂ© entendus jeudi 14 avril par la BNPJâ: octroi de marchĂ©s par entente directe de maniĂšre abusive, vente illicite de lots de terrains pour villas appartenant Ă lâOffice, nombre limitĂ© de fournisseurs assurant lâessentiel des commandes, la plupart des sociĂ©tĂ©s consultĂ©es appartiennent Ă la mĂȘme personneâŠ
LâenquĂȘte nâa pas encore livrĂ© tous ses secrets. Pour lâheure, la garde Ă vue nâa pas Ă©tĂ© engagĂ©e, mais les passeports ont Ă©tĂ© confisquĂ©s en attendant lâapprofondissement des investigations. Certaines voix sâĂ©lĂšvent dĂ©jĂ pour demander Ă lâautoritĂ© de tutelle, soit le ministĂšre de lâEquipement et des Transports, de rendre des comptes.
Lâon est en droit de se demander si Benallou finira par bĂ©nĂ©ficier dâune couverture, de par son appartenance politique (il est membre du conseil national de lâUSFP), tout comme Khalid Alioua, ex-patron du CIH. La suite des Ă©vĂ©nements le dira.
Reste quâĂ ce jour, lâancien banquier usfpĂ©iste nâa toujours pas Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ©. Pourtant, il avait Ă©tĂ© brutalement dĂ©barquĂ© de la tĂȘte du CIH, en avril 2009, suite Ă un scandale liĂ© Ă lâachat de deux appartements appartenant Ă la banque, Ă un prix trĂšs infĂ©rieur au prix du marchĂ©.
Aucune enquĂȘte nâa Ă©tĂ© ordonnĂ©e Ă ce jour alors que le CIH est une banque publique qui bĂ©nĂ©ficie du concours de lâEtat et est soumise Ă son contrĂŽle financier. De plus, faut-il le rappeler, le redressement du CIH nâa Ă©tĂ© possible que grĂące au refinancement public.
Mouna Kably
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Dilapidation Des maires (déjà ) épinglés
« LâimpunitĂ© nâest plus de mise Ă El Jadida, nous dit Nabil B., habitant de la ville. Presque toutes les grandes pointures de la magouille et de la fraude ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es.â» Cela remonte Ă la nuit du 17 mars lorsque le juge dâinstruction de la Cour dâappel de la ville a ordonnĂ© lâarrestation de 17 personnes, dont lâancien prĂ©sident du conseil municipal, Abdellatif Toumi, et leur mise en dĂ©tention prĂ©ventive Ă la prison dâEl Jadida.
En comptant les 17 personnes actuellement en détention, ce sont en fait 65 personnes qui sont auditionnées dans cette affaire, 34 témoins et 14 accusés en liberté provisoire.
Les chefs dâinculpation sontâ: dĂ©tournement de biens publics, dĂ©tention dâun bien en possession dâautrui, trahison de la confiance publique, Ă©vincement de concurrents pour lâobtention de marchĂ©s publics, abus de pouvoir, dilapidation de deniers publics (1,83 million de dirhams), faux et usage de faux portant sur des documents administratifs.
Tout y passe
Notons que câest le rapport du dernier semestre 2010 de la Cour des comptes qui a mis le feu aux poudres. Parmi les personnes poursuivies, les vice-prĂ©sidents du conseil municipal, Abdellah Toumi (frĂšre de lâancien prĂ©sident et lui-mĂȘme ex-prĂ©sident du club DHJ) et Youssef Bayazid, ainsi quâun membre du conseil, Mohamed Karinar.
Ces derniers sont issus du PAM. On trouve également un autre frÚre du président, Mustapha Toumi, en plus de trois autres fonctionnaires de la municipalité.
Autre ville, mĂȘme affaire. Cette fois, Ă Bouznika, oĂč 12 personnes ont Ă©tĂ© convoquĂ©es par la BNPJ. Parmi eux, des Ă©lus, des investisseurs locaux et le secrĂ©taire local du parti de lâIstiqlal de la ville.
Et lĂ encore, tout y passeâ: dilapidation de deniers publics, faux et usage de faux, dĂ©tournement de biens publics⊠Le prĂ©sident du conseil municipal, Mohamed Karimine, qui a Ă©galement Ă©tĂ© convoquĂ© par le procureur du roi prĂšs la Cour dâappel de Casablanca, affirme ne pas ĂȘtre au courant de lâaffaire.
Parmi les personnes suspectĂ©es, il nây a pas que des Ă©lus. MĂȘme des ministres du calibre de Moncef Belkhayat se trouvent aujourdâhui au centre de bien des polĂ©miques (voir page 48). Le grand nettoyage ne ferait-il que commencerâ?
A.A. et T.Q.
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Gestion sécuritaire
La nécessaire clarté
Le temps Ă©tait au dĂ©ballage ce 19 avril, quand le magazine Awal a conviĂ© les cinq dĂ©tenus politiques de la cellule Belliraj et lâidĂ©ologue salafiste Mohamed Fizazi Ă un grand dĂ©bat, Ă Casablanca.
Sur leur libĂ©ration, les anciens prisonniers sont unanimesâ: «âIl ne sâagissait pas dâune transaction (passĂ©e avec lâEtat), mais de la correction dâune erreurâ», rĂ©sume la vedette de la soirĂ©e, Fizazi qui, au sujet de la grĂące octroyĂ©e par le roi, prĂ©fĂšre parler dâune justice enfin rendue.
Lâaffaire Belliraj et celle des salafistes contiennent, selon les intervenants, les mĂȘmes zones dâombre quâil faut dâabord dissiper pour espĂ©rer que de telles arrestations ne se reproduisent plus.
«âJe rĂ©clame lâouverture dâune enquĂȘte pour savoir qui a donnĂ© les ordres, qui a torturĂ©â», estime Mohamed MoĂątassim rejoint par tous les anciens dĂ©tenus dont Fizazi, qui ne voit pas de rĂ©forme sans cela. Lâassistance et les intervenant ont, Ă plusieurs reprises, scandĂ© des slogans pour rĂ©clamer la libĂ©ration des dĂ©tenus restants.
«âLes cheikhs Kettani, Abu Hafs et Haddouchi sont innocents, des milliers dâautres dĂ©tenus dâopinion, et pas seulement des islamistes, sont encore dans les prisons. Je pense aussi aux dĂ©tenus de droit commun qui croupissent en prison inutilement. La tĂąche est lourde, mais il faut rouvrir tous ces dossiers en commençant par les salafistes si on aspire Ă une vĂ©ritable rĂ©forme de la Justice.â»
Pour Mohamed Amine Regala, «âles lobbies sĂ©curitairesâ» prennent toujours les dĂ©cisions Ă la place des institutions et il faut en finir avec les lois liberticides (loi antiterroriste) et les atteintes aux sacralitĂ©s.
Z.C.
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GrĂąces royales : mode dâemploi
Les rĂ©centes libĂ©rations des dĂ©tenus politiques reposent la question des grĂąces royales. Comment fonctionne ce dispositifâ? Quelles en sont les limitesâ?
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Le plus souvent, elles permettent de soulager la peine de bien des familles, dont les membres sont en détention, tout en désengorgeant des établissements pénitentiaires surpeuplés.
Mais parfois, elles sont accordĂ©es pour rĂ©parer des «ââinjusticesâ» tout en tournant la page de dossiers gĂȘnants. Câest dans cette derniĂšre case quâentrent les rĂ©centes grĂąces royales dont ont bĂ©nĂ©ficiĂ©, notamment, les dĂ©tenus politiques du procĂšs Belliraj et certaines figures de la salafia.
Au Maroc, la grĂące fait partie des prĂ©rogatives du roi. Elle revĂȘt deux formes principales. La premiĂšre concerne les grĂąces ponctuelles, au nombre de sept. Celles-ci interviennent Ă lâoccasion de trois fĂȘtes religieuses (AĂŻd El KĂ©bir, AĂŻd Al Fitr, AĂŻd Al Mouloud) et de quatre dates nationalesâ: lâanniversaire du manifeste de lâindĂ©pendance (11 janvier), la fĂȘte du trĂŽne (30 juillet), la commĂ©moration de la rĂ©volution du roi et du peuple (20 aoĂ»t) et la fĂȘte de la jeunesse (21 aoĂ»t).
La seconde formule revĂȘt un caractĂšre spĂ©cial. Ce fut notamment le cas Ă lâoccasion de la naissance de la princesse Lalla Khadija (8â836 graciĂ©s) et lors de la cĂ©lĂ©bration du cinquantiĂšme anniversaire de lâindĂ©pendance (10â000 bĂ©nĂ©ficiaires).
Commission spéciale
A cela est venu sâajouter un autre canal, celui du Centre national des droits de lâhomme qui a Ă©tĂ© pour beaucoup dans les rĂ©centes libĂ©rations. La grĂące royale porte sur une remise de peine, une grĂące totale ou une annulation de peine.
Elle peut concerner les peines de prison ou les amendes, ou encore les deux Ă la fois. Elle est valable pour les dĂ©tenus comme pour ceux qui se trouvent en Ă©tat de libertĂ© provisoire. Les demandes de grĂące sont formulĂ©es soit par les mis en cause eux-mĂȘmes, soit par leurs avocats, familles ou des ONG.
Pour statuer sur les demandes, une commission spĂ©ciale a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e. Cet organe permanent relevant de la Direction des affaires pĂ©nales et des grĂąces (ministĂšre de la Justice) est prĂ©sidĂ© par son directeur, et est composĂ© de reprĂ©sentants du cabinet royal, de la Cour suprĂȘme, du parquet gĂ©nĂ©ral Ă la Cour suprĂȘme et de lâadministration pĂ©nitentiaire, avec la prĂ©sence dâun magistrat de la dĂ©fense.
La commission des grĂąces se fonde sur les dossiers Ă©laborĂ©s par les assistants sociaux des divers centres pĂ©nitentiaires du pays. ThĂ©oriquement, plusieurs critĂšres sont pris en considĂ©ration dans lâarbitrage.
«âAu comportement du dĂ©tenu et Ă la nature de son forfait, sâajoutent son Ă©tat de santĂ©, sa situation familiale et sa disposition Ă rĂ©intĂ©grer la sociĂ©tĂ©â», nous explique cette source au ministĂšre de la Justice.
Les demandes retenues par la commission sont par la suite transmises au Cabinet royal pour validation. La machine est rodée. Mais elle peut donner lieu à des erreurs.
Arbitrages discrétionnaires
Abdelfettah Raydi, le kamikaze dont le corps a Ă©tĂ© dĂ©chiquetĂ© par sa propre bombe dans «âlâattentatâ» du 11 mars 2007, nâĂ©tait pas un novice en matiĂšre de terrorisme. CondamnĂ© Ă 5 ans de prison ferme en 2003 dans le cadre de la loi antiterroriste, il nâen a purgĂ© que deux. Il avait fini par bĂ©nĂ©ficier dâune grĂące royale.
A elle seule, cette situation rĂ©sume les failles qui marquent une procĂ©dure dont le bien-fondĂ© nâest pas discutable mais dont la pratique peut entraĂźner des libĂ©rations pas toujours justifiĂ©es et pouvant mĂȘme mener au pire.
Dâautant que des dĂ©rapages existent bel et bien et sont aujourdâhui dĂ©noncĂ©s. Pour des organisations comme Transparency Maroc, le processus dâoctroi des grĂąces est trop opaque pour ne pas donner lieu Ă des arbitrages discrĂ©tionnaires et prĂȘter le flanc Ă des pratiques de corruption.
«âLes informations dont nous disposons, sans quâelles soient confirmables, font Ă©tat dâun grand recours Ă lâargent par un certain nombre de bĂ©nĂ©ficiairesâ», dit-on au sein de lâONG. La corruption intervient ainsi Ă tous les Ă©chelons prĂ©cĂ©dant la soumission du dossier Ă la commission.
A commencer par celui des assistants sociaux. ChargĂ©s de rĂ©diger les dossiers des prisonniers, ils sont Ă mĂȘme dâaugmenter les chances de certains dâentre eux dâobtenir la grĂące.
Par ailleurs, aucun suivi des grĂąces et des personnes qui en bĂ©nĂ©ficient nâest effectuĂ©. Tout comme il nâest pas sĂ»r que ces grĂąces suffisent Ă calmer les bĂ©nĂ©ficiaires. Les derniĂšres dĂ©clarations de Mohamed Fizazi le prouvent. Le prĂȘcheur salafiste, dĂšs sa sortie de prison, a appelĂ© Ă purger le Mouvement du 20 fĂ©vrier des Ă©lĂ©ments «âathĂ©esâ» et «âbouffeursâ» du ramadan.
La prison, câest aussi des sĂ©quelles physiques et psychologiques. Et il nâest pas sĂ»r que des militants comme Chakib El Khyari ou encore des politiques comme Mustapha MoĂątassim rĂ©ussissent Ă sâen remettre.
Tarik Qattab
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Cour des Comptes
Ăa va cogner
Le dernier rapport de la Cour des comptes (2009) risque, cette fois, de provoquer des remous. Dans un style clair et sans dĂ©tour, Ă lâimage dâun rapport de commissariat aux comptes, les magistrats ont passĂ© au crible le modĂšle de gouvernance et de gestion de 34 entreprises publiques, mettant le doigt sur bon nombre de dysfonctionnements. FlorilĂšge.
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La banque du Siba
Lâaffaire des appartements acquis par Khalid Alioua, en dessous du prix du marchĂ© nâest que la partie visible de lâiceberg. Tout au long de son mandat, lâex-PDG sâest comportĂ© en vĂ©ritable caĂŻd, prenant des dĂ©cisions unilatĂ©rales, sans en rĂ©fĂ©rer au Conseil dâadministration.
Comme pour la dĂ©nommĂ©e affaire «âRâ», le conseil dâadministration du 30/05/2005 valide le rĂšglement de 60âmillions de dirhams payables dans lâimmĂ©diat. Or, le protocole dâaccord conclu le 03/12/2005 permettra un rĂšglement cash de 25 millions de dirhams, avec rĂ©Ă©chelonnement du reliquat.
Et des cas similaires ne manquent pas dans le portefeuille du CIH. Sont Ă©galement dĂ©noncĂ©es les largesses octroyĂ©es Ă un cabinet dâavocat, principal pour ne pas dire unique conseiller juridique de la banque.
Il bĂ©nĂ©ficie non seulement dâun taux de rĂ©munĂ©ration supĂ©rieur Ă ce que prĂ©voit la convention initiale, mais aussi de lâattribution, dans des conditions opaques, du marchĂ© relatif Ă lâexternalisation du recouvrement des crĂ©ances en souffrance.
Cerise sur le gĂąteauâ: Alioua occupait toujours, au moment des investigations de la Cour des comptes, un chalet dans la rĂ©gion de Mâdiq qui avait Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ© par le CIH en 2003, puis cĂ©dĂ© par lâex-PDG Ă un particulier en 2006 au prix bradĂ© de 4â900 DH/m2.
MĂȘme scĂ©nario pour un duplex situĂ© dans la Palmeraie de Marrakech, acquis par le CIH en 1996 pour 2 millions de dirhams, et cĂ©dĂ© en 2005 au mĂȘme acheteur que le chalet de Mâdiq, Ă 1,7 million de dirhams seulement.
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SODEP
Envers et contre tout
La sociĂ©tĂ© a remportĂ© en juillet 2007, la concession du terminal Ă conteneurs du port Tanger Med2, dans le cadre dâun consortium avec une sociĂ©tĂ© privĂ©e marocaine et un leader mondial de la manutention des conteneurs.
Mais sous lâeffet de la crise internationale, les deux partenaires se retirent et, depuis 2009, SODEP assure la concession du terminal. Cependant, la Cour des comptes Ă©met des rĂ©serves sur la capacitĂ© de SODEP Ă mener seule cette mission compte tenu de son expĂ©rience limitĂ©e au port de Casablanca.
Entre ombre et lumiĂšre
Les magistrats reprochent au management le recours non justifiĂ© au marchĂ© nĂ©gociĂ©, au lieu de lâappel dâoffres, pour certaines prestations qui ne le justifient pas, comme les Ă©tudes prospectives ou lâachat de logiciels.
En outre, la convention liant le CRI de Casablanca Ă la sociĂ©tĂ© AB MĂ©dias pour la publication de la revue «âCasa Investâ» comporte certaines zones dâombre comme le non-reversement de 35% des recettes publicitaires au CRI et la non-implication de la tutelle dans lâexĂ©cution de la prestation.
Impuissante mais laxiste
LâAgence de rĂ©gulation nâa pas fait grand-chose pour revoir le systĂšme de facturation des opĂ©rateurs, et encore moins pour rĂ©duire les tarifs. Le rĂ©gulateur pĂšche par le manque de moyens humains dĂ©diĂ©s au contrĂŽle et par lâabsence de procĂ©dures de suivi de la qualitĂ© de service.
Paradoxalement, lâANRT compte un nombre exagĂ©rĂ© de responsables, chefs de projets. Ce qui ne lâempĂȘche pas de recourir massivement aux experts externesâŠ
Les magistrats relĂšvent le recours abusif aux avances sur salaire au profit de certains salariĂ©s. Depuis sa crĂ©ation, lâAgence aurait gĂ©nĂ©reusement distribuĂ© prĂšs de 30 millions de dirhams dâavance plutĂŽt assimilables Ă des crĂ©dits revolving sans intĂ©rĂȘts.
La fourchette des sommes versĂ©es varie entre 1â400 dirhams et 600â000 dirhamsâ! Enfin, ces prĂȘts ne sont assortis dâaucun Ă©chĂ©ancier de remboursement.
A bout de souffle
Ce nâest un secret pour personne, 2M est au bord de la faillite. Pourtant, entre 2003 et 2007, les recettes publicitaires ont plus que doublĂ©. Mais au mĂȘme moment, on a laissĂ© filer les charges dâexploitation.
Au lieu de mettre le holĂ et dâexiger un contrat programme, lâEtat a versĂ© un chĂšque en blanc de 1,1 milliard de dirhams de subventions entre 1996 et 2008, sans rien exiger en retour.
Autre surpriseâ: les trois Ă©missions vedettes, Studio 2M, Lamassate et Challengers, dĂ©gagent Ă elles trois un dĂ©ficit de 10 millions de dirhams. Dâailleurs, rares sont les productions qui font lâobjet dâune procĂ©dure rigoureuse.
En outre, le rapport de la Cour des comptes sâattarde sur la relation opaque qui lie Soread Maroc et sa filiale Soread France. Celle-ci bĂ©nĂ©ficie des largesses de sa maison mĂšre, au point que quel que soit le chiffre dâaffaires rĂ©alisĂ© pour le compte de Soread Maroc, la filiale française perçoit une commission annuelle dâau moins 450â000 eurosâ! Ce qui nâest pas pour amĂ©liorer la situation chaotique de 2M.
Cela nâempĂȘche pas la chaĂźne publique de recourir, de maniĂšre abusive, aux prestataires externes, souvent Ă©trangers, et ce, dans tous les domaines y compris la gestion du personnel et la comptabilitĂ©.
FiertĂ© de Mustapha Benali, ex-DG de 2M, le Studio 1â200 soulĂšve pas mal de questionnementsâ: absence dâĂ©tude dâopportunitĂ©, dĂ©passement des prĂ©visions, gestion laxiste des marchĂ©s et des bons de commande.
RĂ©sultatâ: au budget initial de 35âmillions de dirhams, arrĂȘtĂ© en 2005 pour lâĂ©dification du studio, il a fallu une rallonge de 45âmillions de dirhamsâŠ
La sourde oreille
AprĂšs le CIH, câest lâautre gros morceau du rapport. Tout y passeâ: dĂ©faillances dans le recouvrement des crĂ©ances, gestion contestable des placements des rĂ©serves lĂ©gales. Hormis les fonds placĂ©s auprĂšs de la CDG, le reliquat est affectĂ© Ă des fonds communs de placement, dĂ©pĂŽts Ă terme et comptes Ă vue bancaires.
Ce qui enfreint la rĂ©glementation car tous les fonds, exceptĂ©s ceux nĂ©cessaires au fonctionnement de la Caisse, doivent ĂȘtre dĂ©posĂ©s Ă la CDG. Dâailleurs, Salaheddine Mezouar avait Ă©pinglĂ© la CNSS en 2010, la sommant de transfĂ©rer plus de 8 milliards de dirhams dans les comptes de la CDG. Rien nâa Ă©tĂ© fait Ă ce jour.
Une gestion chaotique
On ne compte plus le nombre dâannĂ©es de retard pour la rĂ©alisation de lâAvenue royale et des abords de la mosquĂ©e Hassan II Ă Casablanca. CrĂ©Ă©e en 1991 pour mener ce chantier, la SociĂ©tĂ© nationale dâamĂ©nagement communal sâest rĂ©vĂ©lĂ©e inefficace.
Le rapport lie cette dĂ©faillance au non-respect des prĂ©alables, Ă savoir la libĂ©ration de la zone du projet, lâacquisition dâune assiette fonciĂšre de 48 hectares et le relogement des 12â000 mĂ©nages. Sur ces trois registres, Sonadac a failli Ă sa mission.
A fin 2009, le cumul des acquisitions fonciĂšres se chiffrait Ă peine Ă 4,5âhectares, soit 15,6% de lâassiette fonciĂšre nĂ©cessaire. Et seules 2â546 familles, soit 21% du total prĂ©vu, ont Ă©tĂ© recasĂ©es.
Les magistrats dĂ©noncent aussi de sĂ©rieux problĂšmes de gouvernance dans lâexĂ©cution des projets, la commercialisation des produits et la gestion courante de lâentreprise publique.
Sans surprise, lâendettement de Sonadac caracole Ă plus de 600 millions de dirhams en 2007 et Ă 514 millions de dirhams en 2008, avec en prime, un nombre inquiĂ©tant de contentieux qui dĂ©bouchent parfois sur des saisies conservatoires.
Mouna Kably
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